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mardi 4 septembre 2012

24 blogueurs font le buzz pour construire les CHU dans mon bureau.


Je voudrais d'abord féliciter ces 24 blogueurs qui, pour certains, sont des stars du net médical.
Je voudrais les féliciter pour avoir fait des propositions. C'est rare, de nos jours.
Je voudrais les féliciter d'avoir pu rédiger un texte à 24 car il est plus difficile de s'entendre entre blogueurs que de participer à une réunion de consensus non sponsorisée par Big Pharma.
Je voudrais les féliciter enfin d'avoir pu mobiliser les media avec autant d'agilité.

What else ?
(N'oubliez pas de lire le texte ICI.)


Pour le reste, permettez que je ne sois pas très d'accord avec tout cela pour des raisons qui ne sont pas de détails mais de fond. 

En gros, il y a un argument de départ : Comment lutter contre les déserts médicaux ? J'ignorais que les déserts médicaux puissent exister dans un pays, la France, où on trouve une des plus grosses densités de médecins au monde. Mais je connais l'argument : il y a des endroits où il y a trop de médecins et d'autres où il n'y en a pas assez. S'agit-il de déserts médicaux ou de déserts administratifs ? S'agit-il d'endroits où il n'y a pas assez de médecins ou alors s'agit-il d'endroits où il n'y a pas assez de services publics ?
Il y a une position idéologique : Sortir du modèle centré sur l'hôpital.
Et un objectif : rendre ses lettres de noblesse à la médecine de "ville".

Amen.

Ensuite, il y a quatre propositions phares (quatre Idées Forces, ces blogueurs lisent Prescrire) pour, je cite, faire renaître la médecine générale : 
  1. La construction de 1000 maisons de santé multidisciplinaires (MSM).
  2. La décentralisation universitaire avec des Maisons de santé universitaires (les MUSt)
  3. Attirer des médecins seniors pour y enseigner
  4. Création d'un nouveau métier : les agents d'interfaçage des MUSt (AGI) 
Je n'y crois pas une seule seconde.
Pourquoi ?
  1. Mille MSM. Qui pourrait croire que les collectivités locales, les structures les plus endettées de France, investiraient ainsi ? Qui pourrait penser qu'en ces temps de crise elles disposeraient d'un million d'euros, c'est le chiffre avancé, sans compter les frais de fonctionnement pour des structures qui devraient être libérales ? Mais là où je m'étrangle c'est de voir citer les Agences Régionales de Santé (ARS) comme donneuses d'ordre, des agences qui ont été créées pour enterrer la médecine ambulatoire. Comment imaginer que des professionnels de santé travaillant sous la double coupe des collectivités locales et des ARS (sans compter l'Université) pourraient avoir la moindre indépendance ? Qui fournit l'argent contrôle. 
  2. La décentralisation universitaire. Cela me rappelle la fameuse phrase : On devrait construire les villes à la campagne, l'air y est tellement plus pur. On devrait donc construire les CHU dans les cabinets médicaux, l'air y est tellement plus libéral. Non, non et non ! Les CHU ne fonctionnant pas ou fonctionnant tellement mal, il faudrait qu'on transpose leurs structures lourdes, hiérarchiques, administratives, aveugles, dans des cabinets de ville ! Avec des chefs de clinique, des externes, des internes, et des seniors avec un système de rémunération usine à gaz, je vois le terme libéro-universitaire alors que c'est de ça que crève l'hôpital, du libéral mélangé au salariat, des honoraires mélangés au salariat, des dépassements et des primes de Big Pharma... Et ils seront où les médecins généralistes libéraux et, surtout, comment se répartir la patientèle dans des zones désertiques ? Nul doute que les structures de type soviétiques libérales ou sino communistes plairont aux technocrates de l'ARS qui enverront des superviseurs, des sous-superviseurs, des couches d'administratifs pour gérer les rameurs dupagnesques... Sans compter les relations complexes avec les paramédicaux qui semblent étrangement absents de ces structures, cités, mais comme cela, comme si on les avait oubliés sur un coin de table, c'est vrai qu'à l'hôpital, au CHU, les infirmières, les aides-soignates, les kinésithérapeutes, les agents d'entretien...
  3. Attirer des médecins seniors pour y enseigner. Cet argument, désolé, a été oublié et remplacé dans le développement par une autre usine à gaz fondée sur le principe des salaires aux enchères. Non seulement nos blogueurs veulent révolutionner la médecine mais ils veulent aussi révolutionner l'économie libérale. Adam Smith ne risque pourtant pas de se retourner dans sa tombe. Je vous livre un passage : la prime augmente à partir de zéro jusqu’à ce qu’un(e) candidat(e) se manifeste. Pour les MUSt « difficiles », la prime peut atteindre un montant important, car elle n’est pas limitée. Par rapport à la rémunération actuelle d’un CCU (45 000 €/an), nous faisons le pari que la rémunération globale moyenne n’excédera pas ce montant.. Mais il s'agit peut-être de la méthode révolutionnaire pour attirer ces fameux seniors. Mais, au fait, que fait-on des vrais seniors, les MG comme moi, 33 ans de médecine générale, à 5 ans de la retraite, on les traite comment ?
  4. Un nouveau métier de santé : les AGI de MUSt. Là, on se demande vraiment ce qui leur a pris à nos 24. Nos nouveaux entrepreneurs libéro-universitaires ont pensé à créer un métier de novo, intitulé sobrement cadre supérieur de santé, dont le profil de poste (sa rédaction ferait pâlir d'envie un DRH du privé) n'est pas piqué des hannetons, je vous laisse juges : Gestion administrative et technique (achats, coordination des dépenses…), Gestion des ressources humaines, Interfaçage avec les tutelles universitaires, Interfaçage avec l’ARS, la mairie et le Conseil Régional, Gestion des locaux loués à d’autres professionnels. Et l'idée du siècle : confier ces tâches à des ex visiteurs médicaux. Et l'argumentaire pour leur reclassement ne manque pas de sel : les 24 font du social avec des gens qui n'ont rien demandé et qui ne demandent rien. Pourquoi pas des camps de redressement, des maisons de correction disciplinaires ?  Ils veulent confier des tâches de cadre supérieur de santé à des gens qui avaient jusque là pour habitude de répéter des argumentaires, d'inviter les médecins au restaurant ou d'organiser des week-ends de golf... De qui se moque-t-on ?
Voilà l'affaire (et j'ai oublié les chèques emplois médecins, relent de la façon dont les bourgeaois paient leurs femmes de ménage et leurs nourrices).

Pour rester sérieux et au delà des propositions "innovantes" et selon le journal Le Figaro "iconoclastes" je ne vois là qu'une pochade de carabins.
De carabins qui n'en peuvent plus d'avoir été chassés de la Mère Université, d'être sortis du giron bienveillant de l'Institution par un rang médiocre à l'Examen Classant National, de carabins qui ont été traumatisés par leur passage dans les CHU (on ne parle pas beaucoup des établissements non universitaires, des hôpitaux de deuxième catégorie) où règnent le mandarinat, l'arbitraire, le népotisme familial et politique, l'arrogance, la suffisance, la corruption (par le biais de Big Pharma omnipotente) et surtout l'inefficacité chronique des grandes institutions, la contre productivité des grandes machines à broyer... et l'exploitation des "petits" personnels et, surtout, de l'armée invisibles des petites et des sans-grades, des femmes, des immigrées, l'armée du sous-prolétariat féminin... Des carabins qui ne s'en remettent pas de n'avoir rien appris de pratique dans leurs stages hospitaliers, dans des services de merdre où les universitaires n'enseignent plus, sont toujours en réunion, de CME, de service, de conseils, d'études cliniques bidons, de congrès payés par Big Pharma et où le compagnonnage au lit du malade est devenu un mirage...
J'ai quitté le CHU pour ne plus voir cela.
Le plus tragique est d'annoncer la fin de l'hospitalo-centrisme pour recréer les mêmes structures ailleurs, cela s'appelle de l'emballement mimétique.

(Mais, c'est promis, je ferai un jour des propositions, des propositions concrètes pour sauver la médecine générale. Mais sauver la médecine générale, c'est surtout sauver la médecine en général.
Car ce ne sont pas les déserts qui vont tuer les citoyens, c'est l'excès de médecine qui est en train de les achever, c'est l'excès de promesses qui les fait se rendre dans les cabinets, aux urgences, l'excès de médicalisation de la société...
Quant à Big Pharma, c'est elle qui mène la danse dans les hôpitaux, surtout dans les hôpitaux... )
Nous y reviendrons.
(Photographie : CHU Pitié Salpétrière. Paris)