jeudi 30 décembre 2010

TRAMADOL : UNE MOLECULE QUI FAIT PEUR A LA FDA

RECTIFICATIF EN FORME D'AVERTISSEMENT
A la suite d'un récent post en date du 27 décembre 2010 où j'affirmais que le tramadol me faisait peur (ici) je me rends compte que la FDA, en date du 25 mai 2010 avait déjà mis en ligne un communiqué (ici) que je vous reproduis in extenso :

[Posted 05/25/2010] Ortho-McNeil-Janssen and FDA notified healthcare professionals of changes to the Warnings section of the prescribing information for tramadol, a centrally acting synthetic opioid analgesic indicated for the management of moderate to moderately severe chronic pain. The strengthened Warnings information emphasizes the risk of suicide for patients who are addiction-prone, taking tranquilizers or antidepressant drugs and also warns of the risk of overdosage. Tramadol-related deaths have occurred in patients with previous histories of emotional disturbances or suicidal ideation or attempts, as well as histories of misuse of tranquilizers, alcohol, and other CNS-active drugs. Tramadol may be expected to have additive effects when used in conjunction with alcohol, other opioids or illicit drugs that cause central nervous system depression. Serious potential consequences of overdosage with tramadol are central nervous system depression, respiratory depression and death. Tramadol has mu-opioid agonist activity, can be abused and may be subject to criminal diversion.

[April 2010 - Dear Healthcare Professional Letter: Ultram - Ortho-McNeil-Janssen]
[April 2010 -
Dear Healthcare Professional Letter: Ultracet - Ortho-McNeil-Janssen]

et que je vous traduis en diagonale : l'avertissement "...souligne le risque de suicide chez les patients prédisposés aux toxicomanies, prenant des tranquillisants ou des antidépresseurs et également informe sur le risque de surdosage. Les morts liées à la prise de tramadol sont survenues chez des patients ayant des antécédents de troubles émotifs ou de tentatives ou d'idées de suicides, tout autant que des antécédents de mésusage des tranquillisants, de l'alcool et d'autres psychotropes. Le tramadol est soupçonné d'avoir des des effets additifs quand il est utilisé en association avec l'alcool, d'autres opioïdes ou des produits illicites qui causent des dépressions du système nerveux central. Les effets potentiels sérieux d'un surdosage par le tramadol sont des dépressions du système nerveux central, des dépressions respiratoires et des décès. Le tramadol a une activité mu-opioïde agoniste, peut être détourné de son usage pour des raisons criminelles."

Ainsi vous avais-je mal informé puisque je n'avais pas vu ce communiqué de la FDA qui annonce de bien beaux jours à la pharmacovigilance française.

mercredi 29 décembre 2010

LE PROFESSEUR PHILIPPE EVEN NE MANQUE PAS DE CULOT !

Saint Paul sur le Chemin de Damas (Gustave Doré)

Hier, dans l'émission C dans l'air que vous pouvez voir ou revoir ici, le professeur Philippe Even s'est montré d'une étrange virulence, s'est dévoilé comme le champion de la vérité, s'est révélé le champion de la transparence, s'est présenté comme le redresseur de torts, s'est élevé au rang de pourfendeur des copains et des coquins...
Quelle mouche l'a donc piqué sinon de se mettre en avant, sinon de faire le malin, sinon d'être le nouveau chevalier blanc d'une cause qu'il aurait ignorée toute sa vie ? Il a aussi dit quelques âneries (il n'a pas eu le temps de relire ses fiches), nous y reviendrons peut-être si nous en avons le temps... Mais il en a dit tellement auparavant...
On remarque d'abord que son discours, d'abord prudent il y a quelques semaines, y compris dans la même émission, s'est "gauchi", comme si, lassé de l'anonymat de la retraite dorée d'un ponte de l'Université française, il avait envie, au soir de sa vie, de briller à nouveau sous les sunlights et de reprendre la casquette du "grand" chercheur qu'il ne fut pas.
Monsieur le professeur Even feint d'oublier deux ou trois choses : il fut un mandarin de la pire espèce et les témoignages concordent pour dire combien il était autoritaire, cassant et incontrôlable quand il était chef de service ; il fut un membre éminent de l'Agence du médicament (l'ancêtre de l'Afssaps) et jamais il ne rua dans les brancards sinon pour étaler son mauvais caractère ; il toucha l'argent de Big Pharma pendant des années sans qu'il ne levât un sourcil ; il prescrivit du kenacort à tire-larigot alors que les justifications scientifiques étaient peu évidentes ; il tint le 29 octobre 1985 une conférence de presse avec Georgina Dufoix, la fameuse, pour annoncer, dans les locaux du Ministère des Affaires Sociales, qu'il avait découvert le traitement du sida avant les Américains (les malades décédèrent malheureusement dans les jours suivants) : ici ; et l'on aimerait qu'il nous produisît son bulletin d'abonnement à Prescrire...

Cela dit, chacun peut rencontrer Dieu sur le chemin de Damas.

Nous ne pouvons que nous incliner quand la vérité descend sur les innocents. Et ainsi le grand professeur Philippe Even, ex, ex, ex, analyse désormais en expert les dysfonctionnements de l'appareil d'Etat.
Il parle, à propos de l'Afssaps d'incompétence, de corruption active et de corruption passive. C'est Saint-Jean Bouche d'Or : je me rappelle lorsque le président de la commission d'AMM avait une maîtresse qui travaillait dans l'industrie (Big Pharma) et quand son successeur avait sa femme qui travaillait dans un autre laboratoire...
Il propose, comme une boutade, la nomination d'Irène Frachon, la pneumologue brestoise, comme directeur de l'Afssaps, mais son combat pour ses malades ne la rend pas, voir ses déclarations, plus compétente en pharmaco-épidémiologie qu'un directeur général de l'Afssaps. Irène Frachon s'est effectivement battue mais dire qu'elle a eu le soutien du service de pneumologie de l'Hôpital Antoine Béclère de Clamart est une vaste fumisterie : il semblerait même qu'au début on lui ait mis des bâtons dans les roues. En revanche, le professeur Even a raison de dire qu'elle ne s'est pas arrêtée en chemin comme d'autre qu'il a cité pendant l'émission et qui n'était pas étranger à certaine revue qui ne se trompe jamais.
Il regrette que les directeurs de l'Afssaps soient des hauts fonctionnaires non médecins, c'est comme cela que cela se passe en France, dit-il, mais on n'a pas été très frappés par la compétence des médecins professeurs mis à la tête de la Direction Générale de la Santé, jadis Lucien Abenhaïm, aujourd'hui Didier Houssin... ou du Ministère de la Santé (JF Mattéi, l'homme des chemisettes caniculaires).
Il parle de l'insuffisance de formation des médecins en pharmacologie clinique (20 heures de thérapeutique en six ans d'études -sic). Pourquoi n'a-t-il rien fait quand il était doyen de la Faculté de Médecine de Necker Enfants Malades (pendant douze ans !) ?
Il parle de l'incompétence de la pharmacovigilance française qui serait passée à côté du vioxx (30 000 décès aux EU d'Amérique) mais pourquoi ne parle-t-il pas du fait que les médecins français, et depuis longtemps, sont les champions du monde de la non déclaration d'événements indésirables ?
Il parle du fait que la Revue Prescrire ne se serait jamais trompée... Outre le fait que c'est obligatoirement faux, pourquoi ne nous dit-il pas en quelle année il s'est abonné ?
Il dit que la mortalité a considérablement baissé en France ces dernières années grâce à l'industrie pharmaceutique alors que tout le monde sait que c'est faux et que les grandes baisses de morbi-mortalité en infectiologie comme dans le domaine cardiovasculaire sont liées aux conditions d'hygiène plus qu'à l'introduction de nouvelles molécules.
Il prétend que le diagnostic des maladies ne pose plus aucun problème grâce à la multiplicité des examens complémentaires alors que, justement, le problème central de la médecine moderne c'est la détermination des diagnostics, c'est à dire d'éviter le risque de sur diagnostics (cancer du sein), de faire le diagnostic à bon escient (cancer de la prostate) et de ne pas faire du disease mongering (faire de patients non encore malades des malades en puissance et à traiter).
Non, notre ami le bon professeur Even, parle trop et à contre-temps.
Il sait tout mais trop tard. Ce n'est pas un professeur de pneumologie mais un anatomo-pathologiste : il fait le diagnostic post mortem alors que c'était avant qu'il fallait sauver le malade.
Comme le disait Warhol, chacun peut avoir son quart d'heure de gloire, espérons que Philippe Even qui n'a plus rien à perdre, continuera en si bon chemin : il ne sert à rien d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer.
A moins qu'il n'ait déjà atteint depuis longtemps son niveau d'incompétence maximale.

lundi 27 décembre 2010

TRAMADOL : UNE MOLECULE QUI ME FAIT PEUR

Tête de la douleur (Auguste Rodin - circa 1900)

Le retrait du dextroproxyphène (DXP) et, plus particulièrement, des produits contenant du paracétamol associé (DXP/PC), annoncé comme une victoire du bon sens contre le mal prescrire, et pour lequel l'AFSSAPS n'était pas chaude (voir infra), va conduire, n'en doutons pas, ou plutôt, si, doutons-en puisque comme d'habitude les médecins ne vont rien déclarer du tout, à une explosion des événements indésirables liés à la prescription de tramadol.
Nous en avons déjà parlé ici et .
Je rappelle donc que l'AFSSAPS, dans un document datant du 25 juin 2009, avait fait une mise au point sur le nombre comparé d'événements indésirables rapportés pour le paracétamol-codéine, le DXP et le tramadol. Vous allez dire que je ne cite l'AFSSAPS que lorsqu'elle va dans mon sens, ce qui n'est pas tout à fait faux, mais une partie du texte :
En 2006, une nouvelle enquête menée auprès du réseau national des centres antipoison a comparé les risques liés au surdosage des médicaments antalgiques de pallier II (DXP, tramadol, codéine). Les données recueillies suggéraient que la codéine présente une toxicité moindre au cours des intoxications observées. En revanche, la toxicité du tramadol était supérieure à celle de l’association DXP/PC et de la codéine, en termes de décès consécutifs à des polyintoxications, comme en termes de convulsions et de complications respiratoires et cardiovasculaires. Dans ces conditions, l’Afssaps avait considéré que ces données ne justifiaient pas de mesures de restriction ou de remise en cause de l’usage du DXP. Cependant, elle a estimé nécessaire de poursuivre la surveillance des risques d’intoxication aigue pour l’ensemble des antalgiques de pallier II.
J'avais, dans ce blog, exprimé à plusieurs reprises mon inquiétude concernant la quantité (et, accessoirement, la qualité) des événements indésirables liés possiblement au tramadol et constatés par moi tant au niveau de ma patientèle vue au cabinet qu'au décours d'hospitalisations ou de passages aux urgences de cette même patientèle. Le recueil systématique des événements indésirables durant l'année 2010 me conduit aux mêmes conclusions (je publierai les chiffres complets ultérieurement).
Ainsi l'AFSSAPS, contrainte et forcée par l'EMEA (l'Agence européenne) et en raison de décès dus à des intoxications volontaires, notamment en Suède et en Grande-Bretagne, (respectivement 200 décès pour 9 millions d'habitants et 300 à 400 pour 60 millions d'habitants), ce qui, on le remarque est ENORME par rapport aux 500 à 1000 morts en 30 ans attribués au Mediator pendant toutes ses années de commercialisation, s'est rendue aux arguments impératifs de l'Europe et a publié un document (ici) faisant le point de l'utilisation des antalgiques en médecine et proposant des "solutions" avant et après le retrait du DXP associé au paracétamol.
C'est clair comme du jus de chique !
C'est un festival d'hypocrisie comme on en a rarement lu.
C'est un festival de "Les choses nous échappent, feignons de les avoir organisées."
C'est un florilège de langue de bois, non pas une langue propagandiste ou idéologique au sens politique du terme, mais une langue administrative coupée de son objet, étrangère à son propos, c'est à dire informer les médecins sur ce qu'il convient de faire alors que les millions de boîtes de médicaments contenant du DXP vont être retirées du marché.
Il est à noter, en particulier, qu'aucun chiffre n'est publié, aucune donnée disponible sur le nombre d'événements indésirables rapportés au nombre de prescriptions n'est mentionné, alors que dans le document que j'ai cité plus haut l'AFSSAPS y faisait référence et de façon comparative.
C'est pourquoi le tramadol m'inquiète.
Au vu de mon expérience interne il va se produire une explosion d'événements indésirables liés au tramadol et il eût été prudent de rappeler quelques précautions d'emploi, notamment chez les personnes âgées et a fortiori en cas de co-prescriptions avec des psychotropes (voir ici).
Je ne suis ni nostalgique, ni négationniste (en prétendant qu'il n'y aurait pas ou peu d'événements indésirables avec le DXP, et mon expérience interne, encore une fois, m'indique que la majorité des événements indésirables concerne la dépendance, notamment des personnes âgées, à l'égard du DXP), ni contestataire (anti Européen ?), mais :
a) je m'inquiète des transferts de prescription du DXP/PC vers le tramadol, le PC/codéine, les anti-épileptiques, voire les dérivés morphiniques... sans compter l'augmentation prévisible des doses de paracétamol dont l'innocuité ne paraît pas aussi évidente que cela (voir ici et ) ;
b) je me pose des questions sur le traitement de la douleur en médecine générale, du traitement de la douleur dans la société en général, des questions qui ne me semblent pas solvables dans les dogmes que je vais rappeler ici. Ainsi, à l'occasion de ce retrait, pourquoi ne pas nous interroger sur nos croyances, nos certitudes et nos agissements. En ces périodes de médiatisation du Mediator et des "C'est pas moi, c'est l'autre...", des "Je suis propre comme un sou neuf...", "Prescrire du Mediator ? Moi ? Jamais !...", pourquoi ne pas faire le point sur nos pratiques et sur les moyens de les rendre responsables ?
Quel est l'Etat de l'Art ? La douleur est insupportable. Il n'est pas possible, au vingt-et-unième siècle, de laisser souffrir des êtres humains. Et surtout des enfants. La douleur non annihilée est le résidu de nos croyances judéo-chrétiennes dans le style "Tu enfanteras dans la douleur." (A ce sujet j'ai un exemple très révélateur des croyances modernes, mais je le développerai une autre fois : la douleur des IVG médicamenteuses, chapitre nié par les bien-pensants). Les médecins qui laissent quelqu'un souffrir sont des monstres.
Il y a donc les antalgiques de palier I. De palier II. Et les morphiniques. Et les coanalgésiques. Encore que les antalgiques de palier II puissent être assimilés aux morphiniques. Voir ici.
Ainsi, le médecin généraliste, placé devant un malade qui souffre et qui a déjà consommé paracetamol, ibuprofène et / ou DXP/PC, se doit, selon les critères sociétaux admis par la majorité des Français, supprimer la douleur.
Car, n'en doutons pas, le fait que dans tous les pays du monde développé les antalgiques (appelés dans les pays anglo-saxons du charmant nom de pain-killers) soient non seulement les médicaments les plus prescrits (en nombre de boîtes vendues) mais parmi les plus générateurs d'événements indésirables, rend compte de l'exigence de la société à ne plus souffrir et à ne plus connaître les affres du désagrément de la douleur. C'est pourquoi nos consultations sont remplies de patients pas même malades qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une seconde, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une minute, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une heure, qui veulent consommer des anxiolytiques pour ne pas souffrir moralement, qui veulent consommer des antidépresseurs pour ne pas souffrir psychiquement, qui veulent consommer des hypnotiques pour ne pas être insomniaques, qui veulent consommer des hypnotiques pour pouvoir dormir, et, sans nul doute, ils ont raison de leur point de vue, ils ont raison de participer à l'idéologie du Bonheur sur la terre, l'idéologie du droit au bonheur, du droit au désir, du droit au bien-être, un droit qui est réciproquement un devoir pour les soignants, un devoir sacré, puisque des moyens modernes existent, puisque des molécules existent, puisque la chimie peut venir au secours de l'humaine condition...
La disparition de la douleur fait partie des rêves millénaires de l'humanité et la science est là pour y pourvoir.
La souffrance est une erreur, un mal, une expression de la malignité du monde. Le mal est parmi nous : délivrons- nous en !
Que l'on ne s'étonne pas ensuite que les tueurs de douleurs (les pain-killers) deviennent des armes à double tranchant, non seulement pourvoyeuses d'événements indésirables (mais que ne ferait-on pas quand quelqu'un souffre ? On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs...) mais aussi de suicides puisque la suppression complète de la douleur, cela s'appelle aussi la mort. D'un côté la promesse d'un monde sans douleur, que l'on pourrait appeler un monde indolent ou un monde de l'anhédonisme, de l'autre la réalité d'un monde souffrant (faim dans le monde, guerres, catastrophes naturelles) sur lequel aucun pain-killer n'est capable d'agir.

Ainsi, le médecin généraliste et le médecin en général, confrontés à la douleur culpabilisante de son patient qui exige d'être soulagé de tous ses maux, exigence faite de l'association "citoyenne" du devoir du médecin et du droit du malade, se doit de prescrire : après le paracétamol, il a l'exigence du choix entre le paracétamol / codéine et le tramadol seul ou associé au paracétamol. Puis on entre dans le domaine des antiépileptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et des morphiniques. On le voit, la fameuse et antique séparation entre le corps et l'esprit vole en éclats quand il s'agit de soulager l'humanité souffrante : la périphérie et le centre se mélangent, l'âme et le corps, il n'y a plus de limites à l'intrusion de la médecine dans le corps des hommes, le tramadol et / ou la codéine sont des analgésiques opioïdes, selon la nomenclature, ils agissent en haut et en bas et au milieu, l'autonomie de la douleur est livrée à l'hétéronomie de la chimie.
Mais arrêtons de faire de la philosophie à deux sous. Le pacte de Faust avec le Diable ne se fait plus au nom de l'Eternité mais au nom de l'Indolence.
Arrivons au point essentiel : le transfert des prescriptions de dextropropoxyfène (DXP) vers le paracétamol, le paracétamol-codéine et, surtout, le tramadol, et surtout les autres opioïdo-morphiniques va faire exploser les courbes de vente des centres de Pharmacovigilance !
Il est donc urgent de demander aux médecins de réfléchir lorsqu'ils prescrivent des tueurs de douleur et qu'ils exposent à leurs patients les dangers potentiels de ces prescriptions.
Donc, mes amis, faites comme moi : ne déclarez rien. En ne déclarant rien vous ne risquerez pas de vous faire piquer par la patrouille, vous éviterez les procès, vous éviterez les crises de foi, les insomnies culpabilisantes, et jamais un Centre Régional de Pharmacovigilance ne se plaindra de ne jamais recevoir de déclarations spontanées... A moins que la petite affaire du Mediator (500 à 1000 morts en 30 ans) ne donne enfin du travail à notre Pharmacovigilance Nationale. Et des crédits. Et de l'innovation. Et de l'intelligence.

DERNIERE NOUVELLE : J'avais oublié un communiqué de la FDA de mai 2010 qui est très inquiétant : voir ici.


lundi 20 décembre 2010

MESOTHERAPIE OU COMMENT SAUVER LA MEDECINE GENERALE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 58


Il y a dix jours.
Madame A, 54 ans, a échoué dans mon cabinet parce que son médecin traitant (le docteur B1) est parti en vacances. Le fichier de l'ordinateur indique qu'elle est venue pour la dernière fois dans ce cabinet il y a huit ans.
Elle est tombée lourdement au travail sur son épaule gauche et elle vient me voir "pour se faire prolonger". Elle me montre une lettre du mésothérapeute du coin qui remercie le médecin traitant de lui avoir confié la patiente. Je grimace. La lettre indique que le mésothérapeute, non content de mésothérapeuter l'épaule (sans résultats, on le verra) a trouvé ce qu'il appelle "un probable syndrome du canal carpien du même côté" dont il va aussi s'occuper.
Conflit d'intérêt majeur : je n'aime pas la mésothérapie et les mésothérapeutes pour avoir pratiqué cette technique dans les années quatre-vingt et l'avoir abandonnée pour, avis personnel, manque d'efficacité notoire.
Quoi qu'il en soit, lors de cette première consultation, l'examen de la patiente montre une épaule inflammatoire et des lésions manifestes du sous et / ou du sus-épineux (je dois dire que je m'emmêle un peu les crayons dans l'examen de l'épaule), en tous les cas il y a quelque chose.
Je demande à la patiente si une IRM a été demandée (ne me cassez pas les pieds avec ma propension à prescrire des IRM dans l'épaule douloureuse et / ou traumatique, c'est mon expérience interne qui me le prescrit et de négliger les arthroscanners pratiqués par les radiologues) et elle me répond cette chose stupéfiante et proprement ininventable (il faut toujours se méfier de ce que racontent les patients, fussent-ils bien ontentionnés, ce sont des hommes et des femmes comme les autres) : le docteur B2 (le mésothérapeute) m'a dit qu'on en ferait une après les séances, si ça ne marchait pas.
Remarque : le médecin traitant de Madame A a confié "sa" patiente au docteur B2, médecin généraliste qui, accessoirement (pas si accessoirement que cela puisque c'est devenu la plus grande partie de son activité) pratique la mésothérapie et il vaudrait mieux dire le docteur B1, médecin traitant, a confié la patiente au docteur B2, mésothérapeute, qui exerce, accessoirement la médecine - générale). Le docteur B1 a fait comme si B2 était un spécialiste et B2 se comporte en plus spécialiste que les spécialistes en décidant des soins qu'il pratiquerait à la patiente qui lui est adressée.
La patiente remarque mon trouble et ma mauvaise humeur.
Moi : Je crois qu'il faudrait pratiquer une IRM. Madame A : Si vous le jugez nécessaire. J'ai déjà fait des radiographies de l'épaule qui étaient normales.
Aujourd'hui.
Je reçois Madame A avec retard. La neige. Beaucoup de neige. Je suis en retard et elle est arrivée en retard : la balle au centre.
Moi : Comment ça va ?
Elle : Je ne veux plus faire de mésothérapie, cela ne sert à rien (je vais me retrouver avec un procès au Conseil de l'Ordre, imaginez qu'elle ait, comme dans les séries américaines, porté des micros cachés dans son double menton lors de la dernière consultation).
Moi : Hum. Si vous me montriez l'IRM.
Elle : Vous aviez raison. Le radiologue m'a dit qu'il fallait que je me fasse opérer.
J'étais sur le point de me réjouir de mon grand sens clinique et voilà qu'elle me gâche ma joie en me parlant des avis du radiologue, le docteur B3.
Je jette un oeil intéressé sur l'IRM où le radiologue, complaisant, a mis des flèches pour montrer les lésions : "Rupture partielle du sus-épineux... bursite inflammatoire sous-acromiale..."
Cette histoire se complique.
Je résume les épisodes : le médecin traitant B1 confie "sa" patiente au docteur B2 mésothérapeute qui manie son appareil (avec dépassements et sans effets antalgiques), les deux considérant qu'une radiographie (face + profil) sans préparation de l'épaule signe la nécessité de faire de la mésothérapie et de ne pas demander d'IRM ; le docteurB1 croit que le docteur B2 est un spécialiste et le docteur B2 se comporte en spécialiste ; le docteurdu16 tente de piquer la malade du docteur B1 (rien à foutre : mon ambition dans ma vie de médecin généraliste : travailler moins pour gagner moins) en prescrivant une IRM et se fait court-circuiter par un photographe qui indique la route de la salle d'opération (mais pas, pour cette fois, le nom du spécialiste de l'épaule gauche, on a du bol).
Je dois faire partie d'un monde différent.
Je commence à fatiguer.
Le plus emmerdant vient de ce que la malade croit que je suis un bon médecin alors que je n'ai fait que le minimum syndical, c'est à dire examiner et prescrire.
Je vais faire une pause et cesser de parler de moi.
Dernier commentaire : le mésothérapeute a compris que la médecine générale était une spécialité en involution et qu'il fallait "innover" et "dépasser". Il a raison et j'ai tort.

samedi 18 décembre 2010

MARQUEURS SERIQUES DE LA GROSSESSE : UNE FEMME QUI SE POSE DES QUESTIONS - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 57


Madame A, 37 ans, revient me voir avec son test sanguin de grossesse (positif) et une échographie obstétricale de datation (ses règles sont totalement irrégulières, les cycles peuvent durer entre 28 et 84 jours) ; elle avait consulté initialement pour des nausées et des vomissements sans point d'appel évident.
Je lui délivre un calendrier automatisé que je sors de l'ordinateur et je le lui commente en détail en me disant à chaque fois que je vais trop vite. Mais je l'invite à penser à des questions qu'elle pourrait me poser lors de la prochaine consultation ou à me téléphoner avant si elle est pressée et / ou inquiète.
Je fais un peu de médecine entre deux (prendre la PA, peser, m'informer des grossesses précédentes, prescrire une prise de sang, une autre échographie, ...) mais, en général, je ne m'occupe plus des grossesses car j'en ai assez de me demander et de demander avant ou après si la femme qui est en face de moi et qui me tend son test positif (urinaire ou sanguin, remboursé ou pas) acceptera de se faire examiner par un homme...
J'adresse dont la dame à mon associée qui, vous l'avez deviné, est une femme.
(Ne croyez pas que cette attitude est liée au fait que j'exerce au Val Fourré où il existe une très forte communauté musulmane car nombre de mes confrères masculins médecins généralistes font, depuis leur installation, le suivi des grossesses sans que cela pose d'énormes problèmes et avec une grande compétence. Disons que je n'ai jamais été un grand fan de la gynécologie, et bien que je sois "sorti" de la faculté Cochin-Port-Royal-Baudeloque- St-Vincent de Paul (Paris 75014) où les obstétriciens avaient grande réputation ils ne m'ont pas laissé une impression extraordinaire et m'ont plutôt rendu méfiants à l'égard de cette spécialité -- sans compter la suite et je vous invite à vous rappeler, ici, ce que je pense de la gynéco-obstétrique)
Pour en revenir à Madame A, dont je n'ai pas précisé, mais vous avez dû remarquer que je ne précisais jamais ce genre de détails dans mes Histoires de Consultations, qu'elle était foulardée (pas voilée) et que je la connais depuis son plus jeune âge, que j'ai connu toute sa famille dont son père décédé dans des conditions affreuses, je n'ai pas le temps d'en parler ici, et qu'avec les différents mariages et déménagements je n'ai fini par ne plus voir grand monde et que Madame A revient au cabinet depuis un petite année (son mari et ses deux enfants).
Où en étais-je ?
En regardant le calendrier de grossesse Madame A semble réfléchir et elle se décide : ella a besoin d'éclaircissements sur le dépistage de la trisomie 21.
Je tente de lui expliquer l'affaire. Surtout que désormais ce n'est plus moi qui prescris mais l'échographiste au décours de la première échographie.
Elle veut en savoir plus.
Je reprends : les marqueurs sériques indiquent une probabilité qui tient compte de l'âge de la femme et qui conduisent, s'ils sont considérés comme à risques, à proposer une amniocentèse. "Est-ce que je suis obligée de la faire ? - Non. - Et c'est fiable ? - Ben, si les marqueurs sériques sont une probabilité, l'amniocentèse entraîne un caryotype qui, lui, est très certain."
Elle a l'air gênée.
"Personne ne me forcera à avorter ? - Non, bien entendu. Tu ne souhaites pas avorter ? - Non, je sais que c'est dur, vous avez connu mon frère handicapé... - Oui, A...- Il est mort maintenant, mais, ce n'est pas le problème... Dieu ne nous autorise pas à reprendre une vie... Je pense que je n'avorterai pas."
Je la regarde, elle me regarde.
Moi : "C'est un choix très difficile. - Vous savez, d'un point de vue humain, oui, élever un enfant handicapé, c'est très douloureux. D'un point de vue religieux, cela, j'en suis sûre, l'avortement est interdit. - Même pour des motifs médicaux ? - Je ne crois pas. Bien entendu je ne connais pas toutes les opinions, tous les avis des théologiens, mais je crois que la religion musulmane est claire là-dessus : il ne faut pas enlever la vie." Je ne réponds pas. J'aurai des choses à dire, les lapidations, des choses comme cela, mais cette femme me parle d'autre chose... Pourquoi irais-je l'embêter avec des on-dit ou des excès ?
"Tu sais, moi qui ne suis pas croyant, et moi qui suis sociétalement contre la peine de mort, l'avortement me pose question. Pas l'avortement thérapeutique, je suis quand même moins questionneur, là, je crois qu'il n'y a pas de problème, avoir un enfant trisomique, ce n'est pas de la tarte... mais cela pose quand même une question morale..." Elle ne fait ni l'étonnée, ni l'intéressée. "Mais il y a des gens qui pensent que la destruction des trisomiques, c'est de l'eugénisme... Pas moi... Mais je ne peux m'empêcher de poser la question... - Eugénisme ? - Pardonne-moi, cela veut dire, comment dire ? Cela veut dire supprimer tous les anormaux, les fous, les tarés, les mongoliens comme on disait auparavant, comme si tout le monde devait être normal... C'est ce que l'on a reproché à Hitler. - Mais, ce n'est peut-être pas pareil... - Comment cela ? - Eh bien, supprimer un adulte mongolien et un foetus mongolien, même quand on n'est pas croyant... ce n'est pas la même chose... - Ton argument est très fort. Mais, d'un point de vue religieux, et, encore une fois je ne suis pas religieux, c'est tout autant supprimer une vie. Tu sais, c'est pourquoi l'avortement me pose question, il s'agit d'une question de curseur, à la période romaine, quand on ne voulait pas d'un enfant, surtout une fille, on l'exposait, c'est à dire qu'on le déposait à un coin de rue jusqu'à ce qu'il meure. Et c'était accepté alors qu'on l'entendait crier et pleurer. Est-ce que cela serait accepté de nos jours ? - Bien sûr que non. - Au Moyen Age, en France, les mères pouvaient placer les enfants dans un tourniquet, le bébé à peine né était abandonné dans un mur et il était récupéré de l'autre côté par des religieuses, et la mortalité de ces enfants était considérable. Et ces tourniquets étaient installés par l'Eglise qui refusait l'avortement. - Je ne savais pas... - Eh bien, à l'époque moderne, quand les femmes ou les couples, mais la loi parle essentiellement des femmes, quand les femmes ne désirent pas un ou des enfants, elles peuvent avorter dans un cadre légal, c'est à dire se débarrasser d'un foetus pratiquement sans risques médicaux. - Mais ce n'est pas l'avortement thérapeutique, ça, c'est strictement interdit par la religion. - Tu as raison, par toutes les religions, me semble-t-il. Mais une très large majorité de Français est pour l'interruption volontaire de grossesse, c'est le nom savant ou hypocrite pour l'avortement. Au nom du droit des femmes."
Madame A sait cela. "Je ne peux pas juger pour ces femmes mais enfin, pour une musulmane comme moi, c'est choquant. - Moi aussi, je suis, un peu, choqué. Mais toutes les femmes qui se présentent dans mon cabinet et qui veulent avorter, je les fais avorter dans les meilleures conditions, je les informe des conséquences, je ne leur parle pas de mes réticences, sauf si elles abordent le sujet, je leur propose le meilleur centre et, malheureusement, dans les meilleures conditions financières, car, contrairement à ce que l'on croit, l'IVG n'est pas gratuite, même dans les centres de planning familial, les meilleures conditions médicales, afin qu'elles n'aient pas à pâtir de ce geste pour le reste de leur vie. - Donc, vous, vous êtes contre l'avortement ? - Non, je ne dirai pas cela. En tant que partisan de la vie je me pose des questions sur ce que l'on peut appeler (et ne cite pas le nom de l'auteur qui a écrit cela pour ne pas faire le pédant ou le malin, à savoir Paul Yonnet), ouvrons les guillemets, "la division de la conscience". - Qu'est-ce que vous voulez dire ? - C'est un phénomène très répandu dans l'âme humaine, c'est à dire que des gens, des sociétés, ici la société occidentale, à part l'Irlande, sont contre la peine de mort et pour l'IVG, mais il y a beaucoup d'autres domaines où existent des exceptions, et tu en trouveras facilement dans la religion musulmane, sans nul doute, divisent leur conscience : Tu ne tueras point et, pour d'excellentes raisons, Tu tueras un foetus."
Madame A semble contente de sa consultation.
Nous y reviendrons une autre fois dans un chapitre qui s'appellera "Le Choix de Sophie".


vendredi 17 décembre 2010

TRAMADOL : UNE MOLECULE QUI ME FAIT PEUR

Tête de la douleur (Auguste Rodin - circa 1900)

Le retrait du dextroproxyphène (DXP) et, plus particulièrement, des produits contenant du paracétamol associé (DXP/PC), annoncé comme une victoire du bon sens contre le mal prescrire, et pour lequel l'AFSSAPS n'était pas chaude (voir infra), va conduire, n'en doutons pas, ou plutôt, si, doutons-en puisque comme d'habitude les médecins ne vont rien déclarer du tout, à une explosion des événements indésirables liés à la prescription de tramadol.
Nous en avons déjà parlé ici et .
Je rappelle donc que l'AFSSAPS, dans un document datant du 25 juin 2009, avait fait une mise au point sur le nombre comparé d'événements indésirables rapportés pour le paracétamol-codéine, le DXP et le tramadol. Vous allez dire que je ne cite l'AFSSAPS que lorsqu'elle va dans mon sens, ce qui n'est pas tout à fait faux, mais une partie du texte :
En 2006, une nouvelle enquête menée auprès du réseau national des centres antipoison a comparé les risques liés au surdosage des médicaments antalgiques de pallier II (DXP, tramadol, codéine). Les données recueillies suggéraient que la codéine présente une toxicité moindre au cours des intoxications observées. En revanche, la toxicité du tramadol était supérieure à celle de l’association DXP/PC et de la codéine, en termes de décès consécutifs à des polyintoxications, comme en termes de convulsions et de complications respiratoires et cardiovasculaires. Dans ces conditions, l’Afssaps avait considéré que ces données ne justifiaient pas de mesures de restriction ou de remise en cause de l’usage du DXP. Cependant, elle a estimé nécessaire de poursuivre la surveillance des risques d’intoxication aigue pour l’ensemble des antalgiques de pallier II.
J'avais, dans ce blog, exprimé à plusieurs reprises mon inquiétude concernant la quantité (et, accessoirement, la qualité) des événements indésirables liés possiblement au tramadol et constatés par moi tant au niveau de ma patientèle vue au cabinet qu'au décours d'hospitalisations ou de passages aux urgences de cette même patientèle. Le recueil systématique des événements indésirables durant l'année 2010 me conduit aux mêmes conclusions (je publierai les chiffres complets ultérieurement).
Ainsi l'AFSSAPS, contrainte et forcée par l'EMEA (l'Agence européenne) et en raison de décès dus à des intoxications volontaires, notamment en Suède et en Grande-Bretagne, (respectivement 200 décès pour 9 millions d'habitants et 300 à 400 pour 60 millions d'habitants), ce qui, on le remarque est ENORME par rapport aux 500 à 1000 morts en 30 ans attribués au Mediator pendant toutes ses années de commercialisation, s'est rendue aux arguments impératifs de l'Europe et a publié un document (ici) faisant le point de l'utilisation des antalgiques en médecine et proposant des "solutions" avant et après le retrait du DXP associé au paracétamol.
C'est clair comme du jus de chique !
C'est un festival d'hypocrisie comme on en a rarement lu.
C'est un festival de "Les choses nous échappent, feignons de les avoir organisées."
C'est un florilège de langue de bois, non pas une langue propagandiste ou idéologique au sens politique du terme, mais une langue administrative coupée de son objet, étrangère à son propos, c'est à dire informer les médecins sur ce qu'il convient de faire alors que les millions de boîtes de médicaments contenant du DXP vont être retirées du marché.
Il est à noter, en particulier, qu'aucun chiffre n'est publié, aucune donnée disponible sur le nombre d'événements indésirables rapportés au nombre de prescriptions n'est mentionné, alors que dans le document que j'ai cité plus haut l'AFSSAPS y faisait référence et de façon comparative.
C'est pourquoi le tramadol m'inquiète.
Au vu de mon expérience interne il va se produire une explosion d'événements indésirables liés au tramadol et il eût été prudent de rappeler quelques précautions d'emploi, notamment chez les personnes âgées et a fortiori en cas de co-prescriptions avec des psychotropes (voir ici).
Je ne suis ni nostalgique, ni négationniste (en prétendant qu'il n'y aurait pas ou peu d'événements indésirables avec le DXP, et mon expérience interne, encore une fois, m'indique que la majorité des événements indésirables concerne la dépendance, notamment des personnes âgées, à l'égard du DXP), ni contestataire (anti Européen ?), mais :
a) je m'inquiète des transferts de prescription du DXP/PC vers le tramadol, le DXP/codéine, les anti-épileptiques, voire les dérivés morphiniques... sans compter l'augmentation prévisible des doses de paracétamol dont l'innocuité ne paraît pas aussi évidente que cela (voir ici et ) ;
b) je me pose des questions sur le traitement de la douleur en médecine générale, du traitement de la douleur dans la société en général, des questions qui ne me semblent pas solvables dans les dogmes que je vais rappeler ici. Ainsi, à l'occasion de ce retrait, pourquoi ne pas nous interroger sur nos croyances, nos certitudes et nos agissements. En ces périodes de médiatisation du Mediator et des "C'est pas moi, c'est l'autre...", des "Je suis propre comme un sou neuf...", "Prescrire du Mediator ? Moi ? Jamais !...", pourquoi ne pas faire le point sur nos pratiques et sur les moyens de les rendre responsables ?
Quel est l'Etat de l'Art ? La douleur est insupportable. Il n'est pas possible, au vingt-et-unième siècle, de laisser souffrir des êtres humains. Et surtout des enfants. La douleur non annihilée est le résidu de nos croyances judéo-chrétiennes dans le style "Tu enfanteras dans la douleur." (A ce sujet j'ai un exemple très révélateur des croyances modernes, mais je le développerai une autre fois : la douleur des IVG médicamenteuses, chapitre nié par les bien-pensants). Les médecins qui laissent quelqu'un souffrir sont des monstres.
Il y a donc les antalgiques de palier I. De palier II. Et les morphiniques. Et les coanalgésiques. Encore que les antalgiques de palier II puissent être assimilés aux morphiniques. Voir ici.
Ainsi, le médecin généraliste, placé devant un malade qui souffre et qui a déjà consommé paracetamol, ibuprofène et / ou DXP/PC, se doit, selon les critères sociétaux admis par la majorité des Français, supprimer la douleur.
Car, n'en doutons pas, le fait que dans tous les pays du monde développé les antalgiques (appelés dans les pays anglo-saxons du charmant nom de pain-killers) soient non seulement les médicaments les plus prescrits (en nombre de boîtes vendues) mais parmi les plus générateurs d'événements indésirables, rend compte de l'exigence de la société à ne plus souffrir et à ne plus connaître les affres du désagrément de la douleur. C'est pourquoi nos consultations sont remplies de patients pas même malades qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une seconde, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une minute, qui veulent consommer des antalgiques pour ne pas souffrir une heure, qui veulent consommer des anxiolytiques pour ne pas souffrir moralement, qui veulent consommer des antidépresseurs pour ne pas souffrir psychiquement, qui veulent consommer des hypnotiques pour ne pas être insomniaques, qui veulent consommer des hypnotiques pour pouvoir dormir, et, sans nul doute, ils ont raison de leur point de vue, ils ont raison de participer à l'idéologie du Bonheur sur la terre, l'idéologie du droit au bonheur, du droit au désir, du droit au bien-être, un droit qui est réciproquement un devoir pour les soignants, un devoir sacré, puisque des moyens modernes existent, puisque des molécules existent, puisque la chimie peut venir au secours de l'humaine condition...
La disparition de la douleur fait partie des rêves millénaires de l'humanité et la science est là pour y pourvoir.
La souffrance est une erreur, un mal, une expression de la malignité du monde. Le mal est parmi nous : délivrons- nous en !
Que l'on ne s'étonne pas ensuite que les tueurs de douleurs (les pain-killers) deviennent des armes à double tranchant, non seulement pourvoyeuses d'événements indésirables (mais que ne ferait-on pas quand quelqu'un souffre ? On ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs...) mais aussi de suicides puisque la suppression complète de la douleur, cela s'appelle aussi la mort. D'un côté la promesse d'un monde sans douleur, que l'on pourrait appeler un monde indolent ou un monde de l'anhédonisme, de l'autre la réalité d'un monde souffrant (faim dans le monde, guerres, catastrophes naturelles) sur lequel aucun pain-killer n'est capable d'agir.

Ainsi, le médecin généraliste et le médecin en général, confrontés à la douleur culpabilisante de son patient qui exige d'être soulagé de tous ses maux, exigence faite de l'association "citoyenne" du devoir du médecin et du droit du malade, se doit de prescrire : après le paracétamol, il a l'exigence du choix entre le paracétamol / codéine et le tramadol seul ou associé au paracétamol. Puis on entre dans le domaine des antiépileptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs et des morphiniques. On le voit, la fameuse et antique séparation entre le corps et l'esprit vole en éclats quand il s'agit de soulager l'humanité souffrante : la périphérie et le centre se mélangent, l'âme et le corps, il n'y a plus de limites à l'intrusion de la médecine dans le corps des hommes, le tramadol et / ou la codéine sont des analgésiques opioïdes, selon la nomenclature, ils agissent en haut et en bas et au milieu, l'autonomie de la douleur est livrée à l'hétéronomie de la chimie.
Mais arrêtons de faire de la philosophie à deux sous. Le pacte de Faust avec le Diable ne se fait plus au nom de l'Eternité mais au nom de l'Indolence.
Arrivons au point essentiel : le transfert des prescriptions de dextropropoxyfène (DXP) vers le paracétamol, le paracétamol-codéine et, surtout, le tramadol, et surtout les autres opioïdo-morphiniques va faire exploser les courbes de vente des centres de Pharmacovigilance !
Il est donc urgent de demander aux médecins de réfléchir lorsqu'ils prescrivent des tueurs de douleur et qu'ils exposent à leurs patients les dangers potentiels de ces prescriptions.
Donc, mes amis, faites comme moi : ne déclarez rien. En ne déclarant rien vous ne risquerez pas de vous faire piquer par la patrouille, vous éviterez les procès, vous éviterez les crises de foi, les insomnies culpabilisantes, et jamais un Centre Régional de Pharmacovigilance ne se plaindra de ne jamais recevoir de déclarations spontanées... A moins que la petite affaire du Mediator (500 à 1000 morts en 30 ans) ne donne enfin du travail à notre Pharmacovigilance Nationale. Et des crédits. Et de l'innovation. Et de l'intelligence.



jeudi 16 décembre 2010

QUE FAIRE EN CONSULTATION APRES LA DECONSTRUCTION DU MONDE ?

Fédor Dostoïevski (1821 - 1881)

J'ai en face de moi le malade A ou la malade A, je l'écoute, je les écoute, je nous écoute me parler, nous parler, qui de leur anxiété, qui de leur difficulté à vivre, qui de leur sensation de faire une dépression, qui de leur ressentiment, qui de leur incapacité à pardonner, qui de leurs insomnies, qui de leurs phobies...
J'écoute et je n'entends plus rien.
Il est même possible que je sois entré dans l'ère du doute le plus désespérant, celui qui rend impuissant, qui paralyse, qui fait de tout jugement une souffrance et de toute décision un remords.
J'ai tenté de déconstruire tout ce que l'on m'avait appris, j'ai essayé, contre moi-même, en dépit de mes penchants naturels, de tout remettre à plat, de me défaire des gangues successives qui m'ont recouvert, ligoté, aseptisé, automatisé, randomisé, culpabilisé, glorifié...
Ainsi, parti fringant, la psychanalyse freudienne à la boutonnière, lecteur analphabète de Freud et de ses collègues, attiré par la différence, Wilhelm Reich ou Ronald Laing, je me suis engouffré dans le tunnel de la littérature analytique, une voie sans issue, sans retour, sans regrets, toujours plus noire, toujours plus angoissante, toujours plus éclairante malgré le noir et la profondeur, mais un tunnel dont on ne verrait pas l'issue, un tunnel sans fin, menant dans les entrailles de la terre - cerveau, un tunnel en pente douce, avec une chaussée à la fois lisse, glissante, parfois savonnée mais aussi remplie d'ornières, de nids de poules... Et j'ai butté sur la statue en pied de Bruno Bettelheim. Je m'y suis fracassé, j'ai tenté de me relever et me suis retrouvé devant celle de Françoise Dolto, la petite messagère du sinistre Lacan, sinistre parce qu'encore plus angoissant, encore plus triste, encore moins gai, et tellement opérationnel... Il fallait donc que je fasse mon aggiornamento, que je trouve une issue de secours, un tunnel secondaire pour m'échapper, tout en entendant les voix freudiennes me susurrer dans l'oreille, me crier dans les tympans "TU RESISTES !", et que je me tourne, effaré vers un autre vade mecum rationnel : les sciences cognitives. Quel bel enthousiasme au début, quel bonheur que de lire des propos sensés, scientifiques, clairs, franchement nouveaux, qui rendaient la psychanalyse ringarde, qui permettait, surtout, d'échapper sans appel, je le croyais vraiment, aux instances, aux catégories analytiques et de pouvoir développer un raisonnement sans se référer constamment aux piliers de la philosophie freudienne. Puis vint le temps du DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) en 1994 que je lisais avidement et dont je compris tout aussi rapidement qu'il s'agissait ni plus ni moins d'un outil dangereusement complet classant l'humanité en catégories, outil de combat pour la psychiatrie américaine cherchant à détrôner le Dieu Freud et à parfaire le quadrillage chimique de la planète en gommant l'inconscient et en ouvrant la porte aux rêves nano-technologiques de transformation de l'humanité (voir toute la littérature américaine "cognitiviste" autour de Richard Dawkins).
Où en étais-je ?
Ainsi, partant de Freud (de l'inconscient et de la sexualité), j'entrais dans le domaine de la Science pure et dure, celle qui tentait de rationnaliser les comportements, ces deux disciplines se partageant le "marché" avec comme arrière-plan, c'est selon, les réflexes marxistes (qui classaient les individus selon des classes) et les réflexes libéraux (l'économie comme structuration première de l'humanité).
Revenons aux malades qui s'installent en face de moi et qui sont traversés peu ou prou par ces courants contradictoires qui, chacun les uns à côté des autres, peuvent et doivent expliquer une part de la réalité. Que leur proposer ? Que leur donner en pâture ? Que dois-je faire ? Cette jeune femme angoissé, cet homme dépressif, comment les écouter ? Que personne ne vienne me parler de bon sens ! C'est d'ailleurs une des deux choses que j'ai retenues de Balint : le bon sens est dangereux (la deuxième : le médecin considère qu'il est le meilleur médicament pour son malade). Le bons sens, c'est, pour résumer, l'opinion personnelle du médecin.
Est-ce que je dois mettre en avant les conflits inconscients, les agencement neuronaux, la lutte des classes ou la loi du marché ?
Est-ce qu'un questionnement EBM (Evidence Based Medicine ou Médecine par les Preuves) est suffisant et nécessaire ? Les preuves externes sont traversées par l'idéologie : qui fait des études, pourquoi les fait-on, qui les finance, dans quel but ? Les preuves internes sont également polluées par l'idéologie de l'examinateur. Les valeurs et préférences des patients de la même façon. On est bien avancés !
Heureusement que quelques reconstructeurs (refondateurs en plus chic) me permettent de me reconstruire. Mais ils arrivent trop tard : le patient ou la patiente sont en face de moi et il n'y a pas encore de théorie constituée ou de modus operandi détectable.
Je donne deux ou trois exemples.
Ivan Illich : la critique illichienne de la médecine (développée essentiellement dans Némésis Médicale. L'expropriation de la santé (1975), dans Oeuvres Complètes, vol.1, Paris 2005, pp582-786) est une critique non marxiste (Big Pharma n'apparaît pas ; ce qui ne signifie pas dans mon esprit qu'il faille se priver d'une critique marxiste ou marxienne de la façon dont la médecine est exercée ou contrôlée) ; c'est une critique des institutions instrumentales comme l'école, l'hôpital ou les transports dont il ressort les trois niveaux de la contre-productivité : technique (les maladies iatrogènes par exemple ou le surdiagnostic) ; sociale (synergie négative entre deux modes de production, autonome et hétéronome) ; symbolique ou structurelle (paralysie de l'imagination qui empêche de voir qu'il pourrait en être différemment). Et finalement Illich dit ceci : "... la médecine, au delà de son instrumentalité spécifique, en synergie avec d'autres agences de services fonctionnant de manière analogue, tend à transformer la pensée, les représentations, les perceptions, et surtout la perception de soi-même en fonctions soumises à des commandes." (cité par Babara Duden in "Illich, seconde période. Esprit. Août septembre 2010: pp 136-157")
René Girard : la critique girardienne du freudisme et des sciences cognitives se veut anthropologique réfutant à la fois la logique freudienne et celle de la logique algorithmique transmise par la participation aux institutions. Et ainsi, René Girard en utilisant ses outils habituels extra freudiens (bien qu'il travaille sur le même terreau) et extra cognitifs (même remarque) autorise, par exemple, de considérer l'anorexie / boulimie comme un trouble mimétique, et les angoisses (et la dépression dite réactionnelle) comme les stigmates d'une exacerbation aiguë de la rivalité mimétique.
Maurice Godelier : anthropologue post marxiste, post structuraliste, post colonial, post je ne sais quoi, nous donne des exemples de différences selon les cultures, les peuples et les religions sur le "comment" s'exercent les relations entre le chaman et l'individu et / ou la tribu. Mais pas seulement : par la simple recension de faits, il met à mal les grandes "intuitions" freudiennes (la théorie de la horde primitive ou l'universalité du complexe d'Oedipe) ou structuralistes (l'énigme du don) pour nous conforter dans l'idée qu'un seul point de vue tue le point de vue.
Joan Tronto : politologue (political scientist), dont le livre fondateur a été publié en 1993 aux Etats-Unis et seulement publié en français en 2009 (Un monde vulnérable. Pour une politique du care (1993), Paris, La Découverte, 2009) a tenté de définir de façon éthique et philosophique la notion de Care comme, je cite "une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer « notre monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible", ce qui ne pouvait que nous troubler, nous les médecins exerçant dans le cocon du paternalisme et de la distance, car le Care va plus loin que le soin et suppose le "bon" soin et l'implication de la personne qui prend soin.

Mais je voudrais terminer ce petit tour d'horizon, avant de reparler plus tard de ce sujet fondamental, que faire quand tout s'écroule autour de soi, en citant Dostoïevski dont ce texte, écrit en 1864, m'a fait penser aux certitudes freudo-scientistes.
"... alors, dites-vous, c'est la science en tant que telle qui apprendra aux hommes (encore que là, ce soit même du luxe à mon avis) qu'en fait, ils n'ont ni volontés ni caprices, qu'au fond, ils n'en ont jamais eu, et qu'ils ne sont eux-mêmes rien d'autre que des touches de piano, ou des goupilles d'orgue ; et que, en plus de tout cela, il y a encore les lois de la nature ; de sorte que tous les actes qu'ils font ne se font pas selon leur volonté, mais par eux-mêmes, d'après les lois de la nature. Il suffit donc de découvrir les lois de la nature et l'homme pourra cesser de répondre de ses actes, ce qui simplifiera sa vie de façon considérable. Toutes les actions humaines seront d'elles-mêmes classées selon ces lois, mathématiquement, un peu comme des tables de logarithmes, jusqu'à 108 000, elles seront inscrites à l'almanach ; ou, mieux encore, on pourra voir paraître des éditions utiles, où tout sera noté et codifié avec une telle exactitude qu'il n'y aura plus jamais d'actes ni d'aventures."

Fédor Dostoïevski. Les carnets du sous-sol. Actes Sud, 1992. Collection Babel.