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jeudi 5 mai 2011

L'hormone de croissance : Tout va très bien Madame la Marquise.

Une fois n'est pas coutume je reproduis in extenso un papier de Marc Girard qui est paru sur son site (ICI).
C'est à pleurer.
Sans compter les victimes.
Vous avez la première partie.
La deuxième est ICI : l'exception française.

Hormone de croissance : autopsie d’un désastre judiciaire

I - L’INCOMPÉTENCE À L’OEUVRE
jeudi 5 mai 2011 par Marc Girard

La scène se passe au téléphone, dans le courant de l’année 2004. Chargé par le juge d’instruction d’une expertise visant à expliquer les causes de « l’exception française » – pourquoi, toutes choses égales par ailleurs, l’hormone de croissance a-t-elle fait bien plus de victimes en France que dans les autres pays ? –, je lui fais part de ma perplexité : tout bien considéré, quel est l’intérêt de ma mission quand il apparaît que l’instruction dispose, et depuis des années, d’un rapport signé entre autres par le Prof. Jean-Hughes Trouvin qui répond à la question de façon précise, avec une crudité d’ailleurs inattendue chez un membre aussi éminent de l’establishment pharmaceutique ? Sur un ton de surprise contrariée, le juge me demande d’où je tiens ce document avant de m’expliquer que je ne dois pas l’utiliser attendu qu’il s’agit d’un rapport « de biochimie » et que je ne suis pas moi-même biochimiste : « cela vous serait reproché. »

Il y a tout le désastre judiciaire de l’hormone – et, par delà, du « Pôle santé » – dans cet échange minuscule.

L’anarchie procédurale, d’abord : par quel mystère un simple collaborateur occasionnel de la Justice aurait-il pu se procurer un document dûment coté, bien entendu couvert par le secret de l’instruction ? De deux choses l’une : ou bien, d’une façon ou d’une autre, il y a eu violation dudit secret, et le magistrat en charge de l’instruction serait fondé à s’en émouvoir – alors que le sentiment exprimé se limite à la simple contrariété d’une mission parasitée par une pièce qu’il considère manifestement comme inopportune. Ou bien c’est le magistrat lui-même qui m’avait communiqué le rapport de Trouvin ; qu’il ne s’en souvienne plus en dit long sur les modalités de circulation des pièces au cours de l’instruction et, plus encore, sur son niveau de conscience quant à l’importance de ce rapport – pourtant unique contribution relativement à une problématique évidemment cruciale pour la judiciarisation de l’affaire : si la contamination de l’hormone par le prion était une fatalité liée à l’état des connaissances de l’époque, pourquoi les Français ont-ils fait plus mal, et de loin, que leurs collègues étrangers ?

En admettant, deuxièmement, que – pourtant spécialiste éprouvé du médicament et ayant donné moult preuves documentables d’une forte inclinaison vers l’interdisciplinarité – je sois dans l’incapacité de maîtriser une contribution réputée aussi spécialisée que celle de Trouvin, qui l’exploitera ? Quand même pas un juge ! Dès lors, à quoi bon prolonger l’instruction par des mesures d’expertise débouchant sur des contributions que leur technicité rend inexploitables ? De fait, je ne cesserai de découvrir dans la suite que ce rapport accablant était bien passé inaperçu et du juge, et des parties civiles. Et je comprendrai mieux, rétrospectivement, cette rebuffade d’une magistrate du Pôle santé de Marseille rencontrée au hasard d’une réunion publique, à qui j’avais cru bon de me présenter comme très impliqué symétriquement dans les affaires du Pôle parisien : avec une absence d’aménité frisant l’impolitesse, elle m’avait froidement rétorqué que, à Marseille, « on n’aimait pas les usines à gaz »…

Mais, dans sa portée, cette saynète inaugurale va encore plus loin. Car jusqu’à plus ample informé, l’excellent J H. Trouvin n’a jamais été biochimiste : il est pharmacien, docteur d’Etat en pharmacologie, professeur de pharmacologie, il a assumé de multiples fonctions tant à l’Agence française du médicament qu’à l’Agence européenne du médicament. Au moment des faits, il est « Directeur de l’évaluation des médicaments et des produits biologiques » : en gros, Monsieur Numéro 1 dans la France des médicaments et produits biologiques – qualification fort distincte de « la biochimie » mais qui pourrait, en revanche, s’avérer très utile dans une affaire judiciaire où, comme chacun sait, un produit biologique, justement, – l’hormone de croissance – s’est vu, et durant des années, placé dans une exception radicale par rapport aux règles qui s’appliquent normalement aux médicaments, fussent-ils d’origine extractive (insuline, hormones thyroïdiennes, gonadotrophines, etc.) Et de fait, loin de toute « biochimie », l’expertise de Trouvin concerne (comme attendu sur la base de ses titres et travaux) la problématique pharmaceutique de l’hormone considérée comme médicament.

Il apparaît donc que plus de 13 ans après l’ouverture d’une instruction dans une affaire qui, par quelque bout qu’on la prenne, relève d’abord et avant tout d’un exercice illégal de la pharmacie [1], le juge qui la conduit, emblème surmédiatisé d’une politique de spécialisation judiciaire, n’a toujours pas une maîtrise même élémentaire – non pas des problèmes techniques, encore moins scientifiques qui sous-tendent la pharmacie ou la thérapeutique modernes – mais simplement des lois et réglementations gouvernant la fabrique et la distribution des médicaments… Car au terme d’une tradition juridique qui, depuis des siècles et sans doute même des millénaires, a constamment contraint l’exercice de la pharmacie d’une forte exigence de sécurité, la commercialisation d’un médicament repose sur une évaluation tripartie : 1) données pharmaceutiques (nature chimique, composition, matières premières, fabrication, contrôle des impuretés et contaminations, stabilité, etc.), 2) données toxicologiques (essentiellement : tests chez des animaux), 3) données cliniques (tests chez des humains). Conformément aucurriculum vitae connu de ses cosignataires, l’expertise de Trouvin et coll. est justement concernée par l’évaluation pharmaceutique (et non pas « biochimique ») de l’hormone de croissance considérée comme médicament : on est bien là au cœur le plus traditionnel du métier pharmaceutique, car si l’exigence de données animales, puis cliniques ne s’est fait jour qu’assez récemment, on n’aurait aucune peine à documenter la conscience séculaire des autorités quant aux risques de la préparation médicamenteuse – particulièrement ceux de l’extraction (qu’elle concerne le venin de serpent, la bave de crapaud ou les excréments de bouc) – partant leur souci constant d’imposer un minimum de règles à ceux qui prétendent fabriquer des remèdes.

Cependant – spécialisation oblige – cette évidence historico-juridique aussi ancestrale que facilement documentable échappe manifestement aux juges du « Pôle santé » : la requalification « biochimique » d’un exercice éminemment pharmaceutique dit assez l’ignorance des magistrats en charge du dossier hormone relativement aux pré-requis législatifs élémentaires en matière de médicament…

Cette désinvolture du juge à l’égard des lois et réglementations régissant la « spécialité » qu’il est censé représenter n’est pas un cas d’espèce, mais semble refléter un état d’esprit dont on retrouverait sans peine d’autres indicateurs. Lors du procès lui-même, on entendra les mis en examen soutenir que l’hormone de croissance n’était pas à proprement parler un « médicament », avant d’insinuer qu’il pouvait aussi s’agir d’un « médicament orphelin » : ce, sans qu’aucun des magistrats présents (incluant les représentants d’un parquet organiquement lié, lui aussi, à la structure « spécialisée » du Pôle santé) ne fronce le sourcil devant l’énormité juridique d’assertions aussi aisément réfutables sur la seule base des textes en vigueur, pour ne point parler de la jurisprudence.

Au moment de ce même procès (en première instance), alors que, par suite de la médiatisation inhérente, l’affaire hormone de croissance s’imposait comme référence naturelle, des témoins fiables entendront mon juge d’instruction déplorer au cours d’un colloque que les magistrats ne fassent pas assez de médecine et que les médecins, de leur côté, soient trop ignorants du droit… D’où l’on comprend rétrospectivement que si, dans l’affaire précédente du sang contaminé, relativement superposable, le magistrat en charge de l’instruction s’est ainsi obnubilé sur une histoire de faute médicale là où il y avait d’abord et avant tout exercice illégal de la pharmacie, il n’ait rien trouvé de mieux que la qualification atterrante « d’empoisonnement » pour évacuer avec brio cette histoire abominable vers une relaxe généralisée que d’aucuns considèrent désormais comme « le scandale judiciaire du 20e siècle » [2] …

Ainsi obsédés de médecine quand il se fût agi de qualifier des manquements accablants à la législation pharmaceutique, les magistrats – de l’instruction ou du Parquet – s’inscriront paradoxalement aux abonnés absents lorsqu’il s’agira d’examiner la contribution spécifique des médecins aux drames sanitaires susmentionnés – dans la mesure où, du moins à l’époque moderne, le plus frelaté des remèdes reste largement inoffensif tant qu’il n’est pas prescrit : élémentaire, mon cher Watson, mais manifestement ignoré des juges dont la « spécialisation » reste pourtant la seule justification d’une initiative centralisatrice aussi redoutable qu’un Pôle santé permettant à l’autorité judiciaire de concentrer sur quelques têtes connues – largement prévisibles – l’essentiel des affaires dont l’ampleur, loin d’appeler une sanction en rapport, justifie simplement une classification sous la rubrique « santé publique » et la captation subséquente… Ainsi, on ne sache pas que l’instruction ait été très active pour examiner si toutes les personnes contaminées par le sang avaient été sérieusement justiciables d’une transfusion ou d’une administration de produits dérivés – alors que, secret de Polichinelle dans le milieu médical, il y aurait eu beaucoup à dire sur cet aspect du problème. Semblablement, lorsque, après plus de dix ans d’instruction, un prescripteur se trouvera enfin mis en examen par suite de ma première expertise consacrée à l’hormone [3], le juge restera ensuite obstinément sourd à mon exhortation de refaire la même évaluation critique de la prescription dans chaque cas particulier, pavant ainsi en avenue la route qui permettra ensuite au Parquet de demander la relaxe pour ce médecin dont on voit effectivement mal au nom de quoi, parmi bien d’autres au comportement identique, elle aurait dû être la seule sanctionnée : illustration, au passage, de cette stratégie que nous ne cesserons de retrouver, qui consiste à ponctuer une instruction interminable de mesures aussi anodines que frénétiquement médiatisées , finalement destinées à ne déboucher sur rien. Quand, 7 ans plus tard, dans l’une de mes dépositions au procès, j’introduirai que, aux antipodes de la pratique pédiatrique recommandable, les médecins de France Hypophyse se seront comportés en « incendiaires de l’anxiété parentale » pour imposer leurs prescriptions abusives, le Président m’interrompra immédiatement comme « sorti du sujet » – sans susciter la moindre protestation chez les avocats des parties civiles (lesquelles, néanmoins, viendront ensuite me dire à quel point l’expression correspondait à leur triste expérience : j’étais, précisément, au cœur du sujet)… Ainsi, dans cette affaire hormone de croissance, l’inconfort psychologique compréhensible d’une pauvre praticienne hospitalière supportant le joug d’une mise en examen durant quelques années malgré une prévisible relaxe aura été le moins de ce qu’il fallait payer pour accréditer devant des parties civiles exténuées la perspective d’un procès censément « exemplaire » [4] , pourtant voué à les ridiculiser et à insulter la mémoire des victimes.

Ainsi démasquées à l’épreuve, les insuffisances individuelles sont assez voyantes et répétitives pour conduire à s’interroger sur les véritables motifs ayant conduit l’autorité politique à dépouiller les juridictions françaises de tout droit de regard sur les affaires de quelque ampleur sous le prétexte désormais intenable d’une « spécialisation » dont on chercherait vainement le moindre indicateur crédible. Techniquement bien plus complexe que celle du sang contaminé ou de l’hormone, aussi médiatique, l’affaire du dopage dans le cyclisme, traitée localement par le TGI de Nanterre, n’a pas exigé une instruction interminable et n’a pas débouché sur un procès honteux : on ne sache pas que le magistrat instructeur fût doté de quelque « spécialisation » que ce soit… Le présent article, cependant, se soucie peu des défaillances personnelles, mais trouve sa justification dans une réflexion citoyenne qui va bien au-delà de la dénonciation : le détail des turpitudes individuelles, aussi anonymisé que possible, ne valant que pour documenter en fait – sur la base d’une expérience aussi dense qu’intensive – une interrogation inquiète sur l’évolution de la Justice française et dont on aurait aucune peine à trouver un écho qui dépasse largement l’horizon d’un seul témoin : rendant compte d’un livre consacré au « fiasco » du Pôle financier [5] (dont le Pôle santé n’est lui-même qu’une excroissance tardive), le Canard enchaîné n’écrivait-il pas (21/11/06) que « la hiérarchie judiciaire semble aussi s’entêter à nommer des magistrats qui ignorent tout des techniques financières » (c’est moi qui souligne)…

Or, justifiant l’abandon à mes risques et périls de ma confortable activité de consultant privé pour mettre ma compétence à son service, le mystère et la beauté de la Justice sont justement que, dans son principe, elle est invulnérable aux défaillances individuelles. Dans la préface (1865) de son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Pierre Larousse écrivait :

Nous savons qu’il y a des grâces d’état ; c’est la sagesse des nations qui a proclamé cet axiome, dont personne ne conteste la vérité : un juge, assis sur son tribunal, nous inspire du respect, même quand nous le savons indigne de juger ses semblables, parce que notre connaissance du cœur humain nous persuade qu’il y a dans ses fonctions mêmes quelque chose qui doit réveiller en lui le sentiment de la justice.

La question profonde consiste justement à se demander par quelle malédiction la justice française a perdu cette « grâce d’état » qui permettait aux citoyens de croire que les plus indignes des juges visaient toujours au Juste – tout simplement parce que, comme me l’avait dit en parallèle, 125 ans plus tard, l’éminent juriste qui a déterminé ma vocation d’expert judiciaire, « ils sont possédés par le Droit ».

Les quelques éléments de fait qui viennent d’être évoqués fournissent déjà une première réponse à l’angoissante question qui précède : les juges français sont aujourd’hui d’autant moins « possédés par le Droit » qu’à l’évidence, ils sautent sur tous les prétextes pour n’en plus faire. Et quel prétexte que l’expertise « scientifique » [6] pour évacuer la charge du Juste !... Car ce qu’illustrent plus que tout les affaires de santé publique – qui relèvent pourtant d’un corpus législatif et réglementaire quasi millénaire –, c’est la difficulté des magistrats à s’ancrer dans une épistémologie adéquate ; c’est leur coupable inclinaison à se laisser déporter vers une technique à laquelle ils n’entendent manifestement rien au lieu de s’en tenir d’abord et avant tout aux lois et règlements qui régissent – depuis des décennies, voire des siècles – l’exercice de la technique en question.

Quand, du plus haut magistrat au plus humble greffier en passant par tous les avocats de passage, l’intimité du Palais bruit d’une rumeur aussi récurrente qu’unanime – « il/elle est nul(le) en droit » ! – on peut s’interroger sur la perversion qu’exerce sur les catégories habituelles du monde judiciaire le prestige des affaires censément spécialisées. Quand, de la Chancellerie aux escaliers du TGI de Paris en passant par la Cour de cassation, le même hochement tête aussi entendu que résigné ponctue l’évocation de tel ou tel indéboulonnable juge, on en vient à se demander si la « spécialisation », au fond, ce n’est pas le prétexte infernal par quoi les représentants du monde judiciaire abdiquent leurs concepts naturels et, pour tout dire, leur esprit critique.

De façon légèrement antérieure au procès hormone de croissance, j’étais tombé par hasard sur un reportage télé consacré au désastre judiciaire du sang contaminé. Des victimes interrogées aux éminents magistrats associés à la Cour de Justice de la République, une seule conviction : en s’attaquant à la Transfusion française, on s’était heurté à trop forte partie. Or, dans le monde médical, l’organisation de la transfusion n’a jamais été quelque "forte partie" que ce soit et, pour s’en convaincre, il suffit de constater de quelle façon – et avec quelle brutale célérité – elle s’est trouvée exterminée dans les suites du scandale : on a vu des directeurs de centre sangloter d’humiliation au traitement qui leur était réservé par l’autorité de tutelle. Dans la hiérarchie médicale académique plus généralement, l’appartenance à cette organisation a toujours été traitée avec condescendance : commentant l’exaspérante médiatisation d’un histrion heureusement disparu que la presse avait l’habitude d’évoquer comme « le grand cancérologue », l’un de ses anciens chefs de clinique me dit un jour que l’intéressé n’avait jamais été cancérologue [7], mais qu’il n’était que « médecin de transfusion » – sur ce ton d’absolu mépris dont on ne trouve l’équivalent que dans les chansons de geste, quand il s’agit d’informer l’auditeur que, si dissimulé qu’il fût, le félon ne pouvait celer qu’il était malingre, borgne, boiteux, basané et le plus probablement lépreux… Intenable à l’épreuve, l’idée que la Transfusion était invulnérable apparaît d’autant plus fantasque qu’elle sert surtout à préserver un fantasme fort du monde judiciaire, à savoir « l’indépendance » des juges : qui donc aurait plié devant cette organisation de la transfusion, et sous quel type de pression ?

Mais pour imaginaire qu’elle soit, cette idée d’une forteresse médicale imprenable permet d’esquiver la triste réalité, bien plus prosaïque : à savoir que le désastre judiciaire du sang contaminé provient d’abord et avant tout de l’incapacité radicale où se sont trouvés les magistrats en charge du dossier à qualifier les faits de façonjuridiquement appropriée. Tant il est vrai qu’invoquer une faute d’indépendance laisse ouverte l’hypothèse de défaillances individuelles, alors que reconnaître les effets de l’incompétence, ce serait remettre en cause l’institution dans son ensemble – notamment dans ses procédures de formation, de sélection et de discipline interne.

On en revient - comme par hasard - à la question de l’incompétence - si récurrente sur le présent site. Car de même que les liens d’argent ne résument pas à eux seuls les conflits d’intérêts, cette question de l’incompétence est loin de se limiter au seul monde expertal.

On vient d’en avoir une superbe confirmation aujourd’hui...

[1] Strictement ignoré par l’ordonnance de renvoi.

[2] Les malins formalistes ne manqueront pas de remarquer qu’à l’époque des faits, les produits dérivés du sang, justement, n’étaient pas considérés comme médicaments. Occasion excellente, en vérité, d’examiner la responsabilité de l’administration et des politiques dans les dérives consécutives à cette regrettable carence. Encore eût-il fallu que – normalement synthèse des investigations opérées au cours de l’instruction – l’ordonnance de renvoi fût disponible pour être mise à la disposition de la Cour de Justice de la République, ce qui ne fut malheureusement pas le cas.

[3] Hormone de croissance : le premier médecin prescripteur mis en examen, Le Figaro, 09/08/2001.

[4] Hormone de croissance : le procureur de Paris promet un procès exemplaire, Le Monde, 11/11/04.

[5] E. Decouty. Un fiasco français. Histoire secrète du pôle financier. Paris, Denoël, 2006.

[6] N’a-t-on pas vu, 24 ans après les faits, le Parquet relancer l’affaire Grégory au motif préoccupant que les progrès de « la Science » (en l’espèce, du typage génétique) pourraient permettre de retrouver le chemin du Juste que la machine judiciaire avait complètement perdu après les embardées effarantes de l’instruction.

[7] Comme illustré, d’ailleurs, par les bases de données bibliographiques permettant d’inventorier sur pièces les contributions effectives de tout un chacun.


mardi 5 octobre 2010

LA PILULE DU SURLENDEMAIN : DES COMMENTAIRES BIENVENUS


Gregory Goodwin Pincus (1903 - 1967)

J'avais lu dans le numéro 314 de Prescrire de décembre 2009 (Ulipristal Ellaone*. Contraception postcoïtale : pas mieux que le lévonorgestrel. Prescrire 2009;29:886-9) un article sur la pilule du surlendemain qui ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable, non que l'article fût de mauvaise qualité mais parce que je n'en avais lu que la conclusion qui disait "Mieux vaut rester au levonorgestrel, mieux éprouvé". Je m'étais seulement dit que les conseils de Prescrire étaient "légers" compte tenu du faible niveau de preuve du levonorgestrel hors AMM...
Et voilà que je tombe sur un post de Marc Girard en son site : ici s'appelant : Pilule du "surlendemain" : quel prix pour quelle innovation ?
Ne vous y trompez pas, sous couvert d'un titre banal et qui aurait pu être un déroulé classique sur Big Pharma et ses pompes, j'ai lu un article qui m'a ouvert de nombreuses voies. Et qui m'a fait comprendre que l'ami Marc avait touché juste. Je n'ai plus de commentaires à faire.
Vous pouvez donc le lire sur le site de Marc Girard ou ici en extenso.


Pilule du "surlendemain" : quel prix pour quelle innovation ?

mercredi 29 septembre 2010 par Marc Girard
La presse de ces derniers jours de septembre 2010 a célébré comme innovation le remboursement de Ellaone (ulipristal), la pilule dite du "surlendemain", puisqu’elle est supposée active jusqu’au 5e jour après un rapport non protégé, contre 3 jours avec la pilule dite du "lendemain" (lévonorgestrel).
Ayant été interviewé à cet occasion, j’en profite pour faire un point rapide sur cette affaire. Cette pilule correspond-elle à une véritable innovation ?

Critères de crédibilité intrinsèques

Conformément à la démarche que j’ai récemment proposée pour permettre au profane d’avoir un minimum d’autonomie intellectuelle dans une problématique technico-scientifique spécialisée, examinons, sur la base des données disponibles, quelquescritères intrinsèques de crédibilité - c’est-à-dire des éléments simples, facilement vérifiables, que tout un chacun peut se réapproprier en vue d’établir son jugement.
Quatre circonstances méritent d’être relevées à ce titre.
  • Les "experts" qui interviennent dans la presse pour célébrer le nouveau produit ont manifestement oublié l’article L.4113-13 du Code de la santé publique qui leur faitobligation de déclarer leurs liens d’intérêts préalablement à toute intervention médiatique. Ce déficit de transparence est d’autant plus gênant qu’avec la psychiatrie, la gynécologie est certainement l’une des spécialités médicales où la densité des conflits d’intérêts est le plus élevée. On ne citera personne...
  • Parue dans la revue The Lancet (2010, 375 : 555-62), la principale étude supposée justifier la supériorité du nouveau médicament sur la simple pilule "du lendemain" a été entièrement financée par le fabricant. Outre les trois premiers auteurs, le statisticien (qui, en pareille espèce, est quand même "le grand manitou" dont beaucoup dépend) a également reçu des honoraires du fabricant.
  • Alors que dans ce type de situation, malheureusement courant, l’exigence se fait de plus en plus forte que l’étude et son analyse se fassent de façon totalement indépendante du sponsor, pas moins de quatre employés du sponsor (dont le PDG de l’entreprise !) ont tenu à signer l’article du Lancet, ce qui suggère à tout le moins un regrettable mélange des genres...
  • On reconnaît, dans l’équipe du sponsor, un certain nombre de personnalités ayant activement participé au développement de la mifépristone, le fameux RU486. Si l’on se rappelle les difficultés rencontrées par ce produit lors de sa mise sur le marché, à la fin des années 1980, cela n’est pas nécessairement rassurant relativement au développement du nouveau produit contraceptif (quoique ces difficultés du RU486 aient été habilement médiatisées en leur temps comme exclusivement imputables aux lobbies anti-avortement : la "cause des femmes" a bon dos...)

Lendemain ou surlendemain ?

Le point central justifiant la supposée supériorité de la nouvelle pilule est, comme par hasard, celui qui se trouve le plus contesté par :
  • l’éditorialiste du Lancet (2010 ; 375 : 527-8) réfutant, justement, que la puissance statistique de l’étude permette de montrer une supériorité d’ulipristal sur le lévonorgestrel ;
  • les deux correspondances suscitées par l’étude (Lancet 2010, 375 : 1607-8) lesquelles, outre les conflits d’intérêts susmentionnés, remettent en cause la méthodologie des comparaisons faites pour justifier la supériorité de la nouvelle pilule sur le lévonorgestrel.
Dans leur réponse aux deux correspondances suscitées, les auteurs de l’étude rétorquent notamment que leur étude a été revue par l’administration sanitaire américaine, la FDA. On rappelle que ce fut également le cas pour Vioxx ou Avandia, parmi bien d’autres exemples [1]...

Questions de sécurité

Comme dûment indiqué dans la notice d’Ellaone, on a un certain nombre de raisons pour craindre que ce nouveau produit - un antiprogestérone - ne soit toxique pour l’embryon. D’où problèmes :
  • on peut se trouver enceinte sans le savoir avant le rapport réputé non protégé : ce sera le cas, par exemple, avec toutes les adolescentes qui, croyant à tort qu’on ne peut pas "tomber enceinte" pendant les règles, ne s’alarmeront que d’un rapport en milieu de cycle, même si elles en ont eu d’autres pendant la période qu’elles imaginent infertile ;
  • qu’adviendra-t-il du foetus en cas d’échec de la méthode, étant donné qu’ulipristal ne prévient environ que deux grossesses sur trois attendues [2] ?
  • ces chiffres d’efficacité/d’inefficacité étant globaux (rapportés aux 5 jours après le rapport non protégé), que se passera-t-il si, comme insinué par les critiques de l’étude du Lancet, les taux d’efficacité s’effondrent à partir du 4e jour alors que, sous l’influence d’une promotion un peu exagérée (jointe à la promesse d’un remboursement passant par une consultation), ulipristal devient le traitement de référence sur la période 4 à 5 jours après le rapport fécondant ? Le traitement de référence pour "le surlendemain", justement ?
Plus globalement - et les correspondances précitée s’alarment aussi du fait - ulipristal est une molécule très récente, sur laquelle on ne dispose que d’un minuscule recul de pharmacovigilance, sans commune mesure avec celui du lévonorgestrel. Si, sur la base du récent exemple de Parfénac [3] (parmi bien d’autres...), on se rappelle qu’il faut parfois aux autorités jusqu’à 36 années pour évaluer des toxicités justifiant le retrait, on peut s’interroger : compte tenu des doutes persistants relativement à une supériorité (de toute façon légère) de la nouvelle pilule sur la classique "pilule du lendemain", un tel déséquilibre dans le recul de pharmacovigilance n’est-il pas de nature à faire basculer lerapport bénéfice/risque de la nouvelle pilule en faveur de l’ancienne ?

Allocation de ressources

A l’heure actuelle, la pilule "du lendemain" est en vente libre au prix de 7,58 € l’unité - à la charge de la personne choisissant ce mode de contraception. Le jour même où cet article est mis en ligne, la presse française titre "Gros tour de vis sur le budget de la Sécu" [4].
Or, pour bénéficier d’Ellaone, la pilule "du surlendemain", il faudra passer par une consultation facturée à un minimum de 23 € (à partir du 01/01/11), et payer chaque pilule au prix de 24,15 €, soit - pour simplifier - une somme aux alentours de 50 € par prescription (soit plus de 6 fois plus cher que la pilule "du lendemain").
Si l’on en revient aux données fournies par le rapport d’évaluation de l’Agence européenne, on peut dire que chez cent femmes ayant eu un rapport "non protégé" (qui n’est pas supposé déboucher systématiquement sur une grossesse), la nouvelle pilule permettra au mieux d’éviter 4 des 6 grossesses attendues. C’est dire, là encore à la louche, qu’il en coûtera 5000 € à la collectivité pour éviter au mieux 4 grossesses - sans préjudice du coût lié à d’éventuelles malformations en cas d’échec...
Cet investissement sociétal d’environ 1250 € par grossesse censément évitée mérite d’être comparé à d’autres coûts classiquement ignorés par l’assurance-maladie, comme celui des appareillages dentaires, auditifs, voire simplement des lunettes chez des gens - notamment des personnes âgées ou des travailleurs pauvres - qui en ont vraiment besoin. Il apparaît de toute façon problématique au moment même où "le gouvernement met la Sécu au régime sec" [5].

La question politique

Si l’on en croit Le Post (09/03/09), bizarrement investi sur cette histoire dont on aperçoit plus les déterminants lucratifs que la logique sociale ou humaine, les utilisatrices des pilules du lendemain/surlendemain revendiqueraient une sorte de relâchement du contrôle dans des milieux à fort conformisme social ou idéologique. C’est fort bien, mais la question politique derrière tout ça, c’est de savoir s’il échoit à la collectivité de financer une telle revendication individuelle dont l’intérêt collectif, justement, n’apparaît pas clairement ; s’il revient à la société de financer - sans esprit de retour - n’importe quel type de "développement personnel"...
Cela, on en conviendra, aurait dû appeler un minimum de débat démocratique [6]

Pour conclure

Le remboursement d’Ellaone a été présenté ces derniers jours comme une innovation majeure dans la contraception d’urgence ; certains commentateurs sont allés jusqu’à célébrer l’avènement d’un nouveau mode de contraception [7]. Pareil battage médiatique n’est pas sans rappeler celui qui a accompagné le développement de la mifépristone (RU486) à la fin des années 1980 - pour un résultat qui n’a quand même pas été à la hauteur des promesses initiales...
Il faudrait croire que, relativement à la pilule "du lendemain" (lévonorgestrel-Norlevo) de référence, l’innovation d’ulipristal tiendrait à une durée d’action prolongée jusqu’à 5 jours après le rapport non protégé. Or, c’est justement sur ce point crucial que des commentateurs autorisés ont émis le plus de critiques : la supériorité d’ulipristal relativement au lévonorgestrel sur cette question est indubitablement controversée.
En parallèle et toujours par rapport à un produit ancien comme Norlevo (qui a fait l’objet de nombreuses études et par rapport auquel on dispose d’un important recul de pharmacovigilance), les données de tolérance concernant la pilule du "surlendemain" apparaissent à tout le moins clairsemées. La notice Vidal d’Ellaone, en particulier, revient à plusieurs reprises sur l’incertitude quant à l’éventuelle toxicité de ce nouveau produit sur le foetus, par opposition, là encore, à la pilule "du lendemain" réputée ne pas exposer à un risque malformatif en cas de grossesse selon ce même Vidal.
Eu égard à une supériorité de rapport bénéfice/risque aussi incertaine, on ne peut - une fois encore - que s’interroger sur les déterminants de la générosité qui a conduit les autorités sanitaires à offrir au fabricant, en pleine période de crise, "le cadeau" [8] du remboursement, pour un coût global (incluant celui de la prescription obligatoire) qui défie toute concurrence (plus de 6 fois plus qu’avec le comparateur non remboursé).
Les mutuelles [9] ayant récemment annoncé leur volonté nouvelle d’exercer leur droit d’inventaire sur les remboursements auxquels elles consentent, gageons qu’elles vont avoir là une excellente occasion de se faire les griffes...
[1] Rires dans l’assistance.
[2] Les chiffres varient un peu selon les études : c’est un ordre de grandeur.
[3] Les perles du 14/09/10.
[4] Ouest-France, 29/09/10.
[5] Le Parisien, 28/09/10.
[6] Un peu comme avec l’hépatite B où, si plus personne de sérieux ne soutient que cette maladie menace tout un chacun, on tient pour acquis qu’il faut soumettre nos bébés et nos enfants aux risques pourtant inhabituels d’une vaccination sans intérêt direct pour eux, pour le bénéfice d’une frange minuscule qui s’obstine dans des comportements à risque : n’en déplaise aux lobbies militants gangrenés par leurs conflits d’intérêts avec les fabricants, cela aussi devrait appeler un minimum de débat démocratique.
[7] "Grand pas dans la vie des femmes après l’amour" titrait Rue89 du 09/03/09.
[8] C’est l’expression de Rue89, 23/09/10.
[9] Les Perles, 18-19/08/10.

lundi 25 janvier 2010

LE CORPS DES FEMMES EN MEDECINE



Il y a déjà un moment que j'ai lu les deux textes que je vous propose, l'un de Marc Girard et l'autre de Marc Zaffran (Martin Winckler). Les psychanalystes en herbe et les plus confirmés des analystes ne manqueront pas de faire un développement sur le fait que les deux auteurs se prénomment Marc. J'ai été intéressé par la convergence de leurs analyses aux détails près que sont leur ontologie propre, leur positionnement idéologique et leur style.

Tentant de me désintoxiquer de mon bachelotage actuel qui avait pris une allure grippale (au sens de prendre en grippe), je suis revenu vers mes dadas que sont le respect de l'Humain et le respect du Patient dans la médecine.

En faisant un détour par le corps des femmes.

Je reviendrai dans une autre rubrique sur la lecture de Paul Yonnet et de son livre sur la famille qui m'a rappelé combien le problème de l'avortement (l'interruption volontaire de grossesse) était un problème crucial de la conscience moderne (Yonnet Paul, Famille - Tome I Le recul de la mort. L'avènement de l'individu contemporain, Paris, Gallimard, 2006).

Vous lirez donc ces deux textes. Le premier : La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne par Marc Girard, le second : Les violences faites aux femmes... par les médecins par Marc Zaffran.

J'aurais pu vous faire lire ces articles en aveugle mais l'interprétation contextuelle est indispensable.

Je ne sais si l'un a influencé l'autre et vice versa. Sachez que le texte zaffranien date du 25 novembre 2009 et que le texte girardien date du 25 janvier 2010 (remise à jour d'un texte plus ancien qui n'est pas daté sur le site).

J'ajoute, comme à l'accoutumée, que je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'écrivent les deux médecins.

J'ajoute également, mais je n'ai pas écrit d'article à ce sujet, que le corps des hommes est lui aussi brutalisé par les médecins et je ne citerai que deux interventions, la circoncision, pour les jeunes enfants / hommes dans certaines cultures et la chirurgie de la prostate (pour adénome ou pour adénocarcinome) pour les hommes mûrs. Et, dans le passé l'amygdalectomie masculine...

J'attends qu'une femme écrive un article sur la brutalisation du corps masculin...par les médecins.

A vos plumes.