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lundi 18 octobre 2010

UN BON MEDECIN QUI NE CONNAIT PAS LES STATISTIQUES : PORTRAITS MEDICAUX (2)

Benjamin Disraëli (1804 - 1881)
Il y a trois sortes de mensonges : les gros mensonges, les mensonges sacrés et les statistiques.
Lies, damned lies, and statistics.

Le docteur B est un bon médecin généraliste qui fait correctement son travail. Il ne reçoit que sur rendez-vous et ne fait jamais, sauf urgence du siècle, de dérogation. Il lui arrive de faire des visites, environ cinq ou six par semaine, mais il s'agit de visites programmées chez des personnes âgées ou invalides qui ne peuvent se déplacer (que chez leur spécialiste). Il est un bon médecin généraliste qui ne se contente pas de faire de la bobologie et de croire qu'il n'en fait pas. Il est dévoué avec ses patients, n'hésita pas à passer du temps quand il faut passer du temps, il fait le suivi des nourrissons, il fait le suivi des femmes enceintes, il débarrasse les patients de leurs verrues, il fait de la petite chirurgie, il infiltre les épaules, les genoux, les canaux carpiens, les épicondyles, il lui arrive même de faire des électrocardiogrammes, il fait des frottis vaginaux. Compte tenu du prix de la consultation, de son appartenance au secteur I sans dépassement d'honoraires, on peut dire qu'il donne de sa personne et qu'il n'est pas avare de son temps. Il se rend dans des séances de formation médicale continue sponsorisée pour les repas par l'industrie pharmaceutique, il reçoit un laboratoire pharmaceutique par semaine à son cabinet et il lui arrive de déjeuner à l'oeil dans un restaurant de sa ville invité par une charmante déléguée médicale. L'observation de ses prescriptions indique qu'il prescrit peu d'antibiotiques dans les affections virales, qu'il prescrit modérément dans nombre de maladies, que le nombre de lignes sur les ordonnances de personnes âgées est un peu au dessus de la moyenne nationale mais que cela n'a rien d'exceptionnel, il prescrit des arrêts de travail avec mesure et tact compte tenu de la zone dans laquelle il exerce, il ne prend plus de gardes depuis des lustres parce qu'il trouve que ses journées sont assez remplies comme cela, il adresse les patients en loco-régional parce qu'il trouve que les spécialistes de sa ville sont compétents, il s'informe en lisant la presse sponsorisée... Que dire de plus ? C'est un bon médecin au sens classique du terme : il écoute, il entend, il ne fait pas que de la médecine, il fait aussi du social, mais comment pourrait-il faire autrement dans le type de ville où il exerce ?
Mais il y a un hic : il croit beaucoup trop en la médecine.
Je ne sais pas trop comment exprimer cela.
En gros, pour simplifier, allons, simplifions, il pense que les progrès enregistrés dans les pays industrialisés comme la baisse de la mortalité infantile ou l'augmentation de l'espérance de vie sont liés exclusivement à l'action de la médecine et des médecins.
Il ne croit pas aux paradoxes tels que 'La mortalité cardiovasculaire a diminué avant l'arrivée des anti hypertenseurs efficaces' ou 'La mortalité par rhumatisme articulaire aigu a diminué avant l'arrivée de la pénicilline' ; il ne doute jamais de l'efficacité des vaccins, quelle que soit le domaine. Toute attitude dubitative sur le rôle imparfait de la médecine lui paraît ressortir de la théorie du complot.
Mais surtout : il est persuadé que la médecine préventive peut presque tout.
Non seulement il en est persuadé mais il y croit et l'applique dans sa vie de tous les jours : il donne des conseils hygiéno-diététiques aux jeunes mamans, aux diabétiques, aux hypertendus, aux dyslipidémiques, il déconseille l'excès d'alcool et le tabagisme et, pourtant, si on le traitait d'hygiéniste, il ne saurait même pas de quoi on pourrait l'accuser.
Il est deux choses qu'il ne comprend absolument pas : que le dosage du PSA puisse ne pas être efficace ; que le dépistage du cancer du sein puisse entraîner des désavantages.
Le docteur B se fie à son bon sens : il faut tout faire pour sauver une vie ! Et d'ailleurs, est-ce tout faire que de prescrire un PSA ? Est-ce tout faire que de prescrire une simple mammographie ?
Vous aurez beau lui donner tous les arguments du monde, lui fournir toutes les preuves contraires, il ne se fiera qu'à son sens clinique et au sourire d'une vie sauvée.
Mais alors, vous aurez tout faux si vous lui sortez des statistiques. Les statistiques l'emmerdent. Les études cliniques avec des statistiques, des petits p, des risques relatifs, tout cela l'emmerde. Les tests cliniques avec des spécificités, des sensibilités, des valeurs prédictives positives, des valeurs prédictives négatives, l'emmerdent.
Il n'a jamais lu de sa vie une étude clinique dans le texte. Il n'a jamais cru que les études cliniques pouvaient perturber sa vision personnelle de la réalité clinique.
Il ne comprend rien aux statistiques. Un point c'est tout. Et bien qu'il ne connaisse pas la phrase de Disraëli ou la phrase que l'on a attribuée à Disraëli, n'est-ce pas Mark Twain qui l'a popularisée ?, le fait de lui apprendre contentera son sentiment épidermique contre les stats.
Le docteur B croit trop en la médecine et à ses pouvoirs magiques qu'il ne considère pas comme magiques mais comme logiques.
Ce médecin est un sentimental : il croit à la sentimentalité du diagnostic qui sauve une vie.
Ce médecin, le bon docteur B, qui, on l'a vu, est un bon médecin praticien, veut faire le bonheur des malades malgré eux. Ou alors : en niant tout attitude paternaliste, il dira qu'on ne peut pas faire d'omelettes sans casser des oeufs et que pour sauver une vie il est possible soit de rendre un homme non malade impuissant, soit d'amputer le sein d'une femme non cancéreuse...
Comme il ne comprend pas les statistiques il ne sait pas que ce sont plusieurs hommes qui seront rendus impuissants par le sauvetage d'une vie (48 exactement) (voir ici) et plusieurs femmes qui seront opérées à tort pour le sauvetage d'une autre vie (10 femmes exactement) (voir ici).
Le docteur B est plus fort que les statistiques qui se trompent forcément et qui ne peuvent s'opposer au fait que sauver une vie est, finalement, l'objectif final de la médecine.
On rappelle que les statistiques actuelles (au dix-huit octobre 2010) déconseillent le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et indiquent que le dépistage du cancer du sein entre 50 et 75 ans par la pratique d'une mammographie tous les deux ans est loin d'avoir un rapport bénéfices / risques favorable.

dimanche 28 juin 2009

NOMBRE DE MALADES A TRAITER : LES ILLUSIONS DE LA MEDECINE GENERALE PRATIQUEE DANS SON COIN

Nous abordons ici un cas pratique de statistiques que j'ai trouvé dans le British Medical Journal et qui doit être envisagé sous l'angle de la médecine générale, le seul angle qui nous intéresse ici.

Un cas qui illustre les impasses de la méthode intuitive isolée non accompagnée de solides références bibliographiques (et statistiques). Le principe de l'Evidence Based Medicine (Médecine par les preuves) en quelque sorte qui devrait associer expérience personnelle, dernier état des connaissances et... Valeurs et préférences des patients !

Un cas qui souligne le fait que la médecine générale ne peut se cantonner à la seule expérience personnelle qui n'est souvent que le reflet d'une méconnaissance de l'expérience des autres, fût-elle isolée ou regroupée en essais cliniques contrôlés associée, surtout, à l'illusion que chaque thérapeute se fait de ses propres qualités (l'ego).

Un cas qui nécessite de s'interroger sur l'effet placebo comme nous l'avons déjà fait sur ce blog : L'USAGE DU PLACEBO EN MEDECINE : UN DANGER POUR LE PRESCRIPTEUR


Voici ce cas :

Deux semaines après l'entrée dans un essai clinique visant à traiter les symptômes d'une infection pulmonaire 25 % des patients recevant un placebo contre 15 % des patients recevant un antibiotique sont encore symptomatiques.

Question : quel est le nombre de patients qu'il faut traiter par antibiotiques pour supprimer les symptômes à 15 jours ?
La réponse est 10. Cela signifie, dans ce cas, qu'il faut traiter au moins dix patients par antibiotique pour obtenir un bénéfice chez un patient supplémentaire par rapport à ceux qui auraient été améliorés par le placebo.
(Cela laisse rêveur et cela doit être interprété en d'autres circonstances en fonction de la gravité de l'affection et / ou aux effets indésirables graves du traitement.)
Mais venons-en à ce qui m'intéresse le plus : 1,18 (soit 1/0.85) est le nombre de patients qu'il faut traiter si l'on ignore le taux de disparition des symptômes dans le groupe placebo. En d'autres termes il faut traiter 118 patients par antibiotiques pour que 100 soient améliorés ! C'est le "taux de guérison" éprouvé par les cliniciens en pratique car, hormis les essais cliniques, il est rare que les médecins prescrivent un placebo à 50 % de leurs malades !
Cet exemple d'une grande banalité signifie que les praticiens ont bien raison d'être contents d'eux dans leur pratique quotidienne car ils ne sont pas confrontés à l'effet placebo qui pourrait les voir reconsidérer non leurs choix thérapeutiques mais leur efficience véritable.
Deux applications :
  1. Prescrire un placebo dans une affection qui guérit toute seule procure beaucoup de satisfaction personnelle : antibiotiques dans la rhionopharyngite !
  2. Prescrire un traitement actif dans une affection qui guérit toute seule est encore plus démonstratif : prostatectomie dans le cancer de la prostate
Bonnes réflexions !

PS du 16 juin 2016 : le nombre de patients à traiter dans un article lumineux. ICI.