jeudi 16 mars 2017

Trop de médecine. Histoire de consultation 196.

J'ai la rateQui s' dilateJ'ai le foie. Qu'est pas droit. J'ai le ventre. Qui se rentre

Monsieur A, 59 ans, est un homme charmant (ce dont tout le monde se moque a priori mais c'est une phrase obligée pour attirer l'attention sur le fait que je ne pratique pas le patient-bashing), cadre supérieur dans une banque, assez fier de lui et de son apparence, ses collègues de bureau l'appellent "coquet" (ne me demandez pas comment je sais cela et j'ajoute, pour être précis, que sa femme ne  sait pas qu'on l'appelle ainsi mais qu'elle y souscrirait volontiers).
"Bonjour.
- Bonjour.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive ?
- Oh, pas grand chose. Mais, dites-moi, docteurdu16, c'est de plus en plus difficile d'avoir des rendez-vous avec vous, cela fait quatre jours que j'appelle et c'est toujours complet.
- C'est vrai que c'est un peu chargé en ce moment, (phrase du médecin qui se la pète dans le style "qu'est-ce que je suis demandé..." ou "c'est la rançon du succès" alors que, pour moi, c'est tout simplement de la lassitude), et donc, qu'est-ce qui vous amène ?
- Oh, j'ai fait la grippe, mais c'est passé.
- La grippe ?
- Oui, j'avais le nez pris, je toussais, un peu de fièvre, j'ai empêché ma femme de dormir... mais ça va mieux, j'ai pris du doliprane.
(remarquons ici que je n'ai pas interrompu le patient, enfin, ce qu'il en restait puisqu'il était "guéri", qu'il s'est interrompu lui-même, attendant sans doute un commentaire de ma part, avant les 23 secondes fatidiques, le temps moyen que met une brute en blanc selon Martin Winckler/Marc Zaffran, citant là une étude ancienne étatsunienne de 1999 (voir LA), pour faire taire le patient - -j'écoutais l'autre soir sur France Culture, le feuilleton de France Culture, une adaptation radiophonique du fameux et fondateur roman "La maladie de Sachs" du célèbre sartho-montréalais paru en 1998 et ayant obtenu le prix du livre Inter la même année, qui me conforta dans l'idée, l'adaptation était d'un ridicule achevé, mais, justement, le ratage de cette adaptation, des années après la publication du roman -- que j'avais lu en diagonale et sur les conseils de ma maman qui trouvait le livre formidable sans l'avoir vraiment lu-- montre combien l'idée de la médecine générale n'a pas avancé d'un pouce dans l'esprit des citoyens qui ne retiennent que les côtés romantique et vocationnel comme le film encore plus ridicule "Médecin de campagne" de 2016 le prouve jusqu'à la nausée-- que je n'avais pas aimé le roman initial)
(remarquons aussi que le vocable grippe a un contenu très extensif qui ne cesse de me faire réfléchir)
- Ainsi venez-vous me voir quand vous n'avez plus rien.
- Cest cela.
- Vous auriez pu annuler le rendez-vous, cela aurait fait plaisir à d'autres patients.
- Oui, mais je voulais que vous me confirmiez que j'étais guéri.

Trop de médecine est un slogan mal compris. Les médecins y voient une critique de leur profession et les pharmaciens (voir LA) une atteinte à leur chiffre d'affaire.

Cette consultation montre les dérives de la santé à tout prix et de la médecine à tout faire (j'ai déjà développé cela 100 fois, je ne m'appesantis pas). Bénissons donc les délais pour obtenir une consultation : les patients guérissent avant.

Mais aussi ceci : le besoin d'être malade et d'en parler à son médecin. Ou, plus prosaïquement : le besoin que l'on s'intéresse à soi. Estime de soi et hypochondrie. 

(j'ajouterai ceci : Monsieur A m'a demandé pendant des années pourquoi je ne lui prescrivais pas de statines pour "son" cholestérol jusqu'au jour où il lut un article indiquant que les statines pouvaient entraîner des impuissances (sic) et qu'il comprit à tort pourquoi, lui qui ne présentait aucun facteur de risque cardio-vasculaire, je ne lui avais rien prescrit, alors même que les risques de troubles de l'érection sous statine... , ce dont il me remercia à l'égal de ma façon de ne pas avoir prescrit de mediator à sa femme... Et c'est ce même patient qui me tanne encore pour que je lui prescrive un dosage de PSA, je lui ai pourtant cent fois raconté l'affaire, ce qui montre que la peur du cancer chez CE patient est plus forte que la peur d'être impuissant, ce qui doit être modéré par le fait qu'il n'a toujours pas eu de dosage du PSA alors que je cède le plus souvent dans le cadre d'une décision partagée...  mais que la peur du mauvais cholestérol ne fait pas le poids avec le risque d'avoir des troubles de l'érection)

Bonne journée en bonne santé.

jeudi 2 mars 2017

Harcèlement au travail et/ou burn-out sociétal.


Les cabinets de médecine générale sont désormais remplis de patients consultant pour harcèlement au travail (appelé aussi harcèlement moral : LA) et plus rarement pour burn-out (et, exceptionnellement pour syndrome d'épuisement professionnel, ce qui est la traduction française de l'expression anglaise : ICI).

Un rapport présenté récemment à l'Assemblée nationale propose, selon le journal Le Monde (ICI), "quelques pistes timides pour faciliter la reconnaissance de l'épuisement au travail en tant que maladie professionnelle".

Une nouvelle entité clinique est apparue. Est-ce une maladie professionnelle ou une maladie systémique ?

Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien, remarquable épistémologue des sciences et philosophe, et qui côtoya à la fois Ivan Illich et René Girard, parlait de patients "faisant grève de la société" (In : La marque du sacré, 2010, Champs essais).

Nous y sommes.



Et les histoires entendues se répètent à l'infini tant l'organisation des entreprises (privées et d’État) immergées elles-mêmes dans un contexte économique difficile (j'enfile les truismes avec application) est peu favorable à l'épanouissement personnel.

Ce qui m'étonne toujours, et ce qui est peu souvent rapporté, c'est la façon stéréotypée dont les patients expriment leur ressenti à tel point qu'il faut se poser des questions sur ce mimétisme symptomatique (nous n'avons pas le temps ici de parler de maladies construites sur des symptômes et qui ont disparu de la surface de la médecine). On dirait que les citoyens/salariés ont appris leur leçon avant d'entrer dans le cabinet de consultation. On dirait qu'il s'agit d'éléments de langage. Au delà des particularités individuelles qu'il n'est pas possible de nier et qui sont évidentes lors de l'interrogatoire, il existe une ligne de souffrance, un vocabulaire (différent selon le niveau d'éducation), des gestes, des mimiques, des pleurs, qui confèrent une unité sociétale à cette pathologie.

La littérature psychiatrico-psycho-analytique/non analytique est foisonnante et chaque chapelle, comme d'habitude, tire la couverture à soi.

Les sites sont également nombreux (voir LA). Il n'est pas inintéressant de constater que la souffrance au travail est aussi devenu un marché idéologique avec une base constituée par les psychiatres/psychologues du travail dont l'initiatrice est Marie-France Hirigoyen (LA). Au ressenti stéréotypé correspondent des réponses stéréotypées qui sont autant de constructions du réel supposé. Sans références nettes au capitalisme. Car les commentateurs du harcèlement comme du burn-out oublient que le système est vicié à l'origine ou plutôt sont persuadés qu'il s'agit d'un horizon indépassable.

Quelques définitions :

Le burn-out par wikipedia donne ceci :
Le burn-out peut être regardé comme une pathologie de civilisation, c'est-à-dire un trouble miroir qui reflète certains aspects sombres de l'organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l'urgence, la concurrence exacerbée ou encore la généralisation des méthodes d'évaluation

Pour le  harcèlement moral au travail sur un site officiel (ICI) :
Le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés : remarques désobligeantes, intimidations, insultes...
Ces agissements ont pour effet une forte dégradation des conditions de travail de la victime qui risque de :
porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
ou d’altérer sa santé physique ou mentale,
ou de compromettre son avenir professionnel.
Si vous êtes victime de harcèlement moral, vous êtes protégé que vous soyez salarié, stagiaire ou apprenti.
Ces agissements sont interdits, même en l'absence de lien hiérarchique avec l'auteur des faits.


Les experts vous diront, je les entends déjà, qu'il s'agit de faits différents. Sans doute.

Il faut aller chercher ailleurs.

Dominique Dupagne me signale sur tweeter il y a quelques jours une chronique radiophonique (La Tête au Carré : LA) parlant du burn out parental. J'écris ceci : "C'est la même logique manageriale : la décence commune est remplacée par les injonctions hétéronormes expertales."
Dupagne répond à quelqu'un qui trouvait ma réponse absconse. "Si, c'est logique : la petite entreprise parentale est détruite par des injonctions stupides, intériorisées et aliénantes."

Dominique Dupagne a écrit un ouvrage remarquable sur la logique entrepreneuriale de notre modernité : La revanche du rameur, 2012, Michel Laffon. Mais il n'a parlé que de l'anthropologie du mal ou plutôt de l'éthologie du mal, il n'a pas parlé du contexte social qui est celui du capitalisme, cet horizon indépassable dont j'ai déjà parlé, comme si, le 13 juillet 1789, on avait discouru sur l'immanence de la monarchie de droit divin et de l'impossibilité d'y échapper en France. Bon, je ne vais pas ajouter, Marx et Engels bien entendu (cela ne fait pas bien de les citer), Freud, Ivan Illich, René Girard et quelques autres pour dire qu'il est tout à fait possible de faire le lien entre l'entreprise et la famille qui, justement, n'est pas une entreprise, mais surtout l'Etat qui est encore moins une entreprise, dans le contexte du système capitaliste.



Le burn-out familial :

L'organisation a sociale a dépossédé la famille de ses rôles régaliens autonomes : élever ses enfants, les nourrir, les punir, les encenser, les aider, les aimer.
La famille est en observation : le sens commun autonome (dont il est hors de question de faire l'éloge absolu) est battu en brèche par l'expertise hétéronome des experts qui disent la famille tout en n'ayant de cesse de la déconstruire.
Acrobaties idéologiques qui ne peuvent que rendre les familles folles.
Des livres entiers ont été consacrés à cette division de la pensée.

Je voudrais citer Geoffrey Gorer qui écrivait en 1948 dans The American People: A study in National Character cité par Christopher Lash in La Culture du narcissisme, 1979 : "Il s'est créé un idéal du parent parfait, tandis que les parents réels perdaient confiance dans leurs aptitudes à accomplir les tâches les plus simples attachées au soin et à l'éducation de leur progéniture."

Rappelons aussi, car ce n'est pas anodin, ces chiffres d'une crudité incroyable : 19 000 enfants sont victimes de maltraitance, 78 000 se trouvent dans des conditions à risque et 600 à 700 décès sont attribuables à de mauvais traitements infligés par les parents (voir LA). Bien plus : en 2014, 290 000 mineurs étaient pris en charge par la protection de l'enfance, soit 1,98 % des moins de 18 ans (voir ICI). Voir aussi un article récent sur le rôle des placements : LA.

Il est donc impératif que les services sociaux, la justice interviennent. C'est le rôle de l’État. Et c'est son devoir.

Ce qui est moins rassurant c'est quand les normes s'appliquent au "normal" et fixent des règles dans la règle. Car en ce cas il s'agit, comme on l'a vu, d'une dépossession de la famille, d'une délégation des tâches et d'un transfert des fonctions.

Les experts savent donc, et pas seulement les médecins et les professionnels de santé, comment les femmes doivent accoucher (et même comme elles doivent faire les enfants) et comment les maris (pardon si le terme paraît si vieux jeu) doivent se comporter avant, pendant et après, ils savent aussi comment il faut allaiter, donner le biberon, coucher les nourrissons (même si la dernière fois qu'ils se sont trompés des milliers d'enfants en sont morts, rien qu'en France), je ne continue pas mais, si vous ne le saviez pas, les experts précisent aussi quand il est possible de faire l'amour avant un accouchement, comment procéder pour l'endormissement des nourrissons, des enfants, des adolescents, et cetera, pour le réveil, l'arrivée à la crèche, à la maternelle... et ils n'oublient pas de préciser que l'utilisation des tablettes, des ordinateurs et autres smartphones est un formidable progrès qui va réduire la fracture numérique (mais pas la fracture sociale, idiots).

Les experts conseillent et d'autres, voire les mêmes, n'ont de cesse que de critiquer la famille hétéro-patriarcale alors qu'il est connu que ce sont les familles monoparentales qui sont les plus fragiles.

Quant aux conservateurs, pas tous, ils prônent le travail le dimanche pour des raisons économiques (augmenter le chiffre d'affaire) alors que c'est l'un des facteurs décisifs de la déstructuration de la famille.


Mais revenons au propos initial.

Le lien entre le harcèlement au travail (et le burn-out) et le burn-out familial (et le harcèlement) est le suivant : des experts fixent des normes qui sont à la fois énoncées comme du bon sens pratique et de la morale courante, mais des normes inatteignables qui ne peuvent être atteintes car elles n'ont pas pour but d'être opérationnelles mais pour objet de rendre culpabilisantes toutes les tentatives avortées d'y parvenir, ce qui rend les travailleurs ou les parents coupables et anxieux de ne pas y arriver.

Dans l'entreprise il est beaucoup plus clair d'y voir clair. Le managériat des salariés, et on constate  que ce ne sont pas que les manœuvres ou les professions non intellectuelles qui en sont victimes (bien que ces salariés soient victimes d'une quadruple pleine : exploitation, déshumanisation, bas salaires, manque de reconnaissance sociale) consiste, au nom de principes de rentabilité économique cachés sous le masque de l'organisation rationnelle du travail, à abrutir les gens, à les atomiser (au double sens de les détruire et de les isoler pour couper toute tentative d'autonomie que l'on pourrait traduire par camaraderie, amitié, empathie, voire syndicalisation), à rendre leur travail incompréhensible, à ne cesser de leur demander des comptes, à les réguler, à les juger, à les dresser les uns contre les autres.

Dans la famille les parents n'y arrivent plus ou se résignent au burn-out, et il est symptomatique que ce soient les femmes qui trinquent le plus. Car si les femmes étaient traditionnellement chargées de l'élevage et de l'éducation des enfants, elles ont désormais en plus la nécessité expertale de réussir leur vie professionnelle, pour s'accomplir, certes, mais en s'entendant dire que s'occuper des enfants, leur parler, aller les chercher à l'école ou les aider à faire leurs devoirs pour les familles les plus éduquées, est ennuyeux, barbant, insuffisant, voire dégradant, et on les somme, l'image de la femme d'affaire accomplie, à tout réussir, à prouver à tous, maris, enfants, famille, belle-famille, voisins, collègues, supérieurs hiérarchiques, à être des femmes parfaites, des héroïnes stakhanovistes de romans à l'eau de rose, et, n'y arrivant plus, comment voudriez-vous qu'elles y arrivent sans sacrifier quelque chose ?, elles compensent en étouffant les enfants de sollicitude et de prothèses externes, les nounous, le para scolaire, les cours de soutien, l'inscription au tennis ou aux cours de flûte à bec, parfois au prix de la disparition de leurs sentiments spontanés (on leur a supprimé l'instinct maternel) ou... de leur vie sexuelle.

Quant aux hommes, ils feignent de s'adapter à la situation en tentant de garder leurs privilèges ou en faisant semblant d'y renoncer, et, tant dans l'entreprise que dans la famille ils sont dépossédés de leurs oripeaux merveilleux, tout en gardant le pouvoir et vivent, mais il faudrait développer plus amplement, un paternalisme sans père.

Et les médecins, dans tout cela ?

Comment intervenir quand un patient parle de harcèlement au travail.

Ce sera pour une prochaine fois.





jeudi 23 février 2017

Pudeur et impudeur. Histoire de consultation 195.

Chaïm Soutine : Portrait de Madame X (1919)

Madame A consulte ce matin pour le "renouvellement" de sa pilule. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants et elle me dit : "Je crois que vous allez voir mon frère cet après-midi - Sans doute. - Il ne vous le dira pas mais sa femme l'a quitté. - Ah..." 
Elle ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son frère, Monsieur B et je connais bien aussi sa femme dont je suis également le médecin traitant. 
Elle ajoute : "Il ne va pas bien. Il dort mal, il fait des genres de crises d'angoisse."
Il ne m'a parlé de rien.


Chaïm Soutine : Portrait d'homme (1922-1923)


Monsieur B consulte cet après-midi pour le "renouvellement" de son traitement anti hypertenseur. Il m'apporte également les résultats d'une prise de sang. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants, et il me dit : "Je crois que vous avez vu ma soeur ce matin. - Sans doute. - J'imagine qu'elle ne vous a pas dit que son mari était parti. - Je ne crois pas."
Il ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son beau-frère, Monsieur A, dont je suis le médecin traitant. 
Il ajoute : "Elle ne va pas très bien. Elle dort mal. Elle est fatiguée."
Elle ne m'a parlé de rien.




samedi 18 février 2017

Transparence.


Une maison transparente qui fait froid dans le dos.
Rêve totalitaire ou exhibitionnisme ?
Pas pour moi.
Par l'architecte Travis Price à Berkeley Springs, Virginie Occidentale en 2014.
image © ken wyner

Commentaires (je rajoute cela le 26 février 2017) :

Je suis assez surpris par les commentaires et par le manque de commentaires.
Je ne me ferai plus prendre à ne pas commenter ce que je suggère.

Cette maison est "transparente" car elle montre son intérieur mais elle n'est pas transparente car il n'y aucun humain visible. Une maison n'est pas faite pour ne pas y vivre et on comprend mieux l'architecture "moderne" celle des barres des "quartiers" où il est impossible de vivre.

Cette maison est donc magnifique au sens architectural du terme (on dit toujours "des maisons d'architectes", c'est à dire des théories inhabitables et inhabitées) mais elle est surtout obscène.
Son obscènité tient à ce qu'elle exhibe la richesse, la transparence, mais qu'il n'est possible pour le commun des mortels que de faire du lèche-vitrine. Ni l'acheter, ni entrer, ni y vivre.

La transparence est donc une métaphore triste en ce cas.

Une maison transparente serait une maison que l'on ne remarque pas comme on dit d'un footballeur après une partie ratée qu'il a été transparent.

Cette maison n'est pas transparente elle est faite pour être vue. Et on ne voit rien.

On n'est donc loin de la transparence morale et politique que l'on voudrait nous faire prendre pour de la démocratie.

Mais c'est une autre acception.

Cette maison est à l'image de l'architecture moderne telle qu'on la voit par exemple à la Fondation Louis Vuitton : de l'épate bourgeois comme on disait jadis, de l'épate bobo comme on pourrait le dire maintenant, mais, surtout, elle est d'une immoralité absolue, comme si l'argent n'avait pas d'odeur, c'est un pied de nez aux pauvres et à ceux qui aimeraient ne plus l'être.

C'est une architecture qui ressemble à un diamant gros comme le Ritz.




jeudi 26 janvier 2017

Faits alternatifs/Alternative facts.


Une certaine Kellyanne Conway vient d'inventer les faits alternatifs : ce qui compte, ce n'est pas la vérité mais la perception de la vérité par le chef (ici Donald Trump) et la façon dont le service de presse de la Maison Blanche présente les faits. 
L'exemple qu'elle a pris est celui du nombre de personnes ayant participé à la journée d'intronisation de Donald Trump.


Donc, à gauche, c'est Obama et, à droite, c'est Trump. Bien entendu, il faut se méfier des images qui proviennent de USAToday (LA), il faudrait vérifier que ce sont les "bonnes" images, mais il semble qu'il ne s'agisse pas de photographies truquées. Voici un commentaire de CNN (ICI) et un article anglais sur les faits : LA.

Les faits alternatifs sont des mensonges.

Ne vous désolez pas trop à propos de ces faits états-uniens, ils existent aussi en France et en médecine, notre sujet.

Des exemples : 
  1. L'HAS vient d'annoncer que les anti Alzheimer étaient inefficaces et pourtant il existe toujours des docteurs Kellyanne Conway et des politiques dans le même métal qui disent qu'il faut continuer de les rembourser
  2. Des docteurs Kellyanne Conway disent que le dépistage organisé du cancer du sein sauve des vies
  3. Des docteurs Kellyanne Conway disent que le dosage personnalisé du PSA sauve des vies (et notamment l'AFU : Alternative Facts in Urology).
  4. Des docteurs Kellyanne Conway disent que la détection de sang dans les selles diminue la mortalité globale.
  5. Des docteurs Kellyanne Conway disent que les examens périodiques de santé servent à quelque chose.
  6. Des docteurs Kellyanne Conway disent que le paiement à la performance (alias ROSP en France) améliore la Santé publique.
  7. Des docteurs Kellyanne Conway disent que le tamiflu est un produit efficace.
  8. Je m'arrête : je suis las. Voir quand même ce que j'écrivais sur les MedTrump : ICI. Et l'ensemble du blog.
Ainsi notre Kellyanne Conway n'est pas une extra terrestre, elle est l'image de ce que nombre d'entre nous acceptons en médecine : des faits alternatifs.

Ras le bol.

Quelques rajouts :

  1. Le 12 février 2017 : méniscectomie versus kinésithérapie chez l'adulte jeune : LA.




dimanche 15 janvier 2017

Parler du silence. Histoire de consultation 194.


Madame A, 36 ans, je ne l'ai pas vue depuis six ans. Je demande parfois de ses nouvelles à ses parents dont je suis le médecin traitant et ils me disent que tout va bien. Qu'en savent-ils ?
Aujourd'hui elle est venue avec sa fille de 5 ans, la petite B, qui a de la fièvre et qui tousse.
Elle est contente de me voir mais elle n'a rien perdu de sa tristesse. Elle me prie de l'excuser d'avoir pris rendez-vous, blabla, car elle n'habite plus Mantes : elle travaille près de Roissy comme institutrice. Elle est chez ses parents pour quelques jour et sa fille est malade.
La petite a une rhinopharyngite banale, je lui crée un dossier, il n'y a pas de carnet de santé, tout cela est très banal. L'ordonnance est étique : deux lignes.
A : "Vous n'avez pas changé."
Moi : ?
A : "Pas d'antibiotiques alors que ma fille a 40, pas de gouttes dans le nez."
Moi : "Pourquoi veux-tu que je change ?"
Elle sourit.
Moi : "Ca va ?"
A : "Ca va".
Sa petite fille est l'aînée de deux enfants. Ils vont bien.

Je suis certain que cela ne va pas bien. Cela ne peut pas aller très bien.

Flash-back.

Je connais Madame A, qui s'appelait B quand je l'ai vue pour la première fois quand elle avait deux ans (les parents faisaient suivre leurs enfants à la PMI pour des raisons pratiques et financières).
Un jour, elle est venue me présenter son mari qui avait une angine. Je ne me rappelle plus si j'avais prescrit ou non des antibiotiques (je n'ai pas regardé le dossier).

Puis elle est revenue seule. Elle avait l'air encore plus triste que d'habitude.

Son couple ne fonctionnait pas.
Notamment le sexe.

Nous nous sommes revus plusieurs fois et nous faisions du sur place.
Il y avait quelque chose et soit elle n'avait pas envie d'en parler, soit elle pensait que cela ne ferait pas avancer les choses.

Je lui ai raconté des trucs pour qu'elle s'en tire. Cela ne venait pas.

Un jour elle m'a annoncé qu'elle avait obtenu sa mutation dans le 93 (elle est institutrice de maternelle). Qu'elle divorçait. Sans enfants.

Et un jour elle a parlé. La veille de son départ dans le 93.

Quand elle était petite fille elle était constamment victime d'attouchements de la part de son oncle maternel. Elle n'en avait parlé à personne. Une fois à sa mère qui lui a dit de se taire et que ce n'était pas vrai. Puis elle apprit que l'une de ses soeurs y avait droit. Puis un jour il a tenté de la violer. Elle avait douze ans. Elle ne s'est pas laissé faire mais elle en a reparlé à sa mère. Qui n'a rien dit mais qui a interdit à son frère de venir à la maison quand elle n'était pas là.
Le père ? Selon elle : au courant de rien.
Pourquoi ne pas en avoir pas parlé avant ? Elle craignait que son père ne tue son oncle.

Aujourd'hui je suis toujours le médecin de la famille, les parents, dont la mère présumée consentante et le père présumé ignorant, consultent au cabinet. Je n'ai jamais abordé le sujet.

L'oncle âgé vit au bled (Tiznit). 
Madame B, que je connaissais Mademoiselle A et qui est devenue Madame C après son nouveau mariage, est toujours institutrice de maternelle.

Il y a six ans, quand elle est venue me voir parce qu'elle était grippée, elle était seule. Son nouveau mari était resté chez ses parents. Elle avait encore une fois envie d'intimité.
Moi : "Tu ne veux toujours pas porter plainte ?"
A : "A quoi cela pourrait servir ?"
Moi : "Dire la vérité, par exemple."
A : "Et alors ? Est-ce que je me sentirai mieux ? Je n'ai pas envie de replonger dans ce cauchemar. J'ai fermé le robinet. Mon mari n'est au courant de rien. Je n'ai pas envie qu'il sache. Il serait dévasté. C'est mon truc, mon secret, ma douleur mais il vaut mieux que je continue à garder cela pour moi. J'ai trouvé un bon généraliste à D, j'ai pu lui parler. Il m'a beaucoup aidée.
Moi : "Super. Et ta soeur ?"
A : "Elle a rompu avec la famille. Elle vit à Bordeaux. Elle s'est mariée avec un Français... Cela n'a pas plu à mes parents. Ils ont deux enfants. "
Moi : "Et tu la vois ?"
A : "Peu. Une fois par an. Mais c'est l'éloignement. Je crois qu'elle a fait le bon choix pour elle. Et moi j'ai fait le bon choix pour moi. Nous ne pouvons pas parler de tout cela. Elle en veut beaucoup à ma mère. Elle dit que tout ça, c'est de sa faute. Qu'elle aurait dû s'en mêler. Elle a raison mais c'est ma mère, elle est victime des traditions..."
Je ne dis rien.
A : "Quant à mon père... Il ne savait sans doute rien. Mais je ne sais pas. Il est faible. Il est vieux, maintenant."
La tristesse de B... quand elle était enfant, sa retenue.
Sera-t-elle un jour vraiment heureuse ? En parlant ou en ne parlant pas.

Quand je reçois la mère en consultation, elle est traitée pour une hypertension modérée, elle prend un peu de doliprane quand elle a mal à la tête, je suis gêné. Mais que puis-je faire d'autre ?

Parler ?




jeudi 29 décembre 2016

Relations soignant/soigné. Episode 2 : Doctolib.


Monsieur A est venu avec son papa, Monsieur A, qui parle très mal le français.
Je soupçonne Monsieur A de présenter une lésion suspecte à la pointe externe du sourcil droit.
Moi : "Je vais faire un courrier pour le dermatologue."
Le fils : "OK."
Moi : "Vous connaissez un dermatologue sur Mantes ?"
Le fils : "Non, mais de toute façon j'ai déjà pris un rendez-vous sur doctolib avec un dermatologue à B."
Oups.
B est une ville située à onze kilomètres de Mantes.
Moi : "Vous avez le nom du dermatologue ?"
Le fils : "Oui, c'est le docteur Z."
Je ne connais pas cette dermatologue. A Mantes, où j'exerce depuis 1979, je connais les dermatologues, pas tous, car les relations hôpital/ville se sont distendues en raison de changements incessants et du fait que toutes les occasions de se rencontrer, les réunions de formation médicale continues, sont payées par l'industrie pharmaceutique, eh bien, à Mantes je ne prescris pas un dermatologue "comme ça". J'ai mes têtes, mais surtout je sais ce qu'ils savent faire et ce qu'ils ne savent pas faire et je tiens compte aussi des délais pour qu'ils reçoivent les patients. J'ai écrit sur les spécialistes d'organes en soulignant combien ils étaient indispensables (voir ICI) et encore indispensables (voir LA) mais, à mon humble avis, ils ne sont pas généricables.

Qu'aurais-je dû faire ?

Finalement, j'écris un courrier à la dermatologue en question.

Voici quelques commentaires désabusés :
  1. Cette médecine impersonnelle commence à m'ennuyer sérieusement. 
  2. La générication des médicaments a conduit tout naturellement à la générication des médecins.
  3. Nous sommes entrés de plain pied dans la médecine de service : j'ai besoin de guérir mon rhume et je vais voir n'importe quel médecin pour qu'il me prescrive ce que j'ai envie qu'il me prescrive dont, c'est selon, des antibiotiques (pour pas que cela ne tombe sur les bronches), des gouttes pour le nez (avec un bon vasoconstricteur efficace), de la pseudoéphédrine (y a que ça qui marche chez moi), du sirop (on sait jamais).
  4. 23 euro (et plus si affinités)
  5. Et si le médecin n'obtempère pas aux ordres du consommateur il se plaindra sur twitter et il criera au manque d'empathie, à l'arrogance et autres reproches et convaincra une association de patients ou un patient expert du rhume (celui qui connaît tous les arguments sur la non prise en compte par les vilains médecins de l'altération de la qualité de vie pendant un rhume et sur le fait qu'une étude a montré que la prise des médicaments précédents entraînait un retour à la normale quatre heures avant le mouchage dans un mouchoir jetable, les deux groupes absorbant du paracetamol) de faire écrire sur un blog dédié les mésaventures enrhumées d'un patient livré aux brutes en blanc.
  6. Le système Doctolib de prise de rendez-vous sur internet est symbolique de cette médecine de consommation où le patient peut aller voir un médecin en aveugle et où le médecin, déjà débordé par sa clientèle, cela semble être le cas partout, peut rencontrer de nouveaux patients qui ne reviendront peut-être jamais. Doctolib semble plaire aux patients branchés, connectés, modernes, ceux qui commandent leurs chaussures sans les avoir essayéees et qui peuvent les renvoyer si elles ne leur plaisent pas, et est le symptôme plus que la conséquence de la dégradation définitive de la médecine et de la disparition désormais presque effective de la médecine générale de proximité (expression galvaudée et surtout utilisée par les politiciens pour dire n'importe quoi, sans compter les Agences régionale de Santé -- dont on me dit qu'elles sont éminemment politiques) que l'on pourrait nommer avec emphase le dernier lieu de la common decency médicale.
  7. La médecine "un coup" prend le pouvoir. J'ai mon spécialiste pour les verrues, mon spécialiste pour la sleeve, mon spécialiste pour ma tension...
  8. La dermatologue en question, elle s'est abonnée à Doctolib pour faire des économies de secrétariat, et il n'est pas possible de la blâmer vues les conditions actuelles d'exercice, mais qu'elle ne se plaigne pas ensuite que sa consultation de médecin spécialiste soit envahie par les verrues, les acnés vulgaires ou les pieds d'athlètes.
  9. Bon, ben, faut s'adapter, mon vieux, c'est comme ça, ça changera plus. Le progrès est en marche.
Le monde change mais on n'est pas obligé de dire amen.
Et les responsables des politiques publiques doivent savoir que ces transformations seront catastrophiques sur le plan de la Santé publique et vont entraîner une explosion des coûts.

PS. Il faudra que j'écrive un billet sur http://www.mesconfreres.com de Dominique Dupagne