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lundi 2 juillet 2012

Elle vient de prendre une claque de son copain. Histoire de consultation 123


(Mise en garde : Les textes en italiques peuvent ne pas être lus par les lecteurs qui considèrent que les médecins généralistes sont des bobologues, des ignares, des demeurés, des inaptes, des débiles, des incapables de lire une analyse statistique, des résistants aux recommandations, des inertes thérapeutiques et qui estiment que la consultation de médecine générale n'est qu'un prétexte à délivrer des arrêts de travail,  des médicaments placebo et des médicaments dangereux, qui peuvent être les mêmes, d'ailleurs ; nous demandons donc expressément à Bernard Kouchner, Emmanuel Chartier-Kastler, Michaël Peyromaure, François Bricaire, Serge Halimi et autres disciples des précédents et aussi d'Elena Pasca de ne pas lire ces lignes en italique ; quant à ceux qui pensent que la réflexion épistémologique, sociétale, anthropologique, historique, analytique ou anti ananlytique est absente des cabinets de consultation des médecins généralistes, ils peuvent aussi s'abstenir)

Mademoiselle A, 23 ans, est venue avec sa (jeune) grand-mère qui s'occupe de ses trois petites filles depuis des années avec un fatalisme qui force mon admiration. La mère des trois filles qui ont toutes le même père (au contraire des deux derniers enfants que je n'ai jamais vus) est aux abonnés absents depuis de nombreuses années pour des raisons si complexes qu'un lacanien bon teint en dénouerait l'écheveau en deux coups de cuillère à pot, non, je plaisante, trop difficile de comprendre comment une mère peut à ce point se désintéresser de ses premiers enfants, pour les autres je ne sais rien,  et la jeune femme pleurote devant moi avec un bel hématome de la joue gauche (le frappeur doit être droitier).
Je n'ai pas besoin de poser de questions, elle n'a pas besoin de me parler, les faits sont là, elle en a pris une bonne.
Ce n'est pas la première fois (mais je ne le savais pas bien que je sois le médecin traitant, on est bien peu de choses, elle n'avait surtout pas envie que je le sache, apprendrais-je plus tard). Elle est décidée cette fois à porter plainte.
(Je ne ferai pas de longs développements sur la rédaction des certificats de coups et blessures, sur la façon de les rédiger, sur la façon de décrire les lésions et sur la façon d'estimer l'ITT - Incapacité Temporaire Totale - et sur l'immense hypocrisie qui entoure leur rédaction, la façon dont les services de police les reçoivent, la façon dont les avocats les utilisent ou les contre utilisent et la façon dont les magistrats... car il me faudrait une dizaine de posts différents pour en venir à bout tant les implications et les aboutissants sont nombreux et n'ont que rarement de rapports avec la médecine ; question sociétale quand tu nous tiens).
La grand-mère la regarde en coin, elle a beaucoup de choses à dire qu'elle va finir par dire mais je ne n'ai pas besoin de les entendre pour en connaître la substance.
J'interroge quand même la jeune femme et j'écoute même ce qu'elle raconte (bien que chacun le sache, les médecins généralistes n'écoutent jamais), j'examine, je rédige, je décide d'une ITT en mon âme et conscience.
"Qu'est-ce que tu comptes faire ?" (Je tutoie la jeune femme parce que je la connais depuis son premier dtpolio et, contrairement à Françoise Dolto, dont je n'ai jamais été un fan pour des raisons qui demanderaient là aussi, de longs développements, une thèse en Sorbonne, pourquoi pas ?,  qui exigeait que l'on vouvoie les nourrissons, ce qui n'est pas si idiot que cela paraisse, je n'ai jamais vouvoyé  les enfants et je continue, sauf exceptions, de tutoyer les jeunes femmes ou les jeunes hommes que j'ai connus enfants et que je tutoyais à cette époque ; la médecine générale, vous l'imaginez, est un puits sans fond où la société au sens large déverse des signes, des croyances, des habitudes, des coutumes, des légendes, des inférences et de signes sociétaux qu'il est impossible pour un médecin généraliste, serait-il de bonne composition, de connaître, de recenser de manière exhaustive et a fortiori de comprendre tant les points de vue sont différents, pertinents et déroutants)
"Heu."
Elle est surprise. Elle regarde sa grand-mère assise à sa gauche, sa grand-mère qui est encore dans le non verbal mais qui va s'en mêler, ce n'est qu'une question de temps.
"Je veux dire, tu imagines comment l'avenir proche ? - Rien. Vous aller me faire un arrêt de travail ? - Oui, certes. Mais ce n'est pas la question. - C'est quoi la question ? - La question c'est ton copain..."
Elle baisse les yeux, les relève, me sourit sans conviction, elle n'est pas prête à me dire la vérité...
Silence.
Je la regarde et ses yeux charbonneux m'évitent.
La grand-mère a décidé que c'était son heure : "Docteur, dites-lui qu'il faut en finir avec son copain. Elle doit le quitter... Et puis, il y a le bébé..."
Ah oui, y a un bébé. Je n'avais pas oublié mais j'avais mis de côté. La jeune femme prenait la pilule, elle s'est retrouvée enceinte ("Je vous assure, je ne l'ai jamais oubliée..."), au début elle voulait garder, puis non, puis oui et, finalement elle a gardé. Le gamin a sept mois, il s'appelle B. Elle le fait suivre à la PMI (il aura donc droit à tous les vaccins de la terre et il en a déjà eu un paquet, à sept mois, je l'ai vu en consultation, dans les PMI il y a de moins en moins de monde et les rendez-vous ne peuvent pas toujours être assurés aux dates fixées par le CTV ou Comité Technique de Vaccination, les dates fixées en fonction des taux d'anticorps retrouvés dans les grandes études menées sur d'énormes populations de très peu de nourrissons, des dates politiques, pas scientifiques puisque, contre toute logique, elles ne sont pas les mêmes dans tous les pays de l'Union Européenne, je m'arrête, je m'égare, je voulais seulement dire ceci : la seule fois où j'ai vu ce bébé je lui ai fait un infanrix hexa car c'était le vaccin prescrit par la PMI et, donc, contrairement à mes principes, et puisque la vaccination contre l'hépatite B avait été commencée, pour ne pas inquiéter la jeune femme qui avait déjà de bonnes raisons de s'inquiéter, j'ai donc vacciné son bébé non sans lui avoir quand même dit que, moi, généralement, je ne vaccinais pas contre l'hépatite B, elle m'a demandé pourquoi et je lui ai dit que je préférais ne pas le faire en raison des risques de maladies auto immunes possibles comme la sclérose en plaque, par prudence, elle ne savait pas quoi me dire, j'avais comme un inconscient assené des faits qu'elle ne connaissait pas, des faits controversés par la communauté scientifique internationale, des faits qui pouvaient n'être qu'un avis d'expert, je suis le con des experts vaccinaux et elle est la conne de son médecin, son médecin qui balance au coin d'une phrase, et contrairement à tout ce qu'elle aurait pu entendre ici et là, que la vaccination contre l'hépatite B, notamment chez le nourrisson, n'était pas si inoffensive que cela, je me suis comporté en expert privé dans le huis clos de mon cabinet, sans que Robert Cohen puisse m'apporter la contradiction ou Daniel Floret en personne, du haut de sa compétence expertale reconnue par le gouvernement français, tiens, le gouvernement a changé et Daniel Floret est toujours là, fier comme un vaccin hexavalent bousté aux squalènes, non, ce n'est pas vrai, pas de squalènes dans l'infanrix hexa, ne faudrait-il pas faire quelque chose ?, et donc, je me répète, je reviens à ma consultation, j'ai joué au malin, au type qui sait tout avec une jeune femme qui prenait déjà des beignes dans la figure et qui ne m'en avait pas parlé par peur que je lui balance un avis d'expert que les jeunes femmes qui se font taper par leur, je ne sais comment dire, copain, compagnon, père de son enfant, petit ami, concubin, sont des ou des..., elle était inquiète tout d'un coup, inquiète non pas d'une hypothétique sclérose en plaque, je ne pouvais pas lui décliner l'étude Hernan, inquiète simplement que je ne "fasse" pas le vaccin à son bébé, pour le protéger...).
"Grand-mère... Laisse-moi tranquille, si je suis venue c'est pour avoir un certificat et porter plainte... - Oui mais tu devrais dire au docteurdu16..."
J'écoute donc ce que je sais déjà : la jeune A vit chez sa grand-mère avec son bébé et voit son copain le week-end. Et le dernier week-end, nous sommes lundi, elle a pris un pain dans la figure.
Pas méchant le pain : la pommette n'est pas fendue, l'os malaire n'est pas cassé, dans quelques jours il n'y paraîtra plus.
Je ne savais pas, en revanche, comme je vous l'ai dit, que ce n'était pas la première fois, mais j'apprends aussi de la grand-mère, que ce n'était pas la deuxième fois non plus, qu'avant la naissance du bébé il le faisait déjà.
"Alors..." je relance la conversation qui s'était un peu éteinte.
Elle baisse les yeux encore une fois. Je ne suis pas sur la bonne voie.
"Elle ne veut pas rompre" ajoute la grand-mère.
Nous en sommes arrivés au point crucial de la consultation de médecine générale.
(Il n'est pas possible d'entamer une relation psychothérapeutique avec cette jeune femme qui n'en fait d'ailleurs pas la demande. Pour des raisons de statut et de compétence. Pour des raisons de statut car la consultation de médecine générale ne peut devenir un lieu de psychothérapie de type analytique ou non alors que la personne que nous avons en face de nous est déjà une patiente somatique que nous avons touchée, examinée, et cetera. Pour des raisons de compétence car il me semble (et c'est un euphémisme) que cela mérite une formation pratique, quelle que soit la technique utilisée (mais la technique est aussi très importante d'un point de vue philosophique, idéologique, scientifique, pratique et autres, je pourrais développer), mais que cette formation pratique est impossible à moins que le médecin généraliste ne se spécialise... Je m'explique : les médecins généralistes ont besoin de formation pratique dans nombre de domaines que la Faculté de Médecine ne leur a pas enseignés, et qu'elle ne pouvait leur enseigner puisqu'elle n'en connaît ni l'alpha ni l'omega, et il n'est pas matériellement  et intellectuellement possible que les médecins généralistes puissent y arriver, il est donc nécessaire qu'ils se spécialisent et, en se spécialisant, on finit par voir des malades pour lesquels on s'est spécialisé et, ainsi, on finit par oublier que l'on était généraliste.)
Crucial, car il faut choisir.
Choisir en tentant de ne pas faire plus de mal que de bien et, en même temps, ne pas rater le moment de dire ce qu'il faut dire au bon moment, car le mal peut rapidement l'emporter sur le bien.
Crucial, car l'interventionnisme (c'est à dire l'arrogance médicale, pour simplifier, ou l'avis d'expert, ou l'avis de gourou) peut être aussi néfaste que le non interventionnisme (au nom du respect des valeurs et des préférences du patient et de la neutralité).
Que faut-il faire ? Bien malin celui qui pourrait donner un réponse unique qui pourrait convenir à tout le monde.
Sans compter la relativité des opinions qui peuvent être vraies ou fausses historiquement mais refléter à un moment le consensus (coucher les enfants sur le ventre) et être dangereuses et, dans le cas cité, être très dangereuses ; sans compter que le médecin peut en être à un stade de son développement personnel qui pourrait lui faire proférer des opinions qui ne vont pas dans le sens de l'histoire au moment donné et, surtout, être néfastes au patient qu'il a en face de lui ; sans compter qu'il pourrait arriver que la "bonne" opinion à fournir au patient est tout à fait contraire à la morale dite commune et à celle, accessoirement, du médecin ; on le voit, tous les cas de figure sont possibles.
"Je crois", finis-je par me décider, "qu'il faut que tu analyses la situation vis à vis de ce garçon. Je suis prêt à t'accorder que tu l'aimes, je suis prêt à comprendre que tu tiens à lui, mais je vais te dire ce que je répète depuis trente-deux ans que je suis médecin généraliste : quelqu'un qui t'a mis des coups comme cela, qui l'a fait plusieurs fois, ne te demande pas s'il t'aime, si tu l'aimes, s'il sera ou non un bon père, quitte le. Pars. Ne le laisse pas recommencer. Ne lui donne pas l'occasion de le refaire, de se montrer violent avec toi. S'il l'a fait une fois il le refera..."
La grand-mère me fait les yeux doux, ce qui ne me rend pas particulièrement content.
"Pour l'instant, je vais faire une pause" répond la jeune femme.
Mon boulot ne fait que continuer.