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lundi 11 décembre 2023

Bilan médical du lundi 4 au dimanche 10 décembre 2023 : corruption diabétique, antidépresseurs, eaux usées, Volet Médical de Synthèse, psychiatrie heureuse.

 

Quand le capitalisme croit au Père Noël.


321. Quand la société francophone du diabète prend position...

La société francophone du diabéte prend position (elle fait semblant de nous dire qu'il s'agit des recommandations d'une société savante, une de ces sociétés savantes à qui, un jour la HAS -la Haute Autorité de Santé- connue surtout pour son incompétence et sa corruption demandera son avis en toute indépendance) dans le document suivant : ICI


Rien ne va : les liens d'intérêts


Le groupe de travail est constitué de 13 membres dont 11 sont des Français et pour lesquels j'ai pu consulter, comme tout un chacun, leurs liens d'intérêts sur le site officiel Transparence Santé

La Déclaration Personnelle d'Intérêts ou DPI rapporte le nombre de prestations en numéraire touchées par les membres français du groupe de travail.

1 - Darmon Patrice DPI = 839/ 2 - Penfornis Alfred : 704/ 3 -Sultan Ariane : 700/
4 - Gourdy Pierre : 582/ 5 - Prévost Gaëtan : 441/ 6- Bordier Lyse : 250/ 7 - Gautier Jean-François : 234/ 8 - Bauduceau Bernard : 184/ 9 - Vidal Trecan Tiphaine : 152/ 10 - Lecornet-Sokol Emma : 118/ 11 - Detournay Bruno (économiste de la santé !) : 80 
Ce n'est pas rien !

Rien ne va : la rédaction de la prise de position 

Contrairement à toute recommandation scientifique il n'y a aucune référence mentionnée et aucun niveau de preuves rapporté pour les différentes prises de position. Pour les niveaux de preuve, voir LA.


Rien ne va : les critères retenus et les traitements proposés

  • Il devient clair que le dosage de l'HbA1C pour surveiller le diabète n'est rien moins qu'un critère de substitution
  • Les objectifs d'HbA1C sont exagérés
  • La metformine est toujours proposée en première intention alors qu'aucune étude digne de nom n'informe sur son efficacité et/ou son efficience à court, moyen et long terme sans oublier les risques d'acidocétose lactique en cas de morbidités chez des personnes âgées ou non
  • Je passe également sur le peu d'intérêt, étant données les critiques formulées, de la prise de position de ces experts indépendants sur les nouvelles molécules comme les incrétines, glifozines ou gliptines. Voir ce qu'en pense La Revue Prescrire ICI en 2023

Trop de corruption ne tue pas la corruption.

Ne lisez pas ce torchon.




322. Quand on prescrit trop d'antidépresseurs à des patients qui n'en ont pas besoin.

Les Britanniques que l'on aime ne pas aimer réfléchissent sur la médecine. Réfléchissent sur les antidépresseurs.

Des politiciens, des experts, des patients ont publié LA une lettre appelant le gouvernement britannique (?) à inverser la courbe de prescriptions des antidépresseurs.


Depuis dix ans la prescription d'antidépresseurs a doublé en Angleterre passant de 47,3 à 85,6 millions. Environ 8,6 millions d'adultes (20 %) sont touchés ! Et la durée de prescription a également augmenté tant et si bien que la moitié des prescrits est considérée comme des utilisateurs chroniques.

Un éditorial du British Medical Journal (ICI) commente et éclaire, notamment sur les effets indésirables (que la psychiatrie heureuse française minimise, voir 325.) et souligne que les prescriptions touchent de façon disproportionnée les femmes, les personnes âgées, et les personnes vivants dans des zones défavorisées.

Mais surtout : Ces prescriptions indiquent que l'on médicalise et que l'on traite les effets des mauvaises conditions sociales.

Un article récent développait l'idée que les troubles mentaux les plus diagnostiqués, anxiété et dépression, n'avaient pas des racines biologiques mais des racines sociales ! C'est LA. Ne me faites surtout pas dire ce que je n'ai pas dit.

La team psychiatre de X pense que le grand problème en France, ce ne sont ni les conditions de vie, ni les psychiatres mais les médecins généralistes.

Rappelons enfin un des grands invariants de la médecine : les patients les moins sévères sont les plus traités, les patients les plus sévères sont les plus mal traités et le reste : les deux. Quant aux facteurs psychosociaux, laissons-les aux assistantes sociales et concentrons-nous sur les taux de neuromédiateurs.





323. Quand un critère de substitution devient un critère principal





324. VSM, DMP, morale (éthique ?), 3600 €

Richard Talbot est un modèle. Il sait TOUT sur la cotation des actes médicaux. Il est d'ailleurs le seul (on me parle d'un certain Gilles Urbejtel à MG France) à la connaître tant elle est compliquée. On dirait qu'il l'a créée avec les bureaucrates de l'Assurance Maladie.

Il exhorte les médecins à remplir les VSM (Volet de Synthèse Médicale) afin de toucher les 3600 € de prime.

Richard Talbot sait que le ROSP est une merde sans nom (l'incentive appliquée aux libéraux sur des critères mal fichus, inintéressants et n'apportant rien à la santé publique), sait que le Dossier Médical partagé est une invention bureaucratique qui a coûté des centaines de millions d'€ pour un résultat imperceptible et dit que lui, entre ses mains, c'est bien. Connaissant la compétence, la droiture et l'investissement de notre Don Quichotte de la Manche, je ne peux que le croire. Mais pas pour les autres !

Pourtant, le problème éthique demeure : on peut tout mettre dans le VSM à condition que le patient ne s'y oppose pas. Mais comme on ne lui dit pas ce qu'on y met...






325. Quand un psychiatre te bloque (Le psychiatre de la semaine).

(Je ne donnerai pas son nom.)


  • Tu sais que le diagnostic de dépression n'est pas bien fait par les MG
  • Tu sais que le diagnostic de TDHA n'est pas bien fait par le MG
  • Tu sais que les psychiatres ne surtraitent jamais
  • Tu sais que les psychiatres ont toujours raison
  • Tu sais que seuls les psychiatres ont le droit d'utiliser l'adjectif schizophrène
  • Tu sais que ce sont les MG qui prescrivent des antidépresseurs à mauvais escient, pas les psychiatres



C'était bref.

dimanche 13 mars 2022

Bilan (partiel) de la semaine entre le lundi 7 mars et le dimanche 13 mars 2022 : l'Eglise de dépistologie en majesté.



Cette semaine est tellement riche d'informations que je vais oublier plein de trucs...

Plus d'IRM, plus de diagnostics, plus de sur diagnostics, plus de sur traitements !

Le secrétaire d'Etat anglais à la santé, Sajid Javid, annonce un plan ambitieux sur 10 ans pour mener la guerre contre le cancer et faire de l'Angleterre le meilleur endroit du monde pour recevoir des soins contre le cancer (sic).

Il prévoit d'implanter des IRM et des scanners dans les centres commerciaux et dans les stades de foot-ball, ce qu'il appelle faire une IRM en se promenant... (voir ICI l'article du Daily Mail)

Michael Baum, voir LA, rappelle sur twitter la fameuse formule de Gilbert Welch (en 2007 dans le New-York Times) que je traduis : 

La plus grande menace qui pèse sur la médecine aux Etats-unis est qu'un nombre plus important d'entre nous vont être aspirés dans le système non pas en raison d'une épidémie de maladies mais à cause d'une épidémie de diagnostics qui conduit à une épidémie de traitements.

Sans oublier que le secrétaire d'Etat fait du hyper hype en annonçant que le développement des vaccins à ARNm va permettre le développement de vaccins contre le cancer.

Au même moment, des sociétés privées proposent ceci :


Ce sont des réservoirs de sur diagnostics !


L'Eglise des Présomptions : un raisonnement curieux

Joey Fox, un ingénieur, rédige un thread (voir ICI) indiquant que selon ses calculs (on ne dispose pas de l'étude) la ventilation des pièces 6 fois par heure associée à la technique intitulée en anglais Ultraviolet Germicidal Irradiation diminue (LA) de 87,5 % la transmission du SARS-Covid19.

Boîte Corsi-Rosenthal


Pour l'instant, tout va bien. Mais la suite est assez savoureuse. Voici ce qu'écrit Joey (je traduis) :

Suis-je trop optimiste ?
Est-ce que je fais trop confiance aux mesures d'ingénierie ?
Bien. Faites des études contrôlées pour me prouver le contraire.


45 % des auteurs qui rédigent les recommandations de pratique clinique présentent des liens d'intérêts financiers

Vous devez être lassés par ce genre d'étude.

Vous devez vous dire que tout le monde sait ça.

Vous connaissez les arguments des "liés" : 1) on ne peut pas faire autrement, 2) nous on est des chercheurs, 3) cela ne nous influence pas

Mais rien ne change au niveau des conférences de consensus, des recommandations des sociétés savantes ou des agences gouvernementales.

Cent fois sur le métier...

Un article émanant de la Mayo Clinic (LA) a analysé 37 études rassemblant 14764 auteurs de recommandations de pratiques cliniques : 45 % des auteurs présentaient des liens d'intérêts financiers. Ces liens concernaient des honoraires en général (39 %) et des honoraires de recherche (29 %) en particulier. De 6 à 100 % des auteurs ne déclaraient pas leurs liens et, dans les 10 études qui les exigeaient, 32 % ne les déclaraient pas.


Dépistage du cancer du poumon : les dépistologues à la manoeuvre

Cette semaine est celle de l'offensive prédicatrice et évangélisatrice de l'Eglise de dépistologie.

Avec, en corollaire, l'offensive anti scientifique de l'Eglise des Présomptions.

Le poids économique des scanners n'est pas non plus étranger à cette action médiatique, ce hype.

Le dépistage du cancer du poumon est en première ligne.

Au moment où les pneumologues et les scannerologues, sont en train de recruter dans les EHPAD pour une étude genrée (ça fait chic) sur le cancer du poumon chez les femmes fumeuses et ex fumeuses avec l'aide de l'AP-HP, c'est l'étude CASCADE, LA,


une étude dont le protocole annoncé (ICI) est une sorte de gloubi-boulga A La Française qui fait un marketing-mix entre le dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose, l'intelligence artificielle, la population féminine, et, je cite, l'adhésion au dépistage, son impact sur le sevrage tabagique, le retentissement psychologique et les coûts induits...

Ce n'est plus un programme électoral, c'est la promesse du Paradis sur terre !

Mais, et c'est là que l'on se rend compte de la vanité holistique de la dépistologie à tout va, voici ce que l'on lit aussi et c'est renversant :

Ce scanner permettra le dépistage de plusieurs pathologies liées ou favorisées par le tabac : cancer pulmonaire mais aussi maladie coronaire, emphysème ou encore ostéoporose.

J'imagine que l'Eglise de dépistologie a aussi enrôlé des dépistologues cardiologues et des dépistologues rhumatologues.

Ces personnes sont des génies.

Elles se proposent de régler une bonne fois pour toutes le problème des dépistages chez les femmes. Mais elles ne parlent pas du cancer du sein (voir plus loin).

Le raisonnement est renversant : on utilise le scanner faible dose pour dépister le cancer du poumon chez la femme (dans l'étude Nelson il y avait d'ailleurs peu de femmes), sans nul doute pour diminuer la dose d'irradiation, sans prendre en compte le fait que les femmes entre 50 et 69 ans sont invitées également au dépistage organisé du cancer du sein avec une mammographie tous les deux ans ! A ce sujet vous pouvez lire un billet de Cécile Bour (LA) qui donne des informations et sur le dépistage du cancer du poumon et sur le niveau d'irradiation attendu chez les femmes.

Je ne suis pas spécialiste et donc je vais me faire crucifier par les prêtres comme par les laïcs de l'Eglise de Dépistologie, sans compter les philosophes qui hurlent "Une seule vie compte", mais j'ai un peu lu sur le dépistage et je reconnais au premier coup d'oeil où sont les loups.

Cette étude n'est pas faite dans l'intérêt des patientes, elle est faite dans l'intérêt du complexe scannero-industriel.

A aucun moment, la notion de sur diagnostic n'est abordée, notion qui est niée en France par les autorités oncologiques, or c'est le problème central de TOUS les dépistages et le problème crucial des études sur le dépistage du cancer du poumon. Et chez les femmes le sur diagnostic et le sur traitement sont bien connus pour le cancer du sein (nous vous parlerons un jour d'une étude US modélisée qui vient de paraître et qui assume le sur diagnostic à 15 % ! ICI pour l'article et LA pour les premiers commentaires) (1), comme pour l'ostéoporose et comme pour les coronaropathies asymptomatiques. Si vous voulez des informations sur l'étude NELSON : 2)

Le vrai but de l'étude CASCADE est celui-ci : les scannerologues généralistes français ne sont pas équipés pour l'analyse volumétrique évolutive des nodules selon NELSON... Donc, ils doivent s'adapter :

Son objectif est de démontrer que la lecture des scanners par un radiologue formé au dépistage, aidé d’un logiciel de détection, a des performances similaires à une double lecture experte, en prenant comme référence l’étude NELSON.

Parce que les programmes pilotes qui ont été acceptés et demandés par la HAS, il n'est pas possible de les pratiquer au niveau national.

Une étude chinoise qui tombe à pic : dépistage du cancer du poumon avec un seul scanner basse intensité

Un seul scanner pulmonaire chez les personnes à risque de cancer du poumon et passez muscade : la mortalité relative due au cancer du poumon diminue (- 31 %) et la mortalité absolue également (- 32 %).

Cette étude chinoise non randomisée illustre à merveille le concept néo moderne de la médecine promu à la fois par les raoultiens et les académiques progressistes : 
  1. Quand les résultats d'une étude non contrôlée correspondent à nos préjugés, pas besoin d'études randomisées
  2. Quand les études d'une étude non contrôlée démentent nos préjugés, il faut faire des études contrôlées

Et le lobby des scannerologues embraye (cf. supra le secrétaire d'Etat à la santé anglais).



Avec l'oxymore de la semaine. 



Encore de la dépistologie non maîtrisée : en psychiatrie

Une saisie d'écran sur twitter. 


Pour Allen Frances : Wiki.

Les lésions lombaires décelées par l'imagerie IRM ne sont pas corrélées aux douleurs lombaires présentes et à venir

Une étude de cohorte prospective menée sur 6 ans (ICI) montre une absence de corrélation entre les lésions décelées à l'IRM et l'intensité des douleurs ressenties par les patients. 
Cette étude confirme un certain nombre de données déjà connues : elle souligne à mon sens la nécessité de peser les indications de l'imagerie lombaire (il existe des recommandations -- peu suivies) et de contrôler le discours qui peut être tenu aux patients lombalgiques qui entraîne notamment un effet nocebo, des phrases du genre : "Vous ne pourrez plus jamais porter", "C'est pour la vie", "Il faut vous interdire de faire certains mouvements", et cetera.

Cette étude devrait rendre prudents les cliniciens : d'une part en prescrivant moins de scanners et d'IRM en suivant les recommandations, d'autre part en modérant leurs propos devant les malades (et les radiologues sont visés également) et en leur expliquant que des lésions vues à l'IRM ne les condamnent ni à la souffrance éternelle, ni à la chaise roulante.

Mortalité liée au Covid vs sur mortalité

Un article du Lancet sur la sur mortalité dans le monde : ICI. Il existe des différences importantes et, notamment, une sous-estimation des morts liés au Covid... On attend des éclaircissements de la part des autorités compétentes françaises sur les différences... Pour commencer, et selon l'INSEE, depuis le premier janvier 2022 : LA.

Pour l'instant, belle infographie de @NicolasBerrod dans Le Parisien.


Une première réaction danoise qui devrait exciter les épidémiologistes français : 



Je n'ai donc pas eu le temps de vous parler :

  1. D'une analyse de la situation suédoise : LA qui est nuancée et qui, sur l'échelle du ZéroCovid au Circulez y a rien à voir, se situe en plein milieu.
  2. De l'obésité aux États-Unis d'Amérique : ICI qui mériterait une analyse non nuancée des ZéroObésité
  3. D'une remarquable étude soulignant encore les biais en termes de survie totale de l'utilisation comme Critère principal en oncologie du PFS (Progression Free Survival) : ICI
  4. Des liens avec l'industrie des associations de patients canadiennes : LA
  5. Et enfin, mais j'oublie des trucs, de la scandaleuse déclaration du Président de la République sur la retraite à 65 ans (il faudrait y revenir longuement en parlant de l'espérance de vie à la naissance, de l'espérance de vie en bonne santé et de l'espérance de vie à 40 ans)

A plus.


Notes

1) L'étude UKLS (ICI) va dans le même sens et la discussion sur le sur diagnostic est intéressante.

Overdiagnosis is a potential issue in all cancer screening programmes, as well as in lung cancer CT screening []; overdiagnosis is defined as the diagnosis of cancer, histologically confirmed, as a result of screening, which would never have been diagnosed in the host's lifetime if screening had not taken place. NELSON reported 8.9% overdiagnosis [
], the NLST initially reported 18% [
], however, more recent follow-up has suggested only 3% overdiagnosis in the LDCT arm [
]. Estimates from the other trials vary considerably [
,
]. In the UKLS the absolute incidence after a median follow-up of 7.2 years (Fig. 3, 75 vs 86 cases) indicates a potential 15% excess incidence in the lung cancer screening arm, which represents an estimate of the worst-case scenario for over-diagnosis, since screening stopped after the single screen. The MISCAN lung cancer model estimated overdiagnosis to be 10% in screened populations [

2) Une analyse de 2020 du site d'EBM Minerva (LA) rend compte des résultats de l'étude NELSON préfigure  les raisons pour lesquelles CASCADE a été mise en route.  Je remarque avec effroi que la notion de sur diagnostic n'est pas non plus abordée par Minerva ! Commentaires de l'université de Sherbrooke : LA NNT = 131






lundi 16 décembre 2019

Deux nouveaux syndromes dans le monde délirant de la psychiatrie : le BSD et le CSD-HD.

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 16

























Cela commence comme cela sur twitter :



Allen Frances réagit à un article allemand que relate le Daily Mail publié dans le journal Comprehensive Psychiatry. Ces chercheurs ont, selon eux, découvert une nouvelle entité clinique le Buying-Shopping Disorder (BSD) qui affecterait 5 % de la population. On pourrait traduire cela par le Trouble de l'Achat et du Magasinage (TAM).

Lead investigator Astrid Muller of Hannover Medical School said: ‘It really is time to recognise BSD as a separate mental health condition.


Il faut traiter. Et les auteurs de se désoler que ce nouveau syndrome ne soit pas inclus dans la classification internationale des maladies.

Dans l'article de Allen Frances la conclusion est la suivante :

The ambitious medicalizing of our interests, passions, indulgences, and eccentricitIes has unfortunate practical consequence. But even worse, it somehow cheapens respect for the wonderful diversity and intensity of human experience. It will be a very dull brave new world indeed when all passionate interests are seen as a pathological targets for treatment.

La médicalisation ambitieuse de nos intérêts, de nos passions, de nos complaisances et de nos excentricités a des conséquences pratiques malheureuses. Mais, pire encore, elle rabaisse en quelque sorte le respect pour les merveilleuses diversité et intensité de l'expérience humaine. Nous entrerons effectivement dans un terne meilleur des mondes quand tous nos intérêts passionnés seront vus comme des cibles pathologiques de traitement.

Je vous invite à lire les commentaires sur twitter.

Mais ce qui a retenu le plus mon attention, c'est ceci : 



Un certain Legedin a donc identifié un nouveau syndrome, le CSD-HD, qui peut être considéré comme une maladie mentale. Les gens qui ont un CSD-HD présentent des stéréotypies (1) urgentes ou compulsives qui incluent la recherche d'étiquettes diagnostiques pour chaque comportement ou émotions humaines.

C'est ce que recherche le DSM V : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders.

On pourrait traduire cela par Trouble d'Hypermédicalisation par Déficit du Sens Commun (TH-DSC)


(1) Définition : Tendance à conserver la même attitude, à répéter les mêmes mouvements ou les mêmes paroles.




mardi 2 septembre 2014

Pratique de l'autonomie illichienne en médecine générale. Histoire de consultation 175.


Il y a toujours un moment où l'on se pose des questions sur la théorie dans sa pratique quotidienne mais il est aussi nécessaire de mettre sa théorie à l'épreuve de sa pratique pour savoir ce qu'il en reste et, surtout, pour se remettre en question.

A mon retour de vacances je revois Madame A, 37 ans, que, pour des raisons pratiques tenant à l'exposé des faits (vous avez sans doute remarqué qu'il est rare en ce blog que je fournisse des indications ethniques sur les cas cliniques rapportés pour des raisons de confidentialité, certes, mais aussi pour ne pas faire de ces cas cliniques des cas d'école ou des démonstrations qui seraient fondées sur des données seulement sociologiques, culturelles ou... idéologiques et, on me le demande souvent, il est fréquent dans ces cas cliniques qu'un homme soit une femme et vice versa, je fais fi des genres avec mon esprit à la mode que tout le monde m'envie, ce qui fait que j'atteins facilement le point bobo) je vais présenter à la fois comme femme de ménage et comme d'origine malienne (pour les coupeurs de cheveux - crépus- en quatre, elle est née au Mali). Elle consulte avec son mari, manutentionnaire et Malien, et ils arborent (comme on dit dans les romans à deux sous) un beau sourire.

Je rappelle quelques éléments de la théorie illichienne qui ont inspiré depuis de nombreuses années  ma réflexion (je réserve pour plus tard la critique d'Ivan Illich par Thomas McKeown dans 'The role of medicine', courte mais passionnante, et ce que cela m'inspire) : la société s'est à tort médicalisée (on peut discuter sur le degré de médicalisation / sur médicalisation comme l'a fait Marc Girard, par exemple à propos du corps des femmes) et on peut s'interroger sur qui a commencé, c'est à dire si la médecine a forcé la société à se médicaliser ou si la société a exigé de la médecine qu'elle règle des problèmes qui, de tout temps, n'étaient pas médicaux ; les adversaires d'Illich prétendent que c'est le progrès qui a rendu des pans de la vie "médicaux" (soigner des infections, surveiller les grossesses ou remplacer des coeurs), Illich a lui tendance à dire que c'est la technique qui a fait miroiter à la société des solutions médicales à des problèmes anthropologiquement non médicaux ; à l'échelle historique et de façon globale l'hygiène est plus déterminante que la médecine pour diminuer la morbi-mortalité (Illich et McKeown sont d'accord sur ce point) mais il faut cependant moduler en fonction des pathologies, des époques et des lieux (j'y reviendrai ailleurs) ; les grandes institutions de la société industrielle (santé, école, transports, énergie) sont contre-productives (rappelons cette statistique effrayante et que nous avons du mal à imaginer : 30 % des patients traités pour une infection à l'hôpital l'ont attrapée durant leur hospitalisation) ; mais venons-on au fait central : Illich préconise l'autonomie de l'individu et de son entourage contre l'hétéronomie de la technique (voir ICI) et il donne des exemples convaincants, d'autant plus convaincants que le corps médical et les industriels ont intérêt à élargir leur champs d'intervention (et de vente) : le deuil de son conjoint est, par exemple, devenu une maladie alors qu'auparavant c'était une situation existentielle qui se traitait en famille ou dans un cercle d'amis ; il faudrait développer à l'infini ce dernier point car le concept d'autonomie est d'une complexité inouïe et peut autant renvoyer à la common decency orwellienne qu'au libertarianisme  états-unien... Fin de la parenthèse. 

La première fois que Madame A est venue me voir, seule, elle va très mal. Elle est effrayée, elle n'arrive pas à dormir, mais pas du tout, elle a des crampes dans le ventre, le coeur qui bat vite, et cetera. En gros elle fait une énorme crise d'angoisse généralisée. Elle a peur de mourir. Elle a peur de dormir et de ne pas se réveiller. Elle pleure et elle se tient la poitrine. Et comme souvent en ces circonstances elle pense que c'est organique et cette accumulation de symptômes angoissants lui fait craindre le pire, une maladie grave, un cancer. Elle veut, bien entendu, une prise de sang et un scanner corps entier (regarder Dr House est mauvais pour la santé) pour savoir. Mon refus ne la rassure pas. Bien au contraire.
Je suis incapable de l'interroger sereinement et elle est incapable de me parler sereinement mais l'angoisse de mourir l'empêche de se comporter "normalement" avec son mari, ses enfants et elle arrivait jusqu'à présent à travailler.
Je lui prescris une benzodiazépine et un hypnotique (que la police du goût me pardonne...) : double hétéronomie : elle consulte un médecin et le médecin lui prescrit des médicaments pour une "pathologie" qui, en Afrique, aurait nécessité de l'autonomie communautaire (ce qui tend là-bas aussi à disparaître). Je lui prescris également un court arrêt de travail bien qu'elle semble aller mieux quand elle travaille. Mais elle est épuisée.
Dans notre entretien confus et incompréhensible et en raison du fait qu'obtenir un rendez-vous dans une structure psychaitrique demande entre une décennie et unsiècle, je réussis à lui glisser le conseil  de parler autour d'elle pour se faire aider, son mari, quelqu'un de sa famille, une amie. Début de la rupture d'hétéronomie ?

La deuxième fois qu'elle consulte, trois jours après, elle ne va pas mieux, mais elle est accompagnée d'une cousine. Symptomatologie identique, angoisse dans le même métal, mais elle a parlé à son mari et à sa cousine. La cousine intervient : "Nous avons perdu récemment notre grande soeur au Mali qui est morte brutalement et sans cause apparente et c'est la raison pour laquelle elle est mal, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a peur de mourir et d'aller la rejoindre. Et elle ajoute : "Une de nos cousines qui vit à Dakar, loin du village où est décédée notre grande soeur, est dans le même état, enfin elle a peur de mourir..." (Ma réaction en direct : ainsi, nous entrons en plein, non, je plaisante, en pleine théorie mimétique (voir René Girard) avec deux protagonistes qui ont les mêmes symptômes à des milliers de kilomètres de distance.)
La patiente sourit vaguement. J'ai également oublié de dire qu'elle n'a pas pris le traitement que je lui ais prescrit : elle ne voulait pas prendre de médicaments.
Nous avançons un peu.
La patiente commence à parler de sa grande soeur mais les manifestations d'angoisse sont encore au premier plan et elle s'inquiète encore plus : elle est certaine d'avoir un problème au ventre et veut une radio. Je tente de lui expliquer que... La cousine ajoute que son mari pense qu'elle a une maladie et qu'il la pousse à faire des examens.
Je conseille à nouveau les discussions familiales. J'apprends alors que la cousine qui présente  exactement les mêmes symptômes a commencé quelques heures avant que ma patiente n'exprime la même chose, ce qui beaucoup impressionné la famille des deux continents quand elle l'a appris.
Je demande : "Avez-vous parlé à votre soeur ? - Non. Elle ne veut pas."

La troisème fois qu'elle consulte, son mari est avec elle. Elle a fini par prendre les médicaments et elle se sent (un peu) mieux mais "ce n'est pas tout à fait cela". Le mari est inquiet et convient que c'est la mort de la soeur qui a tout déclenché. Il a beaucoup réfléchi et se demande comment il ferait s'il avait peur de mourir. "Au village", me dit-il, "il y a un marabout qui fait des prières mais il n'y croit pas beaucoup... Ma femme ne pourrait-elle pas aller voir un psychiatre ?" Je me tourne vers sa femme qui sourit et qui dit qu'elle veut bien tout essayer. Cela va être difficile en cette mi juillet de trouver un rendez-vous au CMPA (dispensaire de secteur où les effectifs ne cessent d'être réduits) mais je fais un courrier en expliquant qu'elle verra d'abord un infirmier ou une infirmière puis un psychiatre. C'est OK.

A mon retour de vacances je revois donc Madame A qui a repris son travail : elle se sent mieux. Elle continue de parler avec sa cousine de France et maintenant elle parle aussi avec sa cousine qui vit au Sénégal. Elle a vu une infirmière au CMPA et elle verra un psy mi septembre. Nous n'avons rien réglé. Nous n'avons pas encore pu parler au fond pour des raisons conceptuelles (même si cette femme parle parfaitement le français) mais elle va mieux. Elle prend actuellement comme traitement un zolpidem au coucher et un alprazolam 0,25 dans la matinée. C'est tout.
J'ajoute que Madame A a appris une expression au CMPA : faire son deuil. Je ne sais pas si faire son travail de deuil va l'aider mais une nouvelle notion est entrée dans son esprit : elle est de plus en plus imprégnée de la culture toubab.


L'histoire n'est pas terminée.
Madame A n'est pas guérie mais a commencé à aller mieux grâce à son entourage et dans sa culture familiale. On peut dire aussi qu'avec le temps, va, tout s'en va. Que les benzodiazépines l'ont aussi aidée (à dormir).
Je ne suis pas assez sot pour dire qu'Illich a raison, je dis simplement que j'ai pensé à Illich en recevant plusieurs fois la malade et deux membres de sa famille, que j'ai pensé à l'autonomie illichienne versus le tout médecine ou le tout psychiatrique.
Je suis un toubab qui, au cours de ces consultations, a pensé à Freud, à René Girard, à Georges Devereux, à Ivan Illich et aussi aux benzodiazépines.

Medical nemesis. 1975. Vous pouvez en lire le premier chapitre en anglais  ICI.

vendredi 25 février 2011

UNE GRAVE ERREUR DIAGNOSTIQUE SANS CONSEQUENCES : HISTOIRE DE CONSULTATION 70



J1
Madame A, 63 ans, se présente au cabinet avec son "compagnon" qu'elle connaît depuis dix ans, avec qui elle ne vivait pas en raison du site de leurs professions respectives qui ne leur permettaient que de se voir pendant le week-end. Madame A est à retraite depuis dix jours et ils vivent enfin ensemble depuis ces dix jours.
Monsieur A est assis à côté d'elle et m'explique la situation : "Elle est bizarre depuis quelque temps. On dirait qu'elle en fait exprès. On dirait qu'elle m'évite..."
Je connais Madame A depuis une bonne trentaine d'années. Ses antécédents sont les suivants : hypertension artérielle bien contrôlée par deux anti hypertenseurs, bronchite chronique sur emphysème avec une ou deux crises par an contrôlées sans dyspnée d'effort intercritique, arrêt du tabac il y a dix ans. Rien d'autre.
Elle n'est manifestement pas dans son assiette, son regard est fuyant, elle semble désintéressée par la conversation mais elle répond bien à mes questions bien qu'avec un peu de lenteur. La Pression artérielle est normale, la fréquence cardiaque dans le même métal, il n'existe aucun déficit moteur.
L'interrogatoire retrouve la notion d'apparition de la symptomatologie deux jours avant sa retraite effective et à peu près au même moment de l'installation du "compagnon" à son domicile.
Le rapide examen neurologique ne retrouve aucun déficit, aucun signe de latéralisation.
Je pense qu'il s'agit d'un problème psychiatrique, une décompensation de je ne sais trop quoi...
Il est trop tard dans l'après-midi pour téléphoner au dispensaire de secteur (les psychiatres libéraux sont débordés), j'écris un courrier pour un psychiatre du secteur et je donne des instructions au compagnon en lui demandant de me rappeler le lendemain si le rendez-vous n'était pas obtenu dans des délais raisonnables.
Je ne prescris rien.
Quand je lui demande sa carte vitale, elle se met à frotter son sac à main avec le plat de la main, puis à vider son contenu sur mon bureau puis elle finit par la trouver et me la tend.
On dirait un alzheimer aigu.
J2
Le compagnon me rappelle. Il est allé lui-même porter la lettre au dispensaire et il a un rendez-vous dans exactement huit jours. Cela me paraît correct.
J9
Appel du dispensaire. Le psychiatre au téléphone. "Je viens de recevoir Madame A, je pense qu'elle fait un AVC." Je discute un peu, je ne suis pas très convaincu mais, bon... Il a déjà téléphoné en neurologie à l'hôpital : on l'attend aux urgences.
J10
Appel de l'hôpital. Le chef de service de neurologie. "Je vous appelle pour Madame A. Nous savons ce qu'elle a et les nouvelles ne sont pas bonnes : cancer du poumon avec métastase cérébrale." Nous discutons des errances diagnostiques. Il me dit : "De toute façon, cela n'aurait rien changé." J'en conviens. Il me demande deux ou trois détails sur les antécédents de la patiente, que je lui fournis.
Fin de partie.
J10
Le dispensaire me rappelle pour m'informer. Je lui dis que l'hôpital m'a appelé. On rediscute des errances diagnostiques. Cela faisait des siècles que je n'avais pas eu un psychiatre de secteur au téléphone... J'exagère un peu mais à peine : cela faisait des siècles qu'un psychiatre de secteur m'appelait post hoc. Nuance.
Commentaire (orienté) : la symptomatologie clinique de la patiente avait suggéré à son compagnon qu'elle refusait et la retraite et la vie en couple. Psychologisme, quand tu nous tiens...
Commentaire (encore plus orienté) : je l'avais tellement félicitée d'avoir arrêté le tabac il y a dix ans.

Conclusion provisoire : je m'étais déjà fait piéger il y a deux ans par un syndrome confusionnel chez un homme de quatre-vingt deux ans que j'avais attribué a priori à un excès de benzodiazépines et / ou un syndrome démentiel débutant. C'était aussi une tumeur cérébrale sans signes déficitaires sensori-moteurs.

dimanche 31 octobre 2010

UNE JEUNE FEMME QUI NE SUPPORTE PAS LA VENTE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 49


Mademoiselle A appelle le cabinet pendant la consultation du samedi. Il n'y a plus de place. La secrétaire me dit qu'elle est en larmes et que cela n'a pas l'air d'aller du tout. C'est une jeune femme fragile. Pas de tendances suicidaires, pas d'anxiété démesurée mais une grande fragilité émotionnelle. Je lui trouve une place "entre deux" et, coup de chance, un patient qui avait rendez-vous ne se présente pas. Nous serons moins à l'étroit.
Elle est en larmes dès qu'elle entre dans mon bureau.
"Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Je ne supporte plus mon boulot.
- Qu'est-ce que tu fais ? Je ne me rappelle plus.
- J'ai changé. Je travaille le week-end dans une agence immobilière.
- Ah oui, ta mère me l'avait dit..."
Mademoiselle A est en mastère 2 et, pour payer sa chambre qu'elle partage avec son copain, elle travaille en plus de ses études.
"Si tu m'expliquais...
- Je n'en peux plus. J'en ai assez.
- Tes patrons ne sont pas sympas ?
- Non, ils sont très gentils, au contraire, ils me traitent comme leur fille, mais je ne supporte pas l'ambiance...
- ...
- Ils ne pensent qu'à l'argent...
- ...
- Il faut constamment mentir aux clients... Je n'arrive pas à le faire...
- Mentir ?...
- On ment sur tout. Le prix, les défauts, les avantages...
- N'est-ce pas le principe du commerce ?
- Oui, mais, à ce point là...
- Tu n'es peut-être pas faite pour la vente...
- Non, ce n'est pas cela. Je ne suis pas faite pour raconter des histoires aux gens... et parfois des pauvres gens...
- Je vois..."
Nous nous mettons à parler de la seule solution évidente : elle doit trouver un autre job ailleurs. Elle en convient mais elle pleure toujours. Elle a besoin d'être rassurée, elle a besoin de certitudes, elle a besoin qu'on l'aime, elle a besoin de savoir que le monde (ce n'est pas moi qui interprète, c'est elle qui a formulé l'idée :) n'est pas aussi pourri que cela...
J'essaie de la rassurer et lui conseille, elle n'a pas eu besoin de moi, de se retourner vers les gens qu'elle aime, ses parents, ses soeurs, son frère. Elle l'a déjà fait. "Seule ma soeur me comprend..." Je ne dis rien mais je souris intérieurement car les relations entre les deux soeurs sont compliquées : une grande compétition entre elles et qui date de leur toute petite enfance ; elles ont un an d'écart.
"Cela va aller ?
- Je crois."
Je n'en crois rien. Cet emploi d'étudiante dans une agence immobilière n'est bien entendu qu'un prétexte à laisser éclater ses problèmes existentiels. Elle ne sait pas où elle est, comment elle doit se situer, quel rôle lui est attribué, et pourquoi les autres n'ont pas l'air de se poser de questions.
Elle n'a jamais eu de tendances suicidaires mais je me méfie de ces personnalités qui n'ont pas une très grande estime d'elles-mêmes. Elle est jolie, avenante, plutôt bonne élève et elle se sent moche, asociale et incapable de mener des études.
Elle repart comme elle était venue, les yeux rouges.
Sa mère me téléphone une heure après, un peu agressive : "Vous ne lui avez pas donné de médicaments ? - Non, pourquoi ? - Elle a besoin de quelque chose. Elle pleure encore. - Madame A, nous en avons discuté, je ne vais pas vous refaire la consultation au téléphone, nous sommes convenus qu'il n'était pas nécessaire de prendre des médicaments. Elle a pris rendez-vous pour samedi prochain. - Bon."

samedi 10 juillet 2010

Piégé ou Piégée ? - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-QUATRIEME EPISODE

(Utamaro (1753 - 1806) : Femme essuyant la sueur de son visage.)
Je ne connais pas cette jeune femme et elle se met à pleurer doucement après s'être assise en face de moi.
Je lui dis bonjour.
Je consulte son dossier.
Je lui tends un mouchoir en papier.
Le dossier indique qu'elle a vu mon associée il y a deux semaines et que c'était la première fois. Voici ce que je lis : "Rupture avec son ami. Elle ne désire pas prendre de médicaments."
"Je vous écoute.
- Ce n'est pas écrit dans le dossier ?
- Pas grand chose... C'est vous ou c'est votre ami qui est parti ?
Elle me regarde en s'essuyant les yeux.
- C'est compliqué..."
Je résume : Mademoiselle A entretient une relation depuis dix ans avec un garçon du quartier. C'est une relation non affichée pour des problèmes communautaires (je ne détaille pas ; pour les gens qui savent ce serait superflu, pour les gens qui ne savent pas ce serait perdre son temps, pour les gens qui aimeraient avoir des explications : un autre jour). Elle me dit exactement : "Vous savez comment cela se passe ici..." avec des sous-entendus dans la voix. "Et vous vous vous voyiez comment ?", je demande. Elle : "Au début, dans les caves, puis à l'hôtel, au restaurant, dans la voiture..." C'était (c'est) son premier et unique garçon. Elle était en conflit avec lui parce qu'il ne voulait pas, au bout de nombreuses années, la présenter à ses parents voire, tout simplement passer un week-end avec elle. Elle, par réciprocité et ausi pour éviter les ennuis, n'avait rien dit à ses propres parents qui ne cessaient de lui proposer des prétendants et qui ne comprenaient pas qu'elle ne veuille pas se marier. Mais elle avait fait des études : elle avait droit à un délai. Quand les relations étaient vraiment très tendues, c'est à dire qu'ils ne se voyaient pas assez et que ses arguments pour éviter de rendre leur liaison publique devenaient de plus inappropriés il arrivait à se libérer pour un dimanche et ils partaient ensemble sur la côte normande. Mais cela n'arrivait pas souvent. Elle l'avait souvent menacé de rompre mais il s'arrangeait toujours pour lui donner des preuves qu'il était attaché à elle. Ils passaient de très longs moments au téléphone. Il ne l'avait jamais emmenée en vacances dans son pays et elle partait elle-aussi toute seule (c'est à dire avec sa famille) de son côté et dans son pays à elle. C'était difficile à vivre mais elle pensait que tout allait bien car il lui donnait des gages chaque fois qu'elle était sur le point de rompre. "Cela voulait bien dire", me demande-t-elle "qu'il tenait à moi ?" Un jour ils ont rompu et c'est lui qui est revenu. "J'ai posé mes conditions." Puis les choses se sont précipitées car elle a appris qu'il était marié depuis au moins cinq ans. Qu'il s'était marié au bled, qu'il avait un enfant et que sa femme vivait dans la région depuis environ deux ans. Voilà l'affaire. Elle avait pris son courage à deux mains (c'est exactement l'expression qu'elle a utilisée) et parlé à la soeur de l'amant qui avait été surprise et qui avait pris son parti de femme (semble-t-il).
Et maintenant elle pleure dans mon bureau.
Je la regarde de la façon la plus neutre que je connaisse.
Elle me pose des questions et je tente de répondre aussi attentif à ne rien casser qu'un éléphant dans un magasin de...
Mais il est possible que j'aie déjà cassé quelque chose.
Je l'écoute mais je sens qu'elle a besoin que je parle. Je ne peux pas lui dire exactement ce que je pense. Je pourrais, après tout mais je me convaincs que mon avis n'a aucune importance, que c'est elle qui compte, il faut que je me coule dans le médicalement correct, dans le politiquement correct, dans le psychologiquement correct... A moins, bien entendu, que je ne me fasse des idées sur ce que serait cette façon correcte de penser...
Je devrais lui dire, sans faire preuve d'hypocrisie (car le médicalement correct impose désormais que l'on dise la vérité aux malades) : Laissez tomber ce type ; il vous a menti ; il vous a fait du mal; il s'est moqué de vous ; il ne mérite pas votre amour ; il recommencera ; il ne changera pas.
Je ne dis pas cela car il faut que j'en sache un peu plus.
"L'aimez-vous encore ? - Oui."
Je devrais continuer en lui demandant : "Vous voudriez donc continuer à le voir et qu'il continue à vivre avec sa femme ? - Non. - La situation semble sans issue. - J'espère encore. - Voulez-vous donc être sa maîtresse ? - Non. Je le veux pour moi toute seule. - Que deviendront sa femme et son enfant ? - Je ne sais pas."
Je dis ceci : "Je crois qu'il faut que vous abandonniez l'espoir de le reconquérir. Il vous a menti, il vous mentira à nouveau. Il faut vous faire une raison. - Je ne peux pas."
Je la regarde : elle travaille dans une banque comme secrétaire bilingue. Elle est "nature", plutôt jolie, mais sans charme.
Moi : "Les hommes, mais je ne voudrais pas généraliser, sont souvent comme cela. Ils sont capables de mener deux vies pour ne pas avoir à trancher, pour profiter sur tous les tableaux. - Vous êtes certain ? - Je ne suis sûr de rien, je vous explique que, selon mon expérience de médecin, il est plus fréquent qu'un homme vive une double-vie qu'une femme... - Ah oui ?"
Elle semble intéressée mais, comment dire, incrédule.
Le problème de la consultation de médecine générale tient à sa longueur (en moyenne un quart d'heure) et à ses ambitions : je n'ai ni le désir, ni la formation, ni le temps, ni l'orgueil de vouloir entamer une relation psychothérapeutique avec cette jeune femme qui, en plus, n'en a pas exprimé formellement la demande. Je dois rester dans mon rôle qui est celui d'un médecin généraliste. Le médecin généraliste reçoit, écoute, propose et, quand il n'a pas beaucoup de temps devant lui, impose. En ce cas, je ne cherche pas à évacuer le problème mais à gagner du temps. Gagner du temps c'est ne pas aller trop vite à l'essentiel en imposant mon point de vue qui est celui d'un médecin généraliste qui a été de nombreuses fois confronté à ces situations d'échec amoureux et celui d'un homme qui a ses propres expériences personnelles et ses propres préjugés.
"Les hommes, et pardon pour ces généralités, se satisfont des situations ambiguës, vivre une double vie, avoir une maîtresse, pour de multiples raisons... - Mais comment faisait-il pour me mentir ? Comment faisait-il pour me promettre tant de choses alors qu'il était marié ? Les hommes sont-ils tous aussi méchants que cela ? - Etait-il méchant ? Il essayait de profiter et de sa femme et de vous. Et il voulait éviter les ennuis et faire le malin. Il esquivait ses responsabilités. Avez-vous cherché à le recontacter ?"
Elle hésite puis : "Oui. - Et alors ? - Il ne répond pas à mes messages. - Il continue à éviter les ennuis. - Vous croyez ?"
Le temps passe.
Je lui demande si elle aimerait consulter un psychiatre pour faire le point. "Mais j'en vois déjà un !"
Elle note ma surprise et mon désappointement. Elle continue de ne rien dire.
"C'est très embêtant. - Pourquoi ? - Parce que vous m'avez parlé, je vous ai répondu et il est possible que je n'ai pas dit la même chose que le psychiatre, que je vous ai parlé de choses dont il ne voulait pas encore parler, mais surtout que j'ai pu être en porte-à-faux avec ce qu'il vous a déjà dit." Elle sourit. "Mais nous n'avons pas du tout parlé de cela. - Ah ? - Il me fait parler de mon enfance. Il dit que cela vient de là." Je lui fournis ma poker face en béton, celle que j'utilise sur Internet dans mes parties on line. Elle reprend : "Mais je suis contente d'être venue vous voir. - Ah... - Vous m'avez dit ce que je souhaitais entendre... - A savoir ? - Que les hommes sont capables de faire cela. - Je vous ai dit cela ? - Mon psychiatre ne voulait pas répondre sur ce point, il préférait parler d'autre chose. - Mais vous ne m'avez pas posé la question. - Mais j'ai eu ma réponse."