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dimanche 27 novembre 2022

Bilan médical de la semaine du lundi 21 au dimanche 27 novembre 2022 : articles et ordonnance alakhon, la réintégration des soignants vaccinés, le cannabis thérapeutique, vérités aujourd'hui = erreurs de demain, soins palliatifs, antidépresseurs.



Viggo Mortensen
Il est temps de renoncer à changer la médecine.

1. L'article alakhon de la semaine. Laure Dasinières

Après avoir publié un article le 22 novembre 2022 dans Numerama (ICI) intitulé sobrement "'J'aimerais qu'il existe  un traitement' : la détresse du Covid long toujours sans remède" et que l'on peut résumer ainsi :

  • Disease Mongering
  • Fear Mongering
  • Veillée des chaumières
  • Hype pharmaceutique
  • Hype boursier
  • Indignité

article qui aurait mérité une publication plus appropriée dans Gala ou dans Closer...

Lire ma version longue : ICI.

2. Mais la semaine alakhon n'était pas terminée.

... notre journaliste qui-ne-se-trompe-jamais publie le 25 novembre suivant un nouvel article (LA) appelé sobrement "Le populisme nuit gravement à la santé" en association cette fois avec le prophète helvète Antoine Flahault, l'épidémiologiste qui-ne-s'est-jamais-trompé-sauf-une-fois-au-moment-de-la-pseudopandémie-de-grippe-mais-il-est-pardonné-parcequ'il-s'est-excusé que l'on peut résumer ainsi : 

  • Nous sommes les représentants du Ministère de la vérité 
  • Nous savons ce qu'est la Science 
  • La médecine est une science
  • Toute personne qui n'est pas d'accord avec nous est trumpiste, bolsonarienne ou rahoultienne
  • Théorie de l'homme de paille.
  • Fausse objectivité.

Résumons encore : toute personne qui ne pense pas comme le duo Flahault-Dasinières ou le duo Dasinières-Flahault est : trumpiste, bolsonariste ou raoultien. Et donc criminel.


James Dean (1931-1955)
En train de calculer son score calcique


3. Faut-il réintégrer les soignants non vaccinés ?

Le débat fait rage à l'Assemblée, chez les professionnels de santé, dans la société civile.

Je pense que non, il ne faut pas réintégrer les soignants non vaccinés.

Mais de quels non vaccinés s'agit-il ? Ceux qui n'ont reçu aucune dose ? Ceux qui ont refusé le premier booster ? Ceux qui ont refusé le deuxième ?

Il existe une gradation à l'intérieur du cerveau des non vaccinés et il est possible de faire la différence entre les professionnels de santé qui pensent que les vaccins ARNm protègent incomplètement contre la transmission et ceux qui affirment que les vaccins ARMm tuent.

Où placer le curseur ?

Voici une réflexion sur twitter qui mérite attention : LA.

Ne nous embêtons pas : il y a des recommandations, il faut les suivre. En sachant que les recommandations ne sont pas fondées.

La question suivante est celle-ci : faut-il désintégrer tous les professionnels de santé qui ne suivent pas en ce moment les recommandations (je ne dis pas 'de la science' puisque vous savez ce que je pense de cette assertion mensongère en médecine...) ?

La fréquentation des hôpitaux publics, des cliniques à but non lucratif ou lucratif, des cabinets médicaux de ville, est désespérante, j'ai des sources sûres, des infiltrée.e.s dans ces différents lieux, pour ce qui est du respect, hors vaccin, du respect des mesures-barrières (ah, le lavage des mains avant, pendant et après les soins, le non port des masques, le port farfelu des masques, je parle toujours des professionnels de santé) et le hiatus entre l'affichage (les petites croix dans les petites cases de respect des consignes et le non-respect des consignes)... S'il y avait un permis à point pour le non-respect des mesures-barrières de base, j'investirai dans les sociétés organisant des stages de requalification des soignants...

Quant au reste...


4. L'addictologue de la semaine. Nicolas Authier.


Mais n'oublions pas les dernières références sur l'absence de preuves (et je rajoute pour les savants : l'absence de preuves n'est pas la preuve de l'absence) : ICI


5. Il y a aussi l'alcool thérapeutique.


(Via Daniel Corcos).

Il est quand même rassurant que le bon docteur Bertillon se soit reconverti dans les glaces...


6. Margaret McCartney toujours juste.

Cela peut s'appliquer à ce que nous faisons en ce moment, bien entendu.

Voir ICI pour la suite : pratiques inadaptées

  • Rester allongé en cas de sciatique
  • Utiliser des anti-arythmiques en post infarctus
  • Un débriefing après un traumatisme empire la situation
  • La vertébroplastie en cas d'ostéoporose 
  • Chirurgie Arthroscopique pour inflammation du genou
  • Couchage en procubitus pour les nourrissons
  • Les soins palliatifs améliorent la survie par rapport à des soins "normaux"
  • Vous avez le droit de rajouter plein de trucs

Quelques brèves conclusions :

  • Le bon sens ne remplace pas les essais cliniques robustes
  • La physiopathologie n'est pas de la médecine
  • Le lucre n'est pas une bonne idée médicale
  • Avant de proposer une prise en charge, assurez-vous de posséder des données solides
  • Avant de suivre les recommandations, lisez-les


Jimmy Hendrix
1942-1970


7. Mon espace santé : une porte d'entrée pour le privé.



On savait déjà l'inanité médicale de Mon Espace Santé mais on sait désormais qu'il s'agit désormais d'une plate-forme commerciale. Rien ne nous sera épargné.


8. Le nouveau schéma vaccinal alakhon contre le Covid





9. Les soins palliatifs : les patients doivent savoir.



Cela fait des années que nous dénonçons le fait que les choix thérapeutiques en oncologie sont le plus souvent décidés en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) où la personne la plus importante, le patient, n'est pas présent et où le médecin qui connaît le mieux le patient, le médecin généraliste, n'est jamais convié.

Quant à la phase Palliative spécifique, c'est un mensonge.

Rappelons ici à tous que le but de l'oncologie est d'administrer des soins à des patients avec des prises en charge qui ont montré qu'elles augmentaient l'espérance de vie globale (et pas, par exemple, la réduction de la taille d'une tumeur solide dans incidence sur la survie) tout en respectant la qualité de vie.

Quant aux soins palliatifs : ne pas emmerder le ou la patiente en respectant la qualité de vie.


10. Freudisme



Via Christian Lehmann
-20% en envoyant le code #TaMèreAToutFaux au 81212


11. L'ordonnance alakhon de la semaine

Via @gniwing


Behind the scenes of Rear Window...
Via Rithy Panh



12. Le Danemark est le seul pays d'Europe où la prescription des antidépresseurs a diminué.


Lire l'article LA.

Et la France n'est pas mal placée.


Mads Mikkelsen attendant que la médecine change.




lundi 16 avril 2018

La médecine générale a été placée en soins palliatifs à domicile mais personne n'a encore dit la vérité au malade.



Je rappelle cette phrase de Jean-Pierre Dupuy (In : Petite métaphysique des tsunamis, Paris, Seuil, 2005) : Le prophète de malheur n'est pas entendu parce que sa parole, même si elle apporte un savoir ou une information, n'entre pas dans le système des croyances de ceux à qui elle s'adresse.

Nous le disons depuis des années et, désormais, il n'y a plus de doute : la médecine générale est en train de mourir et la maladie qui l'emporte n'a pas de traitement connu.

Quand nous écoutions Xavier Tarpin en 2008 (et il parlait depuis longtemps dans le désert), le visionnage récent de cette video ICI fait désormais froid dans le dos, nous nous disions que cette catastrophe démographique annoncée pourrait quand même ne pas se produire et maintenant que la catastrophe est là nous comprenons combien il était impossible de faire quelque chose.

La médecine générale est désormais entrée en douce en soins palliatifs à domicile.

Il y a pourtant des gens qui pensent qu'elle n'est presque pas malade.
D'autres pensent au contraire que son avenir est derrière elle  et qu'elle disparaîtra parce qu'elle n'a pas su s'adapter.
Certains pensent qu'elle souffre d'une maladie chronique pour la quelle un traitement miracle (-izimab) va lui permettre de sortir de son lit et de reprendre son travail.
Certains pensent que sa place est plutôt en réanimation où l'on pourra la maintenir indéfiniment sous machine pendant des années malgré la défaillance polyviscérale mais en laissant un espoir à la famille : le coma artificiel est l'avenir de la médecine générale.
D'autres sont persuadés qu'elle ne pourra jamais disparaître.

La médecine générale est entrée dans la phase des "soins palliatifs" il ne reste donc plus qu'à gérer la douleur et à assurer la fin de vie.
Personne n'ose non plus pousser la seringue pour achever le malade mais beaucoup commettent des erreurs médicales qui pourraient accélérer le décès.
Les opportunistes pensent qu'ils vont pouvoir obtenir un morceau de l'héritage.

Le vrai problème est celui-ci : ni le malade (les médecins généralistes), ni la famille (les patients), n'ont été mis au courant.

Quelque chose a raté lors de la Consultation d'annonce.

Mais y a-t-il même eu une Consultation d'annonce ?

Les "médecins de la médecine générale" sont à son chevet depuis plus de 20 ans.

Ces "médecins" sont un corps disparate et tirent à hue et à dia. Ce ne sont pas des médecins, ce sont des nettoyeurs.

Nous ne disons pas cela à la légère. Nous n'entrerons pas dans des considérations idéologiques et/ou politiques, il suffit de regarder les chiffres. Il suffit de considérer quel argent a été injecté dans les soins de ville. Une misère.

Ces médecins nettoyeurs mentent : ils se mentent à eux-mêmes, ils mentent à leurs électeurs, ils mentent à la nation, ils mentent aux malades auxquels ils ont appliqué des traitements non éprouvés, voire pire, des traitements obsolètes et dangereux.

Qui sont-ils, ces "médecins" qui font semblant de croire encore à la médecine curative, qui n'ont rien compris à la chronicité et à l'imminence de la mort, qui pensent que les méthodes cosmétiques peuvent remplacer les soins de support ?

Il y a d'abord les non médecins : les politiciens, les sociologues, les démographes, les philosophes, les énarques, les polytechniciens, les ministres de la santé, les marchands de médicaments, les marchands de prothèses médicales, les marchands de mutuelles, les marchands en général (logiciels, objets connectés, ...), les dirigeants de l'assurance maladie, les directeurs d'hôpital... J'appelle cela le complexe santéo-industriel par référence au complexe militaro-industriel. Il y a bien entendu les chefs, les complices, les exécutants et les collaborateurs.

Mais il y a aussi les simples médecins non généralistes et les médecins généralistes eux-mêmes.

Les médecins non généralistes se sont toujours servis de la médecine générale comme d'une soupape de sûreté et l'ont utilisée comme bouc-émissaire.

Soupape de sûreté sociale.

Les médecins généralistes sont en première ligne pour entendre les plaintes des patients, leurs souffrances, leurs demandes, leurs résignations, leurs envies de faire grève de la société. Il sont là aussi pour remettre les travailleurs au travail, un travail, enfin, un salariat, qui serait neutre, c'est à dire que les textes de la sécurité sociale ne font pas de différences entre un cadre dirigeant et un maçon (peut-il reprendre n'importe quel travail ?), même si, l'indécence a des limites, les durées d'arrêt de travail proposées par l'Assurance maladie pour des lombalgies sont différentes selon que le travail est pénible ou non... Il y a donc la loi et il y a les flics contrôleurs (dont des médecins) qui contrôlent que le contrôle social est bien fait. (Je reviendrai sur ce sujet dans un billet mais j'ai lu des propos "pleins de bon sens" d'un médecin conseil sur twitter qui s'indignait que des médecins généralistes puissent prescrire des arrêts de travail à des patients souffrant à cause d'une mauvaise organisation du travail dans l'entreprise due à des patrons indélicats ; il disait : "Ce n'est pas à l'Assurance maladie de payer !" Mais, cher confrère, je n'en ai rien à cirer des causes sociales de la souffrance de mon patient, j'ai un malade qui souffre et qui s'adresse à moi pour que je le soulage, je l'arrête donc puisqu'un retour au travail signifierait une aggravation de son état. Faudrait-il que j'attende que les patrons deviennent parfaits ou que l'inspection du travail sévisse ou que les médecins du travail interviennent ?

La médecine générale comme bouc-émissaire.

Toutes les réformes des études médicales ont oublié que des médecins pouvaient ne pas être des spécialistes hospitaliers et/ou libéraux. (L'apparition des départements de médecine générale dans les facultés de médecine a été une ouverture notable mais il s'agissait d'un protocole de troisième ligne, un protocole compassionnel pour ne pas baisser les bras).

La médecine générale, au delà des mots (Kundera : avalanche de sentiments et sécheresse du coeur) paternalistes (le plus beau métier du monde) et condescendants (je n'aimerais pas faire le métier qu'ils font), est la basse-fosse de la médecine, c'est l'endroit où l'on ramasse les poubelles de la santé publique (1), où l'on nettoie les chiottes de la société, où l'on n'a droit qu'à des reproches et à des critiques.

La Ministre de la santé veut réorganiser la médecine libérale en ne l'ayant jamais pratiquée et surtout comprise. Si les hôpitaux sont en déficit, c'est à cause des médecins généralistes, si les urgences sont engorgées, c'est toujours à cause d'eux. Les universitaires ayant raté l'organisation hospitalière veulent réformer ce qu'ils ne pratiquent pas.

Au delà d'un banal ostracisme à l'égard de la médecine générale, il existe un racisme fort à l'égard des médecins généralistes. Ce sont les sous-doués de la médecine, ce sont ceux qui ont échoué aux concours, ce sont ceux qui ne se sont pas bien classés à l'Examen classant national (désolé, il y a des exceptions mais ces exceptions, non seulement confirment la règle mais enfoncent encore plus ceux qui ont choisi ce métier. Il existe aussi une forme de racisme subtil : non seulement les médecins généralistes sont une race inférieure dans le groupe des médecins mais, en plus, tout le monde leur assigne des rôles. Les personnes qui ne l'ont jamais exercée savent ce qui est bon pour elle : "Y a bon banania" pour la médecine générale.

Assignation des rôles.

Et plus on leur assigne des rôles, prévenir, dépister, surtout les rares maladies, lutter contre les aberrations de la santé publique, le tout sucre sur les écrans, le tout sucre dans les boutiques, le tout gras dans les restaurants de junk food, et plus leur nombre diminue. Nous sommes en plein dans la fable des rameurs de Dominique Dupagne : plus on a besoin de personnel et moins on a de gens opérationnels. Plus le nombre des travailleurs effectifs est faible et plus on leur demande de choses à faire et plus on les accusera de ne pas les avoir faites.

Et nous en revenons au racisme social : les nouveaux médecins généralistes sont des feignants, ils refusent de travailler dur, ils refusent de travailler longtemps, ils refusent de prendre des gardes. Et à la misogynie pure : si la médecine ne fonctionne pas c'est parce que la profession s'est féminisée : non seulement les jeunes femmes sont des feignantes mais elles voudraient aussi s'occuper de leur famille !

On leur créée des maisons de santé pluridisciplinaire et ils ne veulent pas y aller. Quels ingrats. Et nous qui leur payons leurs études.

Toute nouvelle mesure ira désormais à l'encontre du confort de vie de la médecine générale en soins palliatifs.

C'était ma conclusion définitive.



Notes.
(1) Pour ceux qui ne connaissent pas la différence entre santé publique et médecine il n'y a plus qu'à tirer l'échelle...


mercredi 15 août 2012

Comment meurent les médecins.


Récemment, je ne vous avais pas parlé de façon allusive ICI d'un de mes patients qui refusait tout traitement de son cancer incurable (et je confirme qu'il a persisté dans son refus malgré toutes les "incitations" qu'il a reçues et tous les efforts désespérés des médecins pour le convaincre du contraire). J'ajoute que la première lettre que j'avais écrite pour l'adresser indiquait clairement que le patient, informé par mes soins, ce qui ne signifie pas bien informé par mes soins, refuserait et la chirurgie et la chimiothérapie et souhaitait simplement finir sa vie aux côtés de sa femme à la maison et dans la moindre souffrance possible.
Il y a plus longtemps je vous avais raconté LA l'histoire d'une de mes patientes, Madame A, 67 ans, touchée par un cancer incurable, pour laquelle je n'avais pu être assez rapide pour la faire échapper aux traitements agressifs qui n'avaient pu empêcher l'issue fatale et qui l'avaient rendue, dès le premier jour, terriblement mal. Sa famille était convenue avec moi (ICI) que l'on aurait dû ne pas la traiter tant les effets indésirables des traitements successifs avaient été désastreux et combien sa qualité de vie avait été altérée dès le premier traitement.
Je vous avais raconté LA combien le fait d'être un spécialiste d'une question médicale (le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et la cascade décisionnelle qui s'en suivait avec des erreurs de jugement à chaque étape de l'algorithme implicite) rendait le spécialiste en son milieu spécialisé aveugle contre l'évidence de preuves contraires (le plus souvent apportées par des non spécialistes) et l'avait conduit à subir les effets indésirables du traitement qu'il estimait originellement rarissimes et qu'il regrettait maintenant.
Un article récent, qui m'a été transmis via twitter par Medicalskeptik à l'adresse @medskep, est particulièrement éclairant : ICI. Il a été écrit par Ken Murray, qui est Clinical Professor Assistant   of Family Medicine à l'USC (University of Southern California) dont le site, ICI, laisse rêveur.

C'est l'histoire d'un orthopédiste chez qui un chirurgien découvre un cancer du pancréas. Ce chirurgien n'est pas un chirurgien lambda, l'article nous dit (il faudrait vérifier mais le nom n'apparaît pas) qu'il a mis au point une technique chirurgicale qui permet de tripler le taux de survie à cinq ans, passant de 5 à 15 %, mais au prix d'une pauvre qualité de vie. L'orthopédiste n'est pas intéressé. Il est rentré chez lui le lendemain, il a fermé son cabinet et n'a plus jamais mis les pieds dans un hôpital. Il s'est concentré sur sa famille et sur le fait de se sentir le mieux possible. Il est mort quelques mois après sans chimiothérapie, sans radiothérapie, sans chirurgie. 

Cet article est très riche et il évoque nombre de problèmes qui se posent dans la gestion de la fin de vie en médecine et de la mort en général. Il aborde notamment le fait que les médecins auraient une attitude différente de celle de leurs patients (ou de la famille de leurs patients) pour gérer fin de vie et mort. Il indique qu'il est nécessaire de réfléchir sur les interactions entre ce que sait le médecin, ce que fait le médecin pour ses malades, comment il parle aux patients et aux familles de patients, comment il se parle à lui-même, comment il parle à sa famille avant sa propre maladie et comment il parle pendant, et aussi le rôle du système, c'est à dire celui des institutions.

Je vous résume : Les médecins connaissent la musique de la fin de vie ; ils connaissent les deux craintes de leurs patients à savoir mourir en souffrant et mourir seuls ; les médecins ont l'habitude, serait-ce en plaisantant, de parler à leur famille et à leurs collègues ; ils savent aussi l'inutilité des soins en services de soins intensifs où les corps sont des objets à qui l'on fait subir différentes tortures que l'on ne ferait pas subir à des terroristes ; administrer des soins douloureux est anxiogène, le ferait-on pour des personnes de sa famille ? ; les familles dont le parent vient d'être admis en réanimation disent souvent "Faites tout ce que vous pouvez" alors qu'ils veulent dire "Faites tout ce qui est raisonnablement possible" ; les médecins, en administrant des soins inutiles, peuvent en trouver la justification dans ce qu'ils pensent être les souhaits des proches ; comment établir une relation de confiance avec un médecin de réanimation que l'on n'a jamais vu auparavant et dont on ne connaît ni les valeurs ni les préférences ? ; un malade est admis en réanimation et le docteur Murray est appelé parce qu'il le connaît, ce malade a toujours demandé qu'on ne le réanime pas, Murray a des documents signés du patient pour le prouver, Murray débranche en accord avec le staff et la famille, le patient meurt deux heures après ;  il comprend   que c'est le système, celui du toujours plus, du toujours plus de médecine, qui l'a conduit là et qui a fait que l'on a agi contre la volonté du patient ; une des infirmières a même voulu porter plainte contre lui pour homicide mais ne l'a pas fait ; s'il n'était pas intervenu le malade serait resté de longues semaines contre sa volonté dans un lit de réanimation et au prix, dit Murray, de 500 000 dollars ; Murray raconte que les médecins demandent moins de traitements que les autres, qu'une étude a montré que les patients placés dans des établissements de soins vivaient plus longtemps que ceux soumis à des traitements actifs ; enfin, il raconte l'histoire de son vieux cousin, Torch, qui fait une crise d'épilepsie qui révèle des métastases cérébrales d'un cancer du poumon ; il consulte des spécialistes qui lui promettent, au prix de 3 à 5 séances de chimiothérapie par semaine, une survie de 4 mois ; il refuse et décide de revenir chez lui avec seulement des médicaments pour l'oedème cérébral ; Murray raconte qu'il s'est occupé de lui, lui a fait de bons petits plats et qu'un matin il ne s'est pas réveillé, est resté trois jours dans le coma et il est mort (huit mois après le diagnostic) ; Murray pense qu'il a coûté environ 20 dollars à la société. Il termine en disant que son cousin, qui n'était pas médecin, avait voulu vivre dans la dignité, avait voulu plus de qualité que de quantité de vie.

Rappelons qu'il faut toujours se méfier de ce que dit le bien portant à propos de ce qu'il convient de faire quand il sera malade. La maladie, et a fortiori la maladie mortelle, change le jugement et le rend parfois chancelant et, surtout, inapproprié à la personnalité de la personne bien portante. Quant au médecin malade ou au malade médecin, c'est encore une autre histoire, car se télescopent les jugements du médecin, du malade, du médecin malade et les valeurs et préférences sont parfois contradictoires et donc difficiles à gérer. Un autre aspect que l'auteur n'a pas traité est celui de l'image que la personne malade renvoie à la personne bien portante qui n'est pas identique à l'image que la personne malade a d'elle-même. C'est un des problèmes posé par la notion d'autonomie, un concept très à la mode dans les cercles politico-médicaux, et plus généralement chez les décisionnaires, l'Education Nationale n'a que ce mot à la bouche, un concept intéressant mais d'une grande complexité tant pour sa définition que pour son contexte et pour la façon de l'aborder. J'avais essayé d'en parler un peu ICI mais c'était trop court et trop léger.
Il faut parler à ses proches de ce que l'on souhaite pour soi-même.
C'est un bon conseil.

(Illustration : KEN MURRAY, clinical assistant professor of family medicine at the Keck School of Medicine at USC)
(Addendum : un article d'août 2012 de Ken Murray : ICI )

jeudi 26 avril 2012

Retour du Kenya : les soins palliatifs, le berger Masaï et le patient de Mantes.


Il y a quelque temps je suis allé visiter une patiente dans un établissement parisien de gériatrie dépendant de l'Assistance Publique où sont regroupés plusieurs types de services : rééducation fonctionnelle post chirurgie orthopédique, soins de suite post hospitalisation aiguë et soins palliatifs.
La patiente va bien, on discute de tout et de rien et de son retour à domicile (qui s'est fait depuis), et elle me dit ceci : "Vous avez vu, je ne vais pas trop mal, je vais m'en sortir, mais ces pauvres personnes qui sont en phase terminale... comme je les plains..." Elle voulait parler des malades du service des soins palliatifs qu'elle avait repéré en arrivant.
Le fait est que dans tout le bâtiment des flèches de couleur indiquent la direction des divers services. Je ne me rappelle plus les couleurs de la mort. J'ai oublié. Mais j'y ai pensé avant même que la patiente ne m'en parle.
Les soins palliatifs sont certainement une invention formidable. Nul n'en doute. La façon dont, jadis (là, je suis optimiste), on traitait la douleur et les mourants dans les établissements hospitaliers, n'était manifestement pas parfaite (voir LA et ICI). Et les médecins qui ont choisi de s'intéresser à ces problèmes, les douleurs, la mort, ont permis à la société d'évoluer et à tout le monde d'y réfléchir.
Je jette un oeil sur Google. Je repère le site de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs) qui, entre autres, soutient la campagne de publicité de la JALMALV qui signifie Jusqu'à la Mort Accompagner la Vie (je n'invente rien). La SFAP a de nombreux partenaires institutionnels et big pharmiens (Voir ICI). Les soins palliatifs, selon ce site, ne sont pas loin de l'euthanasie. Mais, surtout, quel esprit "humaniste" pourrait s'en formaliser, la SFAP dit Soulager la douleur est une obligation. "La loi dit le devoir et l’obligation pour les médecins à tout mettre en œuvre pour soulager au mieux les malades en fin de vie."  Qui pourrait s'y opposer ?

Je me rappelle pourtant avoir lu un article de Marc Cohen dans Causeur (22 décembre 2008) que vous pouvez lire en intégralité ICI et dont j'extrais deux passages. Le titre me plaît assez : "Mourir dans la dignité ? Et pourquoi donc ?"

Voici le premier qui rapporte un propos de Houellebecq : Ce qui me dégoûte, c’est qu’on veuille mourir dans la dignité. Et il me dégoûte encore plus que des parlementaires s’apprêtent à faire une loi pour m’y obliger : je ne veux pas mourir dans la dignité…

Voici le second et qui me donne beaucoup de force dans la perspective de MA fin de vie :


"J’imagine que personnellement, si j’étais atteint d’une maladie incurable et furieusement douloureuse, je saurais me débrouiller pour trouver les pilules qu’il faut, ça ne peut pas être beaucoup plus dur que de trouver un exemplaire en bon état des Cadets d’Ernst von Salomon, et ça, je sais faire, ben oui.

Ce que je sais aussi, c’est que si je n’avais plus les moyens physiques de me tirer seul d’affaire et si j’étais tombé par malheur entre les pattes d’un médecin fou et furieusement pro-life, ma foi, je ne doute pas qu’il se trouvera forcément un ami ou une amie pour me rendre un petit service, quitte à risquer six mois avec sursis.
Et là, j’entends déjà les pro-death m’objecter de leurs voix de faux-derches : “Mais que préconisez vous si on n’a pas la volonté, ou bien si on n’a pas d’amis, ou encore si l’on veut faire les choses dans les règles ?” A ceux-là, je répondrai simplement : pas de volonté, pas d’amis prêts à donner une livre de leur chair, et l’obsession de respecter la loi à tout prix, même une fois mort et enterré ? Eh bien, la conjonction de ces trois symptômes signale sans erreur possible une vie de merde. Alors, dans le simple souci d’éviter les solutions de continuité, je pense que ces gens-là méritent aussi une mort de merde."
Mais qu'on me laisse, à mon tour, décliner mon petit discours tout fait sur les soins palliatifs :
Les soins palliatifs pourraient bien être l'aboutissement d'un rêve post moderniste confinant à un cauchemar aseptisé, commencerais-je par provocation, mais, au bout du compte, pour finir, il est possible, ajouterais-je, que nous n'en soyons pas loin. Une vie parfaite, sans douleurs (jamais les sociétés occidentales n'ont consommé autant d'antalgiques), sans déceptions (merci les antidépresseurs), sans chagrins (merci les anxiolytiques), sans délires (grâce aux psychotropes), une existence anhédonique en quelque sorte, voilà ce dont Big Brother a rêvé pour nous. Et nous en redemandons. C'est devenu la norme.
En cette époque de sécularisation de la société, les soins palliatifs sont une réponse laïque au problème de l'au-delà : les prêtres et autres rabbins, pasteurs ou imams sont remplacés par des saints laïques, des médecins accoucheurs de l'âme et du corps, étrangement réunis, qui n'auraient plus le droit de souffrir. Pour quoi souffrir ? Pour qui souffrir ? La loi interdit la souffrance et autorise la dignité de la mort.
Un ami médecin m'a raconté avoir téléphoné dans un service de soins palliatifs pour obtenir une place pour l'un de ses patients et que le ton de son interlocuteur médecin était tellement doux, tellement suave, tellement onctueux, qu'au bout d'un moment il avait été obligé de lui rappeler qu'il était le médecin, pas le malade.
Les soins palliatifs, indispensables, ne me faites pas écrire ce que je n'ai pas écrit, parachèvent l'entreprise sans cesse recommencée et inachevée de la médicalisation de la maladie, de la médicalisation de la vie et de la médicalisation de la société, avec respectivement les trois abus qui s'y rattachent que sont l'extension du domaine de la maladie (disease mongering), l'extension de la définition de la Santé (voir l'OMS) et l'extension de la main-mise de la société sur nos vie (l'obligation d'être dans la norme hygiéniste et l'idéologie de la prévention). Nous retrouvons bien entendu Illich en cette occasion.

Deux petits faits pour conclure :
1) Chez les Masaï du Kenya, quand un vieux va mourir, on l'emmène dans le bush, les Masaï n'aiment pas voir la souffrance conduisant à la mort, on attache une corde à son pied et, une fois par jour, depuis le village, on tire sur la corde. Si la corde "répond" on apporte eau et nourriture au mourant. Si la corde ne bouge plus, on cesse de le faire. Drôle de soins palliatifs traditionnels...
2) Pendant mes vacances, un de mes patients est mort à domicile. Il avait 88 ans. Dès mon retour, et la veille de l'enterrement, j'appelle sa femme qui me parle de lui avec enthousiasme et amour. Elle me dit ceci : "Nous l'avons gardé à la maison. Et chaque fois que j'entre dans la chambre, j'ai l'impression qu'il va me parler. Il est tellement beau, mon homme..."

(Photographie : enfants de Subukia. Docteur du 16)


dimanche 28 mars 2010

MOURIR A LA MAISON. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGTIEME EPISODE

Janvier 2009
Madame A m'appelle de l'hôpital. Son mari ne va pas bien et il veut rentrer à la maison.
Le pronostic n'est pas fameux. Il y a des métastases partout. Il souffre assez peu. Elle dit qu'ils veulent continuer à lui faire des examens. Elle trouve que cela ne sert à rien. "Je vais voir ce que je peux faire."
C'est une situation qui m'ennuie. Je suis même paralysé par ce genre d'affaire. Je me demande toujours si nous avons raison de céder aux pressions insistantes des malades et, ici, de la famille. Je m'explique : j'appartiens à une génération de médecins à qui les enseignants ont dit qu'il y avait toujours quelque chose à faire, qu'il y avait toujours un espoir, qu'il ne fallait pas abandonner, que la vie était pleine de surprises. Et la médecine aussi. Et, personnellement, je me suis trompé tellement de fois. D'ailleurs, dans le cas de ce patient, nous nous sommes tous trompés. Ce genre de cancer, une fois diagnostiqué, et a fortiori avec des métastases, ça dure entre trois et quatre mois. Et le diagnostic a été fait il y a plus de six mois. Et le malade est toujours vivant.
Il y a six mois la famille, la mère, les enfants, les gendres et brus, m'ont posé des questions insistantes sur la survie de cet homme. J'ai tergiversé, j'ai regardé sur internet pour savoir ce que la famille allait y apprendre, et j'y ai lu des informations catastrophiques. Je me suis dit qu'il fallait que je les rassure tout en ne leur promettant pas la lune. Et ce d'autant que je n'avais pas parlé au cancérologue que je n'apprécie guère et qui est plutôt secret avec les médecins traitants.
Je rêverais d'un monde parfait. Le cancérologue fait un courrier dans lequel il dit ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais ce n'est plus possible depuis que les malades reçoivent les courriers. Ou le cancérologue téléphone au médecin traitant pour lui dire a) ce qu'il pense, b) ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais les cancérologues, dans mon coin, sont débordés. Il ne leur est pas possible d'allonger le temps de leur consultation ou la durée de leur journée de travail. Et ainsi suis-je dans le flou.
Je contacte le cancérologue que je n'aime pas et qui sait que je ne l'aime pas.
"Comment peut-on faire ?" Il penche pour une hospitalisation à domicile. Je lui fais confiance car je ne connais pas la situation exacte du patient qui vient de passer quinze jours à l'hôpital. Je rappelle la femme du patient : elle n'est pas chaude mais elle finit par accepter. Je n'ai pas manqué de lui expliquer que c'étaient des professionnels, qu'il fallait leur faire confiance, qu'ils avaient l'habitude.
Quelques jours après.
Je suis appelé au domicile de mon patient. Tout va mal. Le malade a un air ironique en me regardant. "Vous les connaissez les cow-girls de l'hôpital ? - Un peu. - Je n'en veux plus. - Et pourquoi ? - Elles ont envahi notre maison. C'est un défilé incessant de personnes qui ne se présentent pas et qui veulent nous imposer plein de trucs qui n'ont ni queue ni tête. Vous devriez nous en débarrasser. - On se calme, on se calme."
Je résume : le patient et sa femme ont perçu les différents intervenants de l'hospitalisation à domicile comme des intrus. La femme : "Ils débarquaient à n'importe quelle heure, ils ne nous prévenaient pas..." Le mari : "L'infirmière, quand elle arrivait, enfin, je ne sais pas si c'était une infirmière, pas de nom, pas de prénom, pas de titre, elle ne me disait même pas bonjour mais me demandait de coter ma douleur entre zéro et dix. Je l'ai envoyée paître." Elle ajoute : "Ils voulaient m'envoyer une psychologue. Je ne suis pas folle, quand même."
"On en est où, alors ?"
En choeur : "Nous leur avons demandé de ne pas revenir demain."
L'après-midi même.
Je contacte le médecin du réseau de soins palliatifs à domicile et lui raconte l'affaire. Elle prend un air étonné mais je ne suis pas dupe. Je lui explique que je n'ai pas besoin de l'hospitalisation à domicile, l'état du patient ne le nécessitant pas (et je m'étonne par ailleurs de la "prescription" hospitalière) et que je n'ai pas, encore, besoin d'elle et de son réseau. Le patient n'en est pas à ce stade. Elle me conseille donc ce à quoi j'avais pensé, de simples toilettes à domicile pour soulager la femme du patient qui a besoin de souffler. C'est un autre réseau que je connais bien. Je téléphone à la responsable qui n'est pas là et qui doit me téléphoner le lendemain.
Le lendemain.
La responsable ne me rappelle pas et c'est moi qui finis par la contacter. Je raconte à nouveau l'affaire. "Ne s'agit-il pas de Monsieur A ? - Si. Pourquoi ? - Nous en avons entendu parler. - Et alors ? - Et alors il n'est pas correct avec le personnel. (J'imagine mon brave monsieur en train de tâter le cul des aides-soignantes...) - C'est à dire ? " Et elle me raconte qu'on lui a dit, la coordinatrice, je suppose, qu'il avait été désagréable, et que, dans ces conditions, elle n'avait pas envie que son réseau s'en occupe. Je comprends qu'il avait surtout dit qu'il n'était pas normal que l'on débarque chez lui à l'improviste, en terrain conquis, que son appartement, ce n'était pas l'hôpital, c'était à lui. C'est tout. Je demande : "Il n'a pas été grossier, il n'a pas fait d'avances sexuelles devant sa femme ? - Non. Encore heureux." Bon, pour les toilettes, cela devrait être possible dans trois semaines. Pas avant. Une visite d'évaluation est prévue.
Les toilettes finissent par arriver non sans de nombreux échanges téléphoniques. Le temps m'a paru long.
Deux mois après.
J'appelle le réseau de soins palliatifs. La femme du patient est réticente, l'expérience de l'hospitalisation à domicile a été difficile. C'est la première fois que je fais appel à eux. Il est nécessaire d'envisager un suivi plus fréquent. La femme du patient a besoin de soutien. Mais elle me fait promettre que jamais on ne fera hospitaliser son mari. Je promets. Sans jurer.
Tout se passe très bien lors de l'installation de la structure. Chacun est à sa place. Je ne comprends pas pourquoi le médecin responsable est si respectueuse de mon pré carré alors que je n'ai pas de pré carré : je regarde, j'écoute, je copie. Je demande avis à tout le monde pour ne pas passer ni pour un faux affranchi ni pour un crétin absolu. J'apprends vite.
Six mois après.
Le patient souffre très peu sauf au moment des mobilisations. Il est contrôlé par de faibles doses de morphiniques, des patchs et des comprimés en préventif (avant les toilettes). Mais son ventre durcit et il commence à faire des fausses routes quand il boit. Le reste est sans importance car la femme du patient semble ne pas trop souffrir.
Je réapprends à prescrire une perfusion sous-cutanée. Je demande des bilans sanguins en m'interrogeant sur leur pertinence. La coordinatrice médecin ne semble pas choquée.
Après tout, la femme du patient ne m'a pas demandé de l'achever, elle m'a demandé qu'il puisse mourir dans les meilleures conditions auprès des siens et dans son ambiance naturelle.
Je n'ai plus aucun contact avec un cancérologue.
Pas de chimiothérapie.
Pas de gestes adjuvants.
Le malade commence à avoir des pertes de mémoire. Il est parfois un peu confus. Mais il reconnaît tout le monde et même son médecin traitant quand il vient le voir à domicile.
J'ai le temps de réfléchir. Je me dis que ces gens simples et pragmatiques ont choisi la bonne solution mais qu'ils ont la chance d'avoir eu le choix entre différentes structures.
J'ai déjà eu affaire à l'hospitalisation à domicile pour d'autres patients et je ne me rappelais pas la lourdeur de l'organisation et cette façon de déplacer l'hôpital au domicile des gens avec la même confiance dans le pouvoir de l'institution. Mais il est probable que c'était le désir du malade et de sa famille : la sécurité de l'hôpital à domicile.
J'ai déjà eu affaire à des réseaux plus légers, gérés par des associations, mais, maintenant, je m'aperçois que ces réseaux avaient tellement envie de copier l'hôpital qu'ils le faisaient mal, sans ses moyens et en improvisant et, surtout, en prenant les (mauvaises) manières de l'hôpital: certitude sur tout, peu d'écoute, technicité factice.
Maintenant que je connais ce réseau d'accompagnement à domicile, je suis conquis. Personne ne parle de médecine palliative. On écoute les gens, le malade, la femme du malade, on fait participer les enfants à ce suivi personnalisé. Il ne faut pas que j'idéalise. Le médecin coordinateur n'envoie pas une psychologue : elle parle à la femme du malade.
Ces solutions laissent aussi le médecin traitant plus indépendant de la famille. Il peut venir pour renouveler une prescription de morphiniques ou regarder si des escarres ne sont pas en train d'apparaître (mais les aides-soignantes et infirmières savent cela avant lui) mais il peut aussi simplement parler avec les membres de la famille. Hors qualités ; presque.
Je suis content de travailler dans cette agglomération d'un peu moins de cent mille habitants où de telles structures existent. Ainsi les patients peuvent-ils se voir proposer des solutions ou des moyens de vivre au mieux leur fin de vie. Comme on dit.
Je plains mes confrères campagnards confrontés à de telles situations qui doivent ne pas totalement les satisfaire et être dévoreuses de temps...
Quatre mois après.
La situation s'est aggravée. Les fausses routes sont plus nombreuses, l'état de conscience est altéré mais il ne souffre pratiquement pas. Pour des raisons inexplicables. Trois jours avant son décès je passe chez lui où je rencontre une aide-soignante qui a l'air pleine de vie et ne semble pas du tout découragée par la tournure que prennent les événements. Je l'envie. La femme du malade est calme et ne semble pas résignée. Elle soupire un peu quand je lui parle mais elle garde le cap, celui qu'elle s'est imposée, qu'elle nous a imposé : une mort douce.
Le jour du décès, elle est allée se réfugier chez sa soeur. Elle ne voulait pas voir le corps mort de son mari. Elle voulait aussi qu'il disparaisse le plus vite possible de l'appartement. Comment lui en vouloir ? Comment ne pas la comprendre ? Elle a fait un boulot formidable lorsqu'il la voyait, la reconnaissait, l'appréciait, que voulez-vous qu'elle fasse de plus après sa mort ?
J'aime beaucoup cette femme.
Je ne dirai rien sur la coordinatrice médecin du réseau : elle pourrait se reconnaître et je n'aimerais pas, la prochaine fois que je la verrai, qu'elle sache combien je la trouve formidable.