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vendredi 14 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : David Sackett. #21

David Sackett (1934 - 2015) est un génie. Je ne l'ai jamais vu "en vrai", je ne connais pas les ragots qu'on peut ou qu'on a pu faire courir sur sa personne, trompait-il sa femme ?, payait-il ses impôts ?, je m'en fiche. Comme tous les génies il ne s'est pas fait tout seul et il a beaucoup réfléchi, écrit en collaboration. Je n'ai jamais lu de livres de David Sackett, donc je ne parlerai pas de ses livres, des livres dont tout le monde, ceux qui les ont lus, disent qu'ils sont importants, fondamentaux même pour tout le monde anglo-saxon. En revanche, ses articles sont des perles. Je les ai de nombreuses fois relus, d'une part parce que son anglais est parfois énigmatique de clairvoyance et de concision ensuite, parce qu'à chaque détour de ligne il y a des allusions et des plaisanteries anglo-anglosaxonnes (donc pas toujours faciles à comprendre).


Voici l'article que j'ai choisi : Pourquoi les essais randomisés ont été le premier objectif de ma carrière. Voir LA.


Quand j'ai commencé ma carrière, j'ai ressenti 4 inquiétudes concernant la façon dont les cliniciens choisissaient les traitements qu'ils allaient administrer et comment ils jugeaient de leurs rapports bénéfices/risques. Ce qui m'a conforté dans l'idée qu'il fallait promouvoir toujours et toujours des essais contrôlés randomisés.

Première inquiétude : Les cliniciens préfèrent toujours administrer les nouveaux traitements aux malades dont le pronostic est le meilleur. C'est pourquoi il faut donner le traitement de façon aléatoire.

Deuxième inquiétude : Les patients les plus compliants au traitement ont le meilleur pronostic quel que soit le traitement (à condition toutefois qu'il ne soit pas toxique). C'est pourquoi le pourcentage des perdus de vue dans les essais cliniques sont très importants à considérer.

Troisième inquiétude : Les patients qui aiment leurs prescriptions rapportent de meilleurs résultats sans aucun rapport avec l'efficacité des traitements. D'où le double-aveugle.

Quatrième inquiétude : Les praticiens qui aiment leurs prescriptions rapportent faussement de bons résultats chez les patients qui les ont reçus. D'où une interprétation des données à l'aveugle.

40 ans après, je suis toujours aussi persuadé de l'intérêt des études contrôlées.




Sackett a surtout inventé l'Evidence Based Medicine qui a succédé à l'Eminence Based Medicine : voir ICI quelques explications.

Il a écrit de nombreux autres articles fameux, dont celui-ci (LA) : The arrogance of préventive medicine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.


En réalité ils étaient trois à avoir inventé l'EBM à l'Université McMaster, Hamilton, Ontario, Canada.

David Sackett, Brian Haynes et Gordon Guyatt



vendredi 31 août 2012

Santé Publique de gauche : L'hospitalo-centrisme et la prévention.


A la suite de la publication de réflexions sur la Santé Publique émanant du Parti Socialiste, une petite contribution (ICI) et une plus grosse (LA), je constate que le slogan nouveau de la gauche de gouvernement est, pour paraphraser Lénine : L'hospitalo-centrisme et la Prévention.

La gauche  a des convictions. 
Le secteur public doit être favorisé et la prévention développée.
Les propositions socialistes développées par les militants (Remettre de la gauche dans les politiques de Santé) ont été critiquées par Christian Lehman en son blog (LA) et il a centré ses critiques sur la technocratie que cela sous-tend, notamment en matière de prévention.
J'ai lu cette (petite) contribution socialiste avant d'avoir lu celle de Terra Nova. Il est assez amusant de voir, mais il est possible que certains des signataires du premier rapport aient participé au second, que les thèmes sont à peu près identiques, que les mêmes mots sont parfois employés, que les mêmes erreurs sont commises, mais que le texte "militant" est plus près du terrain, plus pratique, qu'il aborde certains problèmes comme la formation des médecins ou certains thèmes comme la politique du médicament  alors que Terra Nova, dans sa tour d'ivoire, ne pouvait y penser. J'avais trouvé ce texte affreux et, en le relisant, à la suite de la production massive de 107 pages de Terra Nova, je me suis rendu compte, au delà des erreurs dénoncées par Christian Lehman, que les auteurs étaient de gentils filles et garçons avec qui il est sans doute possible de discuter.

Le rapport Terra Nova, ce même think tank (groupe de réflexion en français) qui proposait au Parti Socialiste d'abandonner les classes populaires pour prendre le pouvoir, est donc un catalogue de 107 pages intitulé sobrement "Réinventons notre système de santé. Au delà de l'individualisme et des corporatismes". Dans le supermarché de la Santé Publique ils ont fait leurs courses, ils ont entassé des concepts, des faits (plus ou moins vérifiés), compilé des données et n'ont retenu que ce qui pouvait entrer dans leur slogan de départ qui est devenu leur conclusion. Dans ce bazar de la Charité les cases "De Gauche" ont été cochées avec gourmandise tout en n'omettant pas des hardiesses de la Nouvelle gauche, celle qui croit qu'il faut introduire plus de privé dans le secteur public, c'est à dire, en l'occurrence, les méthodes du privé qui n'ont pas marché il y a 20 ans dans le privé et qui ont abouti à la crise financière, pour faire moderne, néo moderne, c'est à dire libéral, néo libéral.
Les Terra Novistes en leur pavé (pavé de bonnes intentions et qui aimerait, au delà des critiques possibles, qu'on dise de lui "Il est de gauche.") nous apprennent aussi, nous les imbéciles et les crétins qu'il existe, je cite, "Des inégalités dans la santé." La belle affaire ! Nous ne le savions pas.
Eh oui, mes amis, il est plus risqué de se couper un doigt quand on est fraiseur que quand on est cadre administratif au Ministère des RGPP et des LOLF réunies (cf. infra) ! Eh oui, chers citoyens, il y a plus d'alcoolisme et de tabagisme dans la classe ouvrière que chez les médecins généralistes. Eh oui, ignorants, le taux d'alphabétisation est plus important chez les enseignants du second degré que chez les techniciens de surface.
Au lieu de nous dire, c'est la société qui génère les inégalités, c'est l'organisation du travail qui rend les inégalités encore plus inégales, c'est l'inorganisation des transports publics qui augmentent le temps de trajet pour aller au travail, on nous dit ce sont les médecins libéraux qui n'arrivent pas à régler ces problèmes (à partir de la page 77) : les médecins libéraux, et plus particulièrement les médecins de famille (la famille, depuis Pétain, n'a pas bonne presse chez les gens de gauche), ne travaillent pas assez, ne font pas assez de gardes, n'assurent pas assez la permanence des soins, ne sont pas assez à l'écoute des populations qui souffrent, prescrivent trop de médicaments, ne collaborent pas assez avec les services hospitaliers, laissent les enfants boire du coca cola, manger dans les fast food, absorber des barres chocolatées, ... Et ainsi, passez muscade, la contre productive société ne peut même pas être modifiée par les consultations trop chères des médecins généralistes libéraux. Ceux-là mêmes qui prônent la coordination entre l'hôpital et la médecine libérale (c'est à dire la mort de cette dernière sous les coups de l'administration énarquienne) sont les mêmes qui ont pondu le plan Variole qui est devenu le plan Grippe, l'exemple le plus parfait de la non coordination, l'exemple le plus accompli de l'autoritarisme technocratique, de l'absence de démocratie, du pouvoir des experts, de la négation de la base laborieuse, des coups d'Etat réglementaires (tamiflu pour tout le monde, AMM pondues sur un coin de table), de la dictature des politiques, et j'en passe.
Les rédacteurs de ces rapports n'ont jamais mis les pieds dans un cabinet de médecine générale en secteur 1, je n'ai même pas dit qu'il n'y avait aucun médecin généraliste dans les penseurs du texte, cela va de soi, la médecine générale étant, pour ces techno-politiques, une spécialité sans contenu, sans pratiques, sans réflexion, sans cursus, la poubelle pour les mal classés de l'ECN (l'examen classant national)... On va bien m'en trouver un qui a participé, un médecin généraliste croupion, un mi-temps qui fait aussi du syndicalisme ou de la politique, je prépare déjà un communiqué rectificatif... Dont acte.
Enfin, le rapport n'a pas oublié de parsemer le texte de mots valises (les technocrates cochent les petites cases en face des mots valises pour s'assurer qu'ils n'ont rien oublié) convenus : les déserts médicaux, le paiement à la performance, les soins coordonnés, la tarification à l'activité, le modèle bismarckien, le panier de soins, l'accès aux soins...

Le secteur public signifie bien entendu l'hôpital public et ses dépendances, c'est à dire l'administration forte de ses prérogatives régaliennes, de son bréviaire néolibéral (La Loi Organique Relative aux Lois de Finance -LOLF- de 2001 et la RGPP de 2007 LA) et de sa culture du progrès ininterrompu vers des lendemains qui chantent (secousses crypto marxistes et relents anti Lumières) et ses médecins salariés qui appliqueraient les Données de la Science en accord avec les canons de la Justice sociale et de l'Humanisme dans un monde extraordinaire où administration, médical, paramédical et personnel en général vivraient dans l'harmonie perpétuelle du Bonheur ininterrompu (défini par l'OMS).
Il a dû échapper à Terra Nova que l'hôpital public était en crise. Puisque rien ne fonctionne, prenons-en le modèle. L'hôpital public ne peut être en crise selon Terra Nova puisque l'adjectif public est à la fois le contenant et le contenu, le signifiant et le signifié de la morale de gauche. Et d'ailleurs, s'il est en crise, il y a des solutions : plus d'argent, plus de personnel, plus de normes, plus de contrôleurs de gestion, plus d'administratifs apprenant la médecine aux médecins, plus de Comités Théodule, plus de réunions de concertation, plus de réunions de pilotage, plus de cases à cocher, plus de QCM à remplir, plus de rapports à envoyer, plus de couches  décisionnelles, de chefs, de sous-chefs, de superviseurs...
Il ne s'agit pas de ma part, bien entendu, de l'esquisse d'un plaidoyer pour l'hôpital privé ou pour la clinique privée, où, me dit-on, de grands groupes ont investi de façon probablement philanthropique et où les appendices sont appendicectomisées, les vésicules vésiculectomisées et autres babioles dans le même métal, sans compter les usines à stents ou les entrepôts dédiés aux fibroscopies de tous les métaux, aux angiographies et autres scanners et IRM effectués à la chaîne...
Penser que le modèle de l'hôpital public est convaincant est pour le moins hardi. C'est plutôt la désorganisation, le manque d'implication, la dé responsabilisation, la normalisation, et, last but not least, les effets indésirables de l'hospitalisation qui sont à considérer. Tant que plus de 30 % des personnes hospitalisées auront attrapé une infection durant leur séjour...
Le secteur public a bien entendu besoin qu'on l'aide pour comprendre la contre-productivité de son organisation. Le secteur public a besoin qu'on redéfinisse ses tâches, a besoin de réfléchir à ses pratiques plutôt qu'à vouloir les étendre ailleurs sous les vocables de collaboration, de réseaux (LA), d'hospitalisation à domicile (ICI), en enrôlant les libéraux dans cette galère, médecins généralistes comme paramédicaux (LA) qui viendraient à la rescousse des premiers en diminuant le coût du travail. Terra Nova n'a pas oublié quelques phrases "sociales" dans la lignée des dispensaires de l'avant ou de l'après guerre en convoquant les médecins de PMI, les médecins scolaires et sans omettre de fustiger les médecins du travail, agents du patronat. 

La prévention est l'autre pilier de cette politique de gauche avec dans le rétroviseur la vision archétypale des dispensaires ouvriers, des idées toutes faites comme Prévenir c'est guérir, Il vaut mieux prévenir que soigner, Dépister c'est gagner du temps. Ce que nous lisons entre les pages 17 et 48 ne laissent pas de nous ennuyer. Tous les poncifs défilent : les trois niveaux de prévention, les maladies environnementales, les dégâts de l'obésité, les bilans de santé, le plan cancer, la coordination, l'intensification du dépistage, le tabagisme, l'alcoolisme... On rêve en lisant qu'il faut rapprocher les PMI de la médecine scolaire, c'est à dire rapprocher le rien quantitatif avec le rien quantitatif de deux institutions à la dérive. Déléguer des tâches de santé publique aux enseignants : sur quels critères ? Sur quelle formation ? L'école n'arrive pas à apprendre à lire et à écrire aux enfants des cités et on va lui demander, en plus, de les former à l'hygiène et à la santé, sans compter l'éducation sexuelle ! La prévention en milieu scolaire, c'est aussi les menus dans les cantines, c'est aussi des toilettes propres dans les établissements d'enseignement, c'est aussi... La prévention, c'est bien, voilà, c'est dit, pourtant on ne trouve rien dans ce rapport sur les résultats des campagnes de prévention, le rapport coût-efficacité et le rapport coût-utilité, rien sur le sur diagnostic, rien sur le sur traitement, rien sur le disease mongering, rien sur la sécurité sanitaire, et cetera. Ce sont les médecins de famille qui pourraient  assurer ces tâches de prévention (et qui les assurent le plus souvent) mais ils vont disparaître. La prévention est une vaste entreprise morale et technocratique et on devrait toujours se rappeler, pardon si je me répète, cela fait partie de mes idées fixes, la fameuse, la trop fameuse, phrase de David Sackett : "La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations."

Plus généralement, la seule idée un peu neuve que le PS avait mise en avant et qui aurait permis une réflexion générale sur les soins, l'idée du CARE (voir ICI et LA quelques prémisses et mille excuses pour le post que je n'ai toujours pas écrit sur ce que je considère être une des grandes avancées réflexives dans le domaine de la santé depuis de nombreuses années, mais, c'est promis, je vais m'y coller), elle a été enterrée sous les coups de boutoir des marxistes qui considèrent que le Care est une joyeuse plaisanterie de dame patronnesse, des opposants à toute forme d'idée qu'il existe un patriarcat dévastateur dans l'organisation sociale (les mêmes ou les héritiers de ceux qui pensaient, après la parution du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, qu'il s'agissait d'une manoeuvre de diversion bourgeoise, la domination des femmes étant une simple conséquence du capitalisme), des machistes ordinaires et des partisans de l'ignorance du travail invisible des femmes et de la non écoute de la voix inattendue des femmes.


Là où nous abordons le sublime, c'est lorsque dans une envolée lyrique dont les Think Tanks doivent avoir le secret, Terra Nova nous propose page 98 des solutions "Pour un Etat sanitaire plus démocratique." Les propositions 27, 28 et 29 sont croquignolesques : Cela commence mal quand je lis la proposition 28 : "Renforcer les compétences des Agences régionales de Santé dans le domaine ambulatoire". Les habitués de ce blog savent comment les ARS conçoivent la démocratie (ICI) et combien son chef a une façon à lui d'exercer la démocratie avec ses personnels (LA). Mais ce n'est pas tout. La proposition 27 me rend rêveur quant aux capacités de l'Etat, vous savez l'Etat de canicule, l'Etat de grippe, l'Etat des Experts, l'Etat de Mediator, de gérer l'ambulatoire. "Transférer l'administration du secteur ambulatoire de l'assurance maladie vers l'Etat, tant à l'échelon national que régional". Sans oublier la proposition 28 "Créer une Agence exécutive de l'organisation des soins au sein du ministère de la santé", ce qui signifie en bon français organisationnel augmenter le nombre de couches entre les gens de terrain, les rameurs généralistes, pour améliorer l'exécution (mais Terra Nova avait déjà créé une autre Agence, Proposition 14).
Les grandes absences de ce rapport qui s'appelle on le rappelle "Réinventons notre système de santé" : l'infiltration de l'appareil d'Etat par Big Pharma, le rôle néfaste des Agences, un système d'épidémiovigilance étique (à défaut d'être éthique), l'absence d'enseignement de la médecine de famille et, plus généralement, une nécessaire réforme des études de médecine, moins de QCM, plus de philosophie...

Enfin, quels sont les modèles proposés ? Les Français ont souvent tendance à appliquer les méthodes des autres lorsqu'elles ne fonctionnent plus (cf. le Paiement à la Performance, le P4P anglais) et Terra Nova de nous citer les HMO américaines, quelle nouveauté, le système anglais (où il n'y a QUE des médecins de famille et où le délai pour se faire opérer une hanche arthrosique à l'hôpital est de l'ordre de plusieurs années) et les modèles néerlandais et suédois (très en vogue, ce dernier) où la médecine de famille est en première ligne et où les ressources sont prioritairement allouées à la médecine de famille (soins primaires).

Nous en tirons plusieurs conclusions : premièrement, les socialistes, quelles que soient les obédiences, considèrent que l'hôpital est la source de tous les biens ; deuxièmement, que la médecine moderne doit être centrée sur de grosses structures, seules capables de gérer les inégalités de la société ; troisièmement que la prévention viendra à bout des maladies. Qu'il est loin le temps où la gauche lisait Ivan Illich... Qu'il est loin le temps où la gauche lira Carol Gilligan et Joan Tronto...


Amen.

J'avais oublié de vous donner des informations sur les "partenaires", oh que le terme est mignon, de Terra Nova, la Fondation Progressiste (sic). Renversant : LA.

(Photographie : David Sackett, né en 1934,  pour lequel vous trouverez quelques informations sur le site de son université - ICI - et trois lignes sur Wikipedia, lui qui est un des plus grands penseurs de la médecine, je pèse mes mots... LA ; lire ICI un de ses textes fondateurs)

PS du 18/09/12 : un rapport de l'Inspection Générale des Finances souligne la gabegie dans les Agences gouvernementales, leur gestion calamiteuse, et le fait qu'elles soient en doublon. ICI


dimanche 6 juin 2010

LA PREVENTION, ENCORE ET TOUJOURS POUR AMUSER LA GALERIE : LES EXAMENS PERIODIQUES DE SANTE


Dispensaire à Madagascar (Anjozorobe)

Nous avons déjà beaucoup discouru ici sur l'arrogance de la prévention.

Je voudrais rappeler ici la fameuse, trop fameuse, phrase de David Sackett : " La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations." Voir ICI.
Elle devrait apparaître comme économiseur d'écran dans tous les ordinateurs des médecins, des décideurs et des payeurs.

Je le répète : qui pourrait s'opposer à la prévention ?

A Mantes-La-Jolie, dans la zone du Val Fourré, il existe des problèmes sociaux et des problèmes médicaux qui sont liés (je n'en ferai pas un exposé exhaustif) aux conditions sociales, aux faibles revenus des familles, aux conditions de travail des habitants, aux habitudes alimentaires, au choc culturel qui fait passer de l'alimentation traditionnelle au "grec - coca" ou de l'ère pré pasteurienne à l'ère post pasteurienne, et cetera, et cetera. Sans compter un fort taux d'analphabétisme chez les aînés.

C'est dans ce cadre somme toute largement compris par la France tout entière que des Examens Périodiques de Santé sont pratiqués par un organisme privé, l'IPC. Cet organisme dispose de locaux dans le Val Fourré, fait pratiquer des examens sanguins (adressés dans leur centre parisien pour analyse), des ECG, des EFR et autres audiogrammes. Le patient, choisi selon des critères inconnus, reçoit une convocation à domicile qui fait très "officielle" et les patients me demandent s'ils sont obligés d'y aller (quand ils ne veulent pas s'y rendre) et, pour ceux qui s'y sont rendu, me rapportent le "rapport" qui comprend de nombreuses pages de résultats et des commentaires sur l'état de santé avec des "recommandations" destinées au médecin traitant.

J'ai écrit avec un collègue biologiste, un courrier électronique au Directeur général de l'Assurance Maladie des Yvelines, Monsieur E. Le Boulaire dans lequel je m'étonnais des pratiques de cet IPC.

Voici la teneur de ce courrier où j'y signalais un certain nombre d'agissements :

Il paraît anormal que des patients qui ont signé le formulaire médecin traitant soient sollicités sans que le médecin traitant ne soit prévenu a priori.
Il paraît encore plus anormal que les patients suivis pour une Affection de Longue Durée soient également sollicités sans que le médecin doublement traitant n'ait été averti.
Ainsi, des patients diabétiques traités par leur médecin traitant (moi-même) apprennent qu'ils sont diabétiques, ou des patients hypertendus qu'ils sont hypertendus, ou des patients porteurs d'une drépanocytose qu'ils ont des globules rouges anormaux...
Mon expérience m'indique que des patients ayant subi un contrôle lipidique quelques semaines auparavant ont y été soumis de façon systématique. Et il en est de même pour d'autres dosages et examens comme l'ECG dont le rendement prédictif chez un patient asymptomatique paraît peu important.
Il y a plus.
Les rapports comportent des commentaires sur l'état de santé du patient à propos d'une éventuelle hypertension artérielle, des troubles lipidiques ou de troubles de la régulation glycémique qui sont en contradiction avec les avis de la Haute Autorité de Santé.
Ces commentaires inappropriés entraînent une anxiété chez le patient et surtout une incompréhension sur le fait que le médecin traitant ne se serait pas rendu compte auparavant de troubles inexistants...
Mais il y a encore plus. Des examens complémentaires non recommandés par la Haute Autorité de Santé sont inclus dans le package général, comme le dosage du PSA chez des hommes de plus de 50 ans...

Ainsi, ces Examens Périodiques de Santé, me paraissent tout à fait dévoyés de leur objectif initial, à savoir dépister des anomalies de santé dans des populations défavorisées ou ne consultant pas régulièrement un médecin.
Ils conduisent à des examens inutiles, doublonnants ou non recommandés par l'Etat de la Science et leur rentabilité scientifique et économique me paraît douteuse.

La CPAM dispose d'une structure pérenne, la médecine générale, de médecins traitants et elle confie à un organisme privé des missions qu'il ne remplit pas.
J'ai à mon cabinet la liste de toutes les anomalies que j'ai relevées.

Voici ce qui m'a été répondu (en substance) :
  1. L'examen se santé périodique fait partie des droits de chaque assuré social...
  2. ... les organismes d'assurance maladie doivent veiller à offrir ces examens en priorité aux personnes les plus démunies et les plus vulnérables au plan de la santé plusieurs fois dans l'intervalle des cinq ans.
  3. Ils contribuent à l'amélioration de l'état de santé des assurés par la combinaison de procédures qui relèvent du dépistage, de l'éducation à la santé et du conseil individualisé.
  4. Le centre IPC, certifié ISO 9001 version 2008...
  5. S'agissant de la réalisation d'examens biologiques dans le cadre du bilan... l'examen est modulé selon le référentiel... le médecin appliquait les référentiels scientifiques...
Commentaires : les droits du malade (point 1), voilà une belle affaire, démagogie quand tu nous tiens, et ça continue avec le couplet social (point 2), le dépistage (point 3) est déclaré efficace a priori selon les canons de la scientificité arrogante préventive, les règlements administratifs (point 4) sont respectés, et enfin (point 5), plus les mensonges sont gros et plus ils devraient passer.

Je n'appellerai pas le médecin responsable : cela me ferait perdre du temps.

Cette mini affaire rend compte, encore une fois, du mépris avec lequel les médecins généralistes, et les spécialistes sur zone, sont traités par une structure qui ne se réfère qu'à ses référentiels : la vitrine des politiques inefficaces et le mépris de la Science.

Encore et encore.



vendredi 8 août 2008

EVIDENCE BASED MEDICINE : LES FONDAMENTAUX

Chers amis,

Je vous propose la traduction d'un article "fondateur" de Sackett concernant l'EBM qui est certes une auberge espagnole mais dont il faut connaître les tenants et les aboutissants.
Certains passages peuvent paraître datés mais c'est parce que la référence est déjà ancienne (1996). Vous pouvez consulter l'original ICI.
Après avoir relu cela il est possible de parler d'EBM... Ce que nous ferons sur le plan théorique dans d'autres articles.

Docteurdu16


Editorial
Médecine par les preuves: ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas : Il s’agit d’intégrer l’expertise clinique individuelle aux meilleures preuves externes.

La médecine par les preuves, dont les origines philosophiques remontent au milieu du dix-neuvième siècle à Paris et encore plus tôt, reste un sujet chaud pour les cliniciens, les professionnels de la santé publique, les payeurs, les planificateurs et le public. Il existe actuellement de nombreuses séances de travail consacrées à sa pratique et à son enseignement ; des programmes d’entraînement pour étudiants (1) et non diplômés (2) l’intègrent (3) (ou pondèrent la façon de l’utiliser) ; des centres britanniques de médecine par les preuves ont été fondés ou plannifiés en médecine d’adulte, pédiatrie, chirurgie, pathologie, pharmacologie clinique, soins infirmiers, médecine générale et chirurgie dentaire ; la Collaboration Cochrane et le Centre britannique de York pour le recensement et la diffusion [ndt : NHS Centre for Reviews and Dissemination de l'Université d'York (Angleterre). Cette institution rassemble, évalue et diffuse en permanence des travaux scientifiques sur les mesures technologiques et organisationnelles du système de santé. Site : http://www.york.ac.uk/inst/crd/] fournissent des revues systématiques des effets des soins de santé ; de nouveaux journaux de médecine par les preuves vont être lancés ; et c’est devenu un sujet commun dans les media grands publics. Mais l’enthousiasme a été contrebalancé par des réactions négatives (4, 5, 6). La critique a tout dit : la médecine par les preuves pouvait être d’un côté une vieille barbe et à l’extrême une dangereuse innovation perpétrée par des arrogants pour aider les coupeurs de crédits et pour supprimer la liberté des cliniciens. Comme l’EBM continue d’évoluer et de s’adapter, il est maintenant utile de reconsidérer la discussion sur ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
La médecine par les preuves est l’usage consciencieux, explicite et judicieux des meilleures preuves existantes pour prendre des décisions concernant la prise en charge d’un patient. La pratique de la médecine par les preuves signifie intégrer l’expertise clinique personnelle aux meilleures preuves cliniques externes obtenues par recherche systématique. Par expertise clinique personnelle nous entendons la compétence et le jugement que chaque clinicien acquiert à travers son expérience et sa pratique clinique. Une amélioration de l’expertise se mesure de différentes manières mais essentiellement par plus de diagnostics effectifs et efficients et dans un meilleur usage raisonné et compassionnel des situations difficiles, des droits et des préférences des patients dans le choix clinique décisionnel les concernant. Par meilleures preuves cliniques externes disponibles nous entendons des recherches cliniques pertinentes, souvent issues des sciences médicales fondamentales, mais essentiellement à partir de recherches cliniques centrées sur le patient comme la pertinence et la précision de tests diagnostiques (incluant l’examen clinique), la puissance de marqueurs pronostiques et l’efficacité et la sécurité des thérapeutiques et des procédures de réhabilitation et de prévention. Les preuves cliniques externes invalident à la fois les tests diagnostiques et les traitements précédemment acceptés et les remplacent par de nouveaux qui sont plus robustes, plus appropriés, plus efficaces et sûrs.
Les bons médecins utilisent à la fois l’expertise clinique personnelle et les meilleures preuves externes disponibles et l’un sans l’autre est insuffisant. Sans expertise clinique la pratique risque d’être tyrannisée par la preuve, car même une preuve externe excellente peut être inapplicable ou inappropriée pour un patient donné. Sans les meilleures preuves existantes la pratique risque de devenir dépassée au détriment des patients.
La description de ce qu’est la médecine par les preuves aide à clarifier ce qu’elle n’est pas. La médecine par les preuves n’est ni vieille ni impossible à exercer. L’argument selon lequel « chacun l’exerce déjà » tombe derrière la réalité des variations importantes existant à la fois dans l’intégration des valeurs du patient dans notre conduite clinique (7) et dans les taux d’intervention des cliniciens à l’égard de leurs patients (8). Les difficultés que rencontrent les cliniciens à se tenir au courant des avancées médicales rapportées par les journaux de soins primaires sont évidentes quand on compare le temps requis pour lire (pour la médecine générale : 19 articles par jour, 365 jours par an (9)) avec le temps disponible (moins d’une heure par semaine pour les consultants britanniques, même dans un questionnaire déclaratif (10)).
L’argument selon lequel la médecine par les preuves peut seulement être conçue depuis des tours d’ivoire et des fauteuils est contredit par des expériences de soin clinique où déjà des équipes cliniques hospitalières en médecine générale (11), psychiatrie et chirurgie assurent des soins issus de la médecine par les preuves à une majorité de leurs patients. Ces études montrent que des cliniciens occupés qui consacrent leur rare temps de lecture à des recherches sélectives, efficaces, conduites par le patient, à l’évaluation et l’incorporation des meilleures preuves disponibles peuvent pratiquer la médecine par les preuves.
La médecine par les preuves n’est pas un livre de recettes médicales. Parce qu’elle nécessite une approche par le haut qui intègre les meilleures preuves cliniques externes avec l’expertise clinique individuelle et le choix des patients, elle ne peut conduire à une approche servile et automatique des soins de chaque patient. Les preuves cliniques externes peuvent informer mais ne jamais remplacer l’expertise clinique individuelle et c’est cette expertise qui décide si les preuves cliniques externes sont applicables à un patient particulier et, si c’est le cas, comment elles doivent être intégrées dans la décision clinique. De la même façon, toute recommandation externe doit être intégrée à l’expertise clinique individuelle pour décider si elle correspond à l’état clinique du patient, sa situation et ses préférences et, ainsi, si elle doit être appliquée. Les cliniciens qui craignent les recettes tombant d’en haut devraient retrouver les avocats de la médecine par les preuves en les accompagnant sur les barricades.
Certains craignent que la médecine par les preuves soit détournée par les payeurs et les décideurs pour couper les crédits de la santé. Cela ne serait pas seulement un mauvais usage de la médecine par les preuves mais suggérerait une méconnaissance fondamentale de ses conséquences financières. Les médecins pratiquant la médecine par les preuves identifieront et appliqueront les interventions les plus efficaces pour optimiser la qualité et la quantité de vie de chacun de leurs patients ; cela pourrait élever plus que diminuer le coût des soins.

La médecine par les preuves, ce n’est pas seulement les essais randomisés et les méta-analyses. Elle inclut la recherche des meilleures preuves externes avec lesquelles on peut répondre à nos interrogations cliniques. Pour déterminer la pertinence d’un test diagnostique nous devons trouver les études transversales appropriées incluant des patients suspects cliniquement de correspondre au problème recherché, pas un essai randomisé. Pour une question pronostique, nous avons besoin d’études appropriées de suivi de patients analysés à un moment commun et précoce de leur maladie. Et parfois les preuves dont nous avons besoin viendront des sciences fondamentales comme la génétique ou l’immunologie. C’est lorsque nous nous posons des questions sur les traitements que nous essaierons d’éviter les approches non expérimentales puisqu’elles conduisent fréquemment à de fausses conclusions concernant l’efficacité. Parce que les essais randomisés et principalement les revues systématiques de nombreux essais randomisés sont probablement plus informatifs et moins susceptibles de nous induire en erreur, ils sont devenus le « «gold standard » pour juger si un traitement fait plus de bien que de mal. Cependant, certaines questions relatives au traitement ne requièrent pas d’essais randomisés (succès pour différentes situations fatales) ou ne peuvent attendre que les essais soient conduits. Et si aucun essai randomisé n’a été mis en œuvre pour la situation de notre patient nous devons suivre la piste de la prochaine meilleure preuve externe et travailler pour elle.
En dépit de ses origines anciennes la médecine par les preuves est une discipline relativement jeune dont les impacts positifs commencent seulement à être validés (12, 13) et qui continuera à évoluer. Cette évolution sera améliorée car de nombreuses formations pour étudiants et médecins, et dans le cadre de la formation médicale continue, l’adoptent et l’adaptent pour les besoins de chacun. Ces programmes et leur évaluation fourniront de plus amples informations et une meilleure compréhension de ce que la médecine par les preuves est et n’est pas.

David L Sackett, William M C Rosenberg, J A Muir Gray, R Brian Haynes, W Scott Richardson
Professor NHS Research and Development Centre for Evidence Based Medicine, Oxford Radcliffe NHS Trust, Oxford OX3 9DU
Clinical tutor in medicine Nuffield Department of Clinical Medicine, University of Oxford, Oxford
Director of research and development Anglia and Oxford Regional Health Authority, Milton Keynes
Professor of medicine and clinical epidemiology McMaster University, Hamilton, Ontario Canada Clinical associate professor of medicine University of Rochester School of Medicine and Dentistry, Rochester, New York, USA
Références :
8)
House of Commons Health Committee. Priority setting in the NHS: purchasing. First report sessions 1994-95. London: HMSO, 1995. (HC 134-1.)
10)
Sackett DL. Surveys of self-reported reading times of consultants in Oxford, Birmingham, Milton-Keynes, Bristol, Leicester, and Glasgow. In: Rosenberg WMC, Richardson WS, Haynes RB, Sackett DL. Evidence-based medicine. London: Churchill Livingstone (in press).
12)
Bennett RJ, Sackett DL, Haynes RB, Neufeld VR. A controlled trial of teaching critical appraisal of the clinical literature to medical students. JAMA 1987;257:2451-4. [Abstract]
13)
Shin JH, Flaynes RB, Johnston ME. Effect of problem-based, self-directed undergraduate education on life-long learning. Can Med Assoc J 1993;148:969-76. [Abstract]