mercredi 16 mars 2011

COMMENT ETRE UNE BONNE MALADE : HISTOIRE DE CONSULTATION 72

Un enterrement à Ornans (1849-50). Gustave Courbet

Madame A est une "commerciale". Elle a 37 ans et elle va mal : "Je suis fatiguée, je ne dors pas, j'ai perdu ma grand-mère il y a sept jours et... j'ai fait mon deuil."
Là, je suis scotché à mon fauteuil. Madame A "a fait son deuil" en une semaine ! Et encore n'a-t-elle pas dit (ce n'était pas dans son argumentaire de malade parfaite qui connaît son vocabulaire de patiente qui regarde les psychiatres et psychologues "qui parlent à la télé") "J'ai fait mon travail de deuil."
J'aurais été sidéré.
Je me reprends. Je prends mon attitude, non feinte, d'écoute (je connais les recommandations sur la façon d'écouter un patient, un malade, un client, tout ce qu'on veut, ce qu'il faut éviter, les mains croisées sous le menton, et tout le toutim freudopsychologique qui fait que le monde est monde... mais surtout : faire confiance, reconnaître, aider à identifier les ressentis profonds...) : cette femme souffre du décès de sa grand-mère.
Elle ne demande rien : "Surtout, docteur, ne me prescrivez pas de trucs pour dormir, je n'aime pas toutes ces saletés, on s'y habitue, pas d'antidépresseurs, j'ai vu une émission à la télé, c'est incroyable ce que les gens..., faut pas que je m'arrête longtemps, c'est pas bon... c'est quand même mieux de travailler que de tourner en rond... " Madame A me rassure et elle m'indique ce qu'elle a compris être ce qu'il faut faire dans le cas d'un deuil. Ce que la patiente doit faire (mais être en deuil, ce n'est pas une maladie, n'a-t-elle pas ajouté) et ce que le médecin ne doit pas faire en présence d'une telle malade : dramatiser, médicaliser, prescrire... Je bois du petit lait : Madame A me rend intelligent sans que je ne fasse aucun effort. Je suis dans les clous de la bien-pensance généralisée (enfin, celle que j'ai entendue récemment, on n'est jamais certain de rien, on peut toujours avoir plus bien pensant que soi, et, surtout, la bien pensance est une notion mouvante qui se déplace à la vitesse de l'éclair, une bien pensance remplaçant l'autre dans le Tribunal Intérieur de nos âmes) et la patiente m'y a conduit sans que je ne fasse rien de spécial.
Ecouter, ne pas prescrire de façon intempestive, ne pas faire preuve de sympathie, ne pas prendre parti... Ne pas trop prescrire d'arrêts de travail.
Je peux donc me concentrer, puisque cette patiente est finalement venue pour me dire sa souffrance, pour m'expliquer qu'elle ne veut pas de médicaments, qu'elle va s'en sortir comme une grande, qu'elle a fait son deuil toute seule en pleine autonomie, sur le rien faire, sur l'appropriation par la patiente de son propre cas dans le contexte actuel du deuil, me concentrer, dis-je, sur cette pressante interrogation : Ne suis-je pas en train de me fourvoyer ? Cette patiente n'est-elle pas en train de me raconter une légende ? Cette commerciale de 37 ans ne se construit-elle pas toute seule une personnalité qu'elle n'a pas ? Ne se réfugie-t-elle pas dans une carapace qu'elle s'est inventée et qui est aussi résistante qu'une feuille de papier ?
Madame A m'a raconté ce qu'elle voulait entendre. Madame A m'a raconté ce qui lui semblait être ce que je voulais entendre. Qu'en sait-elle, après tout ? Que sait-elle d'elle-même ? Que sait-elle de moi ? Nous sommes, au cours de cette consultation matinale, dans le malentendu le plus complet.
Je la connais. Je sais comment elle réagit d'habitude. Je lui fais confiance pour "prendre sur elle". Ce n'est pas la première fois qu'elle consulte dans des situations de deuil, de séparation ou de chagrin. Mais ne serait-ce pas aujourd'hui le Big One ? ne va-t-elle pas, après le discours auto-moralisateur qu'elle m'a tenu, pour m'amadouer, pour m'anesthésier, se suicider dans l'heure qui vient ?
Je suis donc, tandis que je rédige un arrêt de travail de trois jours, préoccupé par ces considérations, interrompu par le discours de la patiente, qui ne cessait de s'exprimer, mais qui change de ton : elle se met à m'interroger sur la souffrance des Japonais qui s'étale à la télévision... Je sursaute.
Et, au lieu de m'apitoyer encore sur le sort de Madame A qui ne s'apitoie pas sur elle mais sur des inconnus qui sont devenus proches par la grâce diabolique de la mondialisation des media, je me mets à penser, tout en lui répondant de façon mesurée (et là je fais ce qu'elle a fait tout à l'heure, je mets ma langue dans celle de la bien pensance tsunamico-nucléaire qui me semble être celle de la patiente), à tout ce que racontent les experts sur un sujet que je connais mal et je retrouve les Bricaire, Manuguerra, Floret, Flahault, dans toute leur splendeur grippale. On me dit que les Français sont en train de chercher des pastilles d'iode et de remplir leurs armoires de sucre.
Madame A sort, les yeux mouillés par la tragédie japonaise, avec de bonnes paroles et trois jours d'arrêt de travail.

PS - Les expressions "Faire son deuil" ou "Effectuer son Travail de deuil" font partie des mots plastiques dénoncés par Illich. Ces mots ou expressions dont le signifiant est implicite et le signifié incertain. Nous y reviendrons une autre fois.






mardi 15 mars 2011

REVUE DE BLOGS


Quand je lis un article que j'aimerais avoir écrit ou, mieux, dont je sais que je n'aurais pu l'écrire pour des raisons de compétence, de style ou d'inspiration, je pense qu'il est important de le faire partager. Même et surtout si je ne suis pas d'accord sur tout. C'est la vie.

Voici d'abord un article publié sur le site de Borée (ICI).

L’examen « à l’anglaise » – et autres mises au point gynécologiques

Je vous avais déjà raconté la première fois que j’avais fait un examen gynécologique en « position anglaise » (ou en « décubitus latéral ») en m’étant inspiré de ce qu’avait ditMartin Wincklerdans Le Choeur des Femmes.

Je vous avais dit aussi que j’avais fini par me remettre à la position classique après quelques essais un peu lamentables.

Mais, comme annoncé, je suis allé passer une journée auprès d’un ami gynécologue qui, depuis qu’il a lui aussi lu ce livre, ne travaille pratiquement plus que de cette manière.

Merci à lui de m’avoir accueilli à ses côtés, et à ses patientes d’avoir accepté ma présence.

En fait, c’est super facile !

Je me suis donc décidé à faire le billet que j’aurais aimé trouver après avoir refermé Le Choeur des Femmes.

Plus précisément, ce billet a pour objet d’aborder trois choses différentes mais qui se rejoignent :

l’examen gynécologique en décubitus latéral

-

la pose de DIU selon la technique « directe »

-

l’utilisation (ou non) d’une pince de Pozzi.


***

L’examen gynécologique

en décubitus latéral

(« à l’anglaise »)

En réalité, la position que je vais décrire n’est pas exactement celle qu’évoque Martin Winckler.

Et pour la suite vous cliquez LA.




Voici un article publié sur le site Pharmacritique (Elena Pasca) ICI

13.03.2011

HAS : Présidence de l’UMP Jean-Luc Harousseau, qui a perçu 205 482 euros des laboratoires depuis 2008…

Sur le site de la HAS on apprend les nouvelles nominations faites par Nicolas Sarkozy au mois de janvier, pour faire semblant de changer le jean luc harousseau HAS.jpgsystème d’évaluation du médicament après le désastre du Médiator :

« Le Pr Jean-Luc Harousseau a été nommé président du Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) par le Président de la République fin janvier. Ce dernier a également procédé à la nomination d’Alain Cordier et du Dr Jean-François Thébaut en tant que membres du Collège et a renouvelé le mandat du Dr Cédric Grouchka. Ces quatre personnalités complètent, avec Jean-Paul Guérin, président de la Commission certification des établissements de santé et les Prs Gilles Bouvenot, président de la Commission de la transparence, Jean-Michel Dubernard, président de la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé et Lise Rochaix, présidente de la Commission évaluation économique et de santé publique, le Collège de la HAS. »

« [A]lors que le paysage sanitaire connaît des mutations importantes », selon la HAS, on ne constate aucune mutation dans ces changements : plus ça change, plus c’est la même chose… Le Pr Jean-Luc Harousseau, hématologue, ancien président UMP du conseil régional des Pays de la Loire (photo du site HAS), inaugure sa présidence par des discours de langue de bois - et par un mensonge : dans sa déclaration d’intérêts du 31 janvier 2011, il dit n’avoir rien à déclarer, aucun lien.

Or le 21 février, il adresse un courrier à Muguette Dini, la présidente de la Commission des affaires sociales au Sénat, et un autre à Pierre Méhaignerie, président de la même Commission à l'Assemblée nationale, dans lesquels il affirme avoir tardé à répondre à la demande que les deux élus avaient formulé lors de son audition le 19 janvier parce que « le recueil des données a été plus long que prévu ». Il détaille « les liens d’intérêts » qu’il a « entretenu pendant les trois ans avant [s]a nomination » et affirme avoir cessé tout cela dès qu’il est devenu président de la HAS. Comme si on pouvait, d’un coup de baguette magique effacer ces liens financiers mais aussi personnels, les sommes d’argent et tous les privilèges…

Et pour la suite, c'est ICI


Voici donc deux posts très intéressants. Le premier, parce qu'il s'agit, sans nul doute, d'une véritable publication de médecine générale, le second, parce qu'il met fin aux rêves de pureté d'une HAS sans influences.

BONNE LECTURE

dimanche 13 mars 2011

LES MEDECINS GENERALISTES NE SONT PAS AU CENTRE DES PRESCRIPTIONS DES BLOCKBUSTERS


Je reprends sur le site Pharmactua, un site dont les informations sont rédigées à l'attention des cadres de l'industrie pharmaceutique, le palmarès des dix produits / molécules qui ont fait le plus gros chiffre d'affaire en 2010 (ICI).
On y voit que nombre de ces molécules sont des molécules hospitalières ou prescrites initialement par des spécialistes hospitaliers et extra hospitaliers. Pas toutes, bien entendu. Et parmi celles qui sont de prescription généraliste en France, combien sont considérées comme acceptables par la Revue Prescrire ? Je vous laisse répondre.
  1. Atorvastatine (Tahor) (Pfizer US ; Astellas Japon) (hypercholestérolémie) : 10,7 Milliards de $ (- 8%)
  2. Clopidogrel (Plavix) (Sanofi et Squibb US) (anti agrégant plaquettaire) : 9,3 Md $ (- 2,9%)
  3. Infliximab (Remicade) (Johnson Johnson, Merck and co) (maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde, psoriasis) : 7,3 Md $
  4. Bevacizumab (Avastin) (Roche) (cancer colorectal métastatique) : 6,98 Md $
  5. Fluticasone / salmeterol (Advair Seretide) (GSK) (asthme) : 6,97 Md $
  6. Rituximab (Mabthera) (Roche / Genetech) (antinéoplasique polyarthrite rhumatoïde) : 6,78 Md $ (+ 8%)
  7. Adalimumab (Humira) (Abbott) (polyarthrite rhumatoïde) : 6,5 Md $ (+ 19%)
  8. Etanercept (Enbrel) (Pfizer / Amgen) (polyartrhite rhumatoïde psoriasis) : 6,48 Md $
  9. Valsartan et valsartan / hydrochlorothiazide (Tareg / Cotareg) (Novartis) (HTA) : 6 Md $
  10. Rosuvastatine (Crestor) (Astra Zeneca) (hypercholestérolémie) : 5,6 Md $ (+ 26%)
Longue vie aux commentateurs critiques et aux défenseurs de la médecine générale !

Si vous croyez que le combat est perdu...

Qui a dit que Big Pharma ne produisait pas de belles molécules ?

vendredi 11 mars 2011

LES ASSISES DU MEDICAMENT : UNE VASTE BERTRANDERIE

Henri à Canossa

Notre ami Xavier Bertrand est un fin politique : pour cacher ses responsabilités, pour épargner l'administration, pour ne pas faire trop déplaisir à l'Industrie du médicament (alias Big Pharma) et pour faire illusion devant le bon peuple, il a organisé les Assises du Médicament.
Ce machin est une entreprise d'enfumage afin qu'au bout du compte Xavier Bertrand ne perde pas son poste, qu'Antoine Flahault soit toujours directeur de l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique de Rennes (LA), que Robert Cohen puisse toujours dire la vérité sur les vaccins en publiant Infovac, que l'AFSSAPS fasse semblant d'avoir une quelconque importance, que Françoise Weber continue de publier des rapports bidons sous le sigle de l'InVS, que Roselyne Bachelot continue de couler des jours heureux dans les ministères et que Sanofi-Aventis puisse faire la pluie et le beau temps sur le marché pharmaceutique français... Je suis désolé, j'en ai oublié plein, qu'ils me pardonnent, leur tour est déjà venu ou viendra, ils sont toujours là, cachés derrière leur ombre ou derrière leurs certitudes, mais INAMOVIBLES.
Ces gens là ne connaissent pas l'usure du pouvoir.
Mais ils ne sont pas élus (à part Xavier Bertrand). Ils sont nommés et, bien entendu, es qualités.

Les Assises du médicament sont nées de l'affaire Mediator.

Les Assises du médicament sont faites pour remettre de l'ordre dans l'organisation de la Santé Publique, de la commercialisation des médicaments depuis le début des essais de phase II jusqu'à l'AMM en passant par la fixation du prix remboursé et en passant par la surveillance après commercialisation.

Et Xavier desogestrel Bertrand (voir un post précédent) est un expert dans l'organisation de l'agitation moléculaire et de la mécanique quantique aboutissant au néant originel et à l'absence de décisions.

Seule Sainte Irène Frachon croyait encore à Xavier Bertrand. Il m'étonnerait qu'elle y crût encore. Et je rappelle ici à ceux qui l'auraient oublié que la sainteté d'Irène (non, ce n'est pas un film d'Alain Cavalier ni même un livre d'Aragon) a été décrétée en haut lieu et qu'il n'est pas possible de penser le contraire sous peine de crime contre l'autorité révélée. C'est bien la première fois que Cassandre est béatifiée.

Quoi qu'il en soit, l'organisation des Assises du Médicament est une affaire médiatique sans média puisqu'il n'est pas possible de filmer ou d'enregistrer les débats sous peine de poursuites.
L'organisation des Assises du Médicament, censée lutter contre l'opacité, ne considère pas que les liens d'intérêt (ne parlons pas des conflits) soient investigables mais seulement déclarables.
Les Assises du Médicament, censées faire le point sur les dysfonctionnements du système, réunissent les anciens participants du système qui viendront jurer de leur bonne foi, qu'on ne les y reprendra plus et qu'ils seront honnêtes et respectueux par la grâce de la Providence.
Ah, il y a bien des strapontins. Des strapontins occupés, par exemple, par La Revue Prescrire, par l'Association Formindep ou par le site francophone le plus consulté, je veux dire Atoute.org de Dominique Dupagne.
La Revue Prescrire vient de publier un document en forme de plaidoyer justifiant sa participation à ces Assises : ICI. Ce plaidoyer comprend deux volets : d'abord (on se demande bien pourquoi) un programme de 57 propositions pour, je cite, "redresser le cap de la politique du médicament" ; ce catalogue est d'un grand idéalisme et ressemble en bien des points à un programme politique d'une formation qui n'arrivera jamais au pouvoir. Ces propositions font semblant de croire que la France n'appartient pas à l'Europe, que les décisions ne se prennent pas à Saint-Denis mais à Londres, que la chasse aux conflits d'intérêt pourrait très bien être cruelle pour la Revue elle-même ; ce sont donc 57 propositions sur lesquelles nous reviendrons en détail dans un autre post... Ensuite une justification en 7 points des raisons pour lesquelles La (prestigieuse) Revue Prescrire a accepté de manger avec les diables. Le point 6 est intéressant ( Prescrire a demandé que les Assises du médicament se déroulent en toute transparence devant l’ensemble de la société (par enregistrement vidéo). Demande restée vaine jusqu’à présent. ) car il est en contradiction complète avec le point 4 (Prescrire contribuera aux travaux des Assises tant que les conditions de sa participation lui permettront d’être utile pour l’accès de tous à des soins de qualité. )
Le Formindep a accepté lui-aussi de participer à ces Assises (allez voir son site, il a changé -- en mieux : ICI) et a dû, pour ce faire, lever des fonds (9600 euro), ce qui montre que l'indépendance a un prix.
Enfin, Dominique Dupagne y est allé une fois, a exprimé son désaccord sur les méthodes (ICI) et a annoncé sur France Inter, dans une intervention où il n'a pas mâché ses mots, qu'il n'y retournerait plus (ICI).

Il ne sert à rien d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.

Les Assises du Médicament sont mal parties.

Mais n'oublions pas quand même que la Santé Publique a encore un atout dans sa manche : le futur rapport des professeurs Bernard Debré et Philippe Even ! Nous nous en léchons les babines d'avance : ils ne manqueront pas d'être sanglants.

mardi 8 mars 2011

XAVIER BERTRAND : UN VISITEUR MEDICAL QUI NE LIT TOUJOURS PAS PRESCRIRE


Xavier Bertrand est un homme politique français qui a promis de mettre de l'ordre à l'Afssaps après le scandale du Mediator. Cet homme intègre a même décidé de s'abonner à Prescrire (enfin, aux frais de la République). Et ce matin, notre Joseph Prudhomme, notre Saint-Jean Bouche d'Or, notre arbitre des élégances scientifiques, répondait aux questions de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1. Interrogé sur le problème de l'IVG chez les adolescentes, il a récité son argumentaire et il nous a affirmé avec une conviction expertale digne de Roselyne Bachelot défendant la vaccination dans les gymnases que la raison principale de la non diminution des IVG était le non remboursement des pilules de troisième génération, qu'il a appelées "minidosées" (sic), et qu'il s'agissait, ce non remboursement, d'un problème de Santé Publique ! Si vous êtes incrédules vous pouvez écouter ceci ICI entre 7 minutes et 3 secondes et 8 minutes et 29 secondes. Il est vrai que la question avait été amenée par le journaliste dont personne n'ignore qu'il est un spécialiste de la brosse à reluire.

De ces propos "scientifiques" nous retiendrons :
  1. Que les experts de la contraception sont tout aussi sponsorisés que l'étaient les experts de la grippe
  2. Que les collaborateurs de Xavier Bertrand ne lisent toujours pas Prescrire.
Pour ceux qui veulent des avis éclairés sur la question, ils peuvent :
  1. S'abonner à Prescrire
  2. Lire plus modestement ce que j'écrivais sur les pilules non remboursées sur ce blog et de l'inintérêt du desogestrel : LA.
Comment faire confiance à un pareil gogo ?
Comment faire confiance à un visiteur médical qui parle de Santé Publique ?
Qui va réagir au niveau professionnel ?

PS - Je rajoute ceci le 13 mars 2011 (grâce à Jean Lamarche) : Xavier Bertrand, selon un document que je ne peux vous joindre pour des raisons d'abonnement et de confidentialité (APM international), a décidé (c'est lui qui décide de l'Agenda des Assises du Médicament ?) que la question du remboursement des pilules dites de troisième génération (c'est moi qui commente) sera mis à l'ordre du jour de ces Assises. Sidérant ! Voir le sujet des Assises du Médicament dans un autre post : ICI.

lundi 7 mars 2011

MEDECINE PAR LES PREUVES RETROSPECTIVE : LE CAS DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE AIGUE

La saignée et le clystère

L'OAP (oedème aigu pulmonaire) n'est plus un sujet de médecine générale mais il l'a été. Lorsque je prenais des gardes en médecine générale, à la toute fin des années soixante-dix, il m'arrivait deux ou trois fois par mois d'avoir affaire avec un OAP. J'avais un patient qui commençait la saignée avant même que le médecin de garde n'arrive.
L'insuffisance cardiaque aiguë n'est plus non plus un sujet de médecine générale car nous faisons hospitaliser les patients ; du moins dans mon coin où mon cabinet est situé à cinq minutes en voiture de l'hôpital.
Pourquoi je vous dis cela ?
Pour deux raisons : la première parce que, sur le forum Prescrire (ICI), forum des abonnés de la Revue Prescrire, et je vous invite, si vous êtes abonnés, à vous y inscrire et à y aller faire un tour, Olivier Rozand se fera un plaisir de vous y accueillir, parce que, d'une part, c'est agréable pour les anciens forumistes de découvrir de nouveaux membres qui ne pensent pas comme vous et qui n'ont pas été formatés (j'en doute un peu) par le forum, et, d'autre part, c'est probablement agréable pour de nouveaux membres de découvrir de fortes personnalités à la tête parfois très dure qui racontent la même chose depuis des années... Où en étions-nous ? Ah oui, nous avions parlé de la saignée... la deuxième, parce que j'ai lu un commentaire de Richard Lehman (un blogger ou un blogueur qui publie sur le site du BMJ, ICI), sur un article du NEJM (LA) que je vais vous commenter.
Bon, tout le monde sait (enfin, c'est une façon de parler), que la prescription de furosemide intraveineux est le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë.
Personne dans la salle pour se lever et dire le contraire.
Eh bien, mes chers amis, il se trouve qu'avant cette étude parue, comme on dit, dans le prestigieux New England Journal of Medicine, il n'y avait pas de données randomisées concernant l'efficacité comparée du furosemide, en bolus, en perfusion continue, à faible et à haute dose.
Le "prestigieux" et prétendument indépendant (je me méfie avant de dire des trucs pareils) National Heart, Lung and Blood Institute l'a fait sur 308 patients !
Et les résultats sont les suivants :
Among patients with acute decompensated heart failure, there were no significant differences in patients' global assessment of symptoms or in the change in renal function when diuretic therapy was administered by bolus as compared with continuous infusion or at a high dose as compared with a low dose.
Pourquoi l'EBM alias la Médecine par les Preuves ou la Médecine Factuelle se décarcasse-t-elle à enfoncer des portes ouvertes ? Le NHLBI aurait mieux fait de ne rien faire et nous serions restés dans la glorieuse incertitude de la médecine et les tenants de l'EBM auraient chichité sur la façon de faire des empiriques et les empiriques se posant peu de questions auraient continué de faire comme ils avaient fait avant et ils auraient eu raison.
Voilà donc de l'EBM rétrospective.

Cela ne veut pas dire que je critique l'EBM. Mais, parfois, il faut rigoler un peu.
Pour plus de références sur l'EBM, c'est ICI.

PS (je rajoute cela plusieurs jours après car le sujet n'était pas aussi futile que cela) : Il ne faut quand même pas oublier que le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë par le furosémide est dramatiquement peu efficace : dans cet essai 42 % (130 / 308) des patients sont morts dans les 60 jours suivant leur hospitalisation ou leur passage aux urgences... Ne serait-il pas temps de développer et de tester d'autres traitements ?

jeudi 3 mars 2011

UN ENFANT SPIDE : HISTOIRE DE CONSULTATION 71

Mozart enfant (et spide ?)

Madame A est fière de son enfant Z, deux ans et demi, parce qu'il est spide. "Les enfants de maintenant", comme elle dit, "Qu'est-ce qu'ils sont spides !", "On n'était pas comme ça, avant..." Ils en sont émerveillés (car son mari qui n'est pas là aujourd'hui est dans le même métal).
Le spide en question (eh oui, c'est un garçon) tousse et a de la fièvre. Il ne tient pas en place. Mais, bon, j'arrive à lui écouter les poumons, à regarder ses tympans, à voir son pharynx et à vérifier le reste (la bonne médecine générale).
Il y a un espace jeux dans la pièce d'examen et, bien entendu, les jouets ne l'intéressent pas, il est préoccupé par l'otoscope, les stéthoscopes, le thermomètre. Il met ses doigts partout. La maman ne dit rien.
Je tape l'ordonnance, il se met à lécher la membrane d'un des stéthoscopes, et je me permets une petite remarque sur la propreté de la dite membrane. La maman est indignée : Cela pourrait quand même être propre !
Le spide continue son exploration systématique des endroits interdits sous l'oeil attendri de sa génitrice ravie d'avoir d'un enfant spide. "C'est quand même mieux que s'il était mollasson."
Je me lève et lui dis qu'il est actuellement dans un cabinet médical et que dans un cabinet médical il y a des objets d'adultes, des objets de travail, des objets dangereux, des objets qu'il ne faut pas toucher, qu'il ne faut pas casser car ils sont chers et qu'il peut, en revanche, jouer avec les jouets, s'asseoir sur le fauteuil enfant pour jouer, faire un puzzle, dessiner ou lire un livre.
Je me rassois et feuillette le carnet de santé.
L'otoscope se casse la figure.
Je regarde la mère. Elle sourit.
Je me lève. L'otoscope n'a rien.
"Je t'avais dit de ne pas toucher aux instruments et tu l'as fait. Tu vas venir t'asseoir à côté de ta maman et ne plus bouger. - Non !" Madame A ne m'est d'aucune aide. Elle regarde ailleurs. Je prends la main de l'enfant et l'emmène près de moi. "Z, je t'ai dit quelque chose et tu ne m'as pas écouté. Qu'est-ce que je dois faire ?" Il s'échappe comme un spide et se précipite à nouveau vers les instruments.
Je regarde Madame A : "On fait quoi ? Vous savez combien coûte un otoscope ?"
Elle s'en moque. Son fils est spide. Un point c'est tout. C'est une qualité et il y a des défauts. Mais les qualités l'emportent.
J'interroge le gamin spide et lui demande de quelle couleur est le stéthoscope rouge, de quelle couleur est l'otoscope bleu, de quelle couleur est le brassard vert du tensiomètre et ad libitum. Au bout du compte, à trente-deux mois, spidergarçon ne connaît que trois couleurs. La maman me dit qu'elle n'a jamais pensé à lui en parler. "Il fera cela à l'école."
Spidergarçon recommence ses activités automatiques d'enfant spide qui fait la joie de sa maman. Je lui dis ceci : "La prochaine fois que tu viendras ici, il faudra que tu respectes les règles que j'ai fixées. Tu es dans un cabinet médical. Tu es un enfant. Dans un cabinet médical il y a des choses qui sont autorisées et d'autres qui sont interdites, en particulier de toucher aux outils du médecin. Même maman n'a pas le droit de toucher à mes affaires. Comprends-tu ?" Il hoche la tête d'un air insolent. "Et la prochaine fois il faut que tu connaisses au moins six couleurs. Tu verras cela avec papa et maman." Il se met à courir comme un fou dans le cabinet et la mère ne dit rien. Je dis ceci à Madame A : "Si vous ne dites rien, il ne vous obéira jamais. - Mais il est petit. Et, de toute façon, je n'y arrive pas. Il est trop spide, vous comprenez... Son père le frappe et cela ne sert à rien. - Il le frappe ? - Enfin, il lui met des fessées etcela ne change rien."
Le docteur du 16 commence à se demander ce qui a bien pu lui prendre en intervenant. Le petit Z ne va-t-il pas se prendre encore plus de fessées, voire plus, tout en continuant à faire ce qu'il veut ?
"Madame A (et je dis cela pendant que le gamin continue, en nous regardant et en nous écoutant, à provoquer et à "faire des bêtises"), comprenez au moins une autre chose : les parents sont les parents et les enfants sont les enfants. C'est vous la chef quand vous venez à mon cabinet. Ce n'est pas lui. Vous êtes la mère et il est l'enfant. Ce sont deux rôles différents. Il y a des choses qui sont décidées par les parents et que les parents se doivent d'imposer (je ne parle ni de manipulation ni de maïeutique à cette femme désemparée) et des choses discutables entre les parents et les enfants. - Oui, mais (éclate-t-elle), il nous fait des crises. Donc, je n'ose pas. Je finis par laisser faire... J'ai trop peur..."

J'arrête là cette lourde démonstration pour faire deux ou trois remarques :
  1. L'enfant spide est un mythe moderne qui permet d'une part de gommer le qualificatif turbulent (qui sous tend une responsabilité parentale), d'autre part de refouler la part mâle de l'élevage des enfants (qu'il faudrait, après de longs traités faisant l'objet de thèses en Sorbonne, analyser selon plusieurs plans, anthropologiques, sociologiques, psychanalytiques et... médicaux, et autres), enfin de préparer le lit médicalisé qui s'appelle le syndrome d'hyperactivité de l'enfant, construction pour le coup socio-médicale qui autorise la prescription de ritaline...
  2. L'enfant qui fait peur à ses parents est aussi une donnée "lourde" de la sociologie contemporaine. L'enfant désiré (dont témoigne la "transition démographique" des sociétés développées, le niveau de la contraception, le nombre d'IVG et le niveau d'éducation des parents, ...) en est l'origine et la suite provient de l'écart perçu entre désiré et désirable par les parents et la crainte de ces dits parents de ne pas se conformer au modèle libéral de l'enfant comme au centre de l'éducation et non comme être de société...
  3. La perpétuation du distinguo garçon / fille que la morale réprouve désormais d'un point de vue de la différence des genres revient par la fenêtre avec cette notion de spidéité mâle. Il y a encore quelques "garçons manqués" mais elles sont, elles-aussi, par mégarde, spidéifiées. Là aussi il faudrait dire un mot sur les origines de ce distinguo : anthropologique, culturel, sociologique ?...
  4. La spidéité est une qualité chez l'enfant préscolaire et devient un défaut lors de la "socialisation" qui autorise toutes les dérives.
Comme cette histoire de consultation est immédiate, je n'ai pas choisi, je pourrais développer d'autres caractéristiques tournant autour de ces enfants spides dans un autre post. Car les exemples ne manquent pas.
J'y reviendrai un jour quand je parlerai du syndrome d'hyperactivité dans le cadre de la stratégie de Knock / disease mongering (ICI).