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samedi 10 septembre 2011

Dé-prescrire chez les personnes âgées !


Dé-prescrire chez les personnes âgées sera probablement l'un des objectifs majeurs de ces prochaines années.
Mais pourquoi vous en parler aujourd'hui ?
Une mouche m'aurait-elle piqué ?
S'agit-il d'une révélation ?
Je préfère répondre : pourquoi ne pas commencer dès aujourd'hui ?

Certains médecins vertueux, que nous louons ici, pourraient nous dire en ricanant qu'il eût mieux valu commencer par ne pas prescrire à tort et à travers et depuis des années avant de lancer des initiatives aussi triviales que celles de réfléchir aux rapports bénéfices / risques des médicaments chez les personnes âgées, et de se poser en médecin vertueux, d'autant plus vertueux qu'on aurait vécu dans le péché auparavant...
Nous n'ignorons pas non plus dans quel environnement nous vivons : un système diagnostique et prescriptif qui combine à la fois la prescription symptomatique (un symptôme, un médicament), la prescription probabiliste (une escroquerie que l'on nous a fait avaler avec enthousiasme depuis des années, et je ne donnerai qu'un seul exemple, celui de l'antibiothérapie probabiliste à la française qui a fait des médecins français les plus gros prescripteurs d'Europe et des germes français les plus résistants de la même zone, au grand profit de la fréquentation des cabinets médicaux et des ventes de Big Pharma) et la prescription préventive instaurée en loi d'airain des bonnes pratiques.
Mais il faut bien qu'un jour ou l'autre les récriminations et les mauvaises pratiques cessent, malgré le système, nous n'entrerons pas ici dans les débats impossibles entre système et individu, qui fait qui et qui fait quoi, l'oeuf ou la poule, et nous prendrons également en compte le fait que les prescriptions superfétatoires, c'est toujours celles des autres, et que les médecins ont toujours de bonnes raisons de justifier les leurs...

Les raisons de dé-prescrire sont doubles : d'abord diminuer la iatrogénie, ensuite peser le bénéfice, ne parlons même pas du risque, de traiter des maladies chroniques chez les personnes âgées et très âgées.

Ce sujet m'a été suggéré par la lecture de deux articles (ben oui la lumière atteint même les ignorants)...
Cela ne veut pas dire que je n'attachais pas, jusqu'à là, d'importance au nombre de lignes de mes ordonnances, mais il faut bien un déclic.
Avouons aussi que le premier stimulus a été la lecture d'une étude cas-contrôle sur l'arrêt de l'aspirine prise à faible dose (75 - 300 mg) chez des Britanniques ayant des antécédents d'événements cardiovasculaires et dans le contexte de la médecine générale : ICI. L'étude disait, en substance, que l'arrêt de l'aspirine chez des personnes ayant des antécédents d'événements cardiovasculaires, entraînait, dans un délai moyen de 3,2 années, une augmentation du risque d'infarctus du myocarde non fatals par rapport à ceux qui n'arrêtaient pas. Je voulais en faire un post mais je ne savais pas trop comment l'aborder : comme une expression ultime du disease mongering (on commence par prescrire des médicaments inutiles et on continue en affirmant que les arrêter sera dangereux) ou comme un avertissement scientifiquement fondé... En tous les cas comme un coup d'arrêt à la dé-prescription. D'ici qu'une étude "montre" que l'arrêt des statines conduit à des événements coronariens fatals dans les 2,5 ans suivants...

Voici les deux articles si vous souhaitez les lire au lieu de subir ma prose réductrice :
Celui de Pierre Biron qui est paru sur le site de Pharmacritique (ICI) et qui permet de lire en lien son Dictionnaire Médicopharmaceutique fort roboratif : LA.
Celui de Ray Moynihan qui est paru sur le site du BMJ : LA.

Pour les paresseux ou pour les non abonnés au BMJ, voici ce que racontent les deux articles.

Pierre Biron (pharmacologue montréalais en retraite dont je n'ai pas trouvé la déclaration de liens d'intérêt sur le net) argumente contre la pharmaco-prévention dans les unités de soin de longue durée qu'il considère comme de l'acharnement. Il distingue la médecine symptomatique (i.e. les prescriptions aiguës) et la médecine préventive. Il donne les exemples suivants :
  1. Les statines : deux soucis : l'efficacité en prévention primaire est douteuse chez des femmes jeunes et a fortiori âgées ; que peut-on en attendre chez des patients très âgés, impotents, inconscients, déments ou dont l'espérance de vie est fortement compromise par des polypathologies ? Une étude menée chez les Veterans (LA) montre que 52 % des patients qui sont morts dans de telles unités recevaient des statines dans les 6 derniers mois de leur vie !
  2. L'aspirine en prévention primaire est assez peu efficace, c'est le moins que l'on puisse dire, même chez les patients diabétiques, contrairement aux recommandations de feu CAPI. La Société Canadienne de Cardiologie la déconseille, même chez les diabétiques : LA. Chez des personnes âgées et très âgées le risque hémorragique n'est pas négligeable non plus.
  3. Les bisphosphonates : guère de place en prévention primaire des fractures ; ne pas dépasser cinq ans d'utilisation ; arrêter de faire des ostéodensitométries inutiles.
  4. Le calcium : aucun intérêt.
  5. Les anti-hypertenseurs : pas de place pour les traitements intensifs des hypertensions bénignes ; pas de place pour un régime sans sel ; pas d'objectifs trop bas chez le diabétique
  6. Les hypoglycémiants : ne pas se fixer d'objectifs trop ambitieux en termes d'HbA1C (mais ne pas hésiter de passer à l'insuline) ; se limiter aux antidiabétiques oraux qui ont eu le temps d'être génériqués ; limiter le nombre de glycémies capillaires au minimum chez les patients équilibrés (4 à 6 dosages par année).
  7. Les psychotropes : des enquêtes montrent que grosso modo 40 % des prescriptions de benzodiazépines et / ou de psychotropes sont injustifiées (enquête américaine) et que l'espérance de vie des déments sous antipsychotiques est diminuée de moitié et que deux tiers des prescriptions seraient injustifiées (étude britannique) ; il serait raisonnable d'écrire un article entier sur l'usage des psychotropes et sur leur rôle dans la non formation des médecins et des personnels et sur le caractère répressif (camisole chimique) de ces prescriptions ; n'oublions pas non plus (docteurdu16) la structure "hôtelière" souvent peu adaptée de ces structures (en fréquentant pour des raisons familiales différents établissements j'ai pu me rendre compte de l'effroi que représentait l'arrivée du soir et de la nuit -- notamment quand les repas sont donnés à 18 heures trente -- pour les hospitalisés et combien la présence d'une gouvernante venant de l'hôtellerie traditionnelle et donnant quelques conseils d'organisation pourrait très simplement améliorer des situations incroyables en termes stricts d'hôtellerie...)
  8. Les anticholinestérasiques : Pierre Biron insiste sur la non appropriation des traitements, sur la nécessité d'en limiter la durée de prescription et sur les pseudo indications qui les déclenchent et, surtout, sur l'aveuglement des soignants qui ne savent pas leur attribuer des effets secondaires pourtant déjà répertoriés : cardiovasculaires notamment (bradycardies) mais aussi fractures...
On le voit, il y a du boulot. Une (petite) étude israélo-néozélandaise (ICI) incluant 70 patients d'âge moyen 82,8 ans et suivis 19 mois montre même que l'arrêt de traitement était indiqué selon les auteurs pour 311 molécules chez 64 patients. A la suite de cet arrêt 2 % des traitements furent réintroduits en raison du retour de la symptomatologie initiale, dans 81 % des cas l'arrêt fut définitif (en tenant compte du refus des patients et des échecs). Globalement, les auteurs prétendent que 88 % des patients rapportèrent une amélioration globale de leur santé. Cette étude est bien entendu critiquable car elle est ouverte et qu'elle est sujette à la subjectivité des auteurs et à leur volontarisme. Mais admettons qu'elle nous éclaire fortement sur les excès de prescription en général.

C'est cette étude que Ray Moynihan met lui aussi en exergue après avoir relaté le cas de la mère de de Johanna Trimble qui raconte son histoire ICI sous forme d'un diaporama (et je vous conseille d'aller y faire un tour, c'est un peu trop démonstratif mais c'est quand même très démonstratif et pertinent). Ce qui est tout à fait étonnant, c'est l'enchaînement des faits : Madame Fervid Trimble, 86 ans, vit dans une résidence pour personnes âgées, fait un épisode de diarrhée associé à des vertiges et se retrouve dans un établissement de soins situé non loin de son domicile. Sa famille se rend compte d'une rapide détérioration de son état après admission avec l'apparition d'étranges nouveaux symptômes qui n'existaient pas auparavant. Après discussion avec le staff médical (docteurdu16 : dans le temps il y avait une pancarte au pied du lit où il était possible de consulter et les traitements et les soins d'un seul coup d'oeil, c'est désormais fini, il faut trouver quelqu'un pour renseigner la famille...) la famille se rend compte que Fervid prend de nouveaux traitements dont un antalgique et un antidépresseur et que les médecins pensent qu'elle est dépressive. La famille ne le pense pas : elle est persuadée que Fervid regrette simplement son ancienne vie, qu'elle se sent en prison à l'hôpital et qu'elle est, tout simplement, triste. Mais ce n'est pas fini : un psychiatre évoque le diagnostic d'Alzheimer et veut lui prescrire un anticholinestérasique. La famille refuse et demande des vacances pour les médicaments. Au bout de quelques jours Fervid va mieux.
Johanna Trimble indique qu'il faut toujours se demander, quand votre mère change, "Est-ce que votre mère prend des médicaments ?" Elle ajoute, mais elle n'a pas de preuves, que l'épidémie d'Alzheimer et de démences en général est peut être liée à la sur prescription de médicaments et de psychotropes en général. J'ajouterai que les antalgiques à effets centraux, opioïdes et autres morphiniques, doivent eux-aussi être suspectés a priori.

Conclusion : Ces deux expériences institutionnelles sont bien entendu une charge contre l'institutionnalisation mais il ne faut pas s'arrêter là. Les patients qui entrent dans un établissement de soins ont aussi des médicaments en trop, les gériatres nous le font assez remarquer (et ils n'ont souvent pas tort), c'est pourquoi il faut entrer dans l'ère de la Dé-Prescription en médecine générale. Il faut aussi que les médecins traitants ne se désinvestissent pas du devenir de leurs patients une fois sortis de leur domicile ou de leur foyer logement non médicalisé. Il faut les suivre malgré l'arrogance des hospitaliers, malgré l'arrogance des gériatres, malgré l'arrogance des psychologues, malgré l'arrogance des personnels à l'égard des médecins traitants, malgré le manque de temps des médecins traitants... Il faut aussi que les familles fassent le forcing et ne se laissent pas avoir par la surmédicalisation et la surmédication. Vaste programme.

Nous y reviendrons souvent.

PS du 15 novembre 2012 : Sept raisons de trop prescrire : ICI

(Bernard le Bouyer de Fontenelle - 1657 - 1757 - par Louis Galloche)

lundi 29 novembre 2010

LA VIEILLE DAME ET SA FILLE PRESSEE - HISTOIRES DE CONSULTATION : EPISODE 54

Pierre Soulages (1919 - )

Je connais Madame A, 90 ans, depuis une dizaine d'années. Elle vit seule dans un grand deux pièces situé dans un immeuble bourgeois du centre ville. Elle a eu de nombreux problèmes de santé, nous les reverrons, mais elle souffre beaucoup de la solitude : une de ses filles habite Lyon, et son fils est dans le sud (je n'en sais pas plus). Elle a, depuis environ quatre ans, beaucoup de mal à prendre le train toute seule et ses enfants, par euphémisme, sont peu empressés de venir la voir. Elle a déjà tenté l'expérience d'une quinzaine de jours en résidence pour personne âgée mais elle n'a pas aimé.
Sur le plan physique Madame A se déplace peu mais elle peut encore faire quelques courses légères et aller voir quelques unes de ses amis qui habitant comme elle en centre ville.
Elle ne vient jamais au cabinet (qui est situé à dix minutes en voiture) et je gère comme je peux cette patiente, charmante, qui me raconte souvent qu'elle aimerait bien aller rejoindre ses parents. Au ciel.
Ce lundi matin je me rends chez elle et la secrétaire me dit que sa fille (que je n'avais jamais vue) "y serait".
Onze heures quarante. Je suis agressé dès mon entrée dans l'appartement : "Comment avez-vous pu laisser maman dans un tel état ?" et autres amabilités du même ordre. Maman me fait un grand sourire dans le style "Excusez-la, elle ne sait pas ce qu'elle dit..." Je suis quand même un peu embêté : Madame A a des œdèmes importants des membres inférieurs et un orteil violet. Je l'ai vue la dernière fois il y a un mois.
Je l'examine sous le regard courroucé de sa fille.
Madame A est donc une polyartérielle, endartériectomisée à gauche (carotide interne) il y a quelques années, en fibrillation auriculaire depuis plusieurs années (sous kardegic), avec une fonction cardiaque "moyenne" et plusieurs poussées d'insuffisance cardiaque à son actif (elle est sous lasilix), une anémie de Biermer traitée, et, surtout, une insuffisance rénale majeure, que nous sommes convenus, la patiente, le cardiologue et ma pomme, de respecter contre l'avis du néphrologue qui a commencé à pousser des hauts cris et à vouloir la dialyser (il y a deux ans). Elle a refusé la dialyse pour plusieurs mauvaises raisons dont celle qu'elle était trop vieille et qu'une de ses amies était morte après qu'on lui eut commencé les fameuses séances de dialyse... (désolé pour Kyste, le néphrologue qui ne laisse rien passer...)
J'explique donc à Madame la fille de Madame A, celle qui habite Lyon, quel marché j'ai passé avec sa mère. "Oui, mais docteur, on ne peut la laisser comme cela... - J'en conviens, chère Madame, mais ce dont souffre le plus votre maman, c'est de la solitude. Ce dont elle souffre c'est à la fois d'avoir du mal à rester seule dans son appartement et de refuser d'aller dans une maison médicalisée, dont des raisons financières. - Mais j'ai un mari très égoïste qui ne s'entend pas avec sa belle-mère et je pourrais très bien la loger dans ma grande maison mais il refuse. Quoi qu'il en soit, pourriez-vous appeler ce numéro, c'est un cardiologue de la Salpétrière que l'on m'a indiqué, j'aimerais qu'elle soit hospitalisée là-bas..." Je fais des yeux ronds et lui demande, par bonté, de me donner le nom de ce fameux cardiologue, elle ne le connaît pas... "Vous voulez qu'elle soit hospitalisée à La Salpétrière ? - Oui, c'est près de chez mon fils. Mais... je ne suis même pas certain qu'il viendra la voir..." Elle commence sérieusement à m'orchidoclaster. J'interroge la patiente qui, effectivement, ne veut pas retourner à l'hôpital de Mantes où elle a été accueillie modérément agréablement les deux dernières fois où elle y est allée, et je m'exécute : courrier circonstancié (à domicile, c'est pas facile), bon de transport et salutations distinguées. "Et vous croyez, poursuit la Lyonnaise, que tout sera réglé aujourd'hui ? Parce que je dois prendre le train à 14 heures demain ?" Je la regarde avec mon air le plus désagréable, celui que je réserve aux grandes occasions, mais je ne m'étends pas, et je lui demande si elle ne se fout pas de ma tronche, si elle croit qu'en réservant quarante-huit heures à sa mère de 90 ans malade avec un état de santé fragile, elle ne pourrait pas se montrer plus modeste, moins exigeante et, finalement, plus humaine... Je suis embêté car je sens que Madame A est d'accord avec moi et, d'ailleurs, elle ajoute timidement : "Tu pourrais remettre ton départ..." Mais il ne faut pas croire que Madame A est dominée par sa fille, qu'elle est diminuée intellectuellement, elle est au contraire, et avec beaucoup de finesse, gênée que je me rende compte par moi-même du terrible désintérêt que sa fille exprime à son égard, ce dont elle m'avait largement parlé.
Je dois dire que si la fille de Madame A n'avait pas été là, j'aurais souhaité l'adresser rapidement à l'hôpital, le teint de la patiente évoquant effectivement une insuffisance rénale terminale. Et cela n'aurait pas été de la tarte...
Vers 15 heures la secrétaire me passe la fille de Madame A qui me dit qu'elle part pour les urgences de Mantes car, à Paris, ce serait trop compliqué... Nouvel appel à 18 heures 30 (je suis sans secrétaire) de la dame qui me dit qu'il y a trois heures d'attente, "Est-ce que vous ne pourriez pas leur téléphoner pour accélérer ?"
J'aurais mieux fait de faire légumier.