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lundi 22 octobre 2012

Les nouveaux médecins généralistes (1) : Ne plus mesurer la pression artérielle.


Les internes de médecine générale (IMG) ne veulent plus s'installer en libéral et ils ont de bonnes raisons, leur ai-je dit  (ICI) de ne pas accepter ce que nous avons accepté et ce que nous continuons d'accepter (LA). Et les médecins généralistes déjà installés, les Spécialistes en Médecine générale (SMG) (mince, j'ai oublié de m'inscrire et de jurer au Conseil de l'Ordre que je suis médecin généraliste exclusif, que pourrais-je faire d'autre ?, de la broderie, du macramé, de l'homéopathie, de la gelstat thérapie ou de l'entretien motivationnel, la dernière couillonnerie à la mode, de la mésothérapie -- j'ai honte, je l'ai pratiquée et m'en suis enfui à toutes jambes en raison de mon incompétence manifeste à pistoriser à tout va--, de l'ostéopathie manuelle, de l'auriculothérapie, de l'acupuncture -- attention, la HALDE va me tomber sur le grappin, non, on me dit que cela n'existe plus, diable, mais enfin, quelqu'un va bien me reprendre, sinophobie manifeste, pour esquisser la critique de techniques éprouvées issues de cultures ancestrales,  ...) les ont rejoints (LA) à moins que j'aie raté un épisode...
Tous ces IMG, ces SMG ne veulent pas être seuls dans leur exercice, ils veulent tchatcher, ils veulent se rassurer sur leurs connaissances, ils veulent être reconnus, ils veulent "partager", ils veulent travailler en équipe, en réseaux, ils veulent faire des réunions à la House en jouant aux maîtres de stages cyniques avec leurs futurs IMG béat(e)s d'admiration (choisir entre l'Abominable Garce et Numéro 13), boire des cafés avec la secrétaire, l'infirmière, la puéricultrice, le kinésithérapeute, l'auxiliaire de vie, l'aide-soignante, la femme de ménage, créer des interfaces avec l'administration en utilisant des anciennes visiteuses médicales, j'imagine plutôt girondes, faire des réunions de concertation, recréer un Comité d'Hygiène ou un Comité Médical d'Etablissement, devenir président de SEL ou de SCP, gérer les comptes bancaires, et cetera.
Non, je m'arrête là, je provoque.
En français administratif les futurs nouveaux SMG désirent, sous la houlette de l'Alma Mater universitaire, le partage des compétences (c'est mieux d'écrire sur une diapositive de l'ARS : "L'élargissement du champ des compétences") et " La délégation des tâches". 
La délégation des tâches : qu'en de termes choisis ces choses là sont dites.
Prenons un exemple entre autres : la prise de la pression artérielle.
Les IMG ont fait tant d'années d'études qu'ils trouvent insultants de mesurer la pression artérielle.
Touchés par la grâce et enivrés par le fait d'avoir bientôt leur diplôme après avoir écrit une thèse à la mords-moi-le-noeud (désolé : moi aussi), tout le monde ne s'appelle pas Louis-Adrien Delarue (voir ICI) ou Julie Chouilly (LA), les IMG pensent que pour remplir leurs 35 heures salariées de gestes nobles, lire des ECG, cocher le nombre de frottis, prescrire des glitazones, de l'evista ou des pseudo anti Alzheimer, leur ôter de leurs emplois du temps la prise de la pression artérielle sera une des solutions d'avenir.
Quant aux SMG, forts de leur expérience interne admirable, ils verraient bien une infirmière, le genre assise sur une chaise en train d'attendre le boulot, pas l'infirmière libérale qui court d'un bout de son bled à l'autre avec des indemnités de déplacement à la gomme, les insulines, les pansements, les prises de sang,..., prendre la pression artérielle, la marquer dans le dossier qu'elle leur tendrait, zut, on est informatisés, donc inscrire la PA, position assise, dans le dossier médical partagé de la maison médicale quand ils ouvrent leur ordinateur métier... Sans compter que nos amis SMG verraient très bien les infirmières de MUST vacciner contre la grippe, avoir un vaccinodrome à la maison, et déshabiller les nourrissons en les pesant, les taillant avant leur arrivée (non sans n'avoir pas omis de remplir les courbes de poids et de taille, tellement fastidieux), afin qu'ils n'aient plus qu'à poser leur stéthoscope sur le coeur vaillant de ces charmants bambins, qu'à évaluer leur fontanelle, leur tonus, jeter un oeil distrait sur leurs tympans, et contrôler que l'interrogatoire aura été bien mené : allaitement maternel exclusif ou mixte, nombre de gouttes de vitamines D (les mêmes qui prescrivaient jadis du fluor pour faire comme à l'hôpital en ayant oublié de lire Prescrire et Christian Lehmann), et bla bla bla et bla bla bla.
D'ailleurs, de grands professeurs comme, par exemple, l'éminent Guy Vallancien, l'homme des PSA dès 40 ans, l'homme des prostatectomies à la volée, voir ICI, est d'accord, la délégation des tâches, c'est l'avenir. C'est dire.
La pression artérielle doit être prise par les infirmières, cela va changer notre vie.
La pression artérielle est un geste technique et tout geste technique peut être accompli par un technicien.
Les frottis itou dans les laboratoires d'analyse médicale. Zut, les laboratoires d'analyse médicale vont fermer.
Les ordinateurs feront les ECG (il faudra encore de petites mains pour poser les électrodes) et les interprèteront : version MG de base, version interniste de base, version cardiologue lambda libéral, version cardiologue PUPH et, summum, version rythmologue (à brancher sur l'Ipad).
Dans les services hospitaliers les infirmières pensent également que la prise de la pression artérielle est indigne de leur condition et elles s'en débarrassent sur les stagiaires. Les stagiaires qui pensent que, finalement, toutes ces études après le bepc, c'est casse-pieds,  mesurer la pression artérielle alors que Madame Dynamap serait si compétente...
Nul doute que tout ce petit monde aura reçu une formation ad hoc sur la façon de la prendre, cette foutue pression artérielle. Avec, à la clé, une formation et un QCM à la fin pour valider.

La prise de la pression artérielle est un geste noble, eh oui, j'ai bien écrit cela. Cela fait partie des soins.  Cela fait partie de la relation médecin malade. Bientôt les médecins ne toucheront plus leurs patients, ils ne repèreront plus avec les doigts le passage de l'artère brachiale, ils seront des purs esprits qui interprèteront derrière leur bureau, leur bureau avec ordinateur, des chiffres qu'on leur aura notés. Et surtout, pour les ennemis des indices, des index, des critères de substitution, les chiffres de la pression artérielle, cela s'interprète. Il peut même arriver que nous mentions au patient pour le tranquilliser et que dix minutes après cette pression artérielle se normalise... une infirmière mentira-t-elle au patient ou au grand docteur ?
L'acceptation de l'incertitude est la première qualité du médecin généraliste.
J'ai écrit dans un post (LA), et sur une idée de Des Spence qui en connaît un bout sur la pratique de la médecine anglo-écossaise, que la délégation des tâches allait entraîner plus d'hospitalisations abusives, plus de prescriptions, plus de passages par les urgences, plus de dépenses, surtout pour ceux qui croient encore aux limites de normalité de la pression artérielle fixée par la Fédération Française de Cardiologie...
Je prends la pression artérielle, je n'ai pas envie que quelqu'un, fût-ce une infirmière DE, la prenne à ma place et je continuerai à le faire.
C'est tout.


(Illustration : Premier sphygmomanomètre - Siegfried von BASCH - Sur le site ICI )

PS1 - Selon la collaboration Cochrane, traiter les HTA légères est d'un bénéfice incertain : ICI