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jeudi 2 mars 2017

Harcèlement au travail et/ou burn-out sociétal.


Les cabinets de médecine générale sont désormais remplis de patients consultant pour harcèlement au travail (appelé aussi harcèlement moral : LA) et plus rarement pour burn-out (et, exceptionnellement pour syndrome d'épuisement professionnel, ce qui est la traduction française de l'expression anglaise : ICI).

Un rapport présenté récemment à l'Assemblée nationale propose, selon le journal Le Monde (ICI), "quelques pistes timides pour faciliter la reconnaissance de l'épuisement au travail en tant que maladie professionnelle".

Une nouvelle entité clinique est apparue. Est-ce une maladie professionnelle ou une maladie systémique ?

Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien, remarquable épistémologue des sciences et philosophe, et qui côtoya à la fois Ivan Illich et René Girard, parlait de patients "faisant grève de la société" (In : La marque du sacré, 2010, Champs essais).

Nous y sommes.



Et les histoires entendues se répètent à l'infini tant l'organisation des entreprises (privées et d’État) immergées elles-mêmes dans un contexte économique difficile (j'enfile les truismes avec application) est peu favorable à l'épanouissement personnel.

Ce qui m'étonne toujours, et ce qui est peu souvent rapporté, c'est la façon stéréotypée dont les patients expriment leur ressenti à tel point qu'il faut se poser des questions sur ce mimétisme symptomatique (nous n'avons pas le temps ici de parler de maladies construites sur des symptômes et qui ont disparu de la surface de la médecine). On dirait que les citoyens/salariés ont appris leur leçon avant d'entrer dans le cabinet de consultation. On dirait qu'il s'agit d'éléments de langage. Au delà des particularités individuelles qu'il n'est pas possible de nier et qui sont évidentes lors de l'interrogatoire, il existe une ligne de souffrance, un vocabulaire (différent selon le niveau d'éducation), des gestes, des mimiques, des pleurs, qui confèrent une unité sociétale à cette pathologie.

La littérature psychiatrico-psycho-analytique/non analytique est foisonnante et chaque chapelle, comme d'habitude, tire la couverture à soi.

Les sites sont également nombreux (voir LA). Il n'est pas inintéressant de constater que la souffrance au travail est aussi devenu un marché idéologique avec une base constituée par les psychiatres/psychologues du travail dont l'initiatrice est Marie-France Hirigoyen (LA). Au ressenti stéréotypé correspondent des réponses stéréotypées qui sont autant de constructions du réel supposé. Sans références nettes au capitalisme. Car les commentateurs du harcèlement comme du burn-out oublient que le système est vicié à l'origine ou plutôt sont persuadés qu'il s'agit d'un horizon indépassable.

Quelques définitions :

Le burn-out par wikipedia donne ceci :
Le burn-out peut être regardé comme une pathologie de civilisation, c'est-à-dire un trouble miroir qui reflète certains aspects sombres de l'organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l'urgence, la concurrence exacerbée ou encore la généralisation des méthodes d'évaluation

Pour le  harcèlement moral au travail sur un site officiel (ICI) :
Le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés : remarques désobligeantes, intimidations, insultes...
Ces agissements ont pour effet une forte dégradation des conditions de travail de la victime qui risque de :
porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
ou d’altérer sa santé physique ou mentale,
ou de compromettre son avenir professionnel.
Si vous êtes victime de harcèlement moral, vous êtes protégé que vous soyez salarié, stagiaire ou apprenti.
Ces agissements sont interdits, même en l'absence de lien hiérarchique avec l'auteur des faits.


Les experts vous diront, je les entends déjà, qu'il s'agit de faits différents. Sans doute.

Il faut aller chercher ailleurs.

Dominique Dupagne me signale sur tweeter il y a quelques jours une chronique radiophonique (La Tête au Carré : LA) parlant du burn out parental. J'écris ceci : "C'est la même logique manageriale : la décence commune est remplacée par les injonctions hétéronormes expertales."
Dupagne répond à quelqu'un qui trouvait ma réponse absconse. "Si, c'est logique : la petite entreprise parentale est détruite par des injonctions stupides, intériorisées et aliénantes."

Dominique Dupagne a écrit un ouvrage remarquable sur la logique entrepreneuriale de notre modernité : La revanche du rameur, 2012, Michel Laffon. Mais il n'a parlé que de l'anthropologie du mal ou plutôt de l'éthologie du mal, il n'a pas parlé du contexte social qui est celui du capitalisme, cet horizon indépassable dont j'ai déjà parlé, comme si, le 13 juillet 1789, on avait discouru sur l'immanence de la monarchie de droit divin et de l'impossibilité d'y échapper en France. Bon, je ne vais pas ajouter, Marx et Engels bien entendu (cela ne fait pas bien de les citer), Freud, Ivan Illich, René Girard et quelques autres pour dire qu'il est tout à fait possible de faire le lien entre l'entreprise et la famille qui, justement, n'est pas une entreprise, mais surtout l'Etat qui est encore moins une entreprise, dans le contexte du système capitaliste.



Le burn-out familial :

L'organisation a sociale a dépossédé la famille de ses rôles régaliens autonomes : élever ses enfants, les nourrir, les punir, les encenser, les aider, les aimer.
La famille est en observation : le sens commun autonome (dont il est hors de question de faire l'éloge absolu) est battu en brèche par l'expertise hétéronome des experts qui disent la famille tout en n'ayant de cesse de la déconstruire.
Acrobaties idéologiques qui ne peuvent que rendre les familles folles.
Des livres entiers ont été consacrés à cette division de la pensée.

Je voudrais citer Geoffrey Gorer qui écrivait en 1948 dans The American People: A study in National Character cité par Christopher Lash in La Culture du narcissisme, 1979 : "Il s'est créé un idéal du parent parfait, tandis que les parents réels perdaient confiance dans leurs aptitudes à accomplir les tâches les plus simples attachées au soin et à l'éducation de leur progéniture."

Rappelons aussi, car ce n'est pas anodin, ces chiffres d'une crudité incroyable : 19 000 enfants sont victimes de maltraitance, 78 000 se trouvent dans des conditions à risque et 600 à 700 décès sont attribuables à de mauvais traitements infligés par les parents (voir LA). Bien plus : en 2014, 290 000 mineurs étaient pris en charge par la protection de l'enfance, soit 1,98 % des moins de 18 ans (voir ICI). Voir aussi un article récent sur le rôle des placements : LA.

Il est donc impératif que les services sociaux, la justice interviennent. C'est le rôle de l’État. Et c'est son devoir.

Ce qui est moins rassurant c'est quand les normes s'appliquent au "normal" et fixent des règles dans la règle. Car en ce cas il s'agit, comme on l'a vu, d'une dépossession de la famille, d'une délégation des tâches et d'un transfert des fonctions.

Les experts savent donc, et pas seulement les médecins et les professionnels de santé, comment les femmes doivent accoucher (et même comme elles doivent faire les enfants) et comment les maris (pardon si le terme paraît si vieux jeu) doivent se comporter avant, pendant et après, ils savent aussi comment il faut allaiter, donner le biberon, coucher les nourrissons (même si la dernière fois qu'ils se sont trompés des milliers d'enfants en sont morts, rien qu'en France), je ne continue pas mais, si vous ne le saviez pas, les experts précisent aussi quand il est possible de faire l'amour avant un accouchement, comment procéder pour l'endormissement des nourrissons, des enfants, des adolescents, et cetera, pour le réveil, l'arrivée à la crèche, à la maternelle... et ils n'oublient pas de préciser que l'utilisation des tablettes, des ordinateurs et autres smartphones est un formidable progrès qui va réduire la fracture numérique (mais pas la fracture sociale, idiots).

Les experts conseillent et d'autres, voire les mêmes, n'ont de cesse que de critiquer la famille hétéro-patriarcale alors qu'il est connu que ce sont les familles monoparentales qui sont les plus fragiles.

Quant aux conservateurs, pas tous, ils prônent le travail le dimanche pour des raisons économiques (augmenter le chiffre d'affaire) alors que c'est l'un des facteurs décisifs de la déstructuration de la famille.


Mais revenons au propos initial.

Le lien entre le harcèlement au travail (et le burn-out) et le burn-out familial (et le harcèlement) est le suivant : des experts fixent des normes qui sont à la fois énoncées comme du bon sens pratique et de la morale courante, mais des normes inatteignables qui ne peuvent être atteintes car elles n'ont pas pour but d'être opérationnelles mais pour objet de rendre culpabilisantes toutes les tentatives avortées d'y parvenir, ce qui rend les travailleurs ou les parents coupables et anxieux de ne pas y arriver.

Dans l'entreprise il est beaucoup plus clair d'y voir clair. Le managériat des salariés, et on constate  que ce ne sont pas que les manœuvres ou les professions non intellectuelles qui en sont victimes (bien que ces salariés soient victimes d'une quadruple pleine : exploitation, déshumanisation, bas salaires, manque de reconnaissance sociale) consiste, au nom de principes de rentabilité économique cachés sous le masque de l'organisation rationnelle du travail, à abrutir les gens, à les atomiser (au double sens de les détruire et de les isoler pour couper toute tentative d'autonomie que l'on pourrait traduire par camaraderie, amitié, empathie, voire syndicalisation), à rendre leur travail incompréhensible, à ne cesser de leur demander des comptes, à les réguler, à les juger, à les dresser les uns contre les autres.

Dans la famille les parents n'y arrivent plus ou se résignent au burn-out, et il est symptomatique que ce soient les femmes qui trinquent le plus. Car si les femmes étaient traditionnellement chargées de l'élevage et de l'éducation des enfants, elles ont désormais en plus la nécessité expertale de réussir leur vie professionnelle, pour s'accomplir, certes, mais en s'entendant dire que s'occuper des enfants, leur parler, aller les chercher à l'école ou les aider à faire leurs devoirs pour les familles les plus éduquées, est ennuyeux, barbant, insuffisant, voire dégradant, et on les somme, l'image de la femme d'affaire accomplie, à tout réussir, à prouver à tous, maris, enfants, famille, belle-famille, voisins, collègues, supérieurs hiérarchiques, à être des femmes parfaites, des héroïnes stakhanovistes de romans à l'eau de rose, et, n'y arrivant plus, comment voudriez-vous qu'elles y arrivent sans sacrifier quelque chose ?, elles compensent en étouffant les enfants de sollicitude et de prothèses externes, les nounous, le para scolaire, les cours de soutien, l'inscription au tennis ou aux cours de flûte à bec, parfois au prix de la disparition de leurs sentiments spontanés (on leur a supprimé l'instinct maternel) ou... de leur vie sexuelle.

Quant aux hommes, ils feignent de s'adapter à la situation en tentant de garder leurs privilèges ou en faisant semblant d'y renoncer, et, tant dans l'entreprise que dans la famille ils sont dépossédés de leurs oripeaux merveilleux, tout en gardant le pouvoir et vivent, mais il faudrait développer plus amplement, un paternalisme sans père.

Et les médecins, dans tout cela ?

Comment intervenir quand un patient parle de harcèlement au travail.

Ce sera pour une prochaine fois.





jeudi 22 septembre 2016

Les relations médecins/patients sur twitter. Conséquentialisme versus déontologie.

Happy Valley : Sara Lancashire. La bienveillante.


Je vais vous raconter une histoire simple, telle que je l'ai reconstituée, ne venez pas m'ennuyer sur les détails techniques.

Une jeune femme mineure, vraiment mineure, vient aux urgences accompagnée de sa mère.
Elle est examinée par l'interne.
Elle est interrogée.
Le senior revient une demi-heure après.
" Est-ce que vous avez déjà eu des rapports ?"
Question qui a déjà été posée auparavant.
Gêne.
"Non, bien sûr que non."
Le senior a dans la poche un test de grossesse positif.
Il s'agit d'une grossesse extra-utérine qui est une urgence chirurgicale pouvant mettre en jeu la vie de la patiente. 


Cette histoire est racontée sur twitter.
Les défenseurs des patients réagissent très vite.
Je résume : "Il est intolérable de pratiquer un test de grossesse sans le consentement de la patiente."
Les médecins rient. Je résume: "Elle aurait pu mourir, donc, il n'y a pas de discussion."
Les messages s'enveniment.
Les médecins ne comprennent pas que l'on puisse discuter une seule seconde le fait d'avoir pris la bonne décision, à savoir faire un test de grossesse à une femme qui dit ne jamais avoir eu de rapports sexuels, pour lui sauver la vie.

Vous imaginez que si j'écris ce billet c'est parce que je me pose des questions, ce n'est pas parce que je pense que les défenseurs du consentement sont des demeurés.

Ma première réaction était instinctive et fondée sur l'expérience : on a tous entendu parler d'histoires de ce genre ou on en a même tous vécu et personne ne nous a jamais parlé d'un problème moral dans cette attitude. C'est une urgence. Point.

Vous assistez à un accident de la circulation et vous agissez rapidement pour sauver une personne inconsciente, vous n'allez quand même pas fouiller ses poches, interroger un éventuel fichier national pour savoir si la personne souhaite ne pas être réanimée.

Dans le cas du test de grossesse qui nous préoccupe il est aussi vraisemblable que, malgré les dénégations de la jeune femme, le fait de ne pas avoir pratiqué le test pourrait être considéré, professionnellement comme une faute et pourrait être reproché juridiquement aux praticiens.

Donc, les propos violents lus à propos des médecins posent question.

Pourquoi et comment en est-on arrivés là ?

Je ne vais pas vous écrire l'histoire du paternalisme. C'est long, c'est compliqué, c'est contradictoire, c'est controversé.

Je suis allé voir un billet de JP Devailly (LA) en son blog (ICI) toujours bien informé mais souvent un peu compliqué dans son expression et catégorique dans ses conclusions, dont le titre est "Le soignant, le patient et le système - Le paternalisme dans tous ses états". J'ai retenu ceci comme définition générale : « Le paternalisme, c’est l’interférence d’un État ou d’un individu avec une autre personne, contre sa volonté, et justifiée ou motivée par la croyance qu’elle s’en portera mieux ou qu’elle sera protégée d’un mal » d'après Gerald Dworkin, un texte de 2016 (LA). Et ceci de JP Devailly : "Le vieux modèle paternaliste de la relation médecin patient est obsolète. Certains soutiennent que l'absence totale de paternalisme est illusoire mais que les formes coercitives et fortes en sont les plus difficiles à justifier sur le plan éthique ("Paternalisme, biais cognitifs et politiques publiques favorables à la santé")."

Il faudrait dire ceci : il y aura toujours une relation asymétrique médecin/patient ou médecin/malade ou soignant/soigné mais il ne faut pas envisager cet aspect du seul point de vue des connaissances scientifiques mais aussi selon celui de la dépendance intellectuelle, financière, spirituelle, émotionnelle, et pas toujours dans le sens escompté : le patient/malade est parfois en position dominante vis à vis du médecin/soignant... Il y aura toujours ne signifie pas qu'il ne faille pas lutter contre...

Il existe un vieux mythe, sur une idée de Georges Duhamel, écrivain et médecin du "colloque singulier entre médecin et malade" qui aurait été à une certaine époque un modèle rassurant d'humanisme partagé. Je n'y crois pas une seconde. Le colloque singulier existe toujours, sans doute, je n'aime pas les consultations à trois, par exemple, je veux dire deux médecins et un patient, dans l'autre sens, cela me dérange moins bien que cela signifie une certaine forme de censure. Et il y a des éléphants dans la pièce que sont les représentants de la société de consommation.

Dans les tweets que j'ai consultés, et on ne dira jamais assez combien la forme twitteriale est agaçante par sa brièveté, par son agressivité innée et par sa volatilité, des mots et expressions sont apparues : bienveillance, serment d'Hippocrate, empathie, sympathie, neutralité, eh bien, à mon avis signifiant et signifié ne collent pas bien.

Dans notre cas précis on a aussi du mal à envisager que cette jeune femme débarquant aux urgences puisse être un patient expert, un patient ressource ou un expert profane. Si vous souhaitez sur la question lire des choses très mauvaises, j'ai trouvé une mine : le professeur André Grimaldi : ICI et LA.

Passons.

Certains des messages sont passés par le serment d'Hippocrate. Il y avait longtemps que je n'y étais pas allé faire un tour. 
Commençons par l'Hippocrate originel.

C'est quand même d'une sacrée débilité anachronique.
« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité, le serment et l'engagement suivants :
Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon savoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et, s'ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part de mes préceptes, des leçons orales et du reste de l'enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.
Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m'abstiendrai de tout mal et de toute injustice. Je ne remettrai à personne du poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion ; semblablement, je ne remettrai à aucune femme un pessaire2 abortif. Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans l'innocence et la pureté.
Je ne pratiquerai pas l'opération de la taille3, je la laisserai aux gens qui s'en occupent.
Dans quelque maison que j'entre, j'y entrerai pour l'utilité des malades, me préservant de tout méfait volontaire et corrupteur, et surtout de la séduction des femmes et des garçons, libres ou esclaves.
Quoi que je voie ou entende dans la société pendant, ou même hors de l'exercice de ma profession, je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.
Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! »
.
Ensuite, voici la version du Conseil de l'Ordre de 2012.

« Au moment d'être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.
Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.
Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité.
J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.
Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me le demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.
Admis dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.
Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.
Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.
J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.
Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j'y manque. »

Donc, on raye, c'est tellement à mourir de rire et décalé de la réalité quotidienne. Comme on dit sur twitter : trop faux.

Je suis allé faire un tour sur l'excellent blog du docteur Niide (LA) où il a écrit un billet intitulé "Care is not benevolence" (ICI) qui nous permet de mieux comprendre les différentes attitudes que nous avons décrites plus haut et d'éviter de lire des âneries (notamment sur l'Evidence Based medicine) comme celles de Gérard Reach (LA) considéré pourtant comme une sommité sur la question. 

Revenons à nos moutons.

Je voudrais citer cette phrase de Jean-Pierre Dupuy à propos du conséquentialisme en l'adaptant à notre test de grossesse : "Cet argument éthique (c'est à dire doser les beta HCG sans demander son avis à la patiente) est dit conséquentialiste : lorsque l'enjeu est important, les normes morales que l'on nomme déontologiques - au sens où elles expriment le devoir que l'on a de respecter des impératifs absolus, quoi qu'il en coûte et quelles qu'en soient les conséquences - doivent s'effacer devant le calcul des conséquences." (Dupuy Jean-Pierre. La marque du sacré. Champs essais. Paris : Flammarion, 2008) Il parlait des justifications américaines (aujourd'hui largement réfutées) pour le largage des bombes sur Hiroshima et Nagasaki. Excusez la comparaison.

Je rappelle la définitionn wiki du conséquentialisme :"Le conséquentialisme fait partie des éthiques téléologiques et constitue l'ensemble des théories morales qui soutiennent que ce sont les conséquences d'une action donnée qui doivent constituer la base de tout jugement moral de ladite action."
Allons plus loin avec le livre de Ruwen Ogien et Chrisine Tappolet : "« Faut-il être conséquentialiste ? ». Il ne s’agit donc pas de passer en revue tous les concepts de l’éthique, mais de défendre la plausibilité de la théorie conséquentialiste en comprenant plus précisément comment doivent s’articuler ces deux concepts essentiels que sont les normes d’une part et les valeurs, d’autre part. En un mot : faut-il, avec les défenseurs du conséquentialisme, considérer que ce que je dois faire (la norme) dépend en dernière instance des valeurs que présente le monde ? Ou faut-il supposer au contraire, avec les approches déontologiques, que la norme prime sur la valeur, c’est-à-dire qu’il y a des choses que je dois faire, quelles que soient les conséquences qui en résultent ?" J'ai repris ce texte sur le site Raison Publique. fr (LA).

Nous sommes au coeur du débat.

Les défenseurs des patients disent que la déontologie, même en ce cas, est plus forte que le conséquentialisme.

Les médecins pensent le contraire pour des raisons sans doute liées à leur formation. Pas tous, bien entendu. 

Il existe certainement des situations moins claires mais si, en ce cas précis, les défenseurs des patients prennent une position aussi tranchée, il n'est même pas nécessaire de parler de cas moins évidents ou plus litigieux.

Le débat est ouvert.

dimanche 21 décembre 2014

Tiers Payant Intégral Généralisé expliqué aux patients : l'UFML, trop c'est trop d'arrogance médicale !


Je vous ai expliqué pourquoi j'étais contre le Tiers Payant Intégral Généralisé et que les raisons essentielles en étaient le surcroît de travail administratif et l'éventuelle baisse de revenus que cela pourrait entraîner (voir LA).

Je viens, après diffusion par mon ophtalmologiste favori dont vous pouvez consulter le blog ICI, de voir une vidéo de l'UFMLASSO sur le Tiers Payant Généralisé Intégral intitulée (sic) "Le tiers payant généralisé expliqué aux patients..."

Les associations de patients, les porte-paroles des associations de patients, surtout celles qui sont inféodées à big pharma ou aux agences de communication ou aux applis santé, voire aux instances gouvernementales, m'accusent de ne pas les entendre et... me boycottent (ce qui me fait doucement marrer). Eh bien, elles devraient réagir, car, que l'on puisse encore intituler quelque chose "bla bla bla expliqué aux patients", cela me rend songeur. Je pense à cet éternelle arrogance médicale, ce paternalisme rampant, cette façon intemporelle de prendre les patients (et ici les citoyens) pour des khons, et notamment, là, sur un sujet économique, en ricanant aussi bruyamment que dans cette video à 7.19 (7 minutes et 19 secondes), car dire que des médecins, s'ils vont faire grève pendant huit jours en fermant leur cabinet et en n'assurant pas les urgences, c'est dans l'intérêt bien compris de leurs patients, cela me donne des fourmis dans les poings.

Nul doute qu'à l'UFML on soutienne l'Education thérapeutique, l'entretien motivationnel et autres moyens modernes pour convaincre les patients de se mettre dans le droit chemin (on me murmure dans l'oreillette que certains médecins ont une vision saine de ces choses et ne les utilisent que dans l'intérêt du patient, dont acte, mais je pense que la majorité de ceux qui détournent ces techniques le font pour asseoir leur autorité et le suivi de leurs prescriptions justes et pleines de tact) mais cette technique du "La culture des olives en basse Provence expliquée aux patients" mériterait que leurs auteurs publiassent dans un journal avec comité de lecture...

Je vous laisse donc voir cette video et écouter la voix doucereuse et mielleuse du récitant (François-Marie Pradeille).

ICI.

Un peu de commentaires après ces 7 minutes et 39 secondes de paternalisme gnan gnan ?

J'ajoute que j'aurais tellement aimé, je ne sais pas si le verbe est le mieux choisi, pouvoir faire la grève, mais comme je vous l'ai dit, pas cette grève, 

0.03 Bescherelle pour Md. Touraine

0.20 "Etonnamment, les Français semblent séduits par cette idée (i.e. le Tiers Payant)..." Traduction par moi : "Les Français sont des khons ou des veaux" et ne comprennent rien à la problématique des médecins qui sauvent le monde et qui demandent plus de liberté (notamment tarifaire) pour mieux soigner.

0.28 Le récitant annonce aux patients : "On vous prend pour des imbéciles" en vous disant que cela va être gratuit. Et le récitant de comparer la consultation médicale à un plein d'essence et / ou à une baguette de pain, et par la même occasion les médecins aux pompistes et / ou aux boulangers, ce qui montre la forte estime que l'UFML (ou son truchement) a d'elle-même et de la profession médicale alors que ses défenseurs théoriques devraient au contraire se valoriser et la valoriser, la profession. Nul doute que je vais avoir droit au commentaire suivant : pompiste et boulanger sont deux professions respectables. Ce à quoi je répondrai : combien de médecins conseillent-ils à leurs enfants d'être pompistes ou boulangers ?

0.40 : Chapitre victimisation : "Le médecin a des bouches à nourrir". C'est la complainte des malheureux docteurs... Car tout le monde sait en ce pays que les plus pauvres, ce sont les médecins, enfin, les plus pauvres des diplômés, parmi ceux qui ont fait Polytechnique ou HEC, ceux qui travaillent le plus, et que pour revaloriser notre métier la pitié sera certainement un moyen très efficace. Comme on dit : "Il vaut mieux faire envie que pitié." Cette tendance à la victimisation est un des travers de la "modernité", il y a même une compétition victimaire. Il n'est pas de jour où les enseignants, les policiers, les médecins et... les employés de Orange (dont on a montré qu'ils ne se suicidaient pas plus que les autres) ne revendiquent le titre de profession des suicidés...

0.56 Le schéma est faux et, surtout, n'annonce pas, avec la fin du paiement, la fin des franchises.

1.22 Pas un mot des citoyens sans mutuelles (argument pourtant utilisé quelques secondes après).

1.40 Le problème de l'obstacle financier. Le récitant s'appuie sur une étude de l'IGAS, organisme honni par l'UFML (il suffit de lire son site), qu'il utilise quand cela arrange les arguments de la dite UFML, qui prétend qu'en deçà de 50 euro l'acte médical il n'y a pas d'obstacle à l'accès aux soins... Dont acte. Mais, et il y a un gros mais, l'étude compare la C du MG (j'imagine) à des soins dentaires et des lunettes (et / ou lentilles), ce qui, on ne peut que le constater, est tout à fait différent. Le récitant oublie de parler des prescriptions secondaires (examens complémentaires) qui peuvent être remises pour cause d'avance de frais à faire par le patient, même pour ceux qui cotisent à une mutuelle. Là où le récitant ment également par omission, c'est qu'il ne parle pas, justement, des consultations supérieures à 50 euro, pas seulement les grands docteurs hospitaliers mais les pédiatres en secteur 2 ou les cardiologues ou les ophtalmologistes ou les dermatologues ou... ou... ou. Parce que cette vidéo est faite pour convaincre les MG de faire la grève pour les spécialistes d'organes... Le monde de l'UFML est ainsi fait : d'un côté les assurés pauvres qui ont droit à la CMU ou à la CMU-c et pour qui c'est, comme ils disent, "open bar" ou "all inclusive", et de l'autre les cotisants de mutuelles pour lesquels c'est pareil mais avec des honoraires libres et pleins de tact.

2.10 "Les délais d'attente pour une consultation sont liés aux gouvernements successifs et au numerus clausus" Que l'histoire est belle quand on la refait... Pas un mot des syndicats médicaux, pas un mot des experts successifs en santé publique qui étaient pour (à ce sujet lire Claude Got sur la question : ICI), non, tout est dû aux gouvernements (i.e. de gauche et de droite, j'imagine l'establishment si cher au FN...) et surtout pas aux médecins, pas aux syndicats médicaux et pas à l'Académie de Médecine. Mais surtout le récitant oublie de dire que c'est le tout médical et le consumérisme qui paralysent le système, c'est normal il parle aux patients, il ne peut pas leur dire qu'ils sont aussi responsables en allant aux urgences pour une pharyngite ou chez leur médecin traitant pour un rhume. Il ne leur dit pas non plus, il réserve cela aux vidéos pour les médecins, que le tiers payant va entraîner, non une inflation d'actes, mais une surfacturation de ces actes !

2.20 On repart sur l'IGAS, devenu comme par magie le nec plus ultra de la réflexion libérale, et on apprend que 35 % des actes sont déjà réalisés en tiers payant. Bigre ! Trente-cinq pour cent d'actes bradés ? Déjà ? Et qu'en Italie et au Portugal la C de médecine générale va de 90 à 100 euro (source Le Figaro, journal scientifique de référence, à moins que cela ne soit pour la coupe de cheveux). Mon expérience interne du Portugal est plus contrastée : il y a des dispensaires pour les pauvres et des cliniques privées pour les riches... et, entre les deux des C un peu plus élevées qu'en France dans un pays où le smic est à 565 euro par mois...

2.38 Le récitant dit alors que les médecins peuvent déjà accorder un tiers payant partiel de 6,90 (hors Alsace Moselle, je précise), le prix d'un paquet de cigarettes, ajoute-t-il avec un ton sarcastique en notant "que bien sûr  personne ne peut se payer cela en France". Quel mépris ! encore un libéral qui dit aux pauvres quels doivent être leurs choix de vie...

3.24 A partir de là le récitant dit qu'il n'est pas anormal que les prescriptions, pas leurs consultations, des médecins puissent être soumises au tiers payant généralisé. Les autres professionnels de santé apprécieront, pharmaciens, kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, podologues...

4.00 Le récitant assure alors que le paiement du médecin par l'assurance maladie et les mutuelles va le rendre non libre. Et de prédire l'apocalypse... sans parler des honoraires libres qui, selon les lois du marché, vont s'auto réguler grâce au tact et à la mesure de notre ami qui rêve sans doute de C à 100 euro (si les C atteignaient les 50 euro, par exemple, je devrais quand même penser à téléphoner à Cahuzac pour lui demander des conseils de placements défiscalisés)

Vers 4.16 nous avons droit à la démagogie la plus pure avec une image gratinée censant illustrer la phrase  "le malade acceptant le tiers payant qui vend peu ou prou son droit d'aînesse pour un plat de lentilles", l'image d'un négrier faisant frapper ses esclaves nègres par d'autres esclaves nègres (les fantasmes de l'UFML sont très "signifiants"), sans doute des kapos, le patient perdant son indépendance (ce qu'il a perdu à 35 % déjà, voir plus haut, c'est à dire que le médecin généraliste prescrit libre pour les "riches" et mal chez les pauvres dans la même journée, encore de l'inconscient où je ne m'y connais pas) et cela, je cite "pour 23 euro, la moitié du prix d'un toilettage pour chien". Je crois, et je pèse mes mots, que le récitant, et ceux qui parlent par sa bouche, ont un gros gros problème de self et que le reste de leurs problèmes vient de leur inadéquation entre ce qu'ils pensent d'eux, ce qu'ils voulaient être, l'image qu'ils se renvoient d'eux-mêmes et l'image qu'ils ont vraiment dans la société. Un médecin généraliste comme le récitant aurait besoin d'un manuel de survie freudien en monde hostile pour ne pas dire des choses aussi lourdes de sens...

4.49 Nous entrons dans le sublime : l'UFML, sans doute dans une poussée de gauchisme dont même les dirigeants de clinique ne la sentaient pas capable, s'inspirent d'une étude menée par un cabinet  de conseil (Richard Bouton, cela ne rappelle rien à personne ?) sur les centres de santé de la mairie de Paris où le coût du tiers payant est estimé à 4,88 euro... par acte. Mais le récitant, qui fait partie du choeur des vierges libérales, ne nous dit rien du fonctionnement d'un centre de santé, du nombre d'employés non médecins, et cetera, par rapport à un cabinet dit libéral de ville... Pourquoi ne nous dit-il pas que d'ores et déjà, puisque 35 % des actes sont déjà "gratuits", la consultation est à 18,10 euro pour les médecins pratiquant déjà le tiers payant... De qui se moque-t-il ?

5.32 Et nous voici donc repartis dans des coûts encore plus pharamineux... avec des statistiques de l'ARS, encore une amie de l'UFML, et nous en sommes, allons-y à la louche, à "4 à 9 euro par acte" pour le tiers payant. Qui dit mieux ?

6.0 "Perte de 28,5 % de ses revenus", bing "hors coût informatique". Sont pas informatisés à l'UFML ?

6.53 : Voici la vraie nature de Bernadette : l'UFML se moque de la "philosophie sociale", rires gras à partir de 7.19... 

Et enfin le récitant cite Desproges et Devos et là j'hésite sur le signifiant du signifié (à moins que cela ne soit l'inverse).

Il y a comme un malaise.

Bon, c'est mon dernier billet avant la grève.

Je pars en vacances pour ne pas faire le jaune (mais c'était prévu), je suis remplacé, et je ne fais pas comme certains collègues qui ont affiché Grève sur leur porte de cabinet dès la semaine dernière alors qu'ils partaient déjà en vacances.

Su quelqu'un veut discuter avec moi, et d'autres, de l'avenir de la profession, la médecine générale, il y a 759 billets à lire sur le site.

Je retravaille le lundi 29 et j'enverrai les patients des cabinets grévistes non à l'hôpital, on ne peut à la fois critiquer les urgences et leur envoyer des patients non urgents, mais à l'antenne locale de l'UFML, si je la trouve (voir ICI les deux représentants de l'UFML sur les Yvelines, un MG et une esthéticienne MG) ou aux syndicalistes grévistes pas en vacances.

Bonne grève.

Illustration ICI


dimanche 12 janvier 2014

Les dangers de l'utilisation d'un placebo (bis, ter, quater repetita). Histoire de consultation 159.


Monsieur A, 46 ans, a été opéré de son rachis lombaire au décours d'une défenestration accidentelle et avinée il y a déjà trois ans. Il marche désormais avec une béquille, est en invalidité, suit des séances de kinésithérapie et combat son addiction avec succès et sans baclofène.
Il lui arrive d'avoir des "blocages"douloureux de son rachis lombaire accompagnés de spasticité des deux membres inférieurs qui "passent" volontiers avec une corticothérapie ponctuelle et des antalgiques codéinés dont je me méfie en raison d'un autre passé addictif.
Cet homme est intéressant au sens où les discussions que nous avons ensemble au cabinet indiquent une intelligence supérieure à la normale, nonobstant le fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures et, peut-être, grâce au fait qu'il n'a pas fait d'études supérieures. Avant son accident il était grutier.
L'autre jeudi, mon jour de congé, il a appelé le cabinet car il souffrait atrocement de douleurs lombaires depuis la veille et mon associée a proposé de le voir mais il a refusé.
Le samedi il m'a appelé pour me dire qu'il allait mieux.
Il m'a raconté qu'il avait contacté "son" chirurgien qui lui a dit de passer à la clinique où il avait été opéré (à environ 40 kilomètres de son domicile). Son frère l'y a emmené (sans bon de transport).
Lui : J'ai été soulagé immédiatement.
Moi : Qu'est-ce qu'ils vous ont fait ?
Lui : Ils m'ont perfusé un nouveau produit, m'a dit le docteur B. Cela a marché au bout de deux heures...
Moi : Un nouveau produit ?
Lui : Oui. Il faudra que vous lui demandiez ce que c'est pour la prochaine fois que cela m'arrivera. Car cela fait un sacré déplacement. 
Moi (prudent) : Il peut s'agir de produits hospitaliers...
Quelques jours après, Monsieur A a pris rendez-vous au cabinet et nous reparlons de son cas.
Il marche comme avant sa crise, c'est à dire lentement, avec précaution, une seule canne, mais il est venu à pied et il a marché environ 1500 mètres sans pratiquement s'arrêter.
Lui : Vous avez téléphoné au docteur B ?
Moi : Oui.
Lui : Il vous a donné le nom du produit ?
Moi : Oui.
Lui : Alors ?
Moi : Alors, ben, c'est un produit que l'on ne peut utiliser en ville. C'est embêtant.
Lui : Le docteur B ne peut pas vous le fournir ?
Moi : C'est compliqué.
Vous avez deviné de quoi je veux parler. J'ai appelé le docteur B qui m'a répondu goguenard qu'il avait perfusé du sérum américain... 
Moi : Vous me placez dans une situation difficile.
Lui : Oui, mais je l'ai soulagé.

J'ai déjà évoqué plusieurs fois le problème de l'utilisation des placebos en médecine. Notamment ICI où j'en soulignais les dangers pour le patient et pour le médecin.
J'ai eu l'occasion de défendre mon point de vue sur différents forums ou blogs et il m'a semblé que l'opinion générale des intervenants (je ne parle pas des autres) ne m'était pas favorable.
Voici un exemple de billet de blog sur farfadoc (LA) et les commentaires.

Pour provoquer, je dirais ceci (tout en ayant précisé qu'il m'arrive encore sciemment de prescrire des placebos à mes patients, depuis du tanganil dans des vertiges qui seraient "passés" tout seuls jusqu'à des antibiotiques dans une bronchite virale particulièrement cognée, personne n'est parfait et personne ne peut résister, tout le temps, à la pression du patient qui veut un traitement, mais disons que je me soigne lentement, je ne suis pas si autoritaire que cela à mon égard, je tente de me calmer) : l'utilisation consciente d'un placebo est, très simplement, une manifestation subtile (mais parfois brutale) du paternalisme médical. Dernier point : il ne faut pas confondre l'effet placebo et l'utilisation d'un placebo.

(illustration : chaman amazonien)

vendredi 12 février 2010

COMMENT PARLER AUX MALADES. HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-SEPTIEME EPISODE

Monsieur T a la tête des mauvais jours. Il revient me montrer un scanner abdomino-pelvien que j'ai demandé pour explorer des douleurs abdominales difficiles à cerner. Il me dépose la pochette sur le bureau comme s'il voulait s'en débarrasser.
Je connais Monsieur T depuis maintenant trente ans. Je connais son ex femme, je connais ses enfants, je connais ses petits-enfants. J'ai connu ses nombreuses maîtresses qu'il me présentait comme un trophée. Je sais beaucoup de choses le concernant, du moins ce qu'il a laissé paraître et ce que j'ai glané ici et là (des demi vérités comme des mensonges, voire des ragots).
J'essaie, en lisant le compte rendu, d'être neutre. Mais ce que j'y vois n'est pas fameux : il y a des pêches partout et notamment au niveau du foie. Mais mon non verbal ne devait pas être aussi neutre que cela : il me connaît aussi et jusqu'à présent je ne lui ai jamais annoncé de "vraie" mauvaise nouvelle. Une hypertension, une bronchiolite chez un de ses enfants, un début de diabète chez une de ses "amies". Là, il comprend tout de suite que je ne suis pas content qu'il ait dérogé à la bénignité habituelle de ses pathologies et il se demande pourquoi je ne garde pas mon habituelle dérision.
"Bon, il va falloir faire quelque chose... - J'ai lu qu'il y avait un kyste... - Oui, oui, un kyste. Il faut que l'on sache s'il est gentil ou méchant. - Et sur le foie, le rapport dit... - Sur le foie, oui, il y a des images bizarres. Faut vérifier. Je vais m'occuper de cela. Mais ce n'est pas fameux fameux."
Je rédige un courrier pour mon oncologue préféré et un autre pour mon chirurgien oncologue préféré (qui ne travaillent pas toujours ensemble). Ma secrétaire, dans l'entrefaite, a pris des rendez-vous accélérés avec les deux médecins (elle connaît parfaitement les secrétaires respectives et je profite de leurs relations de pairs...).
Monsieur T a lu le compte rendu de scanner où est écrite une expression savoureuse : "...néoformation néokystique...". Que dire de plus ?
Je lui explique donc qu'il va devoir faire un bilan complet, un autre scanner, des prises de sang et qu'il est probable qu'un chirurgien, à un moment ou à un autre, devra s'occuper de lui...
(Il est clair, comme dirait l'autre, que je suis mal à l'aise et, pour tout dire, passablement ennuyé : faut-il, ne sachant pas d'où viennent exactement les images hépatiques, le poumon est douteux, lui envoyer dans la figure qu'il a un cancer avec des métastases et que le pronostic est aussi agréable qu'un coucher de soleil sur une raffinerie ukrainienne ?)
Je dois donc avoir un visage lugubre, ce qui n'est pas dans mes habitudes et je tente bien un ou deux sourires mais ils passent mal... Pourtant, à la fin de la consultation, mon non verbal ne devait pas être si évident que cela, Monsieur T, 63 ans, me demande, presque en s'excusant : "Ce n'est quand même pas un cancer, docteur ?".

Commentaires personnels : En me relisant je vois combien je me suis senti gêné en parlant à ce patient. Gêné parce qu'il a probablement une saloperie dont il ne va pas se sortir, gêné parce qu'il va falloir que j'assume et qu'éventuellement il assume un pronostic réservé, gêné parce que je le connais depuis trente ans, gêné parce que je connais ses enfants, gêné parce que je connais ses petits-enfants, gêné parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il ait un cancer, gêné parce que ce n'est pas aisé de se rendre compte qu'un "vieux" malade va nous laisser "tomber"...

Commentaires plus généraux : Quand j'ai quitté la faculté de médecine, en 1979, personne ne nous avait appris ce que signifiait ne pas dire la vérité au malade, ce qui était la règle à l'époque ; je m'étais rendu compte, notamment en neurologie où j'étais interne, que l'habitude était de mentir au malade et de dire la vérité à la famille, sans raisons théoriques expliquées ; sinon pour se moquer des Anglo-Saxons qui faisaient le contraire : des crétins, disaient-on ; j'ai appris ensuite, au gré des consultations de couloir, que si les Anglo-Saxons faisaient cela, c'était pour des raisons juridiques ; et j'y ai cru. Ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé qu'il existait, grossièrement, deux conceptions de la relation médecin malade : la relation théoriquement symétrique du système libéral (au sens philosophique : le corps du malade appartient au malade) et la relation théoriquement hiérarchique du système paternaliste (le médecin sait et le malade ferme sa gueule) ; puis les choses ont commencé à changer et, brusquement, les médecins français se sont mis à la mode du 'Je dis tout.' sans s'interroger sur les nouvelles raisons de cette attitude (pas plus qu'ils ne s'étaient interrogés sur l'attitude contraire). On dira que la société a évolué, que les mentalités également, que nous sommes entrés dans la période des droits et que celle des devoirs est devenue plus restreinte, mais, quoi, où étais-je face à ce malade ? En regardant les autres (c'est toujours plus facile) j'ai compris que les médecins étaient passés du silence à l'extraversion mais que cela ne changeait en rien leur peur ou leur dégoût du malade (au sens du dégoût de la mort de l'autre comme métaphore de la sienne propre). Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade"Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...

Retour sur moi-même : Avec les années j'ai compris que le plus important n'était pas la vérité mais l'espoir. Il fallait bien entendu ne pas complètement mentir mais il fallait, par la même occasion, ne pas complètement dire la vérité. Le malade que l'on savait aller vers la mort avait toujours la possibilité de déjouer (pas seulement en se rendant à Lourdes mais dans un service hospitalier ou à son domicile) en ne mettant pas ses pas dans ceux de l'expérience des médecins et en s'en sortant ou en vivant dans de bonnes conditions beaucoup plus longtemps que cela n'était écrit dans Cancer ou dans The Journal of Oncology. Il n'est pas possible, c'est mon point de vue, qu'un malade sorte d'un cabinet en sachant à cent pour cent qu'il va mourir. Il doit être convaincu (même à la marge), soit par le non verbal (le regard empathique du médecin, pas trop empathique car cela pourrait avoir un effet inverse tellement les malades sont peu habitués aux médecins aimants), soit par une histoire d'Allan (un mensonge ou un pseudo mensonge en forme de parabole ou de conte ou d'histoire ou de métaphore) qu'il est déjà arrivé que des malades s'en sortent.

Le malade : Les médecins paternalistes savent et le répètent à l'envi que les malades sont des malins et qu'il ne faut pas les croire sur parole. Ils ont raison. Mais ils en profitent trop pour leur mentir encore plus. Il ne faut jamais croire un citoyen bien portant dont vous êtes pourtant le médecin traitant quand il vous dit : "Le jour où je serai malade, docteur, enfin, vous comprenez, vraiment malade, il faudra me dire la vérité." Le patient citoyen ne ment pas, il est persuadé que dans la situation où il sera vraiment malade il se comportera de cette façon. Mais personne n'en sait rien et pas plus lui que son médecin traitant. Quant au médecin en bonne santé, il n'a aucun rapport avec le médecin malade qui se comporte plus en malade qu'en médecin : question de statut. Les médecins "libéraux", au sens rawlesien du terme, à condition qu'ils soient jusqu'au boutistes, ne devraient pas plus faire confiance au citoyen en bonne santé que les autres.

Les soins palliatifs. Je ne suis pas là pour enfoncer une porte ouverte ni pour mettre le désordre. Mais les services de soins palliatifs me font horreur. Ils sont nés, convenons-en, de l'incapacité qu'a toujours eu l'hôpital à gérer la souffrance, la déchéance et, finalement, ce qui précédait la mort. Le travail que font les personnels soignants dans ces services est forcément admirable mais pense-t-on à ces malades qui entrent dans un service hospitalier pour mourir ou pour ne pas souffrir avant de mourir ? Pense-t-on à ces malades qui entrent dans un mouroir aseptisé et dans quel état d'esprit ils doivent se trouver dans ces antres de la modernité qui tentent de cacher qu'ils sont en train de naviguer sur le Styx entourés de seringues électriques, de perfuseurs indolores et de saints modernes et laïques qui leur administrent l'extrême-onction de la médecine moderne ?