dimanche 25 août 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 6 : Donner envie aux spécialistes de faire de la médecine générale.


Donner envie aux médecins spécialistes d'organes (je suis désolé d'utiliser une expression aussi connotée et, pour certains médecins spécialistes, une formulation qu'ils peuvent percevoir comme péjorative) d'exercer la médecine générale dans le cadre de leurs activités habituelles de spécialistes au niveau institutionnel et / ou libéral, n'est pas illusoire à condition que la médecine générale, refondée (et l'exercice paraît difficile, on le voit à partir des commentaires des différents billets publiés sur la refondation, tant le sujet est vaste, le traumatisme profond et l'injustice criante), soit une façon d'élargir le champ de leurs compétences.

J'ai déjà écrit ceci et LA qu'il n'était pas possible aux médecins généralistes de se passer des spécialistes d'organes pour exercer une médecine générale de qualité. Car nous nous priverions : 1) de leur expérience externe ("faire" la littérature, enseigner, étudier, discuter, et cetera...) ; 2) de leur expérience interne (leurs façons de faire, leurs techniques, l'appréciation du résultat de leurs techniques, leurs correspondants, et cetera...) ; 3) et des valeurs et préférences des patients consultant un spécialiste et l'idée qu'ils se font de ces consultations et / ou hospitalisations.

Il faut évacuer un sujet sensible et mal compris de mon discours : je ne défends pas mordicus les médecins généralistes, je défends mordicus la médecine générale exercée par des médecins conscients de ce qu'ils font. Je ne résume pas le champ de la médecine générale à un exercice, entreprise déjà tentée, je mets en avant le champ de l'activité cérébrale du médecin généraliste, c'est à dire le questionnement incessant de l'Evidence Based Medicine en Médecine Générale (EBMG) comme préalable et l'Etat d'Esprit (ou le point de vue) comme décor (Merci à martine bronner).

Je pense que nos collègues spécialistes sont conscients, au delà du sentiment de supériorité qu'ils affichent ouvertement pour les plus sots d'entre eux par rapport à leurs pratiques, mêmes ceux qui ne font (bien) que des RTU (résections trans urétrales) ou des BUD (bilans urodynamiques), ou des dialatations de l'IVA (interventriculaire antérieure), ou des poses d'endoprothèses biliaires, ou des lectures d'ECG compliqués (la liste n'est pas exhaustive mais tout le monde se reconnaîtra) à vie leur fait oublier qu'ils sont aussi des médecins généralistes, je veux dire des médecins de l'organe, de la personne et de l'environnement (OPE) (un grand salut à JF Massé) et qu'une médecine générale refondée est une chance pour leur propre exercice de leur spécialité.

Les grands problèmes médicaux soulevés ces dernières années par les médecins généralistes, et indépendamment du fait que le levier initial fut parfois du corporatisme (voir la pseudo pandémie), sont le fruit de leurs pratiques et, de leur statut, de leur façon d'être perçus par la société, par les patients (et les politiques), et de leur connaissance conjointe de la transversalité / longitudinalité de l'historique individuel.

La grande médecine triomphante, celle de l'hyper technique, se heurte à l'individu plongé dans une société qui lui fait miroiter la vie éternelle, la vie sans douleur, la vie sans contrariétés et qui ne peut faire que des sur promesses sources de désillusions. Et où finissent par se retrouver les patients déçus de la société ? Chez leur médecin généraliste qui, souvent, n'en peut mais.

La course à l'ego touche tout le monde mais les spécialistes sont plus stratégiquement contaminables puisqu'initiateurs des prescriptions et plus facilement introductibles dans les instances décisionnelles des Agences et des Gouvernements. Les spécialistes sont flattés pour être le relais des politiques marketings des firmes d'abord en local (les correspondants) puis en locorégional (les réseaux), puis au niveau national (participation aux comités Théodule ou aux Agences gouvernementales) où c'est la nomination qui rend expert mais non les travaux publiés auparavant et à l'international pour les anglophones. Comment résister ?

Et nous entrons dans le domaine de la corruption généralisée de la médecine, ce que Peter Götzsche appelle le Crime organisé. Corruption des institutions, corruption des politiques, corruption des professionnels, corruption des entreprises... Qui a commencé ? Il existe un  lobby politico-administrativo-industriel qui empêche de voir, d'entendre et d'écouter. Il existe un lobby qui crée des experts bien pensants (voir la fabrique des experts ou Expert Mongering) qui font la pluie et le beau temps pour le bien-être des populations soumises.

Et donc, le lobby nous dit que le dosage du PSA doit être individuel et non collectif, que la mammographie est un des Beaux-Arts, que le Pandemrix est sûr, que les vaccinodromes étaient l'avenir de la médecine, que les examens périodiques de santé servent à quelque chose (1), que les benzodiazépines à longue demi-vie sont dangereuses, que la pilule oestro-progestative est moins thrombo-embolique que la grossesse...

La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si la Refondation se fait.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si le Bon Esprit de la médecine générale (EBMG et Etat d'esprit) élargit le champ des compétences des spécialistes.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si les médecins généralistes cessent d'être soumis statutairement aux diktats des experts.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si les médecins généralistes haussent la qualité des informations qu'ils délivrent à leurs collègues...

Vaste programme.


Notes :
(1) On aimerait qu'une CPAM invitât un expert pour faire un exposé sur l'inutilité des examens périodiques de santé, ce qui montrerait qu'elle peut, elle-aussi, lutter contre le lobby mais dans le champ de ses compétences...

PS du 18 janvier 2020 : le BMJ se penche sur la question : ICI

Illustration : Häuser in Unterach am Attersee, 1916, by Gustav Klimt

vendredi 16 août 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 5 : vers la Sécession.


Après seulement 4 billets sur la refondation de la Médecine Générale et en pleine période estivale où l'audience est moins soutenue que d'habitude, je me rends compte de l'inanité d'une telle entreprise et les commentateurs que je remercie vivement sont aussi désolés que moi. J'avais prévu de développer sur nombre de sujets concernant à mon sens la médecine générale, et il n'est pas exclu que je le fasse, mais j'ai l'impression d'aligner des truismes, d'accumuler des évidences et de parler dans le désert.
La médecine générale que nous avons envie de pratiquer (et ce nous est informel et contient toutes les expériences personnelles) ne nous a pas été enseignée, ne continue pas à être enseignée et ne le sera jamais dans le contexte actuel.
Le contexte actuel est connu : les Facultés de Médecine ne préparent pas, dans les années de formation, à exercer la médecine mais à passer l'Examen Classant National (ECN) qui permettra aux gagnants de devenir des spécialistes et, au pire, des ultra spécialistes d'organes ou de sous-organes, et aux perdants d'être des médecins généralistes non formés au terrain sociétal.
Le contexte actuel est connu : la Société (on excusera ce terme générique) veut médicaliser la vie en se servant des médecins comme des instruments zélés et obéissants ce cette ambition totalisante et consumériste. Les médecins (pardon pour cette généralisation qui choquera certains mais qui se fonde sur les chifres de vente de certains médicaments ou sur le nombre de prescriptions d'examens complémentaires) participent allègrement à cette perversion de la médecine, acceptant d'être des "opérateurs", des facilitateurs, des prescripteurs, des artisans de la remédiation, des roues de secours pour réintégrer les salariés et autres dans le circuit productif ou des enfants dans le circuit éducatif, voire des tueurs dans le cas de l'euthanasie active...
Le contexte actuel est connu : le consumérisme médical est entretenu, voulu, au nom de la croissance, au nom du CAC 40, au nom de la santé des cabinets médicaux, des centres de santé ou de la CNAM sous le regard bienveillant de l'industrie (les médicaments et les matériels) qui conduit en sous main (et n'y voyez pas un complot) la commercialisation et la vente des médicaments et des matériels. 
La contexte actuel est connu : la médiatisation de la médecine consumériste fondée sur le désir du bonheur absolu, de l'hédonisme, du recul de la mort, est entretenue par la télévision où les journalistes vedettes et médecins tels MC et JDF surfent sur la vague en invitant les professeurs les plus pervertis et en soutenant les campagnes de l'Eglise de Dépistologie  avec un zèle touchant et trébuchant (comme les espèces).
Le contexte actuel est connu : les patients veulent être entendus et font tout pour l'être, cédant parfois aux sirènes des subventions de l'industrie, des agences de communication, changeant de médecins quand le médecin refuse de se laisser faire et de laisser entraîner dans les délires hédonistes, considérant non l'organe malade mais le patient malade et magnifiant des charlatans qui les "écoutent" et leur promettent des lendemains qui chantent.
Le contexte actuel est connu : les services hospitaliers sont devenus des lieux d'hyperspécialisation où les spécialistes du ménisque gauche du genou droit opèrent sans avoir parlé au patient et chronomètrent leurs interventions pour tenter de battre des records... A quoi cela peut-il bien servir que d'avoir passé l'ECN si c'est pour dilater à vie l'interventriculaire antérieure ?
Le contexte actuel est connu : faire disparaître les médecins généralistes (je n'ai pas dit la médecine générale qui sera toujours "pratiquée" à la va-vite, comme Monsieur Jourdain pratiquait le prose sans le savoir, ou à la va-comme-je-te-pousse) qui contestent en tous domaines les diktats de la Faculté et les remplacer (délégation des tâches) par des officiers de santé à la Charles Bovary.
Je m'arrête là.

La Sécession semble être une solution.
Je parcourais hier, à la suite d'une discussion sur twitter (@docdu16), le site du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE, ICI) que j'ai souvent critiqué pour ses molles positions sur la vaccination, sur les dépistages du cancer du sein et de la prostate, entre autres, et, à ma grande surprise, je me suis rendu compte que sur nombre de sujets et de commentaires, ils étaient à cent lieues de la politique officielle de la Faculté de Médecine. Et que cela ne changeait rien.
Sécession donc pour ne pas nous laisser dicter nos conduites par des universitaires véreux qui "croient" aux dépistages multiples et variés, ne pas nous laisser dicter nos conduites par la CNAM qui "croit" aux bilans systématiques de santé (privatisés par ailleurs), ne pas nous laisser dicter nos conduites par des enseignants académiques qui délivrent des messages scientifiques erronés en raison de leur ignorance, de leur cupidité et de leur soif de pouvoir. 

La Sécession, donc. 
Et maintenant : comment l'organiser ?
Nous disons oui à tout et à tout le monde.

(Image : Le Palais de la Sécession à Vienne (Autriche) de Joseph Maria Olbrich - 1897)

mercredi 14 août 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 4. L'enseignement de la médecine ne prépare à rien et encore moins à la médecine générale.


(Je me rends compte en regardant les commentaires des billets précédents que cela part dans tous les sens.
Tant mieux.)
Je suis en vacances en famille et ma nièce prépare l'ECN (Examen Classant National). Elle a emporté 34 kilos de bouquins.
Je jette un regard distrait sur la pile des livres.
Je l'interroge sur les spécialités les plus recherchées, ce qui me rend rêveur : orthopédie en premier...
Elle fait une prépa qui coûte une fortune à ses parents.
Les cours ne sont pas sur internet car il faut bien faire du business avec les conférences, les ventes de polycopiés, de livres.
Cela me rappelle l'internat, les confs, les sous-colles, les polycopiés, les années d'il y a longtemps.
J'attrape le bouquin de Dermatologie écrit par le Collège des Enseignants. Je réfléchis et je sélectionne deux sujets qui m'intéressent a priori parce que c'est une interrogation assez fréquente en médecine générale. Erysipèle et Mélanome cutané.
Cela me rappelle encore plus furieusement les questions d'internat de ma jeunesse (cela devait être en 1976). Comme c'est "moderne" il est écrit en début de question : "Objectif pédagogique" et l'objectif pédagogique est creux et sans intérêt. Je parle du point de vue d'un médecin généraliste. Mais du point de vue d'un spécialiste, c'est pas mieux.
Erysipèle : c'est une longue bouillie verbale où les arguments de fréquence sont oubliés, où tout est placé sur le même plan, les tableaux graves comme les tableaux légers. Enfin, c'est 34 ans de pratique de l'érysipèle en médecine générale qui me le fait dire. C'est non seulement une bouillie mais un catalogue sans queue ni tête, une sorte d'accumulation à la Arman (désolé, ce n'est pas dans le programme) et j'imagine l'impétrant qui n'a jamais vu un érysipèle de sa vie et qui, lorsqu'il en verra un pour la première fois à l'EHPAD du coin, envisagera d'emblée l'amputation.
Mélanome. C'est du lourd : tout médecin doit savoir diagnostiquer un mélanome à temps... et cetera. Bon, c'est encore un catalogue, c'est plutôt bien structuré, il y a des digressions académiques sur un peu tout et n'importe quoi et sur cette masse de mots, on finit par découvrir celui de dermoscope. En passant. Les dermatologues ne doivent pas utiliser de dermoscope, les dermatologues ne doivent pas s'être formés à la dermoscopie, les médecins qui ont rédigé le truc ont dû recopier les questions d'externat de Claude Bernard. C'est nul.
J'attrape un bouquin d'Urologie moins épais signé par un certain H. Goncalves qui serait un médecin qui a été bien classé à l'ECN. Les tumeurs de la prostate occupent les pages 37 à 49. J'ai l'impression que je connais deux ou trois trucs sur le cancer de la prostate (voir ICI ou LA). Cette question est un florilège de khonneries. Je souligne.
Vous voulez des exemples ? En italique, c'est écrit dans le marbre.
 Dosage du PSA : 
Dépistage individuel  recommandé par l’AFU (pas de mentions d’autres recommandations contraires)
But du dépistage : diminution de la mortalité
Pour tous les hommes entre  50 et 75 ans si espérance de vie supérieure à 10 ans
Normal, n’élimine pas le cancer, à renouveler de façon annuelle
Anormal (TR ou PSA) implique la réalisation de biopsies prostatiques.
Et après il y a des gens qui accusent les médecins généralistes de doser le PSA ! Nul doute que l'AFU sélectionne les urologues avec bienveillance... 
J'ai eu beau chercher le mot sur diagnostic, je n'ai pas trouvé.

On se résume : le peu que j'ai consulté des documents de préparation à l'ECN sont de la daube en cubi. Et j'imagine ce que j'aurais découvert en regardant Cancer du sein ou Vaccination contre le papillomavirus.

J'apprends aussi qu'à la Pitié-Salpétrière il existe en fin d'études 10, j'ai bien dit 10, maîtres de stages en médecine générale. Que certains stages, comme en 1972 quand j'ai commencé médecine sont de la daube en conserve (avariée) et que l'on apprend ni la médecine ni la médecine générale.
Passons sur le fait que la majorité des profs utilisent des diapositives issues directement de Big Pharma (ils n'enlèvent même pas la marque...).

La médecine générale n'est donc pas une spécialité.
Je le savais.

La médecine universitaire est sclérosée (les mêmes questions d'internat qu'il y a plus de 30 ans), pourrie (sponsorisée par Big Pharma), malhonnête, anti scientifique et ne prépare à rien sinon à la recréation et la reproduction des "élites" dont la caractéristique principale est l'illettrisme médical (ICI).

Bon. On refonde quand ?

(Illustration : Accumulation - Arman (Pierre Fernandez) : 1928 - 2005)

dimanche 28 juillet 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 3. Peut-on exercer la médecine générale en se passant de spécialistes d'organes ?


Il n'est pas possible d'exercer la médecine générale sans demander des avis et / ou adresser des patients à des médecins spécialistes (d'organes). Sans compter les malades qui s'adressent tout seuls, soit dans le cadre de la "vraie" urgence, de l'urgence différée ou de l'urgence perçue.
Ma réponse est donc claire : la médecine générale a besoin de spécialistes. Mais c'est "ma" conception de la médecine générale, enfin, une de mes conceptions. Je lis les commentaires du billet précédent (Réflexion 2, Défendez votre territoire, ICI) et notamment celui de Bleu Horizon : "Pour ma part ce n est pas la medecine générale qui se voir définir son périmètre de compétence mais bien la medecine générale qui doit définir les situations qui nécessitent un recours aux spécialistes." Et de proposer le système suisse de formation (que je ne connais pas et qu'il nous définit dans un message suivant). m bronner nous parle d'une médecine générale centrée sur le patient et m (?) écrit ceci "Il ne s'agit pas d'exclure le spécialiste etc. Il s'agit de décrire ou définir une réelle spécialité qui n'est pas un entassement de vulgarisations de spécialités d'organes mais bien une autre spécialité; comme une synthèse et un équilibrage. En fait ce serait la définition d'un "état d'esprit"de médecine générale qui part tout simplement d'un autre point de vue, exemple du peu que je connais en tant que patiente et écoutante d'autres patientes", pr mangemanche écrit à propos des spécialités d'organes "Ce sont elles qui devraient être définies par une réduction, par une soustraction au concept de médecine." et il ajoute "Les généralistes doivent s'emparer de l'exercice médical dans son entier, des procédures usitées dans les spécialités. On reconnaît un bon spécialiste à sa faculté à s'intégrer dans la prise en charge médicale globale= générale du patient, c'est-à-dire la prise en compte de critères cliniques dans les décisions, la hiérarchisation des priorités de prise en charge, etc..Ca vaut aussi pour les MG bien sûr..!"
certes aussi et CMT écrit ceci :"On peut rêver à ce qu'aurait pu être une médecine enseignée, non pas seulement par des généralistes, mais d'un point de vue généraliste."
On en revient donc, inlassablement, à la formation initiale. Je retiens provisoirement deux choses : la médecine générale serait un état d'esprit et un point de vue. Et aussi : l'élargissement du champ des compétences du spécialiste d'organe (et je crois qu'il va falloir abandonner cette désignation que les dits spécialistes d'organes trouvent offensante) vers la médecine générale est l'avenir de la spécialité d'organe et non l'hyperspécialisation.
Illustrons par un exemple volontairement provocateur : un hyperspécialiste de la dilatation de l'interventrivulaire antérieure est-il encore un médecin ? Ce qui compte, pour les médecins qui lui adressent des patients, le plus souvent des cardiologues, c'est sa compétence technique : diagnostiquer, poser une indication, dilater. Sauf erreur de ma part, il ne "voit" pas le patient, il ne lui parle pas, il examine la coronographie et il monte une sonde et il juge des lésions à dilater. Il peut s'agir d'un radiologue ou d'un cardiologue qui, par ailleurs, peut être un homme (ou une femme) aimable, humaniste, empathique, tout ce que l'on veut. Mais il ne fait pas de la médecine générale, je dirais même plus, il n'est plus médecin. Il raisonne en technicien, pas seulement de la dilatation, en technicien cardiovasculaire, envisageant des indices, les fameux Facteurs de Risques, mais, le malade ?

Dans un certain nombre de cas, le médecin généraliste ne peut apporter, techniquement, tous les soins exigés, demandés, nécessaires ou souhaités par le patient. Mais aussi : intellectuellement (je ne parle pas seulement de la technique de l'entretien, mais de sa façon d'aborder un problème psychologique ou psychiatrique ou de ses compétences globales sur les priorités).

Certains médecins généralistes se demandent pourquoi je suis aussi critique à l'égard des médecins spécialistes qu'ils pratiquent régulièrement et dont ils semblent être globalement satisfaits.
D'autres sont étonnés que je puisse être aussi "laxiste" à leur égard.
D'autres, la majorité sont entre les deux : ils font comme moi : contre bonne fortune bon coeur et, parfois, ils sont attirés par les relations techniques et humaines qu'ils entretiennent avec certains spécialistes.
Ce que je reproche, finalement, aux spécialistes dits d'organes, c'est qu'ils ne fassent pas assez de médecine générale.

Mes non amis spécialistes d'organes me demandent parfois pourquoi je leur en veux tant. Eux-aussi, pensent-ils, placent le patient au centre de leurs préoccupations. Et je n'en doute pas.
Mes amis spécialistes d'organes savent intuitivement qu'ils n'exercent pas la médecine générale car ils connaissent ma pratique qui est très différente de la leur. Ils savent beaucoup de choses en dehors de leur spécialité mais ignorent parfois les interactions médecine milieu et surtout les véritables problématiques de prise en charge d'un patient qui a une famille, qui travaille, qui a des opinions sur tout. 

La question qui se pose désormais est celle-ci : la médecine générale est-elle seulement une discipline intellectuelle et manuelle ? Sans instruments ou presque. Ou alors : faut-il s'instrumentaliser avec le risque, non négligeable, d'être moins bon techniquement qu'un spécialiste d'organe ?

Nous avons vu lors de la Réflexion 2 (ICI) qu'il était nécessaire de défendre son territoire (celui de la médecine générale).
Défendre son territoire, est-ce pratiquer des ECG chez tous les patients "cardiovasculaires" de sa patientèle ?
Défendre son territoire, est-ce pratiquer des frottis chez toutes les femmes de sa patientèle ?
Défendre son territoire, est-ce pratiquer des EFR à tous les patients "pneumologiques" de sa patientèle ?
Défendre son territoire, est-ce se former à la dermoscopie, acheter un dermoscope et pratiquer des examens sur tous les patients à risques de sa patientèle (et les autres) ?

Nous sommes au coeur du débat.
Un bon médecin généraliste est-il celui qui en fait autant que le spécialiste ? Ou qui fait son boulot ? Ou qui tente de le faire ? Ou qui a la prétention de techniquement le faire aussi bien que lui ? Personnellement, je n'y crois pas.

Les 4 questions que je pose sont évidemment à interpréter en fonction du contexte : densité médicale, proximité de spécialistes et / ou d'institutions, rémunération des actes. Mais aussi : copinage et / ou intérêts financiers.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible de tout faire, ce serait inhumain et, en l'état actuel des choses, non rentable. Ce qui compte, me semble-t-il, c'est d'inscrire la démarche de prise en charge du patient dans le cadre de valeurs qui, dans l'idéal, seraient partagées par le spécialiste à qui l'on adresse le patient. Mais c'est rarement possible pour de multiples raisons : le nombre de spécialistes qui lisent Prescrire, qui lisent Cochrane ou qui consultent Minerva, par exemple, est étonnamment faible ; parce que ce n'est pas fait pour eux à l'origine. En réalité les articles de Prescrire, par exemple, sont faits pour être lus par des spécialistes dans les domaines où ils ne le sont pas. En revanche, et nous pourrons y revenir, les spécialistes peuvent trouver des imprécisions ou des erreurs dans des articles écrits par Prescrire dans le cadre de leur spécialité...

Prenons un seul exemple, celui des maladies chroniques. Il est des malades (et je remercie DB pour sa contribution involontaire) que seul un spécialiste peut gérer (en collaboration avec le médecin généraliste). Car la rareté de la maladie ou la rareté des difficultés que l'on rencontre dans une maladie fréquente, impose une connaissance à la fois quantitative et qualitative de ces problèmes.

Nous aborderons un problème crucial : le taux d'adressage aux spécialistes par le médecin généraliste.
Mais auparavant, intéressons nous à l'enseignement de la médecine générale : ICI.
A suivre.
(Video : crédit : Mayo Clinic).

dimanche 21 juillet 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 2 : Stand your ground (Défendez votre territoire).


Nous avançons lentement (le premier épisode et ses commentaires sont LA).
La médecine générale est l'objet d'hésitations multiples sur sa définition.
Les publicitaires et les marchands de désir diraient : son positionnement n'est pas clair. Quand un positionnement n'est pas clair pour un produit, la Médecine Générale serait-elle un produit ?, le produit se vend mal ou se vend à un prix bas. Rappelez-vous le slogan : "Minimir : mini prix mais il fait le maximum". Mais la comparaison est mauvaise : la médecine générale se vend bien et les consommateurs et les élus trouvent même que les rayons ne sont pas assez remplis, c'est l'idée du Désert Médical. Elle se vend bien mais souffre d'un manque de marge. En gros, les vendeurs de médecine Générale (c'est à dire les médecins généralistes eux-mêmes) aimeraient que le même produit, la consultation, vale plus cher, beaucoup plus cher. Mais cela ne se décrète pas car la consultation de médecine générale est remboursable : le marché est captif.
Révisons donc des définitions.
Voici ce que dit Wikipedia ICI : "La médecine générale (MG) est la branche de la médecine prenant en charge le suivi durable, le bien-être et les soins médicaux généraux d'une communauté, sans se limiter à des groupes de maladies relevant d'un organe, d'un âge, ou d'un sexe particulier."
La WONCA (World Family Doctors. Caring for patients) (LA) a besoin en 2002 de 46 pages plus les Annexes pour définir la Médecine générale et, en réalité, définit le médecin généraliste, ce qui n'est pas pareil. Trois définitions sont retenues que vous trouverez en notes (1, 2, 3). On comprend mieux que la médecine générale puisse être une auberge espagnole et on comprend mal comment autant de millions de personnes qui n'ont pas lu ces définitions consultent chaque année dans un cabinet de médecine générale, et, le plus souvent, plusieurs fois par années.
Le guide de DES (Diplôme d'Etudes Spéciales) de MG résume en une page différents aspects de la médecine générale : ICI. Le CNGE (LA) formalise 5 fonctions (sic) de la médecine générale :

-Le premier recours,
-La prise en charge globale,
-La coordination des soins, la synthèse 
-La continuité des soins, le suivi au long cours 
-La Santé publique : le dépistage, la prévention .

Et après ? 
Chacun peut voir midi à sa porte.

Ces définitions multiples et variées prennent en compte, mais de façon allusive, l'Evidence Based Medicine (EBM) en médecine générale et la théorie de l'OPE (organe patient environnement). Théories passionnantes et fondamentales que j'ai déjà développées longuement pour la première (ICI) et que j'ai laissé de côté pour la seconde. Mais ce n'est que partie remise.

Prenons des exemples montrant l'hétérogénéité de la médecine générale.
Un médecin généraliste qui "fait" des ECG (j'en connais qui les "font" et qui les font analyser par un cardiologue) pourrait considérer que celui qui ne les fait pas est un nul.
Un médecin généraliste qui fait les frottis a tendance à considérer que ceux qui ne les font pas sont de mauvais médecins généralistes.
Un médecin généraliste qui infiltre des épaules... et cetera...
Mais aussi : un médecin généraliste qui ne fait pas les frottis peut considérer que ce n'est pas son rôle en raison du rapport temps passsé rémunération.
Et la prescription de placebos : est-ce légitime ? Nous y reviendrons le jour où nous parlerons de l'homéopathie : est-ce une activité à part entière de médecine générale ?

Le récent procès de Zimmerman en Floride (voir LA) m'a appris qu'il existait dans cet Etat américain une Loi légitimant la légitime défense préventive et s'appelant Stand your ground (défendez votre territoire). Cette loi est d'une débilité inique : elle donne le pouvoir au porteur d'arme de pouvoir juger lui-même ce qu'est la légitime défense. Jusqu'à tirer selon sa propre conscience. Comparaison n'est pas raison mais voilà un des aspects méconnus de la médecine générale. Défendez votre territoire. Défendez votre territoire contre les spécialistes d'organes et contre les médecins généralistes qui se proclament spécialistes (mésothérapeutes exclusifs, ostéopathes, gériatres, et cetera) mais aussi contre la médecine institutionnelle d'Etat (médecins conseils) ou d'entreprises (médecins du travail).

Nous avions discuté longuement sur un forum médical de savoir si le médecin généraliste devait être ou non l'avocat de son patient. Le substantif avocat a mauvaise réputation. Mon avis a évolué en lisant les différents points de vue qui étaient volontiers opposés à ce point de vue. Je pense maintenant (mais cela peut changer) qu'à partir du moment où nous avons signé un contrat moral avec un patient nous devons être son avocat, c'est à dire lui donner les meilleures chances de s'en sortir, lui proposer les meilleures solutions mais lui dire aussi quand nos valeurs et nos préférences sont opposées aux siennes, pour des raisons scientifique et/ou morales, et quand nous ne pouvons le suivre.

Défendre son territoire c'est défendre le territoire du patient, c'est ne pas se débarrasser du patient en l'adressant à des spécialistes qui ont une logique autre que celle du patient, une logique d'organe dépassant l'individu malade, c'est s'impliquer, c'est lutter contre des décisions non dictées par l'Etat de l'Art mais par le profit ou l'industrie pharmaceutique. Cette attitude est exigeante : elle exige l'information (l'expérience externe de l'EBM) et la collaboration avec des collègues et des para médicaux pour connaître l'Etat de l'Art dans les différentes spécialités.
C'est éprouvant.


Notes
(1) La définition de Leeuwenhorst 1974 indique : « Le médecin généraliste est un diplômé en médecine qui fournit des soins primaires, personnalisés et continus, aux personnes, aux familles et à la population, indépendamment de l’âge, du sexe et de la maladie. C’est la synthèse de ces fonctions qui est unique. Il prend en charge ses patients au sein de son cabinet médical, à domicile, ou parfois même en clinique ou à l’hôpital. Il tente d’établir un diagnostic précoce. Il inclut et intègre des facteurs physiques, psychologiques et sociaux dans la gestion de la santé et des maladies. Cela se ressentira dans les soins fournis aux patients. Il prendra une décision initiale pour chaque problème qui se présentera à lui en tant que médecin. Il assurera la continuité des soins pour ses patients atteints d’affections chroniques, récurrentes ou terminales. Des contacts prolongés lui permettent de rassembler l’information selon un rythme adapté au patient, et de construire une relation basée sur la confiance, qui peut être utilisée à des fins professionnelles. Il pratiquera la médecine en collaboration avec d’autres collègues médicaux et non-médicaux. Il saura quand et comment intervenir pour traiter, prévenir, éduquer et promouvoir la santé de ses patients et de leurs familles. Il reconnaîtra sa responsabilité professionnelle envers la communauté. »
(2) La définition WONCA 1991 : « Le médecin généraliste/médecin de famille est responsable de fournir des soins complets à toute personne qui en fait la demande, et d’organiser l’accès aux services d’autres professionnels si nécessaire. Le médecin généraliste/médecin de famille accepte tous ceux qui cherchent à obtenir des soins, alors que d’autres fournisseurs de soins limitent l’accès à leurs services en fonction de l’âge, du sexe ou du diagnostic. Le médecin généraliste/médecin de famille prend en charge la personne dans le contexte de sa famille, la famille dans le contexte de sa communauté, indépendamment de la race, de la religion, de la culture, ou de la classe sociale. Il possède les compétences cliniques pour fournir la majorité des soins requis, prenant en compte les facteurs culturels, socio-économiques et psychologiques. En plus de cela, il assume personnellement la responsabilité de la continuité et de la globalité des soins à ses patients. Le médecin généraliste/médecin de famille exerce sa profession en fournissant des soins lui-même, ou au travers des services de tierces personnes, selon les besoins du patients et des ressources disponibles au sein de la communauté qu’il sert. »

(3) La définition Olesen 2000 : « Le médecin généraliste - médecin de famille est un spécialiste formé pour le travail de soins primaires d’un système de santé et formé à prendre les mesures initiales pour fournir des soins aux patients indépendamment du type de problème(s) de santé présenté(s). Le médecin généraliste - médecin de famille prend soin des personnes au sein d’une société, indépendamment du type de maladie ou d’autres caractéristiques personnelles ou sociales. Il organise les ressources disponibles du système de santé à l’avantage de ses patients. Le médecin généraliste parcourt avec des individus autonomes les domaines de la prévention, du diagnostic, des soins, de l’accompagnement et de la guérison, en utilisant et en intégrant les sciences biomédicales, la psychologie et la sociologie médicale. »

Pour la suite et la nécessité des spécialistes d'organes : LA

jeudi 18 juillet 2013

Dysfonctionnements de l'hôpital public, du parcours de soins, de la médecine du travail. Histoires de consultations 153,154, 155


Dysfonctionnement de l'hôpital public (153).
Mademoiselle A, 23 ans, consulte pour une diarrhée et le grand docteur du16 conclut qu'il s'agit d'une gastro-entérite.
Mademoiselle A a fait une FCS (fausse couche spontanée) à 27 semaines la dernière fois qu'elle était enceinte. Elle me demande, à l'occasion, si j'ai reçu le compte rendu de l'hôpital. Non, je n'ai rien reçu. Elle est colère. Elle me montre les résultats des anticorps anti je ne me rappelle pas.
Elle me demande de lui donner une autre adresse pour se faire suivre. J'ai cela dans mon carnet d'adresse mais il faut aller à Paris ou dans la région parisienne. Elle n'en a cure : elle ira.
Voici : il y a deux ans elle a fait une FCS (décollement placentaire). Elle a été suivie à l'hôpital de Z. J'ai reçu un courrier (succint) concernant son rapide passage à l'hôpital. Elle a donc refait une FCS il y a six mois.
Quand elle a été hospitalisée la dernière fois, le dossier papier et radiologique de sa précédente hospitalisation avait été perdu. Quand elle est revenue en consultation au décours de cette FCS, le médecin qui l'a reçue a ouvert un dossier informatique qui n'était pas le sien (même nom, même prénom mais pas la même date de naissance) et son précédent dossier informatique avait été "écrasé". Quand elle a demandé cependant qu'on lui rende les éléments, courriers, compte rendus, qui restaient pour aller ailleurs, on a refusé de les lui donner, elle devait écrire au directeur de l'hôpital et ce serait son bon vouloir que de lui fournir ou non. 

Dysfonctionnement du parcours de soins (154).
Madame B, 61 ans, revient me voir avec un courrier du cardiologue. 
Je vois un soir Madame B pour une suspicion de phlébite avec un doute sur un kyste poplité. Je l'adresse chez son angiologue qui peut la voir le soir même. Je reprends les documents rapportés par la patiente : l'échodoppler veineux ne retrouve pas de signes de thrombose mais un kyste poplité rompu et la patiente présente ce soir là une PA à 160 / 90. La phlébologue l'adresse à un cardiologue qui demande un holter de tension dont le compte rendu précise "...charge tensionnelle nocturne..." et conseille l'instauration d'un traitement anti hypertenseur (qu'il prescrit). Je reprends la PA de la patiente qui, dans mon cabinet, a toujours dans les 120 / 80 depuis des années (elle me dit que je ne lui fais pas d'effet), : la PA s'inscrit (comme disent les cardiologues) à 120 / 80. J'arrête l'ARA2.

Dysfonctionnement de la médecine du travail (155).
Madame C, 24 ans, "revient vers moi" comme on dit dans le discours administratif, après qu'elle a consulté le médecin du travail. Elle travaille comme secrétaire administrative dans une usine Seveso depuis quelques mois et elle s'inquiète car elle tousse, présente une rhinite et se demande, elle a un passé allergique, si les fumées et les émanations ne seraient pas en cause. Le médecin du travail ne la rassure pas en lui disant qu'il ne sait pas ce qui "sort" des cheminées car la direction ne veut pas lui en faire part. Il s'inquiète également des ouvriers qui travaillent à la déchetterie mais, a priori, il ne fait pas grand chose. En revanche il a conseillé à "ma" patiente de consulter un ostéopathe car elle se plaint de quelques lombalgies (que je dirais banales). 

La médecine fonctionne plein pot.
Qu'on se rassure, j'ai des trucs dans ma musette pour la médecine générale et pour l'hospitalisation privée.

(Illustration : Un monde sans pitié - Eric Rochant - 1989)

mardi 16 juillet 2013

Pour une refondation de la médecine (générale). Réflexion 1.


La médecine générale française en tant que spécialité est au point mort, c'est à dire que les publications sont rares et, le plus souvent, inintéressantes car descriptives et non réflexives sur un corpus qui n'est le plus souvent qu'un dégradé des publications universitaires.
Les autorités s'en moquent et privilégient deux aspects de la médecine éloignés du corpus : la médecine technique et la médecine préventive technique.
Les autorités s'en moquent car elles sont dominées en ce domaine par les experts non généralistes nommés par les autorités (cercle "vertueux" du pouvoir) dont le seul objectif est de garder ses privilèges, ses prébendes et ses titres honorifiques. Elles constatent donc que le nombre de médecins généralistes va diminuer dans les années prochaines. La seule incertitude est la date où les autorités vont s'en rendre compte et faire porter la responsabilité sur les médecins généralistes eux-mêmes.
Les médecins généralistes ont aussi l'air de s'en moquer, les débats portant sur les honoraires, ce qui n'est pas inintéressant, sur la façon de les gagner, encore moins inintéressant, mais quid des fondements théoriques ?
Je rappelle que la médecine générale est une institution sociétale, qu'elle peut disparaître en tant que tel si le contenu de ses interventions devient inutile pour les citoyens non malades et malades. Si la médecine générale peut être pratiquée par des non médecins généralistes, je ne dis pas en théorie mais en pratique dans l'esprit du public : elle est morte.

Refonder la médecine générale semble bien présomptueux.
Surtout si elle émane d'un seul médecin.

Tous les experts de la médecine générale poussent déjà des cris et s'arrêtent de lire.  
Les sociétés savantes de médecine générale ne s'interrogent pas sur le contenu de leur travail mais s'exaspèrent du fait qu'elles ne soient pas reconnues et qu'on ne leur donne pas les moyens de continuer à travailler.
La chapellisation du travail en médecine générale qu'on peut appeler par optimisme la diversité ne favorise pas les choses.

Il me semble que la définition d'un corpus est le préalable.
Tant que la médecine générale ne sera que la déclinaison topographique et non institutionnelle de la médecine académique,
tant que la médecine générale ne s'organisera pas elle-même en spécialité indépendante de la Faculté où n'existent ni les compétences ni les pratiques pour la constituer,
tant que la médecine générale sera inféodée à l'enseignement universitaire non généraliste lui-même inféodé aux pouvoirs publics et à l'industrie,
tant que les politiques publiques ne pourront se reposer sur une pratique théorisée et non fondée uniquement sur le consumériste santéal de la clientèle,
tant qu'une réflexion antérieure sur la place de la médecine générale dans la société ne sera pas menée et que la technicité sera mise en avant et ne pourra mener que dans une impasse,
tant que la Faculté sera liée aux intérêts de l'industrie pharmaceutique, aux marchands de matériel de diagnostic et de traitement, tant que les éléments de préparation au fameux ECN (Examen Classant national) seront influencés par des conférences de consensus d'émanation industrielle,
tant que les médecins généralistes continueront de se former et de se reformer avec l'aide de l'industrie...

C'est pourquoi je propose une Assemblée Constituante qui serait le prélude à un Congrès fondateur. Une Assemblée Constituante qui permettrait de dégager les thèmes de réflexion, de recherche, de praticité, concernant le corpus généraliste avec une réflexion épistémologique préalable, une réflexion sur les liens que la médecine générale peut ou doit entretenir avec les pouvoirs publics, l'industrie et la politique, liens et conflits d'intérêts, participation aux commissions, réunions, colloques qui définissent la politique de Santé Publique.

Cette Assemblée Constituante sera numérique et décentralisée. Comme le futur Congrès de médecine générale.
Je conçois que cette proposition puisse paraître incongrue puisque je n'appartiens à aucune formation académique ou associative ou syndicale mais il est temps, à l'aube de la disparition des médecins généralistes, que nous mourrions "guéris".
je ne fais pas preuve d'angélisme et ne pense pas que la majorité des médecins généralistes soit vertueuse, loin de là.
Mais c'et en analysant les faits les plus récents, les évolutions les plus importantes de ces dernières années qu'il est possible de se rendre compte que c'est une information non spécialiste (il existe parmi les spécialistes des francs-tireurs et des lanceurs d'alerte comme dans le cas du dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA, du dépistage du cancer du sein par mammographie) comme il existe des spécialistes qui ne "croient" pas à la vérité officielle mais, convenons-en, ce sont des médecins généralistes qui ont mené le combat contre les THS, contre les dits anti-Alzheimer, contre le PSA, contre la mammographie, contre le tamiflu, contre la vaccination généralisée contre la grippe, contre la supplémentation en fluor chez le nourrisson, contre les glitazones, et cetera...

Profitons de ces compétences et refondons notre spécialité.
Ce sont nos réflexions et nos publications qui nous feront avoir du poids dans l'enseignement universitaire, ce sont elles qui pourront faire que les cours de Faculté ne soient pas dominés par des patrons arrogants niant la Santé Publique, écrivant leurs cours sous la dictée de l'industrie, se cooptant pour participer aux conférences officielles de consensus où l'incompétence se dispute parfois à la concussion.

Ce n'est pas un manifeste.
C'est une prise de conscience désespérée de notre isolement.

A bientôt (voici la suite LA)

(Illustration : Les États généraux se réunissent le 5 mai 1789 à Versailles, dans la salle de l'hôtel des Menus Plaisirs.)