Affichage des articles dont le libellé est SPECIALISTES D'ORGANES. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est SPECIALISTES D'ORGANES. Afficher tous les articles

jeudi 16 avril 2015

Les spécialistes d'organe sont indispensables, mais je me soigne.


Récemment, sur Twitter, un ophtalmologiste n'était pas content du tout car je relayais des informations Prescrire concernant des produits d'ophtalmologie. Un autre est venu à sa rescousse pour en rajouter. Le discours, en substance, était le suivant : "De quel droit Prescrire se permet-il de juger nos prescriptions ?..." Je rajoute sans forcer ce qu'ils voulaient dire : "De grands spécialistes n'ont pas besoin de journalistes non spécialistes pour dire leur spécialité."



Bon, faisons un détour par Prescrire avant de continuer.
Chaque année la revue détaille l'origine de ses abonnés. Et le nombre de spécialistes d'organes stagne lamentablement (5,3 % en septembre 2014). A quoi est-ce dû ? Je me permets une interprétation : Prescrire est une revue généraliste qui analyse la littérature scientifique et les spécialistes d'organes ont besoin de Closer et de bruits de chiottes pour briller. Ce n'est pas une provocation ! Restez avec nous. Closer, c'est le Quotidien du Médecin, Le Généraliste, Doctissimo, le JIM, Closer, c'est le ou la VM qui dit confidentiellement au spécialiste, avant les autres, pour qu'il passe pour un pionnier, un précurseur, un gars qui en est, que le professeur Dugland de l'hôpital des Trente et Quarante, eh ben, le vitreozumag, on peut en faire hors AMM dans telle indication et ça marche ! Un abstract publié par un des labos du big five et passez muscade (un des ophtalmologues condescendants avec Prescrire et avec ma pomme m'adresse  ce qu'il croit être un missile, un article (ou plutôt un abstract) tiré de PubMed qui justifie ses dires. Il suffit de cliquer sur le nom des auteurs pour se rendre compte que le papier a été financé par le laboratoire qui commercialise le produit. Beaucoup de naïveté.

Il y a aussi des médecins généralistes qui versent dans la servitude volontaire. "Puisque je n'y connais rien, faisons confiance" dit l'un, "La confiance est la base de la confraternité" dit l'autre. Ou alors :"Ils ont fait tant d'études qu'ils ne peuvent se tromper..."

Photographie de patients de John Sassall par Jean Mohr


Nous ne pouvons pas tout vérifier, cela va de soi. Nous avons donc des aides pour exercer notre esprit critique, Prescrire, bien entendu, mais aussi nos correspondants qui partagent avec nous une vision commune de la médecine, des relations avec les patients, des relations avec l'industrie, des relations avec les autorités. Mais tout comme nous ne pouvons être complètement d'accord avec Prescrire, nous ne pouvons être complètement d'accord avec nos correspondants, fussent-ils des amis chers et/ou de purs techniciens. Chaque spécialité a par ailleurs sa spécificité, ses qualités et ses dangers.

J'ai déjà écrit sur le sujet de l'importance des spécialistes d'organe : ICI. Mais il semble, d'après de multiples réactions négatives, que mon propos soit mal passé auprès de ces spécialistes qui pensent que la seule critique qu'ils puissent accepter ne puisse venir que de leurs pairs. J'ai également écrit par provocation que les spécialistes d'organes devraient faire un peu plus de médecine générale (LA). Pas de retours.

John Sassall


Les spécialistes d'organe sont indispensables.
Ils sont indispensables car ils ont suivi une formation spécifique (si je voulais être méchant, je dirais un formatage) et que les malades qui leur sont adressés sont des malades sélectionnés que les médecins généralistes n'ont pas l'habitude de voir (en termes de fréquence).
Ils sont indispensables car il est des situations cliniques qui exigent des examens complémentaires auxquels il est nécessaire d'être adapté et compétent, des situations cliniques qui exigent une adresse intellectuelle et manuelle liés à l'expérience interne, à l'expérience externe et, aussi, à l'automaticité des comportements.
Ils sont indispensables car certains malades nécessitent une hospitalisation, des soins particuliers, des tests diagnostiques effectués dans des laboratoires spécialisés.

Les spécialistes d'organe ne se ressemblent pas.
Nous entrons ici dans le vif du sujet. La prescription d'un spécialiste d'organe par un médecin traitant n'est pas un geste anodin et exige beaucoup de réflexion. Mais le médecin traitant dispose-t-il des éléments lui permettant de choisir ? Doit-on prescrire des radiographies en précisant le nom du radiologue ? A-t-on, en raison de la raréfaction de certaines spécialités, le choix éclairé possible ?
La connaissance du milieu est fondamentale. Ecoutez les conversations entre cardiologues et/ou entre chirurgiens orthopédistes, vous serez édifié sur qui est à la pointe, qui est un vendu, qui est un excellent clinicien, qui est un spécialiste de ceci ou de cela, qui est un sale khon.
Je dirai ceci par pure provocation : quand nous adressons un patient en aveugle chez un spécialiste, et en dehors de l'urgence, c'est que nous ne faisons pas notre boulot de médecin généraliste.

Les spécialistes d'organes ne sont donc pas généricables.
Il est donc du devoir du médecin généraliste de choisir. Mais est-ce possible et sur quels arguments peut-il se fonder ? Qu'est-ce qu'un bon spécialiste d'organe ? Chaque médecin généraliste prend des décisions inconscientes et conscientes dans ces situations.
Il paraît logique que l'on doive se décider en fonction de l'EBM en médecine générale (j'ai développé LA). Mais il arrive que nous ayons besoin, pour nos patients, d'un spécialiste qui ne partage pas notre vision de la médecine EBM en médecine générale...

Les spécialistes d'organe se doivent d'être à la pointe de leurs connaissances.
Un spécialiste d'organe a une obligation de connaissance, il se doit de lire, de discuter, de commenter les dernières publications concernant sa spécialité. Sinon, il ne sert à rien ! Quand un médecin généraliste se trompe, quand un médecin généraliste ne connaît pas la dernière mode, quand un médecin généraliste prescrit des examens complémentaires inutiles, il est tout aussi condamnable qu'un autre médecin mais il est nécessaire d'être indulgent, car la médecine générale, je l'ai assez répété, est un trou sans fond, un tonneau percé, une ouverture sur l'impensé, une inconnue sidérale, alors que le spécialiste d'organe est concentré sur un champ plus limité de la connaissance et de la pathologie.

Le rôle du spécialiste d'organe est aussi de donner l'exemple.
Donner l'exemple c'est former le médecin généraliste dans sa spécialité, c'est éviter les consultations inutiles, les interrogations pour rassurer, combler les manques conceptuels ou purement cognitifs, prescrire à bon escient, éliminer les produits inutiles, se concerter, ne pas céder aux sirènes de big pharma, des bruits de couloir, des bruits de chiottes entendus ici et là et, surtout, j'insiste lourdement, le rôle du spécialiste d'organes c'est d'affirmer, de confirmer les diagnostics et ne pas faire de la médecine d'organe probabiliste.

Dénoncer les pratiques anormales des spécialistes d'organe est aussi le rôle des médecins généralistes. Et vice versa.
Il ne s'agit pas de faire des listes et de donner des noms, il s'agit de rappeler l'excellence et de dénoncer les compromissions, quand elles existent, et de rappeler au règlement quand il s'agit de pratiques illicites, non déontologiques, commerciales, big pharmiennes, big matérielles...

Quelques idées de blogs spécialisés.
A défaut d'avoir ces spécialistes comme correspondants.

Pneumologie : https://2garcons1fille.wordpress.com/category/bureau-de-totomathon/. Je vous conseille notamment ses deux billets sur la spirométrie en médecine générale. Remarquable. https://2garcons1fille.wordpress.com/2014/01/30/la-spirometrie-pour-tous-1-la-spirometrie-en-cabinet-de-medecine-generale/

Cardiologie : http://grangeblanche.com, dans ce blog on trouve des analyses que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur les médicaments et sur leur usage. En toute indépendance et avec beaucoup d'alacrité masquée.

Néphrologie : http://perruchenautomne.eu/wordpress/ et voici un exemple d'article "fameux" sur AINS et Insuffisance rénale aiguë : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3308 mais celui sur la restriction hydrique était un top : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3083 . A explorer.

Ophtalmologie : http://le-rhinoceros-regarde-la-lune.over-blog.org/page-1221302.html, blog militant mais quand il parle d'ophtalmologie, les propos sont didactiques et très adaptés à l'ignorant médecin généraliste que je suis.

Neurologie : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr. J'ai par exemple trouvé ce billet sur les arnoldalgies tout simplement remarquables : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2015/03/cephalees-dites-darnold-et-autres.html

Je me suis fait des amis en ne citant pas d'autres blogs tout aussi talentueux mais disons que je dis... la vérité sur ma pratique blogueuse.

John Berger
Les photographies sont tirées de l'excellent blog littéraire de Rick Poynor (LA) et montrent notamment les visages de John Sassall, le médecin généraliste rural, et de John Berger, activiste d'extrême-gauche connu pour son soutien aux Black Panthers et aux Palestiniens.

Selon les formules consacrées, ce livre devrait être remboursé par la sécurité sociale (du moins l'AMO) et, comme le dirait Bernard Pivot, si vous le lisez et si vous ne l'appréciez pas...

Il devrait, selon la formule paternaliste bien connue, être lu par tout étudiant en médecine et par tout IMG avant toute installation bien que la fin tragique du médecin pût entraîner une certaine réserve.

PS : désolé pour l'erreur technique qui a fait disparaître le billet du blog et qui n'a laissé en mémoire pour l'administrateur qu'une version très ancienne.


dimanche 25 août 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 6 : Donner envie aux spécialistes de faire de la médecine générale.


Donner envie aux médecins spécialistes d'organes (je suis désolé d'utiliser une expression aussi connotée et, pour certains médecins spécialistes, une formulation qu'ils peuvent percevoir comme péjorative) d'exercer la médecine générale dans le cadre de leurs activités habituelles de spécialistes au niveau institutionnel et / ou libéral, n'est pas illusoire à condition que la médecine générale, refondée (et l'exercice paraît difficile, on le voit à partir des commentaires des différents billets publiés sur la refondation, tant le sujet est vaste, le traumatisme profond et l'injustice criante), soit une façon d'élargir le champ de leurs compétences.

J'ai déjà écrit ceci et LA qu'il n'était pas possible aux médecins généralistes de se passer des spécialistes d'organes pour exercer une médecine générale de qualité. Car nous nous priverions : 1) de leur expérience externe ("faire" la littérature, enseigner, étudier, discuter, et cetera...) ; 2) de leur expérience interne (leurs façons de faire, leurs techniques, l'appréciation du résultat de leurs techniques, leurs correspondants, et cetera...) ; 3) et des valeurs et préférences des patients consultant un spécialiste et l'idée qu'ils se font de ces consultations et / ou hospitalisations.

Il faut évacuer un sujet sensible et mal compris de mon discours : je ne défends pas mordicus les médecins généralistes, je défends mordicus la médecine générale exercée par des médecins conscients de ce qu'ils font. Je ne résume pas le champ de la médecine générale à un exercice, entreprise déjà tentée, je mets en avant le champ de l'activité cérébrale du médecin généraliste, c'est à dire le questionnement incessant de l'Evidence Based Medicine en Médecine Générale (EBMG) comme préalable et l'Etat d'Esprit (ou le point de vue) comme décor (Merci à martine bronner).

Je pense que nos collègues spécialistes sont conscients, au delà du sentiment de supériorité qu'ils affichent ouvertement pour les plus sots d'entre eux par rapport à leurs pratiques, mêmes ceux qui ne font (bien) que des RTU (résections trans urétrales) ou des BUD (bilans urodynamiques), ou des dialatations de l'IVA (interventriculaire antérieure), ou des poses d'endoprothèses biliaires, ou des lectures d'ECG compliqués (la liste n'est pas exhaustive mais tout le monde se reconnaîtra) à vie leur fait oublier qu'ils sont aussi des médecins généralistes, je veux dire des médecins de l'organe, de la personne et de l'environnement (OPE) (un grand salut à JF Massé) et qu'une médecine générale refondée est une chance pour leur propre exercice de leur spécialité.

Les grands problèmes médicaux soulevés ces dernières années par les médecins généralistes, et indépendamment du fait que le levier initial fut parfois du corporatisme (voir la pseudo pandémie), sont le fruit de leurs pratiques et, de leur statut, de leur façon d'être perçus par la société, par les patients (et les politiques), et de leur connaissance conjointe de la transversalité / longitudinalité de l'historique individuel.

La grande médecine triomphante, celle de l'hyper technique, se heurte à l'individu plongé dans une société qui lui fait miroiter la vie éternelle, la vie sans douleur, la vie sans contrariétés et qui ne peut faire que des sur promesses sources de désillusions. Et où finissent par se retrouver les patients déçus de la société ? Chez leur médecin généraliste qui, souvent, n'en peut mais.

La course à l'ego touche tout le monde mais les spécialistes sont plus stratégiquement contaminables puisqu'initiateurs des prescriptions et plus facilement introductibles dans les instances décisionnelles des Agences et des Gouvernements. Les spécialistes sont flattés pour être le relais des politiques marketings des firmes d'abord en local (les correspondants) puis en locorégional (les réseaux), puis au niveau national (participation aux comités Théodule ou aux Agences gouvernementales) où c'est la nomination qui rend expert mais non les travaux publiés auparavant et à l'international pour les anglophones. Comment résister ?

Et nous entrons dans le domaine de la corruption généralisée de la médecine, ce que Peter Götzsche appelle le Crime organisé. Corruption des institutions, corruption des politiques, corruption des professionnels, corruption des entreprises... Qui a commencé ? Il existe un  lobby politico-administrativo-industriel qui empêche de voir, d'entendre et d'écouter. Il existe un lobby qui crée des experts bien pensants (voir la fabrique des experts ou Expert Mongering) qui font la pluie et le beau temps pour le bien-être des populations soumises.

Et donc, le lobby nous dit que le dosage du PSA doit être individuel et non collectif, que la mammographie est un des Beaux-Arts, que le Pandemrix est sûr, que les vaccinodromes étaient l'avenir de la médecine, que les examens périodiques de santé servent à quelque chose (1), que les benzodiazépines à longue demi-vie sont dangereuses, que la pilule oestro-progestative est moins thrombo-embolique que la grossesse...

La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si la Refondation se fait.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si le Bon Esprit de la médecine générale (EBMG et Etat d'esprit) élargit le champ des compétences des spécialistes.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si les médecins généralistes cessent d'être soumis statutairement aux diktats des experts.
La médecine générale est la chance de la médecine de spécialité si les médecins généralistes haussent la qualité des informations qu'ils délivrent à leurs collègues...

Vaste programme.


Notes :
(1) On aimerait qu'une CPAM invitât un expert pour faire un exposé sur l'inutilité des examens périodiques de santé, ce qui montrerait qu'elle peut, elle-aussi, lutter contre le lobby mais dans le champ de ses compétences...

PS du 18 janvier 2020 : le BMJ se penche sur la question : ICI

Illustration : Häuser in Unterach am Attersee, 1916, by Gustav Klimt