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jeudi 16 mars 2017

Trop de médecine. Histoire de consultation 196.

J'ai la rateQui s' dilateJ'ai le foie. Qu'est pas droit. J'ai le ventre. Qui se rentre

Monsieur A, 59 ans, est un homme charmant (ce dont tout le monde se moque a priori mais c'est une phrase obligée pour attirer l'attention sur le fait que je ne pratique pas le patient-bashing), cadre supérieur dans une banque, assez fier de lui et de son apparence, ses collègues de bureau l'appellent "coquet" (ne me demandez pas comment je sais cela et j'ajoute, pour être précis, que sa femme ne  sait pas qu'on l'appelle ainsi mais qu'elle y souscrirait volontiers).
"Bonjour.
- Bonjour.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive ?
- Oh, pas grand chose. Mais, dites-moi, docteurdu16, c'est de plus en plus difficile d'avoir des rendez-vous avec vous, cela fait quatre jours que j'appelle et c'est toujours complet.
- C'est vrai que c'est un peu chargé en ce moment, (phrase du médecin qui se la pète dans le style "qu'est-ce que je suis demandé..." ou "c'est la rançon du succès" alors que, pour moi, c'est tout simplement de la lassitude), et donc, qu'est-ce qui vous amène ?
- Oh, j'ai fait la grippe, mais c'est passé.
- La grippe ?
- Oui, j'avais le nez pris, je toussais, un peu de fièvre, j'ai empêché ma femme de dormir... mais ça va mieux, j'ai pris du doliprane.
(remarquons ici que je n'ai pas interrompu le patient, enfin, ce qu'il en restait puisqu'il était "guéri", qu'il s'est interrompu lui-même, attendant sans doute un commentaire de ma part, avant les 23 secondes fatidiques, le temps moyen que met une brute en blanc selon Martin Winckler/Marc Zaffran, citant là une étude ancienne étatsunienne de 1999 (voir LA), pour faire taire le patient - -j'écoutais l'autre soir sur France Culture, le feuilleton de France Culture, une adaptation radiophonique du fameux et fondateur roman "La maladie de Sachs" du célèbre sartho-montréalais paru en 1998 et ayant obtenu le prix du livre Inter la même année, qui me conforta dans l'idée, l'adaptation était d'un ridicule achevé, mais, justement, le ratage de cette adaptation, des années après la publication du roman -- que j'avais lu en diagonale et sur les conseils de ma maman qui trouvait le livre formidable sans l'avoir vraiment lu-- montre combien l'idée de la médecine générale n'a pas avancé d'un pouce dans l'esprit des citoyens qui ne retiennent que les côtés romantique et vocationnel comme le film encore plus ridicule "Médecin de campagne" de 2016 le prouve jusqu'à la nausée-- que je n'avais pas aimé le roman initial)
(remarquons aussi que le vocable grippe a un contenu très extensif qui ne cesse de me faire réfléchir)
- Ainsi venez-vous me voir quand vous n'avez plus rien.
- Cest cela.
- Vous auriez pu annuler le rendez-vous, cela aurait fait plaisir à d'autres patients.
- Oui, mais je voulais que vous me confirmiez que j'étais guéri.

Trop de médecine est un slogan mal compris. Les médecins y voient une critique de leur profession et les pharmaciens (voir LA) une atteinte à leur chiffre d'affaire.

Cette consultation montre les dérives de la santé à tout prix et de la médecine à tout faire (j'ai déjà développé cela 100 fois, je ne m'appesantis pas). Bénissons donc les délais pour obtenir une consultation : les patients guérissent avant.

Mais aussi ceci : le besoin d'être malade et d'en parler à son médecin. Ou, plus prosaïquement : le besoin que l'on s'intéresse à soi. Estime de soi et hypochondrie. 

(j'ajouterai ceci : Monsieur A m'a demandé pendant des années pourquoi je ne lui prescrivais pas de statines pour "son" cholestérol jusqu'au jour où il lut un article indiquant que les statines pouvaient entraîner des impuissances (sic) et qu'il comprit à tort pourquoi, lui qui ne présentait aucun facteur de risque cardio-vasculaire, je ne lui avais rien prescrit, alors même que les risques de troubles de l'érection sous statine... , ce dont il me remercia à l'égal de ma façon de ne pas avoir prescrit de mediator à sa femme... Et c'est ce même patient qui me tanne encore pour que je lui prescrive un dosage de PSA, je lui ai pourtant cent fois raconté l'affaire, ce qui montre que la peur du cancer chez CE patient est plus forte que la peur d'être impuissant, ce qui doit être modéré par le fait qu'il n'a toujours pas eu de dosage du PSA alors que je cède le plus souvent dans le cadre d'une décision partagée...  mais que la peur du mauvais cholestérol ne fait pas le poids avec le risque d'avoir des troubles de l'érection)

Bonne journée en bonne santé.