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dimanche 22 mai 2022

Bilan médical du lundi 16 au dimanche 22 mai 2022: fentanyl, mammographie avant 50 ans, Covid et imagerie thoracique, erreurs, Bill Gates, aspirine en prévention primaire, OMS

Le nouveau Ministre de la Santé. 


Le fentanyl tue (aux US).

Aux États-Unis d'Amérique, et selon les sources du CDC reprises par RFI (ICI), 107 600 personnes sont mortes d'overdose en 2021. La molécule la plus impliquée est le fentanyl responsable de 70 000 décès. Puis viennent la méthamphétamine, la cocaïne et l'héroïne.

Bla-bla-bla, la France n'est pas dans la même situation mais il est nécessaire d'en être conscient. Je regarde LA la fiche Vidal grand public du fentanyl : rien sur les risques.

Les addictologues français sont optimistes (cf. Nicolas Authier de l'OFMA) : la France est sous contrôle. On croise les doigts.


Recommandations US, mammographie et sur diagnostics de cancers du sein (femmes âgées de 40 à 49 ans) : c'est délétère.

Un article (LA pour l'abstract et ICI pour l'article complet) analyse les recommandations états-uniennes concernant l'usage de la mammographie dans le cadre du dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de 40 à 49 ans.

Les conclusions : 

  1. les femmes les plus susceptibles de pratiquer une mammographie dans cette tranche d'âge sont celles qui sont en meilleure santé et qui ont le statut socio-économique le plus élevé. 
  2. Sur une durée de 20 ans le risque de sur diagnostic est 3,5 fois plus élevé chez les femmes qui sont les plus susceptibles de pratiquer une mammographie
  3. Chez ces femmes 36 % des cancers diagnostiqués sont des sur diagnostics. 
  4. Les recommandations US favorisent le sur diagnostic, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays.
L'accumulation des preuves ne rend pas les agences, les médecins, les prescripteurs plus prudents.


L'imagerie thoracique pour diagnostiquer le covid-19

Une revue Cochrane de 2021 (ICI) rapporte ceci : 

Chest CT and ultrasound of the lungs are sensitive and moderately specific in diagnosing COVID‐19. Chest X‐ray is moderately sensitive and moderately specific in diagnosing COVID‐19. Thus, chest CT and ultrasound may have more utility for ruling out COVID‐19 than for differentiating SARS‐CoV‐2 infection from other causes of respiratory illness. The uncertainty resulting from high or unclear risk of bias and the heterogeneity of included studies limit our ability to confidently draw conclusions based on our results.


Le NHS publie ses erreurs.

Il semble néanmoins peu crédible qu'il y en ait eu aussi peu.


Pourquoi pas un Covid Sunshine Act ?


Si les intervenants sur les réseaux sociaux ou à la télévision ou à la radio ou n'importe où révélait leurs liens avec les vendeurs de médicaments, de tests, d'examens complémentaires... nous comprendrions mieux leurs conflits d'intérêts.


Le philantropocapitalisme de Bill Gates (énième épisode)

Bill Gates, le héros (entre autres) des vaccinolâtres (et de GSK) a touché 3,5 millions de dollars de la part d'investisseurs pour développer une start-up fabriquant du lait pour bébé. Il a ensuite refilé l'argent au journal The Guardian et, dans la foulée, ledit journal a publié un article suggérant que l'allaitement maternel pouvait avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale des mères (LA). Pour en savoir plus sur l'affaire : LA.


L'utilisation de l'aspirine en prévention primaire ne sert à rien (mille repetita placent)

En mai 2019, on pouvait lire ICI sur la non utilité de l'aspirine en prévention primaire.

Mais en mars 2015, le Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE), soulignait déjà (LA) que cette utilisation n'était pas fondée et qu'elle faisait partie, pour les diabétiques, des critères permettant aux médecins généralistes d'être rémunérés à la performance dans le cadre du ROSP.

Sur l'excellent blog tenu par Florian Zores, LA, cardiologue libéral, un billet "définitif" sur la question écrit en 2020 : LA.

Le problème en médecine : fonder des recommandations sur du vent (absence d'études de qualité), les appliquer rapidement à des millions de personnes et mettre un temps fou à rétropédaler quand de "vraies" études infirmant la décision initiale paraissent.

Le lobby industriel et l'OMS.

L'OMS a souvent été critiquée sur ce blog. N'y revenons pas.

Nous avons également souligné que son financement dépendait beaucoup de l'industrie.

Le Formindep nous signale l'article d'une revue (à la page 37) (LA) qui rapporte les agissements du lobbying industriel sur l'OMS : critiquer lorsque les décisions de l'OMS ne favorisent pas le business et contester son intégrité en général pour réduire son rayonnement.

Ce qui ne rend pas les critiques contre l'OMS caduques.

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jeudi 17 mai 2018

La médecine m'inquiète : microf(r)ictions (98)


98
Madame C, quarante-et-un ans, est venue accompagner sa fille pour un vaccin. En fin de consultation : " Ah, docteur, vous pouvez me prescrire une mammographie, ma gynécologue a oublié et je dois la faire tous les deux ans. - Vous avez quelqu'un de votre famille qui a eu un cancer du sein ? " Elle réfléchit : " Non, mais ma belle-soeur, oui. - Elle fait partie de votre famille ? - Non. Mais c'est ce qui m'a alerté. - Depuis quand votre gynécologue vous fait-elle faire une mammographie? - Depuis environ l'âge de trente ans. Je suis tellement inquiète. Il vaut mieux savoir avant, n'est-ce pas, docteur ? " Je lui explique qu'elle n'a pas besoin de faire cet examen, bla bla, les risques, elle est encore plus inquiète et elle réfléchit. Je crois qu'elle va quand même téléphoner à sa gynécologue pour obtenir la fameuse ordonnance. Elle a évalué elle-même les bénéfices/risques de la mammographie. Le patient a toujours raison.



Résumé des épisodes précédents.

99
"Madame B, cinquante-deux ans, dont tu es le médecin traitant, est venue me consulter après son passage aux urgences non programmées de la clinique pour des précordialgies atypiques... L'examen que j'ai pratiqué est normal : pression artérielle, échographie... Je note toutefois un bilan lipidique limite chez cette patiente non fumeuse. Pour ces raisons je programme une épreuve d'effort qu'elle passera à la clinique dans quelques jours."


100
Mademoiselle A, vingt-huit ans, a perdu son bébé. Aux urgences où elle se rend on lui fait une péridurale pour « régulariser ». La péridurale, selon la patiente, ne « marche » pas. Elle commence par se faire engueuler : « Si, ça marche ! ». Bon, les douleurs qu’elle ressent sont donc factices. On l'engueule encore. On la laisse dans une salle de repos où des enfants courent dans tous les sens. Puis, quelqu’un vient la voir, de loin, et lui demande à la volée : « Vous voulez l’enterrer ou le faire incinérer ? »



Illustration :
Johann Walter (1869-1932)Forêt de bouleauxVers 1903-1904Huile sur toileH. 81 ; L. 103 cmRiga, musée national des Beaux-Arts de Lettonie© Photo Normunds Brasliņš

Exposition

10 avril - 15 juillet 2018 Musée d'Orsay - Paris







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dimanche 6 juillet 2014

Histoire de non consultation 173.


A la sortie de la boulangerie, vers midi, je rencontre Madame A, 60 ans, qui me fait un grand sourire, ce qui me surprend.
La dernière fois qu'elle est venue consulter au cabinet doit remonter à une petite trentaine d'années.
Et je me rappelle parfaitement les circonstances de sa dernière visite. Cela m'a marqué.
Pendant tout ce temps je l'ai aperçue de très nombreuses fois dans le centre ville à l'heure du déjeuner mais à une distance telle qu'elle ne pouvait m'aborder.
Je me rappelle parfaitement la raison pour laquelle, selon moi, elle a cessé de venir au cabinet. J'ai comme un sentiment de gêne depuis ces années.
Elle est restée une grande belle femme mais, maintenant que je suis près d'elle, à distance de conversation, je remarque qu'elle a vieilli (et sans doute pense-t-elle la même chose de moi).

"Docteur, je voulais vous dire combien je vous considère comme un bon médecin et je regrette de ne pas avoir continué à venir vous voir.
-Ah...
- Oui, vous savez, il y a quinze ans, j'ai fait un cancer du sein...
- Et ? "

Madame A était alors secrétaire à la mairie.

Elle était venue consulter pour que je lui represcrive la pilule. On était au tout début des années quatre-vingt, j'avais trois ans d'installation en médecine générale, j'avais été un étudiant zélé formé à Cochin Port-Royal, on m'avait enseigné...

(et, à l'époque, mais j'espère que cette époque est révolue, on me dit pourtant que je me fais des illusions, je n'avais même pas l'idée que les cours, les conseils prodigués en cours, les recommandations -- bien que ce terme n'existât pas encore--, pouvaient être criticables et critiquées. L'autorité de la Faculté, des professeurs, je n'imaginais même pas que l'on puisse la remettre en question. J'avais bien remarqué la structure pyramidale universitaire et hospitalière, son côté "le patron a toujours raison même quand il a tort", son machisme, sa misogynie, son conservatisme, sa morale réactionnaire, sa politisation à droite, et j'avais aussi pu identifier des îlots de liberté ou  de liberté de ton ici ou là mais qui pouvaient être attribués à des vengeances personnelles ou à des rancoeurs, des querelles de personnes ou des querelles politiciennes, et il y avait même eu mai 68, les événements avaient été sévèrement réprimés à Cochin avec blocages de nominations, interruptions de carrière, et cetera, mais je n'avais pas encore pris conscience que c'était scientifiquement que le discours pouvait être biaisé, influencé, perverti, par des intérêts moraux, éthiques, financiers, politiques et autres qui asseyaient le système mandarinal que l'on pouvait assimiler sans erreur à un système totalitaire)
... on m'avait enseigné que pour prescrire une pilule il fallait faire plein de trucs dont palper les seins. Je me rappelle même que la femme d'un collègue m'avait dit lors d'un "repas de labo", et j'avais opiné du bonnet (humour), à propos d'une gynécologue de Mantes "Elle ne palpe même pas les seins", ce qui était le comble de l'ignorance et de la faute professionnelle.

Donc, à l'époque, et les choses ont mis du temps à évoluer, et je crois qu'elles n'ont toujours pas évolué dans l'esprit de certains médecins, la prescription de pilule signifiait, entre autres, palper les seins, la femme les mains sur la tête, quadrant par quadrant, on décrivait même dans les bons livres la façon de placer les doigts, et, selon ma morale commune, je ne savais même pas ce qu'était une étude en double-aveugle, enfin, je savais un peu mais je n'en avais jamais lu une, mais encore moins une étude de cohorte, il fallait palper les seins. J'ignorais tout autant ce que signifiait un sur diagnostic et plein d'autres choses qui ne semblaient pas intéresser la Faculté de médecine mais il me semblait tout à fait indigne et immoral de ne pas palper les seins selon les canons de la médecine de l'époque.
Je lui avais donc palpé les seins non sans remarquer, qu'elle en avait été surprise, voire gênée. 
Et elle n'était jamais revenue me voir mais elle m'avait fait remarquer en passant que son médecin ne le lui faisait jamais.

Nous sommes debout dans la rue, sur le trottoir non loin de la boulangerie.
"Et mon médecin ne m'avait jamais palpé les seins. C'est vous qui aviez raison.
- Je ne comprends pas.
- Eh bien oui, s'il m'avait palpé les seins, il aurait trouvé la tumeur, j'aurais gagné du temps et j'aurais eu des traitement moins durs.
- Vous aviez quel âge ?
- Quarante-cinq ans."

Que fais-je ? Je lui raconte l'histoire du dépistage du cancer du sein, j'insiste sur le fait que la palpation des seins... que le dépistage organisé actuel et controversé ne commence qu'à 50 ans...
Je lui offre un grand sourire. Et je ne dis rien. Et nous en restons là.

Je ne sais pas dans quelles circonstances son cancer du sein a été découvert, quel type d'intervention elle a subie, si elle a eu une radiothérapie, une chimiothérapie.

Elle ajoute ceci : "Vous n'auriez jamais dû ce jour là examiner mes seins, je n'y étais pas prête, vous avez fait cela comme si vous m'aviez serré la main, cela m'a traumatisée, j'étais votre objet, et, en outre, j'ai vraiment cru qu'il y avait quelque chose de sexuel dans votre façon de faire. J'étais troublée et vous aviez l'air si froid, si professionnel. Vous étiez  inhumain."

Je voulais donc dire ceci :

  1. Le jugement empathique des patients à l'égard du médecin est un leurre qui conduit à la sur estimation de soi, à la perte des repères, au sentimentalisme médical, à la notion de toute puissance, et, au bout du compte, au burn-out (je n'entre pas à dessein dans le modèle du transfert / contre transfert) (1) quand les divergences entre la réalité rêvée et le vécu quotidien deviennent aiguës. La patiente pense que si on lui avait palpé les seins le cancer aurait été diagnostiqué plus tôt. Pas sûr.
  2. L'Etat de l'Art est à la fois une donnée qui permet de se repérer, de se décider, de travailler, de survivre, et une illusion qu'il convient d'analyser de façon instantanée (ce que l'Etat de l'Art cache : les liens et conflits d'intérêts sous-jacents, l'effet de mode, les illusions collectives, l'absence de données contrôlées, le corporatisme, la volonté de puissance, l'argent, le suivisme...) et de façon longitudinale (la relativité des connaissances, leur volatilité, il ne faut pas avoir raison trop tôt -- et trop tard, douter même si tout va dans le même sens, ne pas lire que les publications qui vont dans le sens de l'histoire et de son histoire personnelle, ne pas tweeter que les publications qui vont dans le sens de ce que l'on pense a priori,...). 
  3. La prescription d'une contraception hormonale n'avait pas la même signification philosophique et sociétale en 1982 que maintenant. On m'avait appris qu'il s'agissait d'un médicament et qu'il y avait des risques, des risques en général, risques avancés qui ne sont pas les mêmes que ceux que l'on avance aujourd'hui. Ainsi, avec le temps, est-on passé d'une grande prudence (examen gynécologique complet, prise de sang, et cetera) dans la prescription de pilule à un je-m'en-foutisme banalisant (le sociétal, à savoir la liberté de la femme pouvant disposer de son corps à tout prix, prenant le pas sur le conservatisme de la mise en avant de possibles effets indésirables mortels ou invalidants) à une prise de conscience des dangers là encore mis sous le boisseau pour cause de société. Mais que de résistances encore ! Nous en avons largement parlé ici et tous les problèmes ne sont pas réglés entre les "sociétaux" qui nient  tout effet indésirable de la contraception hormonale (car la pilule est la plus grande révolution scientifique et sociétale du vingtième siècle...), les big pharmiens qui nient aussi pour faire du chiffre et pour toucher des pourboires et les médecins qui s'occupent de leurs patientes sans se soucier de l'idéologie ou du fric et qui savent que la pilule n'est pas un médicament et que ses effets indésirables sont à la fois mortels, invalidants et... sociétaux.
  4. L'histoire que je raconte est à mon avis exemplaire de l'évolution des relations patients / médecins depuis 1982 et ne conclut rien sur le problème scientifico-sociétal du dépistage organisé du cancer du sein. 
  5. Exemplaire d'un point de vue relationnel : j'avais des certitudes et je les ai imposées à ma patiente ; je ne lui ai pas demandé son avis ; je lui ai palpé les seins sans lui expliquer pourquoi je le faisais ; que savait-elle de l'intérêt de palper les seins ? Ignorais-je (la réponse est non) que palper des seins est aussi un acte sexuel ? 
  6. Exemplaire du problème scientifico-sociétal posé par le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie qui dépasse le débat scientifique pur (je suis d'accord : un débat scientifique pur n'existe pas mais il existe cependant une part objective des données -- à ceci près que générer des données, c'est à dire faire des hypothèses, penser un protocole, l'écrire, penser des cahiers d'observation, les écrire, présupposer un mode d'analyse statistique, interpréter les données, écrire l'article, surtout la discussion, est hautement subjectif et impur et influencé par le promoteur de l'essai qu'il soit public ou privé, promoteur qui n'est pas une entité flottant dans les espaces éthérés de la science mais immergé dans la société) : il est plongé dans le bain sociétal qui comprend pêle-mêle, la mort, la maladie, la peur de la mort, la peur de la maladie, le corps des femmes, le patriarcat, la médicalisation de la vie, et cetera.
  7. J'ajoute également que si un sondage était effectué chez les médecins sur le fait de palper des seins dans le cadre des visites de prévention et / ou de dépistage, nul doute qu'une immense majorité de ces praticiens, généralistes comme gynécologues ne diraient pas que la palpation des seins, isolée ou avant une mammographie de dépistage, est un facteur avéré de sur diagnostic. Et encore : j'ai longtemps conseillé aux femmes l'autopalpation de leurs seins de façon systématique, autre source de sur diagnostics.
  8. Qu'en conclure pour le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie ? J'en ai parlé mille fois sur ce blog. J'écrirai, lorsque l'article de la Revue Prescrire dont j'étais relecteur paraîtra, un billet sur l'INCa qui nia tout sur diagnostic pendant des années pour en arriver au chiffre scandaleusement sous estimé de 10 %, ce qui montre combien les agences gouvernementales sont aussi influencées et influençables que les groupes privés qui, influencés et influençables, tentent d'influencer de façon ontologique. Il est désormais nécessaire de proposer une porte de sortie pour abandonner le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie. De telles sortes que personne ne perde la face et qu'il n'y ait pas un séisme dans la société française. Il faut réenvisager les programmes de prévention et de dépistage. A vos réflexions !
La patiente s'est donc trompée sur moi et je ne l'en ai pas dissuadée. Par auto empathie ?

Je vous recommande encore de lire Rachel Campergue. "No mammo ?" ICI

(Illustration : le meilleur quatuor de musique contemporaine dans son cd le plus accompli. 1966. Don Cherry. Leandro Gato Barbieri. Henry Grimes. Ed Blackwell.)



dimanche 24 novembre 2013

Le cancer du sein de la ministre.


La ministre déléguée à la famille, j'avoue mon ignorance, je ne le savais pas auparavant, a décidé de  révéler qu'elle se battait depuis huit mois contre un cancer du sein. Le journal Le Monde en fait un article (ICI).
Je ne sais quoi penser de cette révélation. Encore une fois les femmes politiques sont des femmes comme les autres mais l'article (et je ne sais si la ministre l'a relu et / ou corrigé) révèle exactement le contraire.
Conformément à la doxa ambiante (et à laquelle je participe en demandant des comptes big pharmiens à tout le monde), il faudrait que je révèle la totalité de mes conflits d'intérêts, ce qui est impossible  : je suis a priori contre le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie chez les femmes entre 50 et 74 ans (et je suis un repenti car j'y ai "cru" et ce sont les lectures de Junod et de Prescrire, puis par la suite, de Göetzsche et autres, qui m'ont fait changer d'avis) et je tente d'informer mes patientes ; je prescris aussi des mammographies quand il le faut ou quand mes patientes, dûment informées, ne sont pas d'accord avec moi ; et j'ai connu deux décès par cancer du sein dans ma famille très proche. Fin de la parenthèse.

Ma première réaction, épidermique, était qu'encore une fois une femme politique faisait de la politique.  D'ailleurs l'article parle deux fois du Mariage pour tous... Puis j'ai lu, voir plus bas, des réactions bloguesques, et je me suis dit, au delà des critiques, très acerbes de la part des femmes qui ont eu un cancer du sein (ou qui l'ont toujours) et qui parlent (les autres, nous ne savons pas), que la démarche de Madame Bertinotti était à la fois naïve et impudique mais qu'après tout elle avait bien le droit de faire ce qu'elle voulait.
Puis, en réfléchissant, je me suis demandé pourquoi on lui tapait dessus comme cela.
Les médecins blogueurs ont commencé puis les femmes blogueuses à qui on a annoncé qu'elles avaient un cancer du sein et je me suis dit : est-ce que lorsque l'on a un cancer, fût-on ministre, on est capable d'être tout à fait sereine sur sa propre maladie et sur tous ses tenants et ses aboutissants ? La réponse est non. 

Quelles sont les réflexions des blogueuses chez qui on a diagnostiqué un cancer du sein ? 

ICI (Mon Intime Sein) on reproche surtout à la ministre la médecine à deux vitesses, celle pour les privilégiées et celle pour  les autres, le fait qu'elle privilégie le travail mais cette blogueuse qui s'étonne que la ministre n'ait pas conseillé les bonnes associations de patients, les bons blogs, les bons sites, elle ne peut s'empêcher, dans une volée de méchanceté de lui dire, certainement pour l'encourager, attention, ce n'est pas fini, vous ne vous en êtes pas sortie, en prédisant l'angoisse de la récidive... Pas gentil, pas très collégial comme discours. Imaginons qu'un cancérologue ou qu'un médecin traitant ait dit cela... On en entendrait des vertes et des pas mûres. En gros, notre blogueuse vient de comprendre que la société française est inégalitaire. Ouah ! J'ai quand même appris un mot la Cancérie.

J'ai un cancer et je ne suis ni digne, ni courageuse : LA. La blogueuse insiste sur le problème des travailleuses précaires, des non fonctionnaires, et sur l'injustice des corps qui ne réagissent pas tous de la même façon à la maladie et à la chimiothérapie. Je cite :"Son courage et sa dignité sont salués. Pour moi qui ne suis ni courageuse, ni digne mais tristement égoïste et paresseuse, c’est une claque de plus parce qu’en plus de tout cela, je suis probablement méchante : je ne suis pas admirative de notre ministre."

ICI, le site Fuck my cancer, souligne que la ministre n'a fait que parler d'elle et pas des autres et insiste sur la médecine à deux vitesses, sur le fait que les aides sociales ne sont pas assez importantes et qu'il s'agit d'un petit traité de camouflage à usage politique (très belle formule). J'ai surtout retenu qu'elle se demandait pourquoi elle n'avait prévenu ni le premier ministre ni le ministre de la santé. Intéressant.

LA, Martine ou ailleurs reproche deux choses, et avec beaucoup de tact, à la ministre : 1) pourquoi en parler et maintenant ? Comme si libérer la parole valait mieux que le silence de ces femmes qui se taisent pour ne pas perdre leur emploi... Et 2) : qu'est-ce que c'est que ce discours de battante ? Comme si, seules les battantes pouvaient s'en sortir, cette idée débile voudrait-elle dire que celles qui meurent ne se sont pas battu ? 

ICI, Catherine Cerisey est de mauvaise humeur, elle trouve l'article cependant bien écrit (pour les critiques voir Martine qui analyse les khonneries de la journaliste), mais elle aussi se plaint des privilèges "régaliens" que la ministre a obtenus à l'Institut Curie (avoir des rendez-vous plus rapides, et cetera...) et, plus justement, du fait que continuer à travailler est plus un privilège physique (résister au cancer et à la chimiothérapie) et professionnel (avoir des employeurs compréhensifs et ne pas être responsable du rayon fruits et légumes dans une grande surface) qu'une preuve de courage. Et elle place un entretien d'elle sur itélé où elle exprime le voeu que la ministre devienne, puisqu'elle en est, la porte parole des femmes porteuses d'un cancer du sein.

Commentaires : à une exception près (ICI) les blogueuses (que j'ai lues), font une critique people et sociale de la démarche de la ministre mais n'abordent pas le problème du dépistage, du sur diagnostic, du sur traitement, et de la condition particulière de la femme malade dans une société patriarcale.
Je vous propose donc de découvrir LA le billet de la crabahuteuse sur la prévention du cancer du sein.

Venons-en aux médecins blogueurs ou apparentés.

Le billet de l'année est celui, LA, d'Hippocrate et Pindare, intitulé avec pertinence : "Dominique Bertinotti, malade du cancer ou malade de la mammographie ? " Notre ami dit tout et bien. Je vous conseille de le lire car le paraphraser ne le rendrait pas plus clair.

Nous avons aussi les deux jumeaux de la presse médicale qui s'expriment. JYN et JDF.

JYNau, ICI, l'article est intitulé, "Pourquoi Dominique Bertinotti doit faire de son cancer du sein un 'instrument politique'", n'y va pas par quatre chemins. Il profite de l'affaire, après un début d'article assez balancé sur les conditions de la révélation du cancer de la ministre et sur la façon dont elle a raconté son histoire,  par écrire ceci : "Tout plaide donc pour la bascule au «tout DO.", DO signifiant Dépistage Organisé, et d'annoncer : L'urgence n'est plus à témoigner pour "faire évoluer le regard de la société sur cette maladie" mais à agir pour réformer un système de dépistage encore trop inefficace". JYNau balaie donc d'un revers de main le sur diagnostic et le sur traitement qui sont les deux problèmes cruciaux du dépistage du cancer du sein (voir Peter Göetzche ICI).

JDFlaisakier, LA, le journaliste vedette d'Antenne 2 (mon oreillette me dit qu'il s'agit désormais de France 2), écrit dans un style consensuel digne du service public et je lis ceci qui me rend perplexe : "Le dépistage organisé subit des attaques récurrentes car on lui reproche d’être à l’origine de surdiagnostic et de surtraitement. Les dernières évaluations présentées par l’association américaine d’oncologie clinique, l’ASCO, chiffrent à 10 % le taux de surdiagnostic, c’est-à-dire d’images suspectes qui s’avèrent, après examen et biopsie, ne pas être le signe d’un cancer." Ainsi, JDF, confond faux positifs et sur diagnostics. Faut-il lire le reste de l'article ? Amen.


Le dévoilement de la ministre adresse au moins six domaines : 
  1. Celui du secret médical. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour ne pas perdre leur travail ou pour qu'on ne les juge pas dans leur travail, en fonction de la maladie qu'ils ou elles ont. 
  2. Celui de la pudeur. La majorité des patients ne disent pas leur cancer pour qu'on ne porte pas sur eux un regard qui les dépouille de leur statut d'êtres humains pour en faire des cancéreux, par exemple, c'est à dire des humains en marge dont la société attend qu'ils se comportent de cette façon ou d'une autre.
  3. Celui de l'attitude de la société à l'égard des patients atteints de maladies graves : du déni à l'apitoiement en passant par la gêne.
  4. Celui de la femme malade dans une société patriarcale.
  5. Celui de l'intendance : l'Annonce, l'attente, les rendez-vous, le suivi médical et par quelles équipes, les relations entre les services hospitaliers et le médecin traitant (pas un mot ni par la ministre, ni par les blogueuses, ce qui montre soit son inutilité, soit son mépris soit son incompétence, petites croix souhaitées), l'accompagnement social...
  6. Celui des croyances sur le cancer du sein (le dépister tôt) et sur les patientes (les battantes s'en sortent)
  7. Ad libitum
Nous sommes en plein pathos.
Décidément une ministre n'a pas le cancer des autres. 
Portez-vous bien Madame Bertinotti.

Je conseille à tous de lire Susan Sontag qui a eu deux cancers dans sa vie, traités l'un aux Etats-Unis et l'autre en France, et qui a réfléchi sur les problèmes du cancer et du sida. 
La Maladie comme Métaphore - Illness as Metaphor (1979 : Christian Bourgois) et Le Sida et ses Métaphores - AIDS and its Metaphors (1989 : Christian Bourgois)
Et, bien entendu, No Mammo ? de Rachel Campergue qui reste, en français, la référence.
Sur ce blog vous trouverez de nombreux billets sur le sujet.

Photographie : Susan Sontag : 1933 - 2004


jeudi 4 octobre 2012

Peter Götzsche versus le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (Organe central de désinformation sur le dépistage du cancer du sein).



J'ai assisté aujourd'hui à la remise des prix Prescrire (la Revue s'est impliquée, depuis 2006, dans la critique de la politique de dépistage organisé du cancer du sein en France comme dans le monde à partir des études de la littérature) et j'ai pu entendre, comme de nombreux participants, un exposé limpide de Peter Götzsche de la Cochrane Nordique, sur l'inutilité des programmes de dépistage pour faire baisser les mortalités spécifique et globale (ICI pour l'exposé et LA pour les diapositives).
Heureusement, les données que nous a fournies notre ami danois, et vous ne pouvez me voir rougir de confusion, je les ai déjà rapportées en différents posts de ce blog. Ce sont des données connues. Ce sont des données avérées. Mais le ton de l'orateur, sa connaissance du sujet et son français étonnant de simplicité ne pouvaient manquer de nous conforter dans ce que les partisans du dépistage appellent  nos croyances dans l'inutilité de ce dépistage.

Je voudrais rappeler trois points sur lesquels je n'ai pas assez insisté dans mes posts : Le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de cancers métastasés ; le dépistage organisé ne réduit pas le nombre de mastectomies (et bien au contraire) ; le dépistage organisé ne réduit pas la mortalité par cancer.

La dernière parution du BEH (Bulletin Epidémiologique hebdomadaire) consacré aux résultats du dépistage du cancer du sein par mammographie (ICI) est, il est possible de faire plusieurs choix, une aberration, un scandale, une entreprise désespérée pour défendre le programme français de dépistage, la dernière khonnerie de Françoise Weber (avant, on choisit, sa démission ou son limogeage).
Nous savons depuis longtemps que l'InVS est une Agence Gouvernementale aux ordres de la DGS (Direction Générale de la Santé) ou du gouvernement (heu, c'est la même chose) ou du lobby santéo-industriel (c'est un néologisme) qui s'est illustré, entre autres, dans, par exemple (et vous excuserez mon manque d'exhaustivité) des articles rapportant la mortalité liée à la grippe et les bénéfices que la population pouvait tirer de la vaccination. Revenons à notre Agence Gouvernementale.
Elle a publié un numéro costaud. Le genre de pavé incontournable que l'on ne peut recevoir qu'en pleine figure. Et sans l'avoir lu. 
L'InVS, non content de publier des auteurs maisons et aux ordres, 
et je vous ai déjà entretenu de l'expert mongering (LA), procédé qui consiste en France et pour ce qui concerne les agences gouvernementales (il existe aussi un expert mongering lié à Big Pharma dont les modalités sont un peu différentes et que je vous ai déjà décrit), à embaucher de jeunes universitaires, parfois bardés de diplômes mais parfois copains du gars qui vu le gars, qui n'ont rien publié auparavant ou de vagues articles universitaires sans intérêt -- il suffit de jeter un oeil sur PubMed, ICI, et, promis, j'ai extrait le nom Exbrayat C au hasard --, et à leur faire publier des articles dans des revues maisons, sans regards extérieurs critiques, comme le BEH, qui prennent de la valeur ajoutée, c'est à dire qu'ils sont indexés dans les bases de données, parce qu'ils émanent d'une Agence Gouvernementale...
publie un texte de Stephen Duffy, éminent chercheur qui défend le dépistage depuis des années et très récemment encore (voir ICI un commentaire du BMJ de son article publié dans un supplément de revue J Med Screening 2012;19:suppl 1.), avec des analyses statistiques hypercomplexes et comprises de lui seul, très critiqué un peu partout dans le monde mais aussi en raison de ses conflits d'intérêt. Avouons cependant, et au delà de l'opinion que j'ai moi-même sur la question, que Duffy et Götzsche ne s'aiment pas beaucoup : voir LA un commentaire du second sur le premier.
Pour que l'on ne dise pas que je suis partial et que ce que je dis est malintentionné je voudrais vous donner les exemples suivants sur ce numéro du BEH :
  1. Je passe sur l'éditorial de Corinne Allioux qui est un plaidoyer pro domo, ce qui peut se concevoir comme figure de style habituelle dans une présentation, mais qui, bien entendu, élimine tout commentaire critique éventuel. Il est clair que ses fonctions (Présidente de l’Association des coordinateurs de dépistage (Acorde) ; médecin coordinateur de la structure de gestion de Loire-Atlantique) la rendent d'emblée pertinente pour développer une argumentation balancée. Mais Big Pharma a parfois plus de clairvoyance.
  2. Premier article qui est, pour le coup, un plaidoyer sans nuances pour le dépistage organisé français et dont les 4 signataires sont des membres de droit du Comité Central représentant la DGS (déjà citée), une association de dépistage, l'INCa et l'InVS. On y apprend, au détour d'un paragraphe dans ce qui devrait être une discussion mais qui n'est qu'un plaidoyer pour l'extension du dépistage à d'autres tranches d'âge, que la DGS a plusieurs fois interrogé la HAS ou ses enfants sur les possibilités d'extension ! Comme l'a dit Peter Götzsche au hasard d'une réponse : la santé publique n'est pas faite pour les malades mais pour ce qui pourra en être dit au Parlement.
  3. Le troisième article est de l'épidémiologie descriptive basique et l'on apprend, je cite,
    Les évolutions d’incidence observées reflètent probablement l’action com- binée de plusieurs facteurs (facteurs de risque, dépistage et techniques diagnostiques). Cependant, l’interprétation de ces données descriptives est complexe et doit rester prudente.. Sans rire, comme on dit dans le Canard Enchaîné.
  4. Article inintéressant, puisque non contradictoire, sur l'évaluation du programme de dépistage français entre 2004 et 2009, et rédigé par trois membres éminents de l'InVS. On n'est jamais mieux servis que par soi-même.
  5. Article écrit par ceux qui organisent le dépistage sur la spécificité et la sensibilité du programme : et que croyez-vous qu'il arrivât ? C'est génial !
  6. Article "extérieur" de Stephen Duffy et collaborateur. L'article dit en gros que le sur diagnostic peut être évalué à 10 % et que les bénéfices l'emportent sur les inconvénients. Rappelons ici que Bernard Junod à partir de données françaises (ICI) et Jorgesen et Götzsche (LA) à partir de données danoises évaluent le sur diagnostic à 50 % !
Bon, je m'arrête là, cela devient fastidieux, car il y a encore 3 articles qui tentent d'enfoncer le clou et qui, nonobstant le travail qu'ils ont dû générer, ne sont pas très intéressants.

Cette réunion organisée par Prescrire s'est aussi interrogée, par l'intermédiaire de certains de ses participants, et sans y répondre à ces questions : Doit-on tout arrêter maintenant ? Doit-on jeter le bébé avec l'eau du bain ? Comment les dépisteurs pourraient-ils faire pour renoncer sans perdre la face ? 
Il est possible que ce soit le paradigme lui-même qui soit en cause, la croyance en l'efficacité du dépistage et la croyance en la nécessité de "ne pas perdre de temps".

Je voudrais terminer sur une diapositive de Peter Götzsche qui résume les croyances des femmes (et je dirais des médecins hommes ou femmes) sur le dépistage du cancer du sein que l'on nous a serinées depuis des années, croyances que notre ami réfute et, parfois, malgré les faits, il arrive que certains d'entre nous résistent.
  1. Croyance 1 : Dépister tôt, c'est mieux. Les faits : En moyenne les femmes ont un cancer du sein qui évolue depuis 21 ans quand il atteint la taille de 10 mm.
  2. Croyance 2 : Il vaut mieux trouver une petite tumeur qu'une grosse. Les faits : Les tumeurs détectées par dépistage sont généralement peu agressives ; aucune réduction du nombre de tumeurs métastasées n'a été constatée dans les pays où le dépistage est organisé.
  3. Croyance 3 : En identifiant les tumeurs tôt un plus grand nombre de femmes éviteront la mastectomie. Les faits : Non, un plus grand nombre de femmes subiront une mastectomie.
  4. Croyance 4 : Le dépistage par mammographie sauve des vies. Les faits : Nous n'en savons rien et c'est peu probable, par exemple la mortalité par cancer est la même.
Et je vous résume ce que j'ai déjà publié ici et là (pardon pour ces redites) qui est tiré des travaux de la Collaboration Cochrane :

 "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."

(Illustration : Peter Götzsche)

PS du 14 octobre 2012. Peter Götzsche répond indirectement au BEH : ICI
PS du 22 novembre 2012 : un article du New England J of medicine fait le bilan de trente ans de dépistage du cancer du sein aux EU (LA) : With the assumption of a constant underlying disease burden, only 8 of the 122 additional early-stage cancers diagnosed were expected to progress to advanced disease.
PS du 29 novembre 2012. Une partie des réactions à l'article du Lancet sus-cité : LA

lundi 24 septembre 2012

Montrez moi ce sein que je ne saurais voir et cachez moi l'autre ! Histoire de consultation 130.


Mademoiselle A, 29 ans, vient de passer des moments atroces. Des moments pendant lesquels elle a vu son univers s'effondrer. Je ne suis pas son psychothérapeute, seulement son médecin presque traitant (elle n'a pas encore signé bien que je la voie depuis plus d'un an de façon assez régulière), car elle a été, dit-elle, déçue par son médecin traitant précédent et qu'elle hésite à s'engager... 
L'histoire commence en août 2011 où elle est victime d'une agression à la sortie de son travail, elle est poussée dans les escaliers du métro par un de ses collègues, et, outre de multiples ecchymoses et des contusions multiples, elle présente un volumineux hématome du sein droit.
Au mois d'août 2012, elle consulte mon associée car elle retrouve plusieurs formations nodulaires à la palpation de son sein gauche traumatisé un an plus tôt. Elle convainc mon associée réticente de faire pratiquer une échographie. Puis elle revient me voir avec les résultats de cette échographie pratiquée le 18 août.
Voici le compte rendu : "A droite : ras. A gauche : Petite formation mamelonnaire paramédiane interne gauche mesurée à 12 mm de plus grand diamètre non parallèle au revêtement cutané, de contours nets mais irréguliers, et surtout associé à un cône d'ombre postérieure, classée ACR4 et pour laquelle un avis spécialisé voire une étude histologique serait souhaitable."
Voici ce que j'écris dans son dossier : "Putain de bordel de merde que la mammographie !" Je notre aussi que la palpation du sein est peu évidente (c'est à dire que je ne palpe rien) et qu'il n'y a aps d'antécédents mammaires dans la famille.
Je lui dis : Je n'y crois pas une seconde et Il faut demander un deuxième avis. Elle me répond : J'ai déjà pris rendez-vous dans un centre de radiologie à côté de mon travail.
En voiture Simone dans la grande aventure de la production d'adrénaline.
J'écris un mot pour le radiologue inconnu (elle ne connaît pas le nom du médecin avec lequel elle a pris rendez-vous) parce que mon oncologue favori, celui à qui je peux demander de relire des mammographies alarmistes, est en vacances et que ma radiologue favorite, dans le même métal que l'oncologue, profité également d'un repos probablement bien mérité.
Le radiologue consulté pratique une échographie. Voici ce qui est écrit sur le compte rendu du 27 août : 
"Motif de l'examen : Contrôle d'un module non palpable ... chez une patiente de 29 ans sans antécédent familial de pathologie mammaire...(c'est moi qui souligne)...
....
Conclusion : Nodule adénomateux mesurant 14 mm de grand axe...pour lequel une microbiopsie est programmée... Classification Bi-Rads : ACR2 à droite et ACR4 à gauche."
Mademoiselle A est pressée. Je ne lui dis pas : Une biopsie, c'est sérieux, il ne faut pas la faire n'importe où, je ne connais pas ce radiologue, je ne sais pas son expérience de biopsieur... Elle est pressée, elle veut savoir, elle est terriblement inquiète...
Le médecin presque traitant se laisse mener par le bout du nez.
Le 4 septembre Mademoiselle A me téléphone pour me dire que la biopsie s'est mal passée, il lui avait dit que cela allait durer cinq minutes et qu'elle y est restée trois quart d'heure et qu'elle a eu mal parce qu'il s'y est repris à deux fois. Et qu'elle a encore mal. 
(Je l'imagine, seule, assise dans une pièce... inquiète... J'imagine la tumeur perforée, membranes basales et compagnie, une horreur)
Je reçois un courrier le 10 septembre daté du 7 : c'est le compte rendu histologique. "Adénome avec métaplasie secrétoire de type pregnancy-like. Absence de néoplasme intra-épithéliale. Absence de processus carcinomateux."
Et je ne peux même pas appeler Mademoiselle A : son numéro de téléphone manque dans son dossier !
Je réussis à la joindre et elle est là, en face de moi, le 12 septembre, soulagée, mais pas enthousiaste : elle a eu la frousse de sa (jeune) vie ! Je ne lui dis pas : je vous l'avais bien dit mais je le pense très fort. C'était une prophétie autoréalisatrice qui s'est réalisée.
Je reçois ensuite une lettre datée du 12 septembre 2012 signée par le radiologue qui me dit que "la micro-biopsie mammaire du sein gauche... est tout à fait rassurante, il s'agit d'un adénofibrome du sein".
Tout est bien qui finit bien, dit le dicton.
Mais que cela a été dur pour cette patiente !
Je ne tire pas de leçons de ce cas clinique : elles tombent sous le sens !
Enfin, peut-être pas. Les préjugés sont tenaces.
Voulez-vous que nous y revenions ?
Voulez-vous que je vous les rappelle ?
Je laisse les commentateurs finir le boulot.
Ouf ! 


mardi 1 novembre 2011

"No mammo ?" de Rachel Campergue : un livre de référence sur le dépistage du cancer du sein.


Le sentiment que j'ai ressenti lors de la lecture du livre de Rachel Campergue fut la honte. La honte que ce soit un non médecin qui ait pu écrire un livre pareil avec autant de pertinence, de légèreté et sans presque la moindre acrimonie. Puis je me suis dit que c'était la fraîcheur intellectuelle de cette femme, que je n'ai jamais vue (mais que l'on peut voir sur Facebook) ni entendue, qui a permis l'écriture de ce livre informé et pertinent qui s'adresse tout autant aux médecins qu'au grand public.
Je crains pourtant que ce ne soit le grand public qui profite le plus de sa lecture dans la mesure où l'irrationnel qui sous tend les préjugés du corps médical à l'égard de la prévention et du dépistage est ancré dans les esprits de mes confrères...
Encore une fois, et mon post précédent avait évoqué la chose (ICI), je suis abasourdi par l'absence de discussions argumentées dans la médico-sphère française alors que le débat est aussi développé ailleurs. Seuls des francs-tireurs tentent de faire entendre leurs voix, des Bernard Junod, des Marc Girard, des Alain Braillon, des Dominique Dupagne, mais ils sont tous hors-jeu de l'université ou de l'expertise spécialisée. La chape de plomb du lobby politico-administrativo-académico-industriel étouffe toute parole dissidente. Notre pays est cadenassé et souffre à l'évidence en ce domaine d'un manque cruel de démocratie. La Revue Prescrire a publié un dossier en 2007 (Rev Prescrire 2007;27(288):758-62) qui n'était pas tendre pour le dépistage organisé, voire même totalement opposé, mais son impact a été faible dans le débat public.

Mais revenons au livre de Rachel Campergue (RC).

Je n'ai pas de statistiques mais ne doutons pas un seul instant qu'au bas pourcentage 95 % des médecins français sont favorables à la mammographie comme outil parfait de dépistage et de diagnostic du cancer du sein avec une pointe à 98 % chez les gynécologues et à 99 % chez les radiologues. Chez les oncologues l'enthousiasme doit être du même tonneau. Quant aux médecins généralistes, je suis certain à 99 % (statistique personnelle non publiée) qu'ils prescrivent ou qu'ils laissent prescrire la mammographie sans délivrer une information éclairée aux femmes qui fréquentent leurs cabinets avant qu'elles ne se rendent dans un cabinet de radiologie. Mais on le verra, délivrer une information éclairée n'est pas simple, dévoreur de temps et, surtout, difficile à formaliser tant les points de vue, les peurs, les croyances, les sous-entendus, les impératifs, les avis d'autorité et la lassitude de de voir toujours, face à la puissance de feu des medias grand public, ramer à contre-courant et passer parfois pour rétrograde et hors du courant dominant de la morale sentimentale qui est, je cite, "Rien n'est trop pour sauver une vie" et son versant pécuniaire "la santé n'a pas de prix".

Petit questionnaire à l'usage des médecins français (voir p 431 du livre) que j'ai adapté de celui qui avait été mis en place dans 4 pays européens pour savoir "Comment les femmes perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage" et dont le résultat attestait des sur promesses officielles et des attentes irréalistes des femmes. Intitulons-le "Comment les médecins perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage ?" Je vous propose de répondre.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ?
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ?
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ?
Je vous donnerai les réponses tout à l'heure.

No mammo ?

Le livre permet dans une première partie de se rendre compte de ce qui nous attend en France en analysant la situation américaine : des campagnes de sensibilisation pour la mammographie organisées avec des fonds provenant de compagnies soit intéressées dans la vente de mammographes ou de tamoxifène, soit polluant l'environnement avec des pesticides ou des modificateurs hormonaux pouvant entraîner des cancers du sein, soit ne s'intéressant qu'à l'augmentation de leur chiffre d'affaires. Des campagnes de sensibilisation ignorant la différence entre prévention et dépistage, des campagnes de sensibilisation ne parlant jamais des méfaits du dépistage (sur diagnostics), des campagnes de sensibilisation affirmant que la mammographie sauve à coup sûr, des campagnes de sensibilisation ne parlant que de la diminution du risque relatif et jamais de celle du risque absolu, des campagnes de sensibilisation qui récoltent des fonds non pour la recherche mais pour acheter des mammographies qui permettront de faire passer plus de mammographies.
RC montre également combien les campagnes Octobre Rose de l'Institut National du Cancer (INCa) utilisent des mensonges pour "sensibiliser" et des contre-vérités scientifiques pour que les femmes se fassent mammographier.
Le livre analyse également la genèse de la contestation nord-américaine à l'égard des campagnes de dépistage aveugle en montrant combien des "usagères" de la mammographie et du cancer ont refusé l'infantilisation et comment elles ont pu trouver avec difficulté des relais dans le corps médical américain.

Mais surtout RC démystifie toutes ces campagnes, tous ces arguments commerciaux, tout cet excès de sentimentalité qui ont été et sont utilisés pour convaincre les femmes de suivre les programmes de dépistage et, d'autre part, de culpabiliser les autres, celles qui refusent (l'INCa dit même dans ses documents promotionnels que les femmes qui refusent la mammographie ne croient pas en la prévention (sic) : l'INCa, la plus haute instance du cancer en France, confond prévention, c'est à dire faire en sorte que quelque chose n'arrive pas, et dépistage, découvrir quelque chose qui existe déjà : de l'incompétence ou de la filouterie ? Voir ICI pour ceux qui n'y croient pas : un document rose de chez rose).

Voici quelques éléments que j'ai pêchés ici et là dans le livre de RC, éléments que les femmes ne trouveront pas dans les brochures incitant à pratiquer une mammographie tous les deux ans à partir de l'âge de 50 ans et jusqu'à l'âge de 74 ans :
  1. Il n'existe pas un mais des cancers du sein : des cancers qui grossissent rapidement (parmi eux les fameux cancers de l'intervalle, ceux qui apparaissent entre deux mammographies et qui sont déjà métastasés lorsqu'ils sont découverts), des cancers qui progressent lentement, des cancers qui ne grossissent pas du tout, des cancers qui sont si lents à progresser qu'ils ne donneront jamais de symptômes et des cancers qui régressent spontanément (ces deux dernières catégories pouvant être considérées comme des pseudo-cancers).
  2. La mammographie ne permet pas un diagnostic précoce car elle découvre des cancers qui étaient en moyenne présents depuis 8 ans !
  3. Les cancers de l'intervalle ne sont, par définition, pas découverts par la mammographie lors du dépistage et ce sont les plus rapides à se développer et les plus mortels. Attention (je rajoute cela le trois octobre 2013) : un essai récent sur une population norvégienne dit le contraire (ICI)
  4. La mammographie peut se tromper et passer à côté de 20 % des cancers du sein et ce pourcentage est encore plus fort chez les femmes plus jeunes (25 % entre 40 et 50 ans), ce sont les faux négatifs.
  5. La mammographie peut se tromper et annoncer un cancer alors qu'il n'en est rien : ce sont les faux positifs. On imagine l'angoisse des femmes que l'on "rappelle" après la mammographie pour leur demander de passer d'autres examens et pour leur dire ensuite, heureusement, qu'elles n'ont pas de cancer... Voici des données terrifiantes : Après avoir subi une dizaine de mammographies, une femme a une chance sur deux (49 % exactement) d'être victime d'un faux positif et une chance sur 5 (19 % exactement) de devoir se soumettre inutilement à une biopsie du fait d'un faux positif.
  6. La seconde lecture de la mammographie par un autre radiologue ne se fait qu'en cas de résultat normal, pas en cas de résultat anormal : on ne recherche que les faux négatifs, pas les faux positifs (ceux qui conduisent aux examens complémentaires anxiogènes dont la biopsie qui peut être dangereuse)
  7. La mammographie est d'interprétation d'autant plus difficile que la femme est jeune (importance du tissu glandulaire) et qu'elle prend des estrogènes qui sont un facteur de risque du cancer du sein et d'autant plus difficile que la femme est ménopausée prenant des traitements hormonaux substitutifs (heureusement arrêtés aujourd'hui)
  8. On ne lit pas une mammographie, on l'interprète et il faut se rappeler que la variabilité inter radiologue peut atteindre (dans la lecture d'une radiographie du poumon, ce qui est a priori plus facile) 20 % et que la variation intra individuelle (on demande à un radiologue de relire des clichés qu'il a déjà interprétés) de 5 à 10 %
  9. L'interprétation erronée d'une mammographie dans le cas d'un faux positif (cf. le point 5) conduit les femmes à être "rappelées" (pour biopsie) : le taux de rappel peut varier, chez les "meilleurs" radiologues, de 2 à 3 % et atteindre 20 % chez les autres ! Certains estiment que le taux "idéal" de rappel serait de 4 à 5 % alors qu'il est de 10 à 11 % en pratique : sur 2000 femmes invitées à la mammographie pendant dix ans 200 feront face à un faux positif ! Anecdotiquement (mais pas tant que cela) le taux de rappel augmente quand le radiologue a déjà eu un procès.
  10. Quant à la lecture (i.e. l'interprétation) des biopsies elle laisse encore une fois rêveur : Un essai a montré que la lecture de 24 spécimens de cancers du sein par 6 anatomo-pathologistes différents a entraîné un désaccord pour 8 spécimens (33 %). Quand on connaît les conséquences d'une biopsie positive...
  11. La biopsie positive ne fait pas la différence entre ce qui n'évoluera jamais et ce qui évoluera de façon défavorable (sauf dans les rares cas de cancers indifférenciés) et c'est cette définition statique qui est source d'erreurs fatales... Et encore n'avons-nous pas encore parlé des fameux cancers canalaires in situ...
  12. Sans compter que nombre de cancers REGRESSENT spontanément comme cela a été montré dans la fameuse étude de Zahl de 2008 : une comparaison entre femmes dépistées et non dépistées montre que les femmes suivies régulièrement pendant 5 ans ont 22 % de cancers invasifs de plus que celles qui ne l'avaient pas été... Et encore les cancers canalaires in situ n'avaient-ils pas été pris en compte...
  13. L'exposition des seins aux rayons X n'est pas anodine. L'historique de l'utilisation des rayons X en médecine laisse pantois (pp 331-382). Mais je choisis un exemple décapant : dans les familles à cancers du sein (mutation des gènes BRCA1 et BRCA2) une étude montre que le suivi mammographique depuis l'âge de 24 - 29 ans de ces femmes à risque entraînait 26 cas de cancers supplémentaires (radio induits) pour 100 000 ; ce chiffre n'était plus (!) que de 20 / 100 000 et de 13 / 100 000 si le dépistage était commencé respectivement entre 30 et 34 ans et entre 35 et 39 ans !
  14. Il n'y a pas de sein standard pour les doses de rayon administrés par examen ! Ou plutôt si, cette dose a été définie ainsi : pour un sein constitué à parts égales de tissu glandulaire et de tissu graisseux et pour une épaisseur comprimée (sic) de 4,2 cm. Je laisse aux femmes le soin de vérifier...
  15. Terminons enfin, à trop vouloir prouver on finit par lasser, même si nous n'avons pas rapporté la question des biopsies disséminatrices de cellules et de l'écrasement des seins lors des mammographies répétées, sur le problème des carcinomes in situ qui "n'existaient pas auparavant" et qui sont devenus les vedettes de la mammographie de dépistage (environ 50 % des cancers diagnostiqués). Une enquête rétrospective a montré que sur tous les carcinomes in situ manqués seuls 11 % étaient devenus de véritables cancers du sein alors que la règle actuelle est de proposer mastectomie ou tumorectomie + radiothérapie... Sans compter les erreurs diagnostiques : un anatomo-pathologiste américain a revu entre 2007 et 2008 597 spécimens de cancers du sein et fut en désaccord avec la première interprétation pour 147 d'entre eux dont 27 diagnostics de carcinome in situ.
Je m'arrête là pour que vous ayez encore envie de lire ce livre qui aborde tellement d'autres sujets passionnants dont, surtout, les mensonges avérés de l'INCa pour promouvoir le dépistage. Mais surtout ce livre est agréable à lire, aborde nombre de sujets divertissants et désolants... Lisez.

Répondons enfin aux interrogations du début.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ? Réponse : Non. Il ne faut pas confondre dépistage et prévention (par exemple la suppression du Traitement Hormonal de la Ménopause est un geste de prévention du cancer du sein...)
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ? Réponse : 15 % selon Gotzsche et Nielsen, ce qui correspond à une vie sauvée pour 2000 femmes examinées pendant 10 ans. Mais surtout : pas d'effet sur la mortalité globale ! Il n'est pas prouvé que les femmes qui suivent le dépistage vivent plus longtemps que celles qui ne le suivent pas.
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ? Réponse : 0,5.
Il ne vous reste plus qu'à lire le livre de Rachel Campergue pour connaître l'origine de ces chiffres, pour apprendre quelle a été l'histoire des pionniers du doute et pourquoi l'INCa ment.

Bonne lecture.