mercredi 22 juillet 2015

Bon anniversaire au docteur C. Bonne retraite au docteur C.


Le samedi 27 juin 2015 le docteur C a fait sa dernière demi-journée de consultation en tant que remplaçant dans le cabinet de médecine générale qu'il a créé en 1965.
Et même ses dernières consultations en tant que médecin généraliste.
J'étais l'associé du docteur C depuis le 5 septembre 1979 et il était devenu mon ex associé fin décembre 2001 (à l'époque on ne pouvait prendre sa retraite et continuer de travailler). Il ne sera plus mon remplaçant pas plus que celui de ma nouvelle associée.
On pourrait dire en riant que la CARMF et l'URSSAF l'ont tuer.


Je l'ai connu en juillet 1979. Son associé d'alors partait sous d'autres cieux.
"C'est toi qui vas remplacer B ?
- Oui.
- T'as l'air sympa. Tu commences quand ?
- Ben...
- Début septembre."
On s'est vus cinq minutes. Pas d'interrogatoire sur mes antécédents, pas de repas au restaurant, pas de bla bla sur la conception de la médecine. Rien. Pas plus que mes idées politiques, ma religion ou mes idées sur la sexualité des coléoptères en Basse-Provence. Il avait pourtant eu des expériences difficiles avec des associés. Confiance. J'ai donc commencé le 5 septembre 1979. (Nous avons travaillé en association simple, avec partage des frais, nous avions une secrétaire -- nous en avons eu trois en 36 ans --, nous n'avons jamais eu une discussion sur les augmentations, les départs en vacances, nous étions toujours d'accord)

Le docteur C était tout ce que les jeunes générations de médecin devraient détester, la pratique à l'ancienne, beaucoup d'heures, pas d'EBM, pas d'Education Thérapeutique, pas de... Mais attendez la suite.
Il travaillait beaucoup, il faisait beaucoup de visites à domicile, il prescrivait beaucoup d'antibiotiques, il recevait la visite médicale, il aimait les stylos, les blocs, les post-it, les règles, les gommes, les buvards, les gadgets en tout genre, les speculums d'oreille de toutes les couleurs, les bonbons Haribo/labos, il mangeait parfois au restaurant avec les labos, il fréquentait des FMC sponsorisées, il travaillait énormément mais sans être investi d'une mission spéciale, il n'avait ni la vocation, ni le feu sacré, il aimait son métier, il aimait parler avec les patients, les patientes, les adolescents, les enfants, les nourrissons, on lui reprochait de passer trop de temps en consultation, il recevait donc visiteurs et visiteuses qui attendaient dans le couloir, la salle d'attente s'impatientait, mais c'était le docteur C, celui qui pouvait passer trois quart d'heure avec un patient quand la salle d'attente était bondée, lui qui avait un contact charnel avec les enfants qui l'aimaient spontanément, qui ne se posait pas de questions existentielles sur le rôle de la médecine, des médecins et du système de santé, qui avait une clientèle ouvrière et immigrée (au début c'était un peu différent mais ce n'est pas le lieu d'écrire l'histoire du Val Fourré), qui faisait du social sans en avoir l'air, du social en en ayant l'air, et cetera. Il était aussi abonné au Quotidien du Médecin, et cetera.
C'était le médecin alapapa qui exerçait une médecine alapapa selon les données de la science de l'époque. Ou presque (1).

Mais il m'a appris tellement de choses...

Il disait aussi ce qu'il avait envie de dire.

Il ne faisait confiance à personne. Il disait le chirurgien spécialiste des abcès de paroi post opératoires, l'ORL opérant toutes les cloisons nasales, le cardiologue qui passait à côté des diagnostics d'infarctus, le généraliste qui prescrivait de la merdre, le pneumologue qui aimait trop le kenacort retard, l'urologue qui opérait les mouches de leur prostate, le dermatologue qui ne savait pas écrire shampooing, le pédiatre qui passait à côté des retards psychomoteurs, la gynécologue médicale qui n'y connaissait rien en médecine générale, le chirurgien qui ne supportait pas les appendices saines en fosse iliaque droite, le spécialiste qui exerçait en réseau de soins informel fondé sur l'appartenance au Rotary et au fric, le généraliste qui acceptait les caisses de champagne du chirurgien parisien, le radiologue nul, et cetera.

Il ne respectait pas les médecins (et les spécialistes en tant que tels), il ne les respectait que lorsqu'ils faisaient le boulot.

Quand je suis arrivé en 1979, j'avais autant d'expérience en médecine générale qu'un bébé de trois mois.
A Cochin où j'ai fait mes études on ne m'avait jamais parlé de médecine générale sinon pour s'en moquer.

Il m'a appris le contact, les sourires, l'empathie, la sympathie, la détestation aussi, dire la vérité aux malades, ne pas la dire, dire la vérité aux non malades, ne pas la dire également, ne pas en faire une maladie si le malade ne payait pas, ne pas faire payer trois consultations (le tiers payant n'existait pas) pour la mère de famille isolée dont les trois enfants étaient malades, il m'a appris la clinique douce, le fait de ne pas déshabiller un enfant quand c'était nécessaire de ne pas le faire, il m'a appris à écouter des gens qui n'avaient rien à dire, des gens qui, au contraire, avaient trop à dire, il m'a donné envie de comprendre, il m'a aussi donné envie de ne pas me contenter du quotidien et de l'expertise, de garder son libre arbitre, de ne pas croire les spécialistes et les experts, et de ne pas croire automatiquement ceux qui les contestaient.

C'est cela : il détestait qu'on lui raconte des histoires.

J'ai rapidement compris, à partir de 1979, il ne faisait pas de déclarations péremptoires mais il distillait que la majorité des appendicectomies était inutile (2), que les paracentèses étaient un geste barbare dont le seul intérêt était de remplir les poches des ORL (sans compter les fameux yoyos), que la résection de prostate était une entreprise commerciale, que la gynécologie médicale était une imposture, que les mammographies n'étaient pas  généricables (il envoyait ses patientes de Mantes chez Villemin rue Barbet de Jouy) alors que le concept de générication n'existait pas encore (ce qui nous valut, à lui comme à moi, des menaces des radiologues de Mantes de dénonciation au Conseil de l'Ordre pour concurrence déloyale), que la chirurgie molle n'était pas non plus généricable, que la chirugie carcinologique était opérateur dépendante, que pendant une période il ne fallait plus adresser les cancers du sein à St-Cloud où l'on n'avait toujours pas compris que le Halsted ne servait à rien, que les pédiatres ne savaient pas parler aux enfants, qu'il fallait bannir le vaccin polio oral (un de nos collègues exerçant à 50 mètres de notre cabinet n'avait pas écouté nos conseils et son fils avait fait une paralysie sciatique post vaccinale), que le Vectarion était une merdre (première déclaration de pharmacovigilance par nos soins d'effet indésirable neurologique périphérique enterrée par tout le monde), et cetera.

Je ne parlerai pas de ses défauts.

Je dirai aussi qu'il m'avait dit que mon blog ne correspondait pas toujours à ce que je faisais en pratique. Et il avait raison.
Il était direct : quand j'avais fait une prescription qui ne lui plaisait pas, il me le disait, quand j'étais passé à côté d'un diagnostic il me le disait, il mettait même des mots, des annotations dans le dossier, des réflexions, des suggestions.

Je parlerai des conditions de sa retraite en décembre 2001.

Quelques mois auparavant il avait eu droit à une agression à main armée, le pistolet sur la tempe pendant qu'on allait vider ses cartes bleues, des jeunes du quartier... qui furent arrêtés, jugés, emprisonnés... relâchés et se repointant comme des fleurs au cabinet...
Sans compter les insultes antisémites quelques années auparavant (c'était la première guerre du Golfe) puis quelques années après (Edwy Plenel et Tariq Ramadan avaient piscine ce jour là), les "Sale juif" à la sortie du cabinet.
Mais j'ajoute que l'antisémitisme chrétien ne l'épargna pas non plus lors de son installation quand on ne le reçut pas chez les bourgeois de Mantes comme chez les réacs locaux du Conseil départemental de l'Ordre.

Puis, bien plus tard, il avait travaillé avec un "vigile" pour assurer notamment sa sortie du cabinet, le soir.

Nous avions vu passer les prescriptions de palfium pour les toxicomanes, nous avions vécu les décès par overdose, nos propres patients, puis l'arrivée de la substitution...
Il y avait eu un incendie au cabinet (l'odeur de suie nous poursuivit pendant des années) dont on se douta sans preuves de l'origine criminelle.
Puis un jour il y avait eu une embrouille entre des djeunes et le gardien et la voiture du docteur C avait été vandalisée (franchement vandalisée).
C'était la goutte... Il s'était donc arrêté.
C'était fin 2001.

Il était persuadé qu'il ne retravaillerait plus.

Puis, quand, en raison du début de raréfaction des médecins, il a été possible de reprendre une activité en tant que retraité, il a recommencé et fait des remplacements. Des remplacements chez des confrères et en son cabinet.
J'ai ainsi compris que l'on pouvait exercer dans le même périmètre, dans la même zone de chalandise, avec, en théorie, les mêmes pathologies et faire différemment, avoir des prescriptions différentes, des correspondants différents, et cetera.

J'ai appris à son contact des choses dont on ne parle jamais ou qui font suer les prescripteurs, c'était avant l'arrivée des premiers génériques, savoir si un comprimé est vraiment sécable, si les blisters sont ouvrables facilement, si les comprimés sont en vrac ou non, puis il y eut l'arrivée des premiers génériques, si je me rappelle bien, les amoxicilline, que la prescription était un geste raisonné et qu'il n'était pas possible de balancer un malade chez le pharmacien, qu'il valait mieux connaître l'aspect de la boîte des médicaments (surtout avec une clientèle majoritairemant analphabète à partir des années 90), l'aspect des comprimés, le goût des sirops (ce qui comptait, c'était la prise de l'antibiotique, pas la prescription), et nous savions que le goût d'amoxicilline le meilleur c'était celui de l'hiconcil et de l'amodex, que le clamoxyl, c'était moyen et que le générique de chez Fabre, c'était à vômir... qu'une cuillère mesure d'hiconcil 500 c'était plus amer que deux cuillères mesures d'hiconcil 250...

Je vous parle d'un temps où l'on vaccinait les nourrissons en visite, où l'on se dérangeait pour une angine, où l'on prolongeait, renouvelait, et cetera...


Mais j'ai appris en visite comment vivaient les gens, les conditions d'hygiène, la salle d'eau, la cuisine, le lit des enfants, l'équipement des ménages, tout ce que certains médecins et les robots veulent et peuvent ignorer : la vie non malade.

Le docteur C eut des merdres personnelles, de grosses merdres.

Et ainsi a-t-il cessé d'exercer et aura-t-il 79 ans en ce 22 juillet.

J'ajoute que nous nous sommes engueulés une fois en 36 ans. Pas mal, non ?

Bon anniversaire.

J'aurais dû écrire un texte en alexandrins
Il le faisait parfois dans les dossiers malades

Trop dur.

Je t'embrasse, Pierre.



Notes :

(1) Imaginez un peu la vie de ces anciens qui acceptaient tout, qui acceptaient les gardes de nuit, qui acceptaient des consultations sans rendez-vous, qui acceptaient des salles d'attente bondées, qui acceptaient sans barguigner de prescrire des antibiotiques dans les rhino-pharyngites, des antibiotiques dans les angines non streptococciques, des antibiotiques dans les bronchites aiguës, des antibiotiques dans les otites moyennes aiguës, qui faisaient des diagnostics de sinusite avec autant de fréquence que des diagnostics de pendulums, qui faisaient des diagnostics d'appendicite à la volée et qui, en plus, les envoyaient chez le chirurgien, qui prescrivaient des radios pour un oui ou pour un non sans se poser de questions, qui accordaient des arrêts de travail à la demande, qui adressaient des patients à des spécialistes en écrivant des mots sur un coin de table, qui vaccinaient à tours de bras, qui faisaient des visites à domicile de convenance, qui acceptaient les invitations des visiteuses médicales, qui se formaient dans des réunions sponsorisées par des laboratoires, qui lisaient le Quotidien du Médecin et pas seulement pour les locations de vacances, qui recevaient Impact Médecin en ne le jetant pas à la poubelle, qui travaillaient plus de sept heures par jour, qui faisaient de leur femme la secrétaire du cabinet, qui trônaient au Rotary en compagnie du pharmacien et du notaire, qui croyaient dur comme fer que le Halstedt n'était pas un geste dégradant, qui pensaient que la paracentèse était toujours justifiée, qui prescrivaient des phlébotoniques, des vasodilatateurs artériels, du déturgylone et / ou du lipanthyl, des vitamines B1 B6 B12, de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies, des hormones oestroprogestatives aux femmes ménopausées, des séances de kinésithérapie respiratoire en cas de bronchiolite, sans compter de la ventoline sirop, du stediril aux jeunes femmes pour prévenir les kystes de l'ovaire, du magnésium aux femmes spasmophiles, de la cystine B6 pour enrayer les chutes de cheveux, des céphalosporines dans les syndromes viraux, qui conseillaient aux mamans de coucher leurs nourrissons sur le ventre, de donner des biberons à heure fixe, de prescrire du talc en cas de varicelle, de l'aspegic 100 en cas de fièvre, qui prescrivaient des sirops aux enfants de moins de deux ans, qui croyaient que les vincamines amélioraient les performances cérébrales, qui adressaient des femmes pour qu'on leur enlève leur utérus ou qui laissaient des obstétriciens envever des utérus comme des lipomes...
(2) Je rappelle pour les incrédules que la France a toujours été la championne des appendicectomies  dans l'OCDE (300 000 par an en 1990 et 83000 en 2010) avec des taux de péritonite identiques, qu'encore actuellement on en pratique 140 pour 100 000 habitants contre 40/100 000 au Danemark, peuplade isolée du nord de l'Europe). Voir ICI.
(3)
  • On sait depuis un essai randomisé néerlandais (pays d'Europe où l'on prescrit le moins d'antibiotiques et notamment dans l'OMA) datant de 1981 (!!!) (2) et comparant en aveugle antibiothérapie seule, placebo seul, myringotomie + antibiotiques et myringotomie + placebo, qu'à trois mois il n'y avait aucune différence entre les groupes sur le critère audiogramme. Et pourtant la France était championne des paracentèses et de l'antibiothérapie systématique dans les OMA (ou prétendues OMA).
Illustration : le livre préféré du docteur C




jeudi 2 juillet 2015

Droit de réponse.


A la suite de mon dernier billet (ICI) j'ai reçu quelques messages gratinés sur mon indécence à parler des médecins burnoutés qui se livrent sur le net, de l'ironie dont j'aurais fait preuve à l'égard de ces médecins qui travaillent 80 heures par semaine et dont 80 % de leurs revenus sont des charges, de mon manque d'empathie et, allons-y, de ma dégueulasserie. 

J'ai le cuir dur.

Je voulais préciser à ces moralistes  que dans le Mantois, là où je travaille depuis le 5 septembre 1979, il existe des relations, non pas seulement confraternelles mais amicales entre les médecins et  les différents membres des professions de santé.

Depuis les années 70 il existe une tontine de médecins (les statuts ne permettaient pas d'intégrer d'autres professions de santé), généralistes et spécialistes, qui permet aux médecins malades de toucher des indemnités en attendant le versement de celles de la CARMF qui commencent comme chacun le sait au quatre-vingt dixième jour. Les sommes reçues par les confrères en arrêt sont non imposables.
Cette tontine fonctionne très bien depuis ces années et mon associée en est la présidente (je suis accessoirement le vice-président depuis peu de temps).

Il existe au Val Fourré depuis 2001 (vague d'agression contre les professionnels de santé) l'Association des Professionnels de Santé du Val Fourré (APSVS) qui réunit, par ordre alphabétique de professions, des biologistes, des médecins généralistes et/ ou spécialistes, des infirmières et des infirmiers, des kinésithérapeutes, des orthophonistes, des pharmaciens...
Notre dernière réunion a eu lieu il y a un mois et son objet était, outre de présenter de nouveaux arrivants et de remercier deux de nos collègues partant en retraite de façon définitive, de parler du tiers payant dans les différentes professions.
(Je suis par ailleurs membre du bureau de cette association)

Dans le Mantois nous avons aussi des représentants syndicaux actifs, ce sont des membres de MGFrance, désolé pour les autres mais le département des yvelines est riche d'autres syndicalistes adhérents aux autres syndicats, des membres qui sont présents lorsqu'il y a des conflits avec la CPAM, par exemple. J'ajoute, pour les corporatistes, que nous, médecins, avons soutenu les infirmiers et infirmières quand ils ou elles ont été confrontés à des médecins voyous de notre territoire, mais, en ce cas le Conseil de l'Ordre a été plus corporatiste que les corporatistes.

Donc : critiquez-moi, emmerdez-moi, mais regardez vous devant la glace en livrant des médecins déjà burnoutés aux regards forcément non neutres de la toile. Aidez-les au lieu de les vitrinifier. Agissez localement.

Bonjour chez vous.

(et merci aux professionnels de santé du Val Fourré et aux collègues du Mantois qui nous ont permis à tous de tenir en zone sensible et de nous y investir, de nous entraider quand le moral était vacillant ou quand des conditions extra professionnelles venaient perturber notre exercice, et cetera. Cette cohésion, qui n'a pas toujours été parfaite, qui n'est pas parfaite puisque certains ne veulent pas venir avec nous et parce que nous n'avons pas envie que certains nous rejoignent, est une cohésion locale, au ras des pâquerettes, loin des discours triomphants, du tous les jours et il n'est pas de jour où nous ne nous appelions pour régler des problèmes particuliers. C'est ce qu'on appelle, ailleurs, la common decency)


mardi 30 juin 2015

Les médecins victimes : pourquoi l'UFML les donne-t-elle en exemple ?



Dans la mesure où la protestation en reste au niveau d'une provocation hystérique adressée au maître, sans programme positif permettant de substituter un nouvel ordre à l'ancien, elle fonctionne effectivement comme un appel (désavoué bien sûr) à un nouveau maître.
Slavoj Zizek, 2012

La vision apocalyptique de la situation des médecins libéraux français que nous décrit l'UFML au travers des témoignages lus sur son site ou proposés à l'examen est à mon avis, au delà des histoires de chasse, assez éloignée de la réalité vécue sur le terrain. J'ajoute que j'exerce en zone dite sensible, le fameux Val Fourré, où les médecins (et tous les professionnels de santé d'ailleurs) cumulent les contraintes diverses et variées des différentes professions qu'ils exercent avec, en sus, la précarité, le chômage, la misère,  l'exil, l'ignorance hygiénique, le sexisme, et cetera, mais il n'en est pas moins vrai que ces témoignages rendent compte du désarroi des médecins en général qui sont confrontés comme tous les Français quel que soit leur quotidien et comme tous les médecins européens quels que soient les systèmes de santé, à un monde qui est en train de changer à la vitesse grand V.

Ces témoignages ne doivent pas être cachés, comment pourraient-ils l'être ?, mais est-il judicieux de les mettre en avant au risque de dévaloriser encore plus la profession en montrant des professionnels dépassés par une tâche présentée comme inhumaine et impossible à gérer ? Est-il convenable de leur laisser dire autant de sottises sur leur métier que les politiques et autres en disent sur le même métier ?

Pourquoi ne pas parler des médecins, et ils sont nombreux, qui aiment leur métier, qui y trouvent du plaisir, qui tentent de le pratiquer avec compétence malgré les difficultés accumulées, qui se forment, qui sont au courant, qui ont une vision distanciée de leur vie professionnelle, qui ne sont ni des gourous ni des paternalistes, ni des épiciers ni des suiveurs ?

L'UFML joue les pleureuses professionnelles. Mais nous n'avons plus besoin de pleurs. Nous avons besoins de propositions qui nous valorisent et qui ne nous fassent pas passer pour des esclaves de la société.

Je suis moi-même un médecin généraliste libéral et je ne suis pas une victime, je ne pense pas l'avoir été depuis que je me suis installé le 5 septembre 1979, je travaille environ 45 heures par semaine, j'écris, j'écoute de la musique, je ne fais pas de gardes, je lis, je regarde des séries plus qu'il ne le faudrait, j'ai environ neuf semaines de vacances par an et je ne meurs pas de faim. Pas plus que mes enfants.

L'UFML qui a toujours raison et qui ne se trompe jamais a annoncé avant les autres (même ce qui est arrivé avant novembre 2012 l'année de sa fondation) et avec clairvoyance ce qui est en train de se passer aujourd'hui : départ massif des libéraux à l'étranger, déconventionnement des praticiens, grève ininterrompue de la télétransmission, et cetera.

Mais la vision qu'ils veulent nous donner du praticien libéral est assez curieuse. J'aurais aimé qu'au contraire l'UFML encensât notre métier, en fît un exemple, en soulignât les beautés et aussi les insuffisances. Mais non, la voix choisie est celle du misérabilisme, de l'esclavage, de la non faculté des praticiens à réagir contre l'adversité, de leur désir d'être des moutons acculés dans une bergerie avec des loups affamés de sang prêts à les dévorer.

Trois exemples de ce discours misérabiliste et victimaire mais il en est d'autres tout aussi poignants.


Quatre-vingts heures de travail par semaine !

Le 26 juin 2015, le docteur Charles Cousina de Lyon, publie ICI un courrier sur le site de l'UFML,  annoncé par une manchette digne de Voici ou de Closer, Témoignage d'un médecin, bouleversant, dont le sous titre est "Chers frères d'armes du public", nous sommes sans doute en guerre. Ce médecin généraliste qui vient de cosigner des articles avec Christian Lehmann, voir LA pour les commentaires et ICI pour les originaux, nous raconte son histoire de malade pour nous montrer que l'hôpital public, c'est le mal, et que la seule responsabilité de cet état de fait vient des autres, la méchante administration, les méchants non médecins, et cetera, les assureurs, les administrateurs de la CPAM et l'ARS.

Cette histoire pourrait être touchante si elle ne montrait pas, non le dysfonctionnement de l'hôpital public mais le dysfonctionnement du système de santé. Le bon docteur Cousina, si jeune, si frais émoulu de l'université, qui n'est pas parti de l'hôpital public parce que le traitement fait aux patients était inhumain, non, parce que "du fait de sa sur-administration, de l’exploitation non reconnue de l’interne que j’étais et du temps médical qui diminuait chaque année au profit de l’étude des statistiques d’activité et durée de séjour, de la mise en place de protocoles dictés par les tutelles et de l’informatisation qui, en plus d’être chronophage, virtualise la relation soignant-patient." Pauvre petit cœur.

Parce qu'en lisant son récit je crois qu'il a eu beaucoup de chance d'avoir été pris en charge de la sorte. Et qu'il eût été dans le privé que cela n'aurait pas été mieux.

Mais voici ce qu'il nous dit de sa conception de la médecine, je cite, "ambulatoire", car la médecine générale, nouvelle définition, c'est de l'ambulatoire, à l'hôpital c'est quoi ?, ou plutôt de sa façon de la pratiquer  :" j’ai été victime, il y a quelques mois, à trente et quelques années, d’un accident vasculaire cérébral, à la suite d’une énième semaine de 80 heures de travail et 50 heures de sommeil (et un peu de tabac…). Tout ça pour ça !



En découvrant son rythme de travail forcené on est partagés entre le scepticisme et la condescendance.

L'UFML devrait lui payer un stage chez Peter Drucker ou des séances avec un psychométricien, comment acheter un onglet ou un camembert bien fait en emmenant ses charmantes petites filles...

Le bon docteur Charles Cousina nous raconte la belle histoire du médecin naïf, "les Français savent ce que nous leur garantissons, par la personnalisation de nos soins à chaque patient, et l’indépendance de nos prescriptions vis-à-vis des assureurs, des ARS et autres directeurs de CPAM." qui résiste aux sirènes du non soin et du fric. C'est amusant comme le bon docteur "oublie" les responsabilités des médecins, des médecins qui prescrivent en toute indépendance de l'industrie pharmaceutique, en toute indépendance  du mandarinat, en toute indépendance des experts médiatisés sponsorisés, des agences gouvernementales corrompues, et cetera. C'est pas moi c'est les autres, le leitmotiv des cours de récréation, le degré ultime des discours politiciens et corporatistes. Il va même jusqu'à incriminer l'informatisation : les dysfonctionnements de l'hôpital sont dus à l'informatique !

Merci docteur Cousina pour ce témoignage qui permettra aux futurs IMG de penser que tous les médecins généralistes sont comme cela et qu'il n'est donc pas nécessaire de s'installer... 


Un secteur 2 en panique.




Le 17 juin 2015, le docteur Artault explique en son site (ICI), pourquoi il ferme son cabinet secteur 2 de Saint-Germain en Laye, et sa lettre nous a été signalée par un membre de l'UFML. Ce courrier est truffé d'erreurs, de mensonges, d'omissions, de contre-vérités, mais il dit aussi des choses que chacun constate dans son exercice, cela fait quand même 20 ans qu'il exerce, des choses que nous déplorons, c'est cela, c'est le ton de la déploration, mais il y a des pépites... Des pépites tellement nombreuses que je ne voudrais pas lasser les lecteurs.

"J’ai 58 ans, loin de l’âge de retraite en tant que médecin libéral (68 ans)" Il me semble que ce n'est pas la règle générale.
"catastrophe financière et organisationnelle du cabinet libéral" : on y apprend entre autres que c'est lui qui fait "son ménage"
Augmentation exponentielle des savoirs. Le bon docteur Artault voudrait, pêle-mêle, "un annuaire général de toutes les ressources", "un moteur de recherche réel" pour les correspondants (un appel à Dominique Dupagne, sans doute), "Nous pourrions prendre exemple sur Pubmed" qu'il ne doit pas interroger souvent (il devrait lire un peu plus Philippe Eveillard), et il donne sa conception éclairée de la médecine générale "A quoi bon faire un bon diagnostic si je n’ai pas l’aide spécialisée pour traiter mon patient" (il devrait lire Des Spence et Margareth McCartney) et sa déception sur le traitement de l'autisme.



Il dénonce aussi à juste titre "les règlementations restrictives de la Haute Autorité de Santé", "le discours fallacieux de notre Ordre obsolète", le fait de ne pouvoir plus prescrire certains médicaments, il se plaint de la "modification des rapports entre généralistes et spécialistes",
de l'"augmentation considérable du rôle socio-administratif (arrêts de travails, déclarations d’accidents, certificats d’aptitudes, dossiers de prise en charge en tout genre) Le généraliste est devenu un agent d’assurance." Il préfèrerait que ce soient les autres professionnels de santé qui le fassent ?
"Perte du statut du médecin libéral" et il cite cet exemple :"nous sommes devenus des médecins-livreurs-de-pizzas « Passez à la maison parce que le petit a mal à l’oreille, mais pas avant la fin du match de foot donc après 22h30 »" N'existe-t-il pas un livre qui s'appelle "L'art de dire non." ?
Enfin, ou presque, il constate justement que "La société est devenue consumériste médicale. " mais pour déplorer non cet état de fait (à vrai dire je ne sais pas trop comment on va pouvoir faire autrement) mais "que les honoraires n’ont pas suivi".
Mais là, on touche au coeur de la pensée de ce praticien. Il écrit de façon péremptoire : "Les jeunes médecins sont passés d’une culture humaniste à une culture humanitaire." Je vous laisse lire le pavé, un peu confusionniste, mais, et, enfin il s'adresse à moi, le médecin du Val Fourré, "Il accepte une rémunération ridicule parce que l’organisation sociale ne veut pas payer l’acte qui n’est d’ailleurs pas vraiment médical. Comme il doit faire rouler sa petite entreprise, il ne dépassera pas 10 minutes, multipliera les actes de CMU réalisant des actes inutiles et virtuels sur les enfants et autres membres présents sur la carte vitale. Mais que peut faire un médecin de quartier défavorisé ?. Remplir encore d’autres dossiers d’aides compliquées, alambiquées pour des patients rejetés par l’organisation sociale. Est-ce utile, oui certes, est-ce un acte médical ? NON ! " J'ai donc droit à un enterrement de première classe.
Puis notre collègue fait des propositions, arrêt de travail commençant au septième jour, on voit l'humanitaire, critique du freudisme, et cetera. Je suis épuisé.


Quatorze heures de travail par jour !

La lettre ouverte du docteur Zbar au Président de la République est publiée par le site UFML le 22 novembre 2014  (LA).
Il y va fort, le docteur Zbar (39 ans) : "Mes journées de travail interminables de près de 14 h passées à mon bureau, ne me permettent jamais de voir mes deux enfants au-delà du temps précipité que je passe le matin à les habiller et les déposer à l’école.
J’aperçois parfois mon épouse le soir quand elle a eu le courage de « m’attendre » ; puis je continue de travailler au moins 2 h le soir et de nombreuses heures encore chaque dimanche pour réaliser les tâches administratives asphyxiantes liées à mon exercice et pour répondre aux sollicitations incessantes de ma clientèle.
"
Et le reste est à l'avenant. Je crois qu'il faut lui envoyer une cellule psychologique.
Ceci : "Cette clientèle porte bien son nom de « patientèle », car pour faire face à la pénurie effrayante de professionnels dans mon secteur d’activité, elle doit attendre près de trois semaines pour obtenir un RDV avec moi, lorsque la situation n’est pas urgente."
Il a aussi besoin d'un comptable quand il écrit que les prélèvements sont "actuellement à hauteur de plus de 80 % de ce chiffre d’affaires."
Et d'un assureur puisqu'il n'a pas de prévoyance et ne sera payé qu'au bout de 90 jours d'arrêt de maladie.



La peinture qu'il fait de lui-même aurait pu lui permettre de figurer dans un roman de Charles Dickens ou d'Hector Malot.
Franchement je plains notre collègue car il y a longtemps que j'aurais mis la clé sous la porte.


Ce discours misérabiliste et victimaire est en réalité une stratégie de diversion.


Une stratégie pour exonérer les médecins de toutes responsabilité dans ce qui leur arrive. Ils seraient victimes d'un complot dont le bon peuple sait dessiner intuitivement les contours : les médecins sont des naïfs bien formés par une Faculté de médecine, certes critiquable, mais valeureuse, les médecins, dont 60 % nous dit-on reçoivent la visite médicale, et dont nombre, surtout des universitaires mais aussi des privés, participent à des essais bidons sur le dos des malades, se font payer des voyages dans des congrès dont ils ne comprennent même pas la langue, les médecins sont des naïfs qui ne respectent ni les recommandations, ni les intimidations, des naïfs qui ne prescrivent pas trop, des naïfs qui sont économes des examens complémentaires inutiles, qui exercent leur sagacité critique au quotidien et qui, voir cette étonnante video (LA) où l'UFML nous apprend que les médecins preux et valeureux appliquent l'EBM, donc il faut disculper les médecins de toute faute, ce ne sont pas eux mais les autres, les politiques qui ont été élus, les syndicats qui ont été élus, qui ont entraîné la profession dans le marasme.
Une stratégie nationaliste également qui oscille entre la revendication de la médecine la meilleure du monde (mais qui ne le sera plus bientôt si ça continue comme cela) et la médecine la moins payée du monde (civilisé), ce qui explique cela et ceci.
Une stratégie de diversion pour que, par confraternité, on ne se critique pas, on ne fasse pas avancer les choses, on ne discute pas de sur diagnostics, de sur traitements, de campagnes de prévention à la mords-moi-le-noeud, des passe-droits, des recommandations puantes, des agences putréfiées, du Conseil de l'Ordre qui défend les riches et les puissants, et cetera.
Ne vous laissez pas prendre à ce discours. Il y a des médecins qui surmontent, qui travaillent, qui réfléchissent, qui ne paient pas 80 % de charges (mais s'il s'agit d'une critique du système fiscal, il est possible de discuter), qui ne travaillent pas 14 heures par jour, qui ne dorment pas 50 heures par semaine, il y a des médecins responsables qui ne demandent pas la consultation à 50 euro, il y a des médecins libéraux qui sont prêts à envisager autre chose que le paiement à l'acte, et cetera.

La lecture de blogs de consœurs et de confrères est au contraire enrichissante et illustre ces médecins libéraux, non pas valeureux, mais conscients, à la fois proches et distants de leurs malades et de leurs activités. Elle est fortement recommandée. Abonnez vous au Club des Médecins blogueurs (merci Dominique Dupagne) : voir LA.

PS du deux juin 2015 : après les réflexions acides que j'ai suscitées, voici une petite réponse : LA

PS du 11 juillet 2015: Le Quotidien du Médecin, journal sponsorisé, fait un article sur ce billet (ICI) et les commentaires sont gratinés de chez gratinés. Il y en a même un qui se demande si je suis médecin...


jeudi 25 juin 2015

Les cancers du sein disparaissent aussi. Histoire de consultation 186 : service après vente.


Je vous avais raconté le 22 mai 2014 l'histoire de cette patiente de 94 ans chez qui un cancer du sein avait été découvert et pour laquelle le chirurgien puis l'oncologue souhaitaient mettre la gomme, c'est à dire chirurgie élargie, radiothérapie et chimiothérapie (voir ICI). 
La patiente, qui vit désormais loin du cabinet, avait refusé après que je lui avais expliqué qu'une simple tumorectomie superficielle lui permettrait d'être à l'aise et d'éviter les complications cutanées gênantes. Et, effectivement "tout" n'avait pas été enlevé.
Hier, je revois sa fille qui me donne le bonjour de sa mère.
" Comment va-t-elle ?
- Très bien. Il y a même un truc bizarre.
- ... ?
- La dernière mammographie ne montre plus rien.
- Ah..."
Entre parenthèses : on fait encore des mammographies à une femme de 95 ans qui va bien et qui n'est pas traitée.
" Le chirurgien voudrait revoir les mammographies d'origine car il ne comprend pas ce qui s'est passé. Le cancer a disparu. "
Je suis désolé de réagir aussi brutalement sans avoir vérifié mes sources, vu les mammographies, parlé au chirurgien... Mais ce qui compte : la patiente "va bien" et les images de "cancer" ont disparu. Non ?

Addendum du 7 juillet 2015.
Un collègue (Ph A ou @p_ameline) m'a rappelé aujourd'hui qu'en 2006 il était déjà possible dans la presse grand public de savoir que le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie n'était pas rentable médicalement (ce qui n'est pas la même chose qu'un cancer du sein qui s'évanouit mais ce qui tend à détruire la légende entretenue par les cancérologues, les mammographistes et tous les autres) : LA.
Un article paraît récemment dans le JAMA en date du 6 juillet 2015 confirme que les oncologues ont créé le mythe du cancer du sein : ICI.

mardi 23 juin 2015

Brigitte Dormont n'est-elle qu'une idiote utile ?


1984 : Emmanuel Goldstein

Sur France-Culture où, par parenthèse, le discours médical haut de gamme est « tenu » par le grand mandarinat (1), Brigitte Dormont a fait des déclarations stupéfiantes (ICI) sur le tiers payant annonçant que sa généralisation (voir LA ce que j'en pense) allait enterrer la médecine générale libérale, ce qui, selon elle, n'était pas une mauvaise chose, parce que cela permettrait aux payeurs de contrôler les prescripteurs et aux politiques de santé d'être appliquées.

Indignation.
Je me dis qu'il faut écrire un truc.
C'est trop !
Dormont vend la mèche allumée par Touraine.
Le Tiers Payant généralisé qui a permis au Parti Socialiste de refaire son unanimité lors du vote de la Loi santé n'était donc pas seulement une mesure de gauche (l'accès libre aux soins pour les défavorisés) mais aussi une mesure de gauche (détruire les méchants libéraux).
On tient la révélation de l'année.

Mais d'autres ont été plus rapides que moi.

Chritian Lehmann et coll. ont produit un articulet (LA), deux billets (ICI et LA) et une video (LA) à la mode UFML  ainsi qu'un peu plus tard un article de blog dans Mediapart (LA) pour nous dire :
  1. que Madame Dormont ne déclarait pas ses liens d'intérêt
  2. que l'économétrie pratiquée par Madame Dormont était une science lyssenkiste
  3. que les mutuelles et autres assurances complémentaires, qui arrosent l'Université Paris-Dauphine (où exerce Brigitte Dormont) sont de vilaines entreprises capitalistes qui recherchent le profit et qui vont manger toute crue l'assurance maladie (solidaire).
A la réflexion : les propos de Brigitte Dormont sont-ils scandaleux, blasphématoires, ou rendent-ils compte de l'évolution inéluctable d'un système de santé français unique au monde dans sa structuration et agité par les tendances lourdes de la mondialisation dont les stigmates les plus visibles sont la financiarisation de la Santé ?

Brigitte Dormont écrit beaucoup.
Je lis aussi un entretien de Brigitte Dormont dans Viva (ICI). Que dit-elle ? Est-elle aussi favorable que cela à la Loi santé de Marisol Touraine ?

  1. Notre sécu n'est pas aussi solidaire qu'on ne le pense
  2. La couverture sociale offerte par la Sécurité sociale aux patients qui ne sont pas en ALD est limitée à 59,7 %
  3. Les règles des complémentaires permettent une sélection des risques ... les primes sont plus élevées pour les personnes les plus malades et les plus âgées
  4. Le coût d'une complémentaire n'est pas proportionnel aux revenus et peut atteindre 8 à 10 % pour les ménages modestes (2,5 % pour les hauts revenus)
  5. L'accord national interprofessionnel (ANI) qui généralise la complémentaire santé au sein des entreprises va creuser les inégalités en transférant une couverture financée sur un mode solidaire par une couverture financée majoritairement par des primes indépendantes des revenus
  6. Il existe avec l'ANI un effet d'aubaine pour les mutuelles et une augmentation des primes pour les chômeurs, les vieux et les étudiants
  7. Il faut plafonner le reste à charge (hors dépassements d'honoraires)
  8. Il est nécessaire de définir un panier de soins pertinent en luttant contre les lobbies comme les laboratoires pharmaceutiques et les villes thermales : est-ce à l'Assurance maladie de faire une politique de l'emploi ?
  9. Le tiers payant généralisé ... met fin à la fiction d'un paiement direct du médecin par le patient.
J'ai résumé.
Peut-on vraiment dire, en lisant ces quelques lignes, que Brigitte Dormont soit favorable à la Loi santé de Marisol Touraine ?

Et ainsi, de la critique de Lehmann et coll., ne retient-on que leur polémique sur les liens d'intérêt de Brigitte Dormont et de ses piètres qualités scientifiques. Le reste, sur les mutuelles, a déjà été écrit par Lehmann C. (ICI par exemple) et il n'est pas certain que Brigitte Dormont ne puisse y souscrire.



Et je me suis dit que, finalement,  Brigitte Dormont avait fait œuvre d'idiote utile, mais pas seulement.

(Avant de continuer je précise quelques informations sur ma Déclaration Personnelle d'Intérêt (2)).


De quoi Brigitte Dormont est-elle le nom ?




Brigitte Dormont fait partie du main stream de la pensée économique et médicale française, ce qui renseigne, non pas tant sur la collusion des élites que sur notre avenir commun, à moins, bien entendu de croire à un complot mondial dont l'objectif final serait de ralentir l'accroissement continu de l'espérance de vie dans les pays développés et d'augmenter de façon considérable la mortalité infantile dans les pays bénis où n'existent ni le tout à l'égout ni les avancées des idées pasteuriennes.

Brigitte Dormont est accessoirement proche du Parti Socialiste (mais, on l'a vu, pas si proche que cela). Peu importe puisqu'elle est aussi proche du professeur Guy Vallancien connu pour ses idées "progressistes", i.e. sa croyance en un monde néo libéral où les robots remplaceront les médecins pour les actes techniques et où les médecins pourront devenir enfin humanistes (je n'ai pas dit transhumanistes) et, je cite Laurent Alexandre, "accompagner les malades en les tenant par la main", elle participe au CHAM, officine néolibérale sponsorisée par l'industrie où l'on côtoie Guy Vallancien et Didier Tabuteau (énarque socialiste), entre autres, officine dont vous verrez ICI le programme de la réunion annuelle 2015 et dont le conseil scientifique, excusez du peu, comprend, entre autres et hormis Brigitte Dormont, le scientifique Claude Evin (voir LA pour une biographie personnelle), le très politique Didier Tabuteau, la brillante Elisabeth Hubert, le transhumaniste Laurent Alexandre (et fondateur de Doctissimo), la brillantissime Denise Silber, papesse de la médecine 2.0 au service du fric, Claude Le Pen et Guillaume Sarkozy, et cetera, et cetera.
Vous savez sans doute ce que je pense également des think tanks proches du PS auxquels notre amie a collaboré comme Terra Nova et dont j'ai analysé la prose futuriste avec beaucoup de distance (LA).


Brigitte Dormont est une idiote utile.

Brigitte Dormont est bien notre idiote utile qui dévoile les intentions cachées de Marisol Touraine (pour ceux qui pensent que Marisol Touraine a une quelconque influence dans le domaine de la santé, lire LA).
Encore faudrait-il que Marisol Touraine eût des intentions cachées.
Marisol Touraine suit le mouvement. C'est tout. Le mouvement généralisé et mondialisé de la médecine dans les sociétés développées. Le mouvement que j'ai décrit cent fois et qui passe par les cases : augmentation inéluctable des dépenses de santé (une analyse de ses tenants et aboutissants serait passionnante puisqu'elle permettrait d'intéresser tous les acteurs de ce jeu de bonneteau sociétal), accès aux soins (dont les soins inutiles considérés comme des "droits"), corruption généralisée des agences gouvernementales de santé, corruption (passive et active) des médecins, droit à la santé (et négation du droit à l'hygiène), hédonisme généralisé, influence déterminante des corrupteurs (big pharma et big matériel pour la médecine proprement dite et big junk food et big tobacco et big alcoolo et big pesticido pour l'hygiène) dans l'appareil d'Etat, ce que j'appelle le lobby santéo-industriel, mise en avant des associations de patients qui, pour défendre leurs droits à être bien soignés, n'hésitent pas à accepter l'argent de big pharma, des mutuelles et à considérer que le consumérisme sauvera le monde, et cetera, et cetera.

Car Brigitte Dormont, dont je ne doute à aucun moment qu'elle ne réfléchisse pas au delà de l'économétrie, passe à côté du contexte général de la Santé dans les pays développés. Mais lui demande-t-on de réfléchir à la place des médecins sur les rôles comparés de la médecine et de l'hygiène dans l'allongement, pour l'instant inarrêtable, de l'espérance de vie ?

Brigitte Dormont est une idiote utile qui souligne que la médecine libérale à la française est une exception mondiale et... française (et je ne reviendrai pas sur ce qui l'a fondée : l'anti étatisme des médecins français). Mais, comme le disent les crétins franchouillards de chez franchouillards qui pensent que le fait d'être les seuls à faire quelque chose donne raison (voir Concorde et Minitel), attention, le ridicule ne tue pas, "la médecine française est la meilleure du monde".

Brigitte Dormont est une idiote utile qui a constaté qu'une grande majorité des doctorants en médecine, et notamment les IMG, souhaitaient travailler dans des maisons de santé pluridisciplinaires en tant que salariés. Pourquoi ne pas les décevoir ?



Et ainsi, Lehmann et coll. auraient dû, bien au contraire, remercier Brigitte Dormont de mettre les pieds dans le plat.

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que la société française est gangrénée par la corruption et que cela n'épargne surtout pas les médecins (Brigitte Dormont est décrite comme une femme de pouvoir qui profite de la haute fonction publique pour manger à tous les râteliers et, notamment, pour collaborer avec l'Etat, l'industrie et les mutuelles. N'engageons cependant pas un comparatif qui serait désastreux entre les niveaux de compétence et de corruption des experts économistes et ceux des experts médicaux. Nous aurions beaucoup à perdre, nous les professionnels de santé). Et le formindep n'est pas en reste en soulignant la corruption des institutions et des médecins par big pharma (ICI).


MEDICAL DOCTORS


La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que les socialistes en théorie favorisent volontiers la fonction publique (n'oublions pas que les membres de la fonction publique seraient étonnés par un tel constat) en privilégiant l'hôpital (le "camembert" de leur article est classique mais toujours aussi pertinent) et en prônant le salariat pour la médecine générale (on me dit qu'une grande majorité des jeunes médecins et des jeunes doctorants en médecine générale seraient aux aussi favorables au salariat). A ce dernier propos, ajoutons ceci : les partisans du libéral (dont je suis en partie pour des raisons anti étatiques historiques) pensent que c'est parce que nous nous "tuons" à la tâche que les jeunes ne veulent plus faire de médecine générale et préfèrent le salariat mais des enquêtes chez les jeunes en général (les non médecins pour faire court) montrent que non seulement le salariat les attire mais plus encore la fonction publique...

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante quand les auteurs se lancent dans la critique de l'économétrie à partir de formules absconces dont ils tirent la substantifique moelle et nous parlent de Lyssenko à propos de cette universitaire. Pas moins. Ils reprochent à Brigitte Dormont d'étudier les conditions socio-économiques des médecins comme une catégorie comme une autre de la population, de les mettre en comparaison et de s'interroger sur les raisons qui font qu'il y a plus de médecins dans le seizième arrondissement de Paris que dans le neuf-trois. Les études économétriques n'ont pas que des désavantages. Elles comparent. Comparaison n'est pas raison mais les médecins qui, d'un côté, ne veulent plus entendre parler de métier sacerdotal, revendiquent en même temps une légitimité différente (le soin étant différent de la construction de ponts, par exemple). Il est vrai que seuls les économistes mentent. Les médecins, tels des anges descendus du ciel, ne mentent pas sur des phénomènes majeurs de santé publique (sans se servir de formules également absconces) comme le dépistage du cancer du sein, le dépistage du cancer colo rectal ou le remboursement sans façon de nombres d'anti cancéreux hors de prix et inutiles.

La lecture de Lehmann C et coll. est passionnante quand les auteurs rapportent les propos qu'il trouve infâmants de Brigitte Dormont sur les femmes, leur façon de s'installer, leur façon de travailler, et cetera. "Les femmes, ces branleuses peu motivées qui travaillent trop peu", écrivent-ils. Je ne me lancerais pas dans une contre critique des propos prétendûment féministes des auteurs qui font preuve, en l'occurrence, d'idiots utiles en soulignant les charges de travail inhumaines de ces femmes médecins qui doivent gérer un cabinet médical libéral, faire la syndicaliste, faire l'épouse, faire la mère de famille alors que les mêmes hommes, parlons des générations précédentes pour ne froisser personne, avaient une femme secrétaire, une femme femme de ménage, une femme et cetera, et, objectivement, ont toujours un temps de travail ménager moins important que celui de leur femme/épouse/compagne quel que soit son statut. 



Ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., c'est la perspective mondialisée de la santé que j'ai vaguement évoquée dans le tourbillon des facteurs concourant à l'état de santé. Mais, prétendre, comme ils écrivent, que "Taper sur la médecine de ville, maillon faible... une spécialisté française", c'est méconnaître la situation de l'exercice de la médecine générale dans presque tous les pays développés, même ceux pour lesquels l'argent investi dans la médecine générale est en pourcentage plus important que celui alloué aux hôpitaux et aux spécialistes d'organes... La lecture de nos cousins britanniques les éclaireraient par exemple : voir LA. Et leur montreraient que, quel que soit le système de rémunération, quel que soit le mode d'enseignement, quel que soit l'accès direct aux spécialistes d'organes, la médecine générale n'attire plus.

Enfin, ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., ce sont les perspectives.
Voici un billet de Richard Smith, ancien directeur du BMJ, qui sonne juste et qui devrait parler aux médecins français (ICI) sur les pleureuses.


Cessons de faire les pleureuses et questionnons.

Est-il possible de supprimer les mutuelles ?
Est-il possible de faire baisser les coûts de la santé ?
Est-il plausible de moins prescrire ?
Est-il possible de dissoudre les agences gouvernementales corrompues ?
Est-il possible de mener des véritables politiques de santé publique contre big junk food, big tobacco et big alcool ?
Est-il possible de supprimer la médecine à l'acte ?
Est-il possible de salarier tous les médecins ?
Est-il possible de revoir les programmes de dépistage ou du moins les auditer sérieusement ?
Est-il possible de former plus de médecins à la médecine générale ?
Ad libitum.


Notes :

(1) (sur France Inter le discours médical est lui « tenu » directement et sans aucun complexe par big pharma) et délivre un message convenu sur les progrès ininterrompus de la médecine (ce qui, par ricochet, devrait faire réfléchir à qui, sur les chaînes du service dit public, « tient » l’histoire, la philosophie, l’art, la littérature, la sociologie – encore que l’écoute de Caroline Broué (@cbroue) aux alentours de midi renseigne sur la main mise des Fassin boys, entre autres, sur l’entreprise éhontée de déconstruction du monde au nom de l’écrasement de l’idéologie des Lumières). L'émission Le téléphone sonne du mercredi 17 juin 2015 était un résumé éloquent de la main mise de la cancérologie sur les animaux malades.

(2) DPI :
  1. Je souscris à une mutuelle (AXA) qui me permet de déduire des frais professionnels
  2. Je ne suis pas un fanatique de la médecine libérale à la française
  3. Je suis pour une transformation du paiement à l'acte vers une médecine plus centrée sur des objectifs individuels/sociétaux mais la transition me paraît complexe
  4. Je ne suis pas opposé au Tiers Payant Généralisé (voir ICI) pour des raisons idéologiques mais parce que ce n'est pas au point techniquement
  5. J'ajoute que j'étais médecin référent et que nous avons connu les avantages/inconvénients de ce TPG
(3) Le programme de 2014 (LA) comporte une session intitulée (sans rire) "Bâtir un système sanitaire  équitable : la vision des industriels".


Illustration.
Emmanuel Goldstein est un personnage d'Orwell (1984), opposant fabriqué par le régime, inspiré par Lev Davidovich Bronstein, alias Trotsky, ce qui ne manquera pas de faire froncer les sourcils des nombreux naïfs qui pensent que le trotskisme est un mouvement démocratique. Voici ce qu'en pensait Orwell in Notes on NationalismThe fact that Trotskyists are everywhere a persecuted minority, and that the accusation usually made against them, i. e. of collaborating with the Fascists, is obviously false, creates an impression that Trotskyism is intellectually and morally superior to Communism; but it is doubtful whether there is much difference.


lundi 15 juin 2015

Erratum sur Brigitte Dormont.

Désolé pour la fausse manœuvre mais j'ai publié sans m'en rendre compte un brouillon de billet en cours de rédaction.
Les philologues seront ravis.
Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, seulement il y a dix minutes, car c'était, ce matin, une journée volontairement sans internet.
L'enfer est donc pavé de bonnes intentions.
A bientôt.

jeudi 11 juin 2015

Un léger décalage sur l'IVG. Histoire de consultation 185.

Harvey Karman (1926 - 2008)


Les deux jeunes femmes assises en face de moi sont, j'ouvre trente-six fois les guillemets, filles de parents maghrébins arrivés en France dans les années quatre-vingt, la deuxième génération, déjà mères de familles, et elles sont des Françaises de chez Françaises.

Et que le premier qui commence avec les mots intégration, assimilation, naturalisation, identité nationale aille lire ailleurs pour faire de la sémantique ou de la sociologie.

Elles sont des Françaises nées en France et elles subissent la triple peine sociale : filles d'immigrés analphabètes, filles d'ouvriers travaillant à la chaîne et/ou de femmes de ménages, et filles musulmanes. La triple peine française comprend en plus : ghettoïsation des quartiers, écoles de merdre, absence d'ascenseur social. En réalité, il s'agit d'une quadruple peine qui était déjà évidente dans ma formulation : la peine anthropologique des filles (et ici de ces jeunes femmes) liée à la structure originelle de leurs familles maghrébines se confrontant aux structures familiales du pays d'arrivée et aux injonctions sociétales européennes concernant ces mêmes filles.

Précisons pour les gens qui ne vivent pas dans les "quartiers" ou qui y vivent mais se tamponnent de l'histoire de leurs voisins, voire pire, de leurs propres histoires, que les structures familiales au Maghreb sont en plein bouleversement (en raison notamment de l'urbanisation des populations et de la "modernisation" des structures étatico-sociales dans un contexte plus général de mondialisation économique et de tensions mondialisées dans la religion) et que ces bouleversements sont amplifiés par l'immigration (les cultures des pays d'origine et les cultures des pays d'arrivée s'entrechoquent comme on l'a déjà vu et comme en témoigne par exemple l'effondrement du taux de fécondité des femmes entre leur pays d'origine --surtout s'il s'agit de l'Afrique sub saharienne et presque pas quand il s'agit de la Tunisie-- et la France) et par l'émigration (les pratiques modifiées des émigrés transforment par contamination les pays d'émigration). J'ai déjà abordé le problème du non communautarisme (c'est à dire que les populations immigrées, fussent-elles issues d'un même pays ne pensent pas d'une seule façon, ne se comportent pas d'une seule façon, et cetera) et du communautarisme redouté, la question des pratiques modifiées dans les populations immigrées (LA) et l'observation d'une autre double peine (ICI).

Vous suivez ?
Chacun de ces bouts de phrase devrait permettre de planifier des thèses de sociologie à des générations d'étudiants... Je laisse cela aux spécialistes. En sachant, et je l'avais découvert en situation (voir ICI), que les thèses anthropo-sociologiques faites par des fils et filles d'immigrés sont rares ou s'autocensurent pour des raisons éminemment communautaristes et compréhensibles (désir d'appartenance).

Quoi qu'il en soit, la deuxième jeune femme vient pour la déclaration de grossesse, bla bla, la partie proprement médicale a déjà été faite lors des consultations précédentes, il s'agit de collecter les données, de leur donner un sens, de renouveler les conseils et de rappeler le calendrier. Brutalement, elle me parle de l'angoisse qu'elle a ressentie lors de sa première grossesse dans l'attente des résultats pour la trisomie (ce que l'on appelle les marqueurs sériques et qui concernent également le tube neural).
Je pense en moi-même à cette femme musulmane foulardisée dont j'ai déjà parlé LA et cette autre, tout aussi foulardisée, qui me disait avoir une petite soeur trisomique et que "c'était la joie de toute la famille et que donc, docteur, ne me parlez pas d'avortement".

Revenons à notre consultation.
Elle : "C'est long d'attendre les résultats, on se fait des films..."
Son amie : "Je confirme."
Elle : "Mais, de toute façon je n'aurai pas avorté."
Son amie : "Moi non plus, je ne l'aurais pas fait, de toute façon."
Moi (idiot) : "Ah bon ?"
Ni l'une ni l'autre n'ont jamais parlé de religion avant cette consultation.
J'ajoute : "Alors ? Pourquoi accepter le dosage ?"
L'un ou l'autre (je ne me rappelle plus laquelle) : "Pour se préparer."

Je vous précise : ces deux jeunes femmes sont habillées "à l'européenne", plutôt pimpantes, ont bac + 3 et je ne les ai jamais entendues, devant moi, cela fait des années que je les connais, faire une référence à l'islam.

Cette consultation ne signifie pas grand chose d'un point de vue statistique mais j'ai déjà "remarqué" combien il existait un léger décalage sur l'IVG entre le discours officiel des femmes que je rencontre ici ou là dans mes relations sociales (toutes favorables à l'IVG au nom du droit des femmes à pouvoir disposer de leur corps) et celles que je rencontre dans mon cabinet, celles des "quartiers". Mais pas toutes celles des "quartiers", ce serait généraliser abusivement.
Et j'ai connu, je connais des jeunes femmes qui sont parties en train pour Amsterdam, seules, l'échographie dans le sac et l'argent, faisant l'aller et retour dans la journée, des musulmanes aussi, mais qui étaient acculées aux impossibilités, non pas religieuses mais sociales, de de faire autrement.
Le refus théorique de l'IVG (pour la pratique, chacun s'adapte aux circonstances, on vient de le lire) n'est pas seulement le fait de quelques exaltés catholiques ou de juifs ultra orthodoxes, elle est le fait de certains musulmans. Et, ici, dans ma patientèle, c'est palpable. Est-ce que quelqu'un aurait le culot de dire que ces deux jeunes femmes sont des anti modernes ?


Epilogue en forme de réflexion.

Il y a environ dix-huit mois je discute avec une petite cousine de vingt ans. Je lui dis avec précaution que je suis, éthiquement, contre l'IVG mais que je ne m'y oppose jamais quand mes patientes (il est tellement rare qu'un homme soit dans le cabinet à cet instant) en font la demande. Et parce que je suis contre éthiquement il m'arrive d'en faire "trop" pour l'accompagnement de ces femmes ("trop" signifie que je m'implique plus qu'il ne serait nécessaire, enfin, je quitte ma position empathique pour une position sympathique, en tentant de ne pas parler, seulement anticiper, ne pas l'induire, la violence symbolique de l'IVG). Ma cousine me regarde et me dit ceci (avec encore plus de prudence) : "Tu sais, tous les jeunes de maintenant considèrent que l'avortement, c'est naturel." Elle me parle prudemment car, dans une partie lointaine de la famille, il y a des catholiques qui ne sont pas très favorables à l'avortement. Je ne suis pas catholique et je ne suis pas croyant. Je suis même athée.

Nous parlons un peu. Je lui explique ma position. 
Ma position (résumée) : je suis défenseur de la vie ; je suis contre la peine de mort ; je suis contre l'infanticide (et là, les lecteurs commencent à dire : le mek confond tout) ; je suis contre l'IVG. Je ne sais pas à quel moment commence la vie, à combien de jours, à combien de semaines, à combien de mois... J'essaie, mais ce n'est pas facile, de ne pas pratiquer la division de la conscience. Mais je ne suis pas pour l'interdiction de l'IVG. Pour des centaines de raisons. L'actualité récente des pro vie... Un projet de loi dans le Wisconsin...

Quoi qu'il en soit, la conversation avec la petite cousine m'a rendu, d'un seul coup, vieux, réactionnaire, en dehors des courants dominants. Et je dois le dire, prudent. Dire, écrire, que l'on n'est pas pour l'IVG, renvoie à des figures tutélaires de la réaction, du conservatisme, du catholicisme activiste, et cetera. Aurais-je tellement peur de ne pas être dans le coup, c'est à dire d'être considéré comme un acolyte des tueurs d'obstétriciens pratiquant l'IVG comme aux Etats-Unis.

La question que l'on m'a posée cent fois : "Puisque tu considères que l'IVG est, de ton point de vue, éthiquement inacceptable, pourquoi ne le refuses-tu pas complètement et n'envoies-tu pas promener   les patientes qui désirent le pratiquer ?"

La question que je ne me suis pas posée cent fois. Les positions ou les points de vue sont évolutifs. En 1973, dans le hall du CHU à Cochin, des étudiants et des médecins pratiquaient des IVG selon la méthode Karman (entre parenthèses : Karman n'était pas médecin) et je trouvais cela génial. J'étais tout jeune étudiant en médecine (troisième année) et je vivais en plein dans l'âge lyrique post soixante-huitard : contraception, IVG, et cetera. Voulez-vous que je vous parle de l'âge lyrique politique auquel je ne participais pas ? Maoïsme, castrisme, et cetera ?



Aujourd'hui je cherche "Karman" sur Google. Je ne trouve pas grand chose (parce que je ne connais pas son prénom). Je cherche "Karman aspiration" et j'obtiens peu de choses mais le prénom "Harvey". Pas d'article wiki en français. Un petit article wiki en anglais. Puis un article tout à fait intéressant que je vous conseille de lire : LA. L'histoire de l'IVG par aspiration est tout à fait surprenante. Surprenante d'un point de vue technique, réglementaire, idéologique et politique. On y apprend que Karman a pratiqué un avortement mortel en 1955 pour lequel il a connu la prison, et, ensuite, un peu plus tard, que les gouvernements américains de l'époque ont suscité le développement de la technique par aspiration dans les pays à faible niveau de vie...

It’s hard to believe now, after years in which the United States has exported its antiabortion movement all over the globe, that the American government was once responsible for bringing safe abortion to great swaths of the developing world. Hard to believe, too, that support for distributing contraceptives to remote corners of the planet was once a solidly bipartisan undertaking. 

Donc, en théorie je suis contre l'IVG et en pratique je suis contre son interdiction et je favorise sa réalisation chez les jeunes femmes qui me le demandent. Avec énormément d'empathie (enfin, je crois).

Je ne fais donc pas partie du main stream de la bonne conscience progressiste qui ne se pose pas de questions car se poser des questions, selon nos bons apôtres de la modernité, c'est faire le jeu des réactionnaires, des conservateurs, des libéraux, des néo-libéraux, des capitalistes, des traders (sauf Kerviel, notre Dreyfus), des marchands d'armes, des je ne sais quoi. Se poser des questions sur la légitimité de l'IVG, c'est, bien entendu, être anti féministe, ne pas respecter le droit des femmes à disposer de leur corps, et cetera. J'accepte, je gère et j'assume. Pourquoi devrais-je mentir ?