jeudi 4 septembre 2008

MEDICALISATION DE L'INFERTILITE

Une étude décoiffante.

Des auteurs écossais ont comparé trois techniques pour obtenir des bébés chez des femmes dont le mécanisme d’infertilité était inconnu.


Critères d’inclusion : Au moins deux ans d’infertilité, perméabilité tubaire avérée, ovulation détectée, et sperme “normal”.

Méthodes : Cette étude a été menée sur trois bras parallèles avec randomisation pragmatique pendant six mois


- groupe témoin : conseils sur la nécessité d’avoir des rapports sexuels, pas de courbe de température, pas de médicaments, pas de kits pour doser la progestérone, pas de visites ou d’examens programmés


- groupe clominofène : les femmes recevaient 50 mg de clominofène entre J2 et J6 de leur cycle. Durant le premier cycle elles subissaient un scanner transvaginal et un contrôle de la progestérone. Les cycles suivants étaient suivis par un contrôle de la progestérone. On demandait aux couples d’avoir des rapports sexuels entre D12 et D18 du cycle. Si au moins trois follicules ovariens étaient détectés dans le premier cycle, le cycle était interrompu et le couple était avisé de ne plus avoir de rapports. Le cycle suivant, les femmes qui avaient été trop stimulés recevaient 25 mg de clominofène et les mêmes mesures que lors du premier cycle étaient effectuées….


- insémination intra-utérine non stimulée : on demandait aux femmes de monitorer les concentrations matinales de LH à partir du douzième jour du cycle et l’insémination était effectuée….

Résultats : 580 femmes ont été randomisés dans les trois groupes témoin (193), clominofène oral (194) ou insémination intrautérine non stimulée (193).

Les trois groupes étaient comparables.

Le nombre de naissances a été respectivement de 17 %, 14 % et 23 % (NS). Significativement plus de femmes randomisées dans les groupes 2 et 3 (repectivement 94 et 96 %) ont trouvé l’étude acceptable que celles du groupe témoin (80 %).

Conclusion : Pour les couples présentant une infertilité non expliquée, les traitements comme l’usage empirique du clominofene et l’insémination intrautérine non stimulée n’apportent pas un taux de naissances supérieur à la méthode non médicalisée.


Johnstone, S Kini, A Raja and A Templeton
McQueen, H Lyall, L Johnston, J Burrage, S Grossett, H Walton, J Lynch, A
S Bhattacharya, K Harrild, J Mollison, S Wordsworth, C Tay, A Harrold, D

Pragmatic randomised controlled trial
management for unexplained infertility:
insemination compared with expectant
Clomifene citrate or unstimulated intrauterine
BMJ 2008;337;a716

http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/aug07_2/a716

jeudi 28 août 2008

EVIDENCE BASED MEDICINE : DEFINITIONS

L’Evidence Based Medicine (EBM) : une idéologie ou une méthode ?
1) Aujourd'hui nous allons aborder les modalités théoriques de l'EBM
2) La prochaine fois : les incertitudes, les critiques et les réticences
3) Enfin : EBM et médecine générale : ICI.


1) Les modalités théoriques



Comment traduire EBM en français : médecine par les preuves, médecine fondée sur la preuve, médecine basée sur des faits prouvés, médecine des preuves, médecine factuelle, et cetera. J’ai commencé à utiliser le terme Médecine par les Preuves mais cela me semble réducteur. Nous y reviendrons.


Comment la définir. Il existe bien entendu plusieurs définitions.

Il en est une que j’aime bien (et que j’ai adaptée) :
Intégrer l’expertise interne (l’expérience clinique du praticien) à l’expertise externe (les meilleures preuves disponibles et applicables issues de la recherche) pour mieux prendre soin d’un patient / malade qui a ses propres valeurs et préférences.
Il est possible, à ce moment, de dire qu'il s'agit plus d'une méthode que d'une idéologie.

Elle est aussi un apprentissage : Pratiquer l'EBM, selon ses promoteurs, c'est s'investir dans un processus d'apprentissage permanent centré sur la résolution de problèmes rencontrés dans notre activité clinique qui crée un besoin de repères fiables en matière de diagnostic, de pronostic, de traitement, ou d'autres domaines touchant à la santé des patients.
Ici on entre dans le plus discutable, le plus interprétable.
Elle peut devenir une idéologie si l'on considère que l'EBM se propose :

1) de transformer ces besoins d'information en questions claires auxquelles il est possible d'apporter une réponse ;
2) de rechercher, aussi efficacement que possible, les meilleurs arguments pour y répondre (qu'ils soient fournis par l'examen clinique, le diagnostic biologique, les données de la littérature ou par d'autres moyens) ;
3) d'évaluer ces arguments de manière critique aux plans de leur validité (degré de fiabilité) et de leur utilité (faisabilité pratique) ;
4) d'appliquer effectivement les conclusions dansnotre pratique ;
5) d'évaluer nos résultats ultérieurs.


Il s’agirait alors, pour l'EBM, de répondre aux défis de la formation continue, de
l’intégration méthodique du nombre croissant des publications médicales et de l’évaluation
des pratiques.
L'EBM ne serait-elle pas, alors, une nouvelle façon d'être la médecine ?

Je me suis inspiré, outre des articles de la littérature, d'une thèse de médecine de Savardhttp://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/ArticlesAccesLibre/DEASavard.pdf qui est consultable en ligne.

vendredi 8 août 2008

EVIDENCE BASED MEDICINE : LES FONDAMENTAUX

Chers amis,

Je vous propose la traduction d'un article "fondateur" de Sackett concernant l'EBM qui est certes une auberge espagnole mais dont il faut connaître les tenants et les aboutissants.
Certains passages peuvent paraître datés mais c'est parce que la référence est déjà ancienne (1996). Vous pouvez consulter l'original ICI.
Après avoir relu cela il est possible de parler d'EBM... Ce que nous ferons sur le plan théorique dans d'autres articles.

Docteurdu16


Editorial
Médecine par les preuves: ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas : Il s’agit d’intégrer l’expertise clinique individuelle aux meilleures preuves externes.

La médecine par les preuves, dont les origines philosophiques remontent au milieu du dix-neuvième siècle à Paris et encore plus tôt, reste un sujet chaud pour les cliniciens, les professionnels de la santé publique, les payeurs, les planificateurs et le public. Il existe actuellement de nombreuses séances de travail consacrées à sa pratique et à son enseignement ; des programmes d’entraînement pour étudiants (1) et non diplômés (2) l’intègrent (3) (ou pondèrent la façon de l’utiliser) ; des centres britanniques de médecine par les preuves ont été fondés ou plannifiés en médecine d’adulte, pédiatrie, chirurgie, pathologie, pharmacologie clinique, soins infirmiers, médecine générale et chirurgie dentaire ; la Collaboration Cochrane et le Centre britannique de York pour le recensement et la diffusion [ndt : NHS Centre for Reviews and Dissemination de l'Université d'York (Angleterre). Cette institution rassemble, évalue et diffuse en permanence des travaux scientifiques sur les mesures technologiques et organisationnelles du système de santé. Site : http://www.york.ac.uk/inst/crd/] fournissent des revues systématiques des effets des soins de santé ; de nouveaux journaux de médecine par les preuves vont être lancés ; et c’est devenu un sujet commun dans les media grands publics. Mais l’enthousiasme a été contrebalancé par des réactions négatives (4, 5, 6). La critique a tout dit : la médecine par les preuves pouvait être d’un côté une vieille barbe et à l’extrême une dangereuse innovation perpétrée par des arrogants pour aider les coupeurs de crédits et pour supprimer la liberté des cliniciens. Comme l’EBM continue d’évoluer et de s’adapter, il est maintenant utile de reconsidérer la discussion sur ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
La médecine par les preuves est l’usage consciencieux, explicite et judicieux des meilleures preuves existantes pour prendre des décisions concernant la prise en charge d’un patient. La pratique de la médecine par les preuves signifie intégrer l’expertise clinique personnelle aux meilleures preuves cliniques externes obtenues par recherche systématique. Par expertise clinique personnelle nous entendons la compétence et le jugement que chaque clinicien acquiert à travers son expérience et sa pratique clinique. Une amélioration de l’expertise se mesure de différentes manières mais essentiellement par plus de diagnostics effectifs et efficients et dans un meilleur usage raisonné et compassionnel des situations difficiles, des droits et des préférences des patients dans le choix clinique décisionnel les concernant. Par meilleures preuves cliniques externes disponibles nous entendons des recherches cliniques pertinentes, souvent issues des sciences médicales fondamentales, mais essentiellement à partir de recherches cliniques centrées sur le patient comme la pertinence et la précision de tests diagnostiques (incluant l’examen clinique), la puissance de marqueurs pronostiques et l’efficacité et la sécurité des thérapeutiques et des procédures de réhabilitation et de prévention. Les preuves cliniques externes invalident à la fois les tests diagnostiques et les traitements précédemment acceptés et les remplacent par de nouveaux qui sont plus robustes, plus appropriés, plus efficaces et sûrs.
Les bons médecins utilisent à la fois l’expertise clinique personnelle et les meilleures preuves externes disponibles et l’un sans l’autre est insuffisant. Sans expertise clinique la pratique risque d’être tyrannisée par la preuve, car même une preuve externe excellente peut être inapplicable ou inappropriée pour un patient donné. Sans les meilleures preuves existantes la pratique risque de devenir dépassée au détriment des patients.
La description de ce qu’est la médecine par les preuves aide à clarifier ce qu’elle n’est pas. La médecine par les preuves n’est ni vieille ni impossible à exercer. L’argument selon lequel « chacun l’exerce déjà » tombe derrière la réalité des variations importantes existant à la fois dans l’intégration des valeurs du patient dans notre conduite clinique (7) et dans les taux d’intervention des cliniciens à l’égard de leurs patients (8). Les difficultés que rencontrent les cliniciens à se tenir au courant des avancées médicales rapportées par les journaux de soins primaires sont évidentes quand on compare le temps requis pour lire (pour la médecine générale : 19 articles par jour, 365 jours par an (9)) avec le temps disponible (moins d’une heure par semaine pour les consultants britanniques, même dans un questionnaire déclaratif (10)).
L’argument selon lequel la médecine par les preuves peut seulement être conçue depuis des tours d’ivoire et des fauteuils est contredit par des expériences de soin clinique où déjà des équipes cliniques hospitalières en médecine générale (11), psychiatrie et chirurgie assurent des soins issus de la médecine par les preuves à une majorité de leurs patients. Ces études montrent que des cliniciens occupés qui consacrent leur rare temps de lecture à des recherches sélectives, efficaces, conduites par le patient, à l’évaluation et l’incorporation des meilleures preuves disponibles peuvent pratiquer la médecine par les preuves.
La médecine par les preuves n’est pas un livre de recettes médicales. Parce qu’elle nécessite une approche par le haut qui intègre les meilleures preuves cliniques externes avec l’expertise clinique individuelle et le choix des patients, elle ne peut conduire à une approche servile et automatique des soins de chaque patient. Les preuves cliniques externes peuvent informer mais ne jamais remplacer l’expertise clinique individuelle et c’est cette expertise qui décide si les preuves cliniques externes sont applicables à un patient particulier et, si c’est le cas, comment elles doivent être intégrées dans la décision clinique. De la même façon, toute recommandation externe doit être intégrée à l’expertise clinique individuelle pour décider si elle correspond à l’état clinique du patient, sa situation et ses préférences et, ainsi, si elle doit être appliquée. Les cliniciens qui craignent les recettes tombant d’en haut devraient retrouver les avocats de la médecine par les preuves en les accompagnant sur les barricades.
Certains craignent que la médecine par les preuves soit détournée par les payeurs et les décideurs pour couper les crédits de la santé. Cela ne serait pas seulement un mauvais usage de la médecine par les preuves mais suggérerait une méconnaissance fondamentale de ses conséquences financières. Les médecins pratiquant la médecine par les preuves identifieront et appliqueront les interventions les plus efficaces pour optimiser la qualité et la quantité de vie de chacun de leurs patients ; cela pourrait élever plus que diminuer le coût des soins.

La médecine par les preuves, ce n’est pas seulement les essais randomisés et les méta-analyses. Elle inclut la recherche des meilleures preuves externes avec lesquelles on peut répondre à nos interrogations cliniques. Pour déterminer la pertinence d’un test diagnostique nous devons trouver les études transversales appropriées incluant des patients suspects cliniquement de correspondre au problème recherché, pas un essai randomisé. Pour une question pronostique, nous avons besoin d’études appropriées de suivi de patients analysés à un moment commun et précoce de leur maladie. Et parfois les preuves dont nous avons besoin viendront des sciences fondamentales comme la génétique ou l’immunologie. C’est lorsque nous nous posons des questions sur les traitements que nous essaierons d’éviter les approches non expérimentales puisqu’elles conduisent fréquemment à de fausses conclusions concernant l’efficacité. Parce que les essais randomisés et principalement les revues systématiques de nombreux essais randomisés sont probablement plus informatifs et moins susceptibles de nous induire en erreur, ils sont devenus le « «gold standard » pour juger si un traitement fait plus de bien que de mal. Cependant, certaines questions relatives au traitement ne requièrent pas d’essais randomisés (succès pour différentes situations fatales) ou ne peuvent attendre que les essais soient conduits. Et si aucun essai randomisé n’a été mis en œuvre pour la situation de notre patient nous devons suivre la piste de la prochaine meilleure preuve externe et travailler pour elle.
En dépit de ses origines anciennes la médecine par les preuves est une discipline relativement jeune dont les impacts positifs commencent seulement à être validés (12, 13) et qui continuera à évoluer. Cette évolution sera améliorée car de nombreuses formations pour étudiants et médecins, et dans le cadre de la formation médicale continue, l’adoptent et l’adaptent pour les besoins de chacun. Ces programmes et leur évaluation fourniront de plus amples informations et une meilleure compréhension de ce que la médecine par les preuves est et n’est pas.

David L Sackett, William M C Rosenberg, J A Muir Gray, R Brian Haynes, W Scott Richardson
Professor NHS Research and Development Centre for Evidence Based Medicine, Oxford Radcliffe NHS Trust, Oxford OX3 9DU
Clinical tutor in medicine Nuffield Department of Clinical Medicine, University of Oxford, Oxford
Director of research and development Anglia and Oxford Regional Health Authority, Milton Keynes
Professor of medicine and clinical epidemiology McMaster University, Hamilton, Ontario Canada Clinical associate professor of medicine University of Rochester School of Medicine and Dentistry, Rochester, New York, USA
Références :
8)
House of Commons Health Committee. Priority setting in the NHS: purchasing. First report sessions 1994-95. London: HMSO, 1995. (HC 134-1.)
10)
Sackett DL. Surveys of self-reported reading times of consultants in Oxford, Birmingham, Milton-Keynes, Bristol, Leicester, and Glasgow. In: Rosenberg WMC, Richardson WS, Haynes RB, Sackett DL. Evidence-based medicine. London: Churchill Livingstone (in press).
12)
Bennett RJ, Sackett DL, Haynes RB, Neufeld VR. A controlled trial of teaching critical appraisal of the clinical literature to medical students. JAMA 1987;257:2451-4. [Abstract]
13)
Shin JH, Flaynes RB, Johnston ME. Effect of problem-based, self-directed undergraduate education on life-long learning. Can Med Assoc J 1993;148:969-76. [Abstract]

dimanche 20 juillet 2008

Histoires de consultations : troisième épisode

Le rôle social du MG !

Slimane, vingt-sept ans ans, est installé en face de moi, le visage défait.
Je le connais depuis vingt-sept ans.
Pour une raison que nous ignorons tous les deux, surtout moi, je n’ai jamais sympathisé avec lui. Ni même empathisé. Mais nous nous voyons avec plaisir, semble-t-il. Je lui parle de sa famille et il me répond en confiance.
Il me dit qu’il est exténué : par son travail (il est chauffeur de car de tourisme), par son divorce (il le considère comme un échec personnel), par sa séparation d’avec son petit garçon de quatre ans (qu’il ne voit pas beaucoup en raison du déménagement de son ex femme), par la pension alimentaire qu’il doit payer (qu’il considère trop élevée), par le fait qu’il a dû retourner vivre chez ses parents (encore un échec et une renonciation).
Médicalement parlant, il n’y a pas grand-chose à dire : il souffre d’asthénie physique et mentale. Il lui faut du repos, donc un arrêt, éventuellement un inducteur du sommeil pendant qu’il ne travaille pas et surtout pas le début d’entretien psychothérapique : il ne le supporterait pas.
Donc : arrêt de travail.
Il me pose la question suivante : ne faut-il pas que vous me prescriviez des médicaments en cas de contrôle de la sécurité sociale ? Il n’a pas tout à fait tort : si la sécurité sociale fait un contrôle à domicile, voire s’il s’agit de son employeur, le fait de ne pas avoir à ingurgiter des benzodiazépines peut paraître suspect du fait qu’il ne serait pas malade.
Voici cependant ce qu’il me raconte (on vient d’apprendre le matin même que l’instituteur qui avait organisé une sortie en car pour ses élèves et dont un certain nombre, sept, était mort sur un passage à niveau, venait de se suicider, selon la presse, rongé par les remords) : je travaille quinze à seize heures par jour, je travaille avec deux disques… Je déconseille à tout le monde de prendre le car en ce moment : la profession est aussi crevée que moi.
Je lui suggère tout ce qu’on peut suggérer dans ces cas-là, parler avec son patron, aller à l’inspection du travail, à la gendarmerie… Il me dit qu’il a besoin de son travail pour payer la pension alimentaire et que, surtout, sa femme cesse de dire à son fils qu’il est un fainéant.
Que doit faire le docteurdu16 ? Téléphoner à la police ?

jeudi 10 juillet 2008

Histoires de consultations : deuxième épisode.

Le Gardasil sur le comptoir.


Marie-Pierre, dans sa vingt-et-unième année flamboyante, dont j’apprendrai plus tard qu’elle est élève infirmière de deuxième année, s’installe en face de moi avec résolution et pose sur mon bureau une boîte de Gardasil. Je ne la connais ni des lèvres ni des dents.

- Bonjour.
- Bonjour, je viens pour que vous me fassiez le vaccin.

Ma surprise est totale et, bien malgré moi, elle s’exprime sur mon visage.

- Qui vous l’a prescrit ?
- Un médecin à l’école. Il nous a dit qu’il fallait le faire.

Je la regarde avec un air amusé et dubitatif.
- Et qu’est-ce qu’il vous dit ?
- Ben, il a dit que c’était pour empêcher le cancer du col de l’utérus. Que c’était important de le faire.
- Et quoi d’autre ?
- Ben, rien… On a eu un cours.
- Et c’est tout ce que vous avez retenu ?

Elle commence à s’impatienter. J’imagine qu’elle est venue chez le médecin pour être vaccinée, pas pour qu’on lui parle du pourquoi et du comment, ni pour subir une interrogation orale surprise. Elle a croisé ses jambes, signe qu’elle est sur le point de partir pour trouver un médecin un peu plus « moderne ».
- Vous êtes contre ? demande-t-elle, soudain agressive.
Je souris.
- Non, non. Disons que je ne suis pas totalement pour. Et je vais vous expliquer pourquoi.

Je commence par imprimer le petit mémo que j’ai écrit sur le Gardasil et je le lui tends.
« Prenez d’abord cela. C’est ce que je donne à toutes les jeunes femmes avec lesquelles je parle du Gardasil.
Elle prend la feuille du bout des doigts. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est une sacrée belle fille. Ce qui me donne instantanément une idée.
« Vous savez, le vaccin contre le papillomavirus ne prévient pas tous les cancers du col… Vous a-t-on parlé de la nécessité de continuer à faire des frottis tous les deux ans à partir de 25 ans, disons ?... (a priori non)…

Je continue mon argumentaire et, m’arrêtant brusquement, je lui demande brutalement : « Ca fait combien de temps que vous avez des rapports ? »

Elle n’a pas l’air surprise de la question.
- Chais pas, trois ans, peut-être…

Je n’ai pas vacciné la future infirmière.

A partir de là, comme dirait Didier Deschamps, je vous laisse, cher lecteur, vaticiner sur les conséquences de la publicité pharmaceutique grand public approuvée par les Pouvoirs Publics.

A vos croyances !

mardi 8 juillet 2008

Le docteur House et le médecin généraliste



DOCTEUR GREGORY HOUSE

Le fameux docteur Gregory House est probablement le prototype de l'anti médecin généraliste ou, pour faire moderne, le contre-héros du spécialiste en médecine générale.

Il exerce en institution (Princeton).

Il est chef de service d'une unité de diagnostic (Department of Diagnostic Medicine).

Il est le supérieur hiérarchique de trois assistants avec lesquels il pratique à propos de chaque malade brain storming, maïeutique et perversité.

Il combat la notion d'empathie avec les malades (au point de ne les voir ou, pire, de ne les examiner, qu'à regret et quand il ne peut pas faire autrement) et la dénonce même comme un danger permanent à l'exercice de la médecine.

Il a lu toute la littérature mondiale fût-ce en hindi ou en portugais.

Il ne fait confiance à personne et veut faire tout lui-même ou en ne déléguant à ses assistants que lorsqu'il est frappé de fainéantise ou qu'il veut les ennuyer : du séquençage de l'ADN aux visites à domicile quand les malades sont absents et, au besoin, en crochetant les serrures, et en passant par les ponctions intracraniennes...

Il contrôle les prescriptions de a jusqu'à z, allant même s'assurer de la couleur des comprimés à la pharmacie de l'hôpital, voire dans une pharmacie de ville, ou vérifier les dates de péremption ainsi que vérifier les affaires personnelles des patients.

Il pense que tout le monde ment, à commencer par les patients, et il n'hésite donc ni à mentir, ni à tromper, ni à exercer un chantage à l'égard des malades comme de ses collègues s'il s'agit de trouver un diagnostic ou de faire prendre un traitement (qui est parfois un placebo).

Il croit de façon pure et dure à la sémiologie clinique et radiologique au point de prescrire des examens complémentaires à tour de bras, fussent-ils dangereux voire potentiellement mortels ou seulement justifiés par l'établissement d'une preuve a contrario.

Il se fout du service juridique de l'hôpital même quand l'avocat est son ex femme ou quand un de ses collègues est obligé de se parjurer pour lui éviter des poursuites.

Il se moque des médecins qui considèrent que le thérapeute est le meilleur médicament mais il se sert de ce procédé pour arriver à ses fins.

Il méprise la bobologie au point de refuser les consultations de porte et de répéter partout "Moi, je sauve des malades...", il réfute la fonction sociale de la médecine et des médecins et, selon son ami Wilson, dit qu' "il n'est pas là pour sauver le monde mais pour résoudre le puzzle diagnostique."

Enfin, il déteste les spécialistes. Serait-ce le seul point commun avec le médecin généraliste ? Qui, on le sait, n'éprouve désormais qu'une seule ambition : être reconnu comme spécialiste.

Finalement Gregory House ne peut être un modèle pour nous qui exerçons la médecine de premier recours, la médecine de la famille, la famille de l'individu (non, je ne plaisante pas) mais il peut aussi nous faire entendre que la médecine, c'est aussi une science dure qui ne supporte pas l'à-peu-près et qui exige des connaissances et pas seulement psychologiques de l'approche des patients.
Une de mes malades, africaine, à qui je refusais de prescrire des antibiotiques pour, selon moi, de bonnes raisons, m'a apostrophé ainsi : "Vous n'allez pas devenir docteur House !"

jeudi 3 juillet 2008

Les médecins généralistes vont-ils disparaître ?

Une société sans médecins généralistes ?


La disparition annoncée des médecins généralistes semble ne préoccuper que les médecins généralistes : où sont les déclarations enflammées des associations de malades, des syndicats ouvriers, des forces vives de la Nation contre cette atteinte à la biodiversité médicale ?



Tout le monde s'en fout.



Faut-il s'en offusquer ou faut-il essayer d'en rechercher les raisons ?



On me dira que l'on se préoccupera de la question quand il sera trop tard : n'est-ce pas une règle d'or de l'humanité ? On le voit pour les énergies renouvelables.



Cette disparition est-elle vraie ou probable ?


Les patients comme les malades ont-ils envie de ne consommer que du spécialiste ? Pourquoi ce manque de reconnaissance à l'égard des médecins généralistes qu'on les appelle médecins spécialistes en médecine générale ou médecins de famille ou médecins de premier recours ?



Parce que les médecins généralistes ont cessé de produire du sens. La stratégie du désir des patients / malades ne passe plus par le médecin généraliste considéré peu ou prou comme un prestataire de service, un délivreur d'arrêt de travail, un prescripteur de paracétamol remboursé ou un rédacteur de lettre pour le spécialiste... Le médecin généraliste ne fait plus rêver le patient / malade.


Est-il déjà trop tard pour proposer des solutions ?


Le constat.


Les problèmes se situent au niveau

1) des médecins généralistes eux-mêmes,

2) des médecins spécialistes et

3) du désir des patients / malades s'inscrivant plus largement dans un consensus sociétal à l'égard de la médecine et des médecins.


1) Les médecins généralistes : incapables de s'organiser, divisés, non producteurs de travaux scientifiques (la médecine générale en tant que spécialité est dramatiquement inexistante), méprisés par leurs pairs (qui le font savoir aux patients / malades de façon verbale, non verbale, institutionnelle, administrative), ignorés par l'Université qui ne s'occupe pas de leur formation (par méconnaissance, inintérêt, condescendance), infantilisés par les Autorités de Tutelle, ennemis de la Formation Continue, farouches adversaires du contrôle de leur activité, poujadistes à l'égard de la Sécu, fiers prescripteurs de placebos, ils pensent qu'ils servent encore à quelque chose...


Et, bien entendu, ils servent à quelque chose. Mais ils sont incapables de dire s'ils ont une fonction médicale, sociale, sanitaire ou de prévention ou s'ils sont des amortisseurs sociaux du mal de vivre généralisé des sociétés modernes.


Si l'on voulait être plus méchants on dirait qu'ils sont aussi un instrument économique, soupape de sécurité pour les employeurs voyous, source de profits pour l'industrie pharmaceutique et que leur activité dépend largement de la surmédicalisation de la société à laquelle ils participent pour le meilleur et pour le pire.


L'augmentation des honoraires peut-il entraîner un changement des comportements ? Oui et non.

Commençons par le non : non, s'il n'existe pas une théorisation des pratiques, non, s'il n'existe pas une hiérarchisation des contenus, non si cela ne s'accompagne pas d'une amélioration des connaissances des médecins et des conditions de réception des patients, non, si l'augmentation est trop faible pour que le médecin ait envie de faire quelque chose et pour que le patient n'ait pas envie d'exiger autre chose. Les médecins gagneront plus à nombre égal d'actes mais le contenu de leur consultation sera identique.

Terminons par le oui : oui si cette augmentation est substantielle, suffisamment importante pour marquer le coup, pour que cela dissuade certains patients de venir pour un rhume (et un arrêt de travail), oui, si le patient / malade se rend compte que l'offre de soins a changé, que son médecin peut faire autre chose que ce qu'il imagine normalement.


Que faire ? Bosser, produire du sens, des travaux, organiser la recherche en médecine générale, créer une Université de tous les savoirs en Médecine Générale, communiquer, couper les liens avec les universitaires qui méprisent les médecins généralistes, faire une Charte de la Médecine générale, créer des Cercles de Qualité imposant, je ne sais pas, moi, le lavage des mains entre chaque patient, la rédaction systématique de lettres tapuscrites, la connaissance des recommandations, le boycottage des spécialistes ne jouant pas le jeu de la collaboration, le boycottage des services hospitaliers voyous, l'obligation de réunions de pairs, la formation de pôles d'excellence, la désignation, sur un secteur d'activités de médecins généralistes référents dans certains domaines (le droit du travail, l'informatique, la lecture des publications, les relations avec les institutions,...) consultables entre pairs, et cetera, et cetera, dont les réunions de santé publique avec les patients...


2) Les médecins spécialistes. La collaboration sur un pied d'égalité humaine est indispensable. Cette égalité n'est pas innée en raison de la structure des études universitaires (l'enseignement des spécialités survenant après l'obtention du diplôme de médecin qui permet d'exercer la médecine générale).


L'égalité se conquiert.


Cette conquête est liée à plusieurs facteurs : des relations interpersonnelles fondées sur l'excellence scientifique (ce qui présuppose, de chaque côté, des connaissances de sa spécialité et une ouverture sur celle de l'autre) ; une relation donnant donnant : comment exiger que la lettre du spécialiste soit informative et pédagogique si celle du médecin généraliste est quelconque ? une concordance des valeurs, des priorités et des préférences de chacun ; un partage confiant des données.


Les médecins spécialistes ne sont ni des ennemis ni des supérieurs hiérarchiques. Ils n'exercent pas la même médecine non parce que les uns seraient les médecins de la globalité et les autres les médecins des organes mais parce que le contexte de soins est le plus souvent différent : le médecin généraliste est en première ligne alors que le spécialiste est un second choix (sauf en cas d'urgence) ; le médecin généraliste est le médecin de la durée alors que le spécialiste est souvent celui de l'instant ; le médecin généraliste n'a pas toujours besoin d'un diagnostic alors que le médecin spécialiste ne peut rien sans ce diagnostic ; le médecin généraliste, sauf de rares exceptions, reçoit "chez lui" alors que le spécialiste peut recevoir "chez lui" mais surtout dans des structures institutionnelles (clinique ou hôpital) : le médecin généraliste ne répond qu'à lui-même alors que le spécialiste peut devoir à l'institution (plus forte que lui).


L'égalité avec le spécialiste est difficile car le spécialiste a à sa disposition 99 % de publications internationales et il peut, sans n'avoir jamais fait aucun travail de recherche, appliquer directement des principes qui concernent les patients qu'il reçoit (en deuxième voire en troisième main). Le médecin généraliste est, lui, toujours en train de composer entre les données de la science obtenues sur des patients sélectionnés, explorés, testés et diagnostiqués et les données empiriques qu'il a recueillies auprès de son malade. Cette difficulté, au lieu de dévaloriser le médecin généraliste, devrait le grandir. Mais à condition de théoriser.


(Il n'est pas inintéressant de noter que certains spécialistes ne produisant pas d'actes techniques, les pédiatres, les psychiatres, dans une moindre mesure les dermatologues, les gynécologues, sont en train de se paupériser au même titre que les médecins généralistes et qu'au lieu de se rapprocher de leurs pairs ils feraient mieux de collaborer avec les médecins généralistes...)


3) Les patients / malades. Une mauvaise plaisanterie serait de dire que les patients vont voir les médecins généralistes et ne deviennent malades qu'après avoir consulté un spécialiste. Cette boutade a un côté véridique dans l'esprit des patients. Nous devons l'analyser. Nous devons savoir ce qui conduit les patients / malades chez nous, les médecins généralistes, et pourquoi ils désirent aussi aller chez le spécialiste. Qu'est-ce que nous n'avons pas que les patients désirent ? Est-ce un déficit d'informations de notre part, est-ce un déficit de communication, est-ce un déficit d'actes techniques, est-ce un manque d'attention, est-ce un manque de diagnostic, est-ce un renoncement chaque fois que nous adressons un patient / malade chez le spécialiste ?


A l'heure des informations "libres" sur Internet, que doit-on dire "en plus" à nos malades ? Comment doit-on les informer, les former, comment nous valoriser alors qu'existent tant d'émissions médicales à la télévision où les médecins généralistes brillent par leur absence et où les dynamiteurs de service, les Pelloux, les Kouchner, ne cessent de nous comparer à des officiers de santé (des bobologues) ?


Il est probablement nécessaire que nous repensions l'accueil de nos patients / malades, que nous réanalysions le contenu de nos consultations, leur modernité, que nous structurions notre communication externe et interne, que les patients / malades se rendent compte du plus qu'ils ont à venir chez nous plutôt qu'aux urgences ou directement chez le spécialiste ou à consulter Internet.
Il faut réorganiser dans notre tête notre offre de soins. Il faut que le patient / malade, quand il décide d'aller voir son médecin traitant, sache pourquoi il va aller le voir, ce que son médecin généraliste va exiger de lui et ce que lui peut exiger de son médecin généraliste.
La raréfaction des médecins généralistes, ou leur supposée raréfaction, doit constituer une chance pour la médecine générale : la pénurie d'offre ou l'explosion de la demande doivent conduire la profession à structurer sa pratique.
Go !