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vendredi 14 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : David Sackett. #21

David Sackett (1934 - 2015) est un génie. Je ne l'ai jamais vu "en vrai", je ne connais pas les ragots qu'on peut ou qu'on a pu faire courir sur sa personne, trompait-il sa femme ?, payait-il ses impôts ?, je m'en fiche. Comme tous les génies il ne s'est pas fait tout seul et il a beaucoup réfléchi, écrit en collaboration. Je n'ai jamais lu de livres de David Sackett, donc je ne parlerai pas de ses livres, des livres dont tout le monde, ceux qui les ont lus, disent qu'ils sont importants, fondamentaux même pour tout le monde anglo-saxon. En revanche, ses articles sont des perles. Je les ai de nombreuses fois relus, d'une part parce que son anglais est parfois énigmatique de clairvoyance et de concision ensuite, parce qu'à chaque détour de ligne il y a des allusions et des plaisanteries anglo-anglosaxonnes (donc pas toujours faciles à comprendre).


Voici l'article que j'ai choisi : Pourquoi les essais randomisés ont été le premier objectif de ma carrière. Voir LA.


Quand j'ai commencé ma carrière, j'ai ressenti 4 inquiétudes concernant la façon dont les cliniciens choisissaient les traitements qu'ils allaient administrer et comment ils jugeaient de leurs rapports bénéfices/risques. Ce qui m'a conforté dans l'idée qu'il fallait promouvoir toujours et toujours des essais contrôlés randomisés.

Première inquiétude : Les cliniciens préfèrent toujours administrer les nouveaux traitements aux malades dont le pronostic est le meilleur. C'est pourquoi il faut donner le traitement de façon aléatoire.

Deuxième inquiétude : Les patients les plus compliants au traitement ont le meilleur pronostic quel que soit le traitement (à condition toutefois qu'il ne soit pas toxique). C'est pourquoi le pourcentage des perdus de vue dans les essais cliniques sont très importants à considérer.

Troisième inquiétude : Les patients qui aiment leurs prescriptions rapportent de meilleurs résultats sans aucun rapport avec l'efficacité des traitements. D'où le double-aveugle.

Quatrième inquiétude : Les praticiens qui aiment leurs prescriptions rapportent faussement de bons résultats chez les patients qui les ont reçus. D'où une interprétation des données à l'aveugle.

40 ans après, je suis toujours aussi persuadé de l'intérêt des études contrôlées.




Sackett a surtout inventé l'Evidence Based Medicine qui a succédé à l'Eminence Based Medicine : voir ICI quelques explications.

Il a écrit de nombreux autres articles fameux, dont celui-ci (LA) : The arrogance of préventive medicine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.


En réalité ils étaient trois à avoir inventé l'EBM à l'Université McMaster, Hamilton, Ontario, Canada.

David Sackett, Brian Haynes et Gordon Guyatt



jeudi 13 juin 2013

Le questionnement de l'Evidence Based Medicine est le présent et l'avenir de la médecine générale.


L'Evidence Based Medicine est devenue la tarte à la crème de la médecine moderne, glorifiée par beaucoup (dont ceux qui ne la pratiquent pas), incomprise par la majorité (qui, par ignorance ou par paresse croit qu'il s'agit de la seule prise en compte des essais contrôlés dans la décision thérapeutique), dénigrée par la plupart qui n'en connaissent ni l'alpha ni l'omega (mais qui reçoivent la visite médicale et mangent à l'oeil dans des dîners ébats) et parfois pratiquée par eux sans le savoir, donc mal (sans réflexion sur leur pratique) et honnie par ceux qui y voient une intrusion insupportable des patients dans leur univers (ils ne connaissent des patients que leurs "agissements"). 

J'ai déjà abordé (et je me rends compte en me relisant que ma théorie et ma pratique ont évolué, ce qui, de mon point de vue est plutôt bon signe) le problème de la signification de l'EBM en me fondant sur les textes historiques (voir ICI), une signification difficile à cerner car les Anglo-Saxons ne sont d'accord entre eux ni sur le signifié ni sur le signifiant (en anglais) ce qui explique pourquoi sa traduction en français est approximative ou insatisfaisante (ICI, et LA), j'ai aussi abordé les contre-sens que l'on commet à son endroit (l'EBM confondue avec les essais contrôlés que l'on critique LA, l'EBM comme instrument de normatisation et de normalisation scientifique et économique de l'Art médical -sic), j'ai aussi parlé de ses contradicteurs et de ses ennemis (ICI ou LA).

Pour être positif je ne dirais pas ce que l'EBM n'est pas mais ce qu'elle est. Je ne reviendrai pas sur ses fondateurs, sur ses branches, sur ses interprétations diverses et variées mais je tenterais de proposer un modus operandi pour la médecine générale (les autres médecins se débrouilleront).

Peu importe donc que l'on traduise EBM par Médecine par les preuves (mais on saisit qu'il s'agit d'une  synecdoque qui ne rend pas compte de la multiplicité des facteurs), par Médecine fondée sur les faits (LA un article de wikipedia pour le moins "brouillon" et parfois véritablement erroné) ou par Médecine factuelle (dont le signifiant, pour le coup, n'est pas très sexy (ICI)), retenons-en les fondamentaux, les fondamentaux appliqués à la médecine générale, ou l'EBMG (en franglais).

***

La démarche EBM est un questionnement. Un patient consulte et expose des symptômes qui peuvent constituer une situation clinique simple ou complexe pour laquelle il demande une aide ou un avis.
La réponse au questionnement, c'est à dire la décision qui sera prise, sera située en théorie dans la zone d'intersection des trois points de vue de l'EBM que sont l'expérience externe (les données publiées - ou non - de la littérature scientifique si elles existent pondérées de leur niveau de preuves), l'expérience interne (l'expertise clinique individuelle - et collective - fondée sur la compétence et le jugement acquis grâce à la pratique et dont font certes partie l'écoute et la compassion mais aussi et surtout l'expérience interne de l'expérience externe) et l'expérience du patient (c'est à dire ce qu'il ressent, ce qu'il vit, ses conditions de vie en général et, avant tout, ses valeurs et préférences).

On comprend ainsi que le questionnement EBM est le contraire d'une procédure normalisée puisqu'il prend en compte des facteurs très différents émanant de points de vue divers et pertinents et il n'est pas possible et il est difficilement crédible de penser qu'à la sortie de l'entonnoir de la ou des consultations la réponse apportée soit univoque. C'est à la fois l'avantage (la personnalisation des réponses) et l'inconvénient (la subjectivité des interprétations) du ou des résultats de ce questionnement. C'est aussi une réponse adaptée à l'algoritmisation de la décision médicale qui permet, outre les contrôles par les autorités de tutelle publiques ou privées,  la délégation des tâches vers des non médecins qui sont les moins à même, non par nature mais par formation, de critiquer les décisions algoritmiques qu'on leur impose. Car la délégation des tâches, mais nous y reviendrons, c'est une façon de médicaliser la vie au delà des médecins, la délégation des tâches ne devrait s'entendre, à mon sens, que comme une prise en charge autonome de la maladie (et non seulement des traitements) de celui qui en souffre.

Le questionnement EBM exige, et c'est son inconvénient majeur, un travail considérable de la part du praticien qui doit, et nous parlons ici de la pratique de la médecine générale par un médecin généraliste (dont on sait que le champ est non bornable), être à jour de son expérience externe, améliorer son expérience interne et pratiquer une relation médecin malade pertinente.

J'insisterai beaucoup sur ce dernier point qui me paraît être une des pierres d'achoppement cruciale de la pratique de l'EBM : la relation médecin malade (ce que l'on appelle souvent l'entretien singulier d'un terme ancien remontant à l'écrivain médecin aujourd'hui oublié Georges Duhamel). En effet, la pratique moderne de la médecine de consultation est soumise, comme depuis la nuit des temps et quelles que soient les latitudes, à l'image construite anthropologiquement et socialement de ce que le patient vient chercher en consultation (et pour quelles raisons)  et du type de réponses que le médecin est censé lui apporter (et pour quelles raisons). Le glissement progressif (et seulement apparent) du paternalisme vers le consumérisme sous nos climats n'est pas expliqué seulement par ce qu'on appelle les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux car il s'est produit dans pays anglo-saxons bien avant leur émergence en raison de l'idéologie libérale liée aux théories de John Rawls dont l'importance est prédominante aux US et en GB. Le médecin généraliste et "son" patient (ou le patient et "son" médecin généraliste) n'ont jamais été seuls pendant la consultation en raison du poids de l'idéologie dominante dans chaque société mais ils sont désormais de plus en plus sous surveillance de l'administration (et de la mutuelle) qui remboursent, de l'administration qui exige, et du patient qui s'informe et qui a des Droits et des exigences. Le praticien pratiquant le questionnement EBM doit gérer l'arrogance médicale (l'asymétrie assumée de la relation) et le consumérisme (céder aux valeurs et préférences du patient pour des raisons "intéressées") tout en respectant sa propre éthique. Il est donc nécessaire qu'il dispose d'outils adaptés.

Les outils. Je vais en citer certains et vais en oublier d'autres mais, comme on le verra, il n'est pas possible de tous les utiliser... Le plus important est d'en évaluer les avantages et les limites et d'en changer au cours du temps.  Pour l'expérience externe : lecture de revues de synthèse critique comme La Revue Prescrire (ICI) et ses fameux et chers tests de lecture, la Collaboration Cochrane (en français LA, in English ICI), Minerva (ICI), disposer de correspondants généralistes ou spécialistes consultables et corvéables à merci (IRL ou par l'intermédiaire des forums de discussion médicaux ou de tweeter), lecture directe de publications dans des revues de référence comme British Medical Journal (LA) et la revue EBM - BMJ (ICI) (1) ou New England Journal of Medicine (ICI) et apprentissage de la lecture critique des articles médicaux, consultation épisodique du BEH (LA) ou d'autres revues française (par exemple LA) ou suisse (ICI), connaissance des Recommandations officielles en langue française (LA), participation à des forums médicaux généralistes, lecture de blogs médicaux, fréquentation de tweeter (je signale @Medskep pour les articles en anglais), connaissance de sites directement accessibles en consultation (onglets CRAT -ICI, ONCOLOR -LA, ANTIBIOCLIC -ICI, et cetera...), participation à des formations (FMC) au mieux non sponsorisées, savoir rechercher (en consultation) une information clinique sur le web généraliste, et cetera. Sans oublier l'environnement sociétal que l'on pourra qualifier de gouffre sans fond : citons Ivan Illich par exemple... Pour l'expérience interne : outre les outils que nous avons cités pour l'expérience externe, participation à un groupe de pairs, participation à un groupe Balint, maîtrise de stage, partage d'expériences avec les spécialistes d'organes hospitaliers et / ou libéraux, consultation partagée chez un collègue, apprentissage de gestes techniques chez un collègue, apprentissage de la recherche rapide sur internet, programmes d'amélioration des pratiques cliniques... Pour l'expérience du patient : connaissance des problèmes posés par la relation médecin patient, d'un point de vue analytique (transfert et contre-transfert) et cognitivo-comportemental pour éviter la sujétion et la dépendance et pour ne pas s'illusionner sur la prétendue impartialité et / ou neutralité du praticien (et du patient). Prise en compte des connaissances profanes du citoyen et du patient sur les maladies (voir ICI) qui permet d'agir en meilleure intelligence. Eviter les écueils des techniques modernes de programmation comme l'Education Thérapeutique ou l'Entretien Motivationnel (par exemple) qui sont le retour brutal du paternalisme dans des relations que l'on voudrait apaisées. Nous reviendrons sur cet aspect majeur de l'EBM en médecine générale, l'EBMG, quand nous traiterons dans des billets suivants de l'inquiétante irruption de l'e-patient mongering.

(Je n'ai pas parlé des liens d'intérêt qui pourraient perturber le bon fonctionnement de l'EBM en médecine générale comme le paiement à la performance, auquel je participe et dont je profite, qui est presque le contraire de la démarche individuelle de réponse donnée au questionnement EBM)

En conclusion.
Le questionnement EBM en médecine générale est une chance pour le médecin généraliste car il l'autorise à s'autonomiser par rapport à la connaissance académique qui ne connaît rien à sa pratique.
Le questionnement EBM en médecine générale est une chance pour la médecine générale car cela lui permet de constituer un corpus théorique autonome et collaboratif avec les médecines de spécialité.
Le questionnement EBM en médecine générale est une chance pour les médecine de spécialité car il leur permet de se confronter à de solides données concernant un malade pris dans sa globalité.
Enfin, le questionnement EBM en médecine générale est une chance pour le patient qui s'adresse à un médecin informé et qui a réfléchi à sa pratique et peut s'en inspirer pour constituer son propre corpus.

Notes :
(1) Merci à @Sous_la_blouse

(Illustration : Jean Pic de la Mirandole (1463 - 1494))



mardi 24 mai 2011

Grande victoire de l'EBM : à propos de la bronchiolite.


Le 29 avril dernier j'écris et je publie un post sur la bronchiolite avec un titre que je crois provocant "Que faire ? Rien." (ICI).
Quelques jours après, je reçois, à 14 heures un enfant de 9 mois qui a du mal à respirer, qui était fébrile la veille au soir et qui ne l'est plus en ce début d'après-midi.
Je l'examine et je conclus à une bronchiolite (malgré la période de l'année), premier épisode chez un enfant dont la fratrie est exempte de tels phénomènes et chez qui les ascendants ne présentent pas d'asthme. Je donne de bons conseils (hydratation, alimentation régulière, position de couchage, ne pas trop le manipuler) et je conseille des désinfections rhinopharyngées répétées et du doliprane à la demande.
Je suis content de moi (cela ne saurait étonner personne) car je me suis retrouvé devant un cas pratique peu après avoir fait des recherches de littérature pour écrire mon post, je suis dans le cas d'une expérience externe confrontée à une expérience interne (j'ai expliqué le 29 avril quels avaient pu être les modifications de mon attitude au cours de mes 32 années d'exercice) et la maman de l'enfant, attentive, sérieuse, et lisant occasionnellement mon blog, est une femme à qui on peut expliquer les choses (les doutes, j'essaie de ne pas les faire partager) et les raisons de ma façon de procéder.
Aujourd'hui, c'est à dire cinq jours après, je me rends à ma réunion de pairs, bien décidé à parler de cette histoire malgré le fait qu'il ne s'agisse pas de mon troisième malade (cela nous arrive quelque fois et personne ne s'en émeut). Nul n'étant prophète en son pays, aucun de mes pairs n'a lu mon post du 9 avril.
"J'ai reçu mardi dernier un enfant de 9 mois avec des difficultés respiratoires. En voyant et en entendant l'enfant on se rend compte qu'il a le nez bouché ; il avait de la fièvre le soir d'avant et il est apyrétique ce matin ; j'entends des sibilants dans les deux champs, la fréquence respiratoire est de 30 et il n'y a pas de tirage sternal. Je rassure la maman, je donne les conseils habituels, je ne fais pas d'ordonnance car elle a déjà du sérum physiologique à la maison ainsi que du doliprane sirop pédiatrique. Et basta. Le lendemain matin la maman a repris rendez-vous. Vers 21 heures, me dit-elle, le petit Z s'est mis à respirer plus mal. Toujours pas de fièvre. Au premier coup d'oeil je me rends compte que l'enfant n'est plus le même : il respire bruyamment, sa fréquence respiratoire est à 60, il y a un tirage sternal et elle a eu du mal à l'alimenter. Tout cela, pour moi, ce sont des arguments à le faire hospitaliser. Je rédige un courrier tapuscrit pour les urgences et je demande à la maman de m'appeler de là-bas pour me donner le résultat des courses. A onze heures, coup de fil de la maman : "Nous sortons des urgences ; Z va bien. Il a très bien réagi à la ventoline, ils ont conclu à une crise d'asthme, pas à une bronchiolite, et il a une ordonnance de ventoline et de célestène"" Mon commentaire devant mes pairs : "Il y a des moments où le diagnostic n'est pas possible au cabinet. Je n'ai pas encore reçu le courrier des urgences... Je suis quand même surpris de la posologie de la ventoline au baby haler : 6 pulvérisations 6 fois par jour pendant 2 jours puis 5, et cetera..."
Mes pairs : "Moi, dès le premier jour j'aurais fait de la ventoline et du célestène. Un autre : Pareil. Un autre : Oui, mais il faut faire une démonstration avant de les laisser partir. Un autre : La kiné, je la prescris systématiquement. Un autre : Oui, mais pas le premier jour, c'est sec. Suivent des discussions sur les posologies du célestène, sur le moment de la kinésithérapie... Tu as bien fait, avec une fréquence pareille de le faire hospitaliser... Un oxymètre, ça pourrait nous servir ?... Très bonne idée de faire appeler la mère des urgences... Tu as pu faire cela parce que la mère était cortiquée..."
Je passe les détails.
Je reviens à l'EBM : je me suis posé des questions en fonction de mon expérience externe (toute neuve, liée à la rédaction de mon post, c'est ce qui a pu fausser mon jugement), de mon expérience interne (faite de présupposés de 32 ans d'erreurs ou d'à peu près ou de vérités dissimulées derrière le paravent du bon sens) et de la maman cortiquée(le petit Z n'en pouvait mais).
Vivent les goupes de pairs, fussent-ils sauvages comme le nôtre !


lundi 7 mars 2011

MEDECINE PAR LES PREUVES RETROSPECTIVE : LE CAS DE L'INSUFFISANCE CARDIAQUE AIGUE

La saignée et le clystère

L'OAP (oedème aigu pulmonaire) n'est plus un sujet de médecine générale mais il l'a été. Lorsque je prenais des gardes en médecine générale, à la toute fin des années soixante-dix, il m'arrivait deux ou trois fois par mois d'avoir affaire avec un OAP. J'avais un patient qui commençait la saignée avant même que le médecin de garde n'arrive.
L'insuffisance cardiaque aiguë n'est plus non plus un sujet de médecine générale car nous faisons hospitaliser les patients ; du moins dans mon coin où mon cabinet est situé à cinq minutes en voiture de l'hôpital.
Pourquoi je vous dis cela ?
Pour deux raisons : la première parce que, sur le forum Prescrire (ICI), forum des abonnés de la Revue Prescrire, et je vous invite, si vous êtes abonnés, à vous y inscrire et à y aller faire un tour, Olivier Rozand se fera un plaisir de vous y accueillir, parce que, d'une part, c'est agréable pour les anciens forumistes de découvrir de nouveaux membres qui ne pensent pas comme vous et qui n'ont pas été formatés (j'en doute un peu) par le forum, et, d'autre part, c'est probablement agréable pour de nouveaux membres de découvrir de fortes personnalités à la tête parfois très dure qui racontent la même chose depuis des années... Où en étions-nous ? Ah oui, nous avions parlé de la saignée... la deuxième, parce que j'ai lu un commentaire de Richard Lehman (un blogger ou un blogueur qui publie sur le site du BMJ, ICI), sur un article du NEJM (LA) que je vais vous commenter.
Bon, tout le monde sait (enfin, c'est une façon de parler), que la prescription de furosemide intraveineux est le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë.
Personne dans la salle pour se lever et dire le contraire.
Eh bien, mes chers amis, il se trouve qu'avant cette étude parue, comme on dit, dans le prestigieux New England Journal of Medicine, il n'y avait pas de données randomisées concernant l'efficacité comparée du furosemide, en bolus, en perfusion continue, à faible et à haute dose.
Le "prestigieux" et prétendument indépendant (je me méfie avant de dire des trucs pareils) National Heart, Lung and Blood Institute l'a fait sur 308 patients !
Et les résultats sont les suivants :
Among patients with acute decompensated heart failure, there were no significant differences in patients' global assessment of symptoms or in the change in renal function when diuretic therapy was administered by bolus as compared with continuous infusion or at a high dose as compared with a low dose.
Pourquoi l'EBM alias la Médecine par les Preuves ou la Médecine Factuelle se décarcasse-t-elle à enfoncer des portes ouvertes ? Le NHLBI aurait mieux fait de ne rien faire et nous serions restés dans la glorieuse incertitude de la médecine et les tenants de l'EBM auraient chichité sur la façon de faire des empiriques et les empiriques se posant peu de questions auraient continué de faire comme ils avaient fait avant et ils auraient eu raison.
Voilà donc de l'EBM rétrospective.

Cela ne veut pas dire que je critique l'EBM. Mais, parfois, il faut rigoler un peu.
Pour plus de références sur l'EBM, c'est ICI.

PS (je rajoute cela plusieurs jours après car le sujet n'était pas aussi futile que cela) : Il ne faut quand même pas oublier que le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë par le furosémide est dramatiquement peu efficace : dans cet essai 42 % (130 / 308) des patients sont morts dans les 60 jours suivant leur hospitalisation ou leur passage aux urgences... Ne serait-il pas temps de développer et de tester d'autres traitements ?

jeudi 9 décembre 2010

LE MALADE QUI A CONSULTE INTERNET AVANT DE VENIR EN CONSULTATION : UN PLAISIR

Les chemins d'Internet

D'après le rapport Elizabeth Hubert (ici) une des causes des difficultés actuelles que rencontrent les médecins généralistes serait que les patients (malades ?) arrivent en consultation avec un diagnostic trouvé sur Internet. Si elle le dit, c'est qu'elle doit l'avoir entendu dans ses "consultations" qui, on l'espère, ont été nombreuses et variées avec mes collègues médecins généralistes.
Où est le problème ?
Nous, partisans convaincus mais non aveugles et dogmatiques (on l'espère) de la Médecine par les Preuves (en anglais) et de l'Evidence Based Medicine (en français) (voir ici), ne pouvons qu'être ravis d'avoir en face de nous des patients informés qui savent que c'est le carburateur qu'il faut changer et comment entretenir la batterie.
La médecine par les preuves, je le rappelle ici pour ceux, les plus nombreux, qui croient qu'elle consiste à fonder sa décision thérapeutique sur les résultats des dernières études cliniques contrôlées, est un questionnement : Que vais-je faire avec ce patient particulier en mettant en oeuvre mon expertise externe (le résultat des dernières études contrôlées ou l'Etat de l'Art), mon expertise interne (mon expérience personnelle) et les Valeurs et Préférences du patient qui est en face moi ?
Eh bien, j'ai en face de moi un patient "qui sait ce qu'il a", "qui sait ce qu'il faut faire", qui sait ce qu'il doit demander", et cetera.
Quelle chance !
C'est une chance expertale (ce mot m'arrache le clavier) pour le médecin généraliste car :
  1. Il peut exercer son Art en trouvant le "vrai" diagnostic ou en orientant vers le diagnostic le plus probable...
  2. Il peut rediriger le patient qui s'est trompé ou qui s'est fait abuser...
  3. Il peut, connaissant la littérature, rectifier une idée reçue, donner des conseils appropriés, proposer une stratégie...
  4. Il peut, connaissant la pathologie, donner des indications précises sur le devenir, les conséquences, les espoirs, les dangers et... rassurer
  5. Il peut, connaissant la valeur prédictive positive de tel ou tel examen, sa sensibilité / spécificité, conseiller au mieux le patient vers un geste diagnostique et indiquer le ou les endroits où il sera le mieux pratiqué, interprété et utilisé...
  6. Il peut prescrire en conseillant le médicament dont le rapport bénéfices / risques est le plus adapté, non seulement sur la foi du résultats des essais cliniques randomisés mais aussi en fonction de l'Etat de l'Art (qui n'est pas toujours randomisé), du profil du patient, de son environnement, de ses éventuels agissements, et du choix du patient entre deux molécules dont l'une, par exemple, serait plus efficace mais pourvoyeuse en théorie de plus d'effets indésirables ou d'inconvénients quant au suivi...
  7. Il peut "prescrire" un spécialiste non seulement en fonction de la compétence intellectuelle du dit spécialiste mais aussi de son plateau technique ou de son secteur d'activités (et de ses "dépassements" éventuels) ou de sa déontologie... et des retours d'information qu'il obtiendra... voire en raison de sa gentillesse...
  8. Il peut "prescrire" un paramédical en fonction de sa compétence particulière pour la pathologie ou pour le diagnostic, de sa disponibilité et de sa gentillesse...
  9. Il peut, surtout, remettre en bon ordre les croyances du patient ou pondérer les recommandations internetiennes des sites grand public sponsorisés... en lui fournissant des adresses de sites qui, sur un point ou sur un autre pourraient être pertinents...
  10. Il peut aussi remettre des documents aux patients, des documents qu'il a sélectionnés sur le Net ou ailleurs, des documents émanant de Prescrire, de la HAS (eh oui...) ou d'autres sites gouvernementaux ou non, grand public ou non... en fonction, bien entendu, du degré de compréhension prévisible de ses patients (une grande partie de ma clientèle est d'origine ouvrière et souvent analphabète)
  11. Il peut encore, et je suis assez adepte de cette façon de faire (il faut toujours prêcher pour sa paroisse, dire du bien de soi finit toujours par se répandre et on finit par oublier qui a commencé), REFORMULER. La reformulation peut être associée à la maïeutique ; elle consiste, au lieu de "balancer" un document à un patient en lui demandant de le lire chez lui, de lui en faire un résumé et de s'assurer de la compréhension de la reformulation...
J'ai dû oublier trente-six trucs mais je trouve que c'est déjà pas mal...
Cela suppose, bien entendu, d'être à jour de la littérature (et c'est loin d'être le cas pour moi), d'être à jour de sa propre pratique (raisonner sur le suivi de ses propres patients en les comparant à d'autres pratiques, d'où l'intérêt des groupes de pairs qui sont un révélateur parfois tragique de nos incompétences, d'où l'intérêt des forums médicaux sur Internet où l'on finit toujours par trouver le "spécialiste" de quelque chose qui, soit nous informe, soit nous renvoie dans les cordes, d'où l'intérêt de la lecture de revues en lesquelles on a confiance ou à propos desquelles il faut exercer un esprit critique encore plus aigu, d'où l'intérêt de se connecter avec les sociétés savantes de médecine générale -- qui ne sont pas florès-- pour être au courant des opinions et des courants de recherche, d'où l'intérêt de recherches personnelles sur Internet qui nous permettent non seulement de nous former mais aussi de savoir ce que les patients peuvent lire...) et de respecter les croyances (valeurs et préférences) de ses patients tout en connaissant leurs agissements.

Qui a dit que la médecine générale était pénible et inintéressante ?



Note : voici une réflexion d'un médecin généraliste (que je connais ni des lèvres ni des dents) parue dans le journal Le Monde de ce jour : ici.

jeudi 23 avril 2009

CRITIQUER LA MEDECINE PAR LES PREUVES / EBM : UN FONDS DE COMMERCE QUI RAPPORTE

Critiquer la Médecine par les preuves, alias l'Evidence Based Medicine, est une attitude intellectuelle qui rapporte de l'audience.
Dans un autre domaine que celui de la médecine, on appellerait cela du populisme.
Et pour faire plaisir à tout le monde il existe un populisme de gauche et un populisme de droite.
Nous avons analysé ici quels étaient les enjeux de l'Evidence Based Medicine.
Ces critiques, et je suis le premier à m'y associer, sont salutaires quand La Médecine par les Preuves est brandie comme un instrument infaillible de la nouvelle pratique de la médecine.
Mais ne nous y trompons pas, un certain nombre de ces critiques ne sont qu'une façon inélégante de se débarrasser de toute contrainte pratique et de donner l'occasion au médecin, dans le cadre de son colloque singulier, de faire ce qu'il veut "à la bonne franquette".
Je ne parlerai ici que des Médecins Généralistes (MG) dont on me dit que, par l'opération du Saint-Esprit, ils sont devenus des spécialistes, on ne critique bien que ce que l'on connaît, me réservant les critiques sur les spécialistes dans le cours du texte.
*
Critiquer l'EBM parce qu'elle serait une sorte de scientisme : danger.
Un certain nombre de MG, échaudés par le contenu de leur formation et par les relations qu'ils entretiennent avec les hospitaliers en général, assimilent l'EBM à la science délivrée verticalement par l'Olympe académique qui pourrait se résumer à ceci : Circulez, y a rien à voir !
Mais la meilleure façon de s'opposer à cet abus de pouvoir n'est pas de penser autrement au nom d'une spécificité généraliste qui ne se fonderait que sur la pratique mais d'entrer dans le domaine des professeurs (dont la scientificité est souvent à démontrer) pour leur dire combien ils se trompent ou combien ils ont raison !
Lire, lire et relire, s'informer, prendre les bonnes sources, voilà la méthode.
Discuter avec ses pairs dans le cadre des groupes de pairs pour pouvoir discuter avec les spécialistes dans le cadre des courriers ou dans les échanges professionnels.
Avoir peur de la science c'est avoir peur de soi-même, c'est avoir peur de ne pas être au niveau, c'est revenir en arrière au temps où les articles médicaux étaient non des 'Ce que les études disent' mais 'Ce que mon expérience dit'. Et refuser le dialogue avec les Académiques qui ne connaissent que leur pratique hospitalière !
Car, rappelons-le, l'EBM c'est trois parties, dont la Science, les études contrôlées pour simplifier, n'est que le Tiers-Etat.
Refuser l'étude des études contrôlées et les prendre pour l'EBM tout entière est un non sens et une façon de dévaloriser la pratique de la Médecine Générale !
C'est aussi ouvrir grande la porte aux études non contrôlées, ou contrôlées (au sens sponsorisées) par l'industrie et ne plus "croire" que ce que l'on lit dans le Quotidien du Médecin...
Bien entendu il est nécessaire d'avoir un oeil très critique sur ces études contrôlées tant pour leur indépendance, que pour leurs protocoles, leurs critères d'inclusion et de jugements et leurs implications pratiques.
Il faut aussi savoir que l'Etat de la Science signifie parfois des révisions déchirantes et que le changement des Recommandations ne signifie pas que les Recommandations précédentes étaient des faux mais qu'elles ont été modifiées grâce à l'apport de nouvelles données.
*
Mettre en avant la pratique individuelle de chaque Médecin Généraliste contre la Science et l'EBM : malin.
Valoriser la pratique individuelle de la Médecine Générale (contre la Science dite Académique) est également une façon adroite de se défausser et de donner bonne conscience au MG qui a décidé de ne pas s'encombrer de travaux annexes qui s'appelleraient s'informer, lire, discuter la Science (alias les études contrôlées) : il a déjà tant de travail !
Ce deuxième pilier de l'EBM, l'expérience personnelle, n'est pas une valeur en soi si elle n'est pas étayée par les deux autres piliers de l'EBM. Mais quoi de plus flatteur que de penser que la subjectivité est au centre de la démarche professionnelle ! Une subjectivité qui s'affranchirait de la science, des études sur sa propre activité, sur ses propres résultats, sur ses propres modus operandi au nom d'un Art inclassable, inanalysable échappant à toute épistémologie et, aussi, à toute influence externe.
Je n'y crois pas une seule seconde.
Tout l'intérêt de notre pratique de Médecin Généraliste est d'améliorer notre pratique en tenant compte des données des études cliniques contrôlées pour les adapter aux situations et aux patients / malades. Mais, pour ce faire, faut-il encore connaître les données de la Science et ne pas s'asseoir dessus.
Pour échapper à la Science il faut la connaître et, ensuite, éventuellement, s'asseoir dessus.
Mais l'autre étape indispensable est la connaissance institutionnelle et scientifique de la Médecine Générale. Nous ne saurions trop conseiller aux bougons et aux réfractaires de prendre en compte le travail énorme de la Société Française de Médecine Générale.
Car comment raisonner si l'on ne dispose pas d'un corpus ? Comment énoncer si l'on ne travaille pas à partir de données chiffrées ? Comment s'analyser si l'on ne dispose pas d'outils de comparaison ? Et dans la valorisation de la pratique individuelle il y a cet aspect scientifique de la publication de données de Médecine Générale pour éclairer les pratiques et leur donner un sens ou une opportunité.
Pourquoi n'y a-t-il pas beaucoup de publications contrôlées en Médecine Générale ? Nous reviendrons sur cette question une autre fois.
Car l'aboutissement de la mise en avant de l'expérience individuelle conduit aussi à l'Evaluation des Pratiques Professionnelles, ce à quoi une grande majorité de MG ne semble pas prête.
*
Refuser les Valeurs et les Préférences des patients en refusant l'EBM : subtil !
Un des motifs cachés du refus de l'EBM au nom du subjectivisme individuel des médecins, c'est probablement refuser que les patients / malades prennent part au processus décisionnel. Car cette participation a un côté inquiétant pour le MG de base qui pense que le patient / malade doit avant tout obéir aux décisions du Grand Spécialiste en Médecine Générale. Nous sommes les héritiers d'une médecine paternaliste où le médecin prend la décision à la place du malade, au nom du malade parce qu'il y en a un qui sait et un autre qui ne sait pas. Et si le MG, déjà dévalorisé par les institutions académiques, se voit contrarier par le malade, où va-ton ?
Je ne disconviens pas sur le fait que la parole du patient / malade peut être équivoque et que l'accès aux informations sur Internet peut conduire à des interprétations délirantes et non conformes aux données de la Science ou, comme ondit, à l'Etat de l'ART. Mais si le MG est au courant de l'Etat de l'Art, quel plaisir que de dialoguer et d'informer un patient qui pose des questions sur lui-même ?

En résumé : critiquer la Médecine par les Preuves / EBM est une nécessité absolue de la part du MG. Mais cette critique doit être fondée sur une connaissance parfaite des Données de la Science, l'acceptation d'une évaluation personnelle qui ne soit pas seulement une autoévaluation et la prise en compte des Valeurs et Préférences du patient. Vaste programme. Mais méfions-nous des démagogues de tout poil qui, au nom d'une attitude pragmatique, veulent jeter le bébé avec l'eau du bain !






jeudi 5 mars 2009

OTITE MOYENNE AIGUE ET MASTOÏDITE : L'AVEUGLEMENT ANTIBIOTIQUE

Une étude britannique publiée récemment (1) se pose cette question : est-ce que la stratégie regarder-et-attendre dans l'Otite Moyenne Aiguë (OMA) a entraîné une augmentation du nombre des mastoïdites ?
La réponse est non !
Les auteurs ont travaillé sur une base de données britannique en médecine générale regroupant 2,5 millions d'enfants (âge compris entre trois mois et 15 ans) et ont compté les diagnostics d'OMA et de mastoïdites de 1990 à 2006.
  1. Sur les 854 diagnostics de mastoïdite seuls 36 % des enfants avaient eu un diagnostic d'OMA dans les trois mois précédents.
  2. Pendant les 16 ans de suivi l'incidence de la mastoïdite est restée stable (moyenne : 1,2 pour 10 000 enfants-année) alors que celle des OMA diagnostiquées a baissé de 34 % et la proportion d'enfants traités par antibiotiques a baissé de 77 à 58 %.
  3. Le risque de développer une mastoïdite était de 53 % inférieur chez les enfants ayant reçu des antibiotiques par rapport aux enfants n'en ayant pas reçu (1,8 vs 3,8 pour 10 000 épisodes)
  4. Cependant les auteurs indiquent qu'il faut traiter 4831 enfants ayant une OMA pour éviter une mastoïdite ; que la mastoïdite n'est plus aussi grave qu'auparavant ; et qu'il faut tenir compte de l'écologie globale : la résistance aux antibiotiques.

Quelques commentaires

  • Les mastoïdites sont rares. Les OMA sont moins fréquentes. Le nombre de patients à traiter pour éviter une complication est considérable (à comparer au 238 patients naïfs à traiter par statine pour éviter un événement cardio-vasulaire fatal ou non). Sans parler des résistances aux antibiotiques dont la France est la championne d'Europe avec une corrélation très forte entre résistance et prescription.
  • Les limitations de cet essai : les critères de diagnostic de l'OMA ont pu changer avec les années (dans un sens plus restrictif) ; les recommandations françaises font la différence entre enfants entre 3 et 24 mois et enfants plus âgés ; il n'a pas été fait de segmentation par âge.
  • Les préjugés ont la vie dure et les données de l'EBM connues depuis de très nombreuses années ont du mal à faire leur chemin. Quelques exemples :
  • On sait depuis un essai randomisé néerlandais (pays d'Europe où l'on prescrit le moins d'antibiotiques et notamment dans l'OMA) datant de 1981 (!!!) (2) et comparant en aveugle antibiothérapie seule, placebo seul, myringotomie + antibiotiques et myringotomie + placebo, qu'à trois mois il n'y avait aucune différence entre les groupes sur le critère audiogramme. Et pourtant la France était championne des paracentèses et de l'antibiothérapie systématique dans les OMA (ou prétendues OMA).
  • On sait, au moins depuis 2002 (et une étude française, publiée en anglais, mais on comprend pourquoi : ) (3), que l'amoclav ne prévenait pas les OMA en cas de prescription "préventive" dans les affections virales du haut appareil. Et pourtant nombre de médecins affirmaient (affirment toujours) que c'est parce que l'on prescrit des antibiotiques dans les rhinopharyngites qu'on voit moins d'OMA (et de mastoïdites).
  • On sait depuis la nuit des temps (les références me manquent, peut-être la Revue de Médecine de Byg Pharma...) que les gouttes auriculaires sont inutiles dans l'OMA (voire dangereuses) et pourtant elles continuent d'être commercialisées, prescrites et inutiles...

On peut gloser à l'infini sur la responsabilité de Byg Pharma mais on peut aussi s'interroger, indépendamment de considérations conflictuelles d'intérêts, sur les ORL français qui ont eu tant de mal à changer et sur les médecins généralistes qui ont continué (qui continuent pour certains) de croire à la bonne parole de ces champions de la paracentèse (fric) et de l'antibiothérapie (incompétence).

Les évidences (au sens français) ont souvent du mal à s'imposer et l'augmentation des résistances est un fait moins explicite que l'augmentation du nombre de cancers du sein après THS...

Références.

(1) Thompson PL et al. Effect of antibiotics for otitis media on mastoiditis in children: A retrospective cohort study using the United Kingdom General Practice Research Database. Pediatrics 2009 Feb; 123:424.
(2) van Buchem FL, Dunk JH, van’t Hof MA. Therapy of acute otitis media: myringotomy, antibiotics, or neither? A double-blind study in children. Lancet 1981; 2: 883-7.
(3) Autret-Leca E, Giraudeau B, Ployet MJ, Jonville-Béra AP. Amoxicillin/clavulanic acid is ineffective at preventing otitis media in children with presumed viral upper respiratory inf ection: a randomized, double-blind equivalence, placebocontrolledtrial. Br J Clin Pharmacol 2002; 54: 652-6

jeudi 18 décembre 2008

ARGUMENTAIRE POUR CRITIQUER LES ESSAIS CLINIQUES RANDOMISES

Pour ceux qui pensent que l'expertise externe de l'EBM n'est pas adaptée à la pratique médicale courante (i.e. la "vraie" médecine des "vrais" gens), voici quelques arguments à assener dans les dîners en ville entre collègues (sponsorisés ou non par l'industrie pharmaceutique) ou dans les FMC (sponsorisées ou non).
Les études cliniques randomisées (i.e. en double aveugle versus placebo ou en double aveugle versus molécule de référence) :
  1. sont le plus souvent sponsorisées par l'industrie.
  2. éliminent les patients atypiques (trop vieux, trop malades, avec trop de pathologies associées, avec trop de coprescriptions)
  3. ont un protocole trop favorable à la molécule qui doit montrer sa supériorité
  4. ont des critères d'efficacité peu convaincants (critères de substitution, critères intermédiaires, critères composites) ou visent plusieurs cibles à la fois (critères primaires et secondaires)
  5. ne prennent pas en compte dans leur protocole le nombre nécessaire de patients pour établir les effets indésirables rares
  6. sont de durée limitée
  7. ne sont pas supervisés par les vrais moniteurs
  8. ne sont pas analysés par des statisticiens indépendants
  9. sont écrits par des "nègres" le plus souvent salariés de la firme promoteure de l'essai
  10. ne sont pas adaptés à la médecine praticienne

Il est donc nécessaire, à la lecture d'un essai clinique (la majorité des médecins généralistes ne lisent pas les essais cliniques pour des raisons multiples qui sont : ne sont pas abonnés aux revues publiant des essais, ne lisent pas l'anglais médical, ne connaissent pas la littérature, sont ignorants des statistiques médicales, la faculté ne les a pas formés à cela, et cetera...), je reprends : à la lecture d'un commentaire d'essai clinique lu dans la grande presse (Le Figaro, Le Monde, Libération, Ouest France), dans la presse grand public médicale sponsorisée (le Quotidien du Médecin, Le généraliste, Impact médecin, ...) ou dans la presse internet sponsorisée (Egora, Esculape, Univadis, Doctissimo, ...), ou dans les revues plus "sérieuses" ( La Revue Prescrire, Médecine, ...) ou sur le site des Agences (HAS, INVS) de ne retenir que ce qui caresse dans le sens du poil, d'ignorer ce qui bouscule la pratique quotidienne ou de retenir les "avancées" et de n'en faire qu'à sa tête selon le bon principe du Chacun pour Soi (mes patients ne sont pas pareils, la vraie vie, ma clientèle, la concurrence, ...).

Mais la vraie vie, c'est aussi, à la lecture de Recommandations qui sont, en théorie, alimentées par les essais cliniques randomisés (et l'excès de recommandations nuit à la santé et au pouvoir décisionnel puisque tout est dans tout et réciproquement, et il faut aussi se méfier des sources des recommandations, ce qui facilite a priori le travail critique), de ne pas se les appliquer à soi-même, de penser que les experts sont des cons, des universitaires, des spécialistes d'organes, des secteurs 2), c'est les adapter à sa pratique personnelle selon le modus operandi suivant : c'est moi qui ai raison.

Mais c'est ici le moindre mal : car peu de gens lisent les Recommandations. Trop chiant, trop long, trop compliqué, trop éloigné de mon cabinet et de ses contraintes. Le mieux : ne pas lire les recommandations et les critiquer. C'est top ! Vous pouvez, pour ce faire, reprendre les dix points précédents.

Laissons l'EBM aux universitaires qui ne voient pas de "vrais" malades et les malades seront mieux gardés.

dimanche 30 novembre 2008

MEDICALEMENT CORRECT

Le politiquement correct est une notion d’un grand flou dans laquelle tout est dans tout et réciproquement, comme le disait le regretté Pierre Dac.

Tout le monde peut, un jour ou l’autre, être considéré comme politiquement correct, ce qui n’est pas un compliment, cela n'aura échappé à personne, mais un défaut. Comme tout le monde est possiblement le beauf ou le Jacky de quelqu’un.

Nous n’échappons pas, en médecine, à cette notion catégorisante qui renvoie les autres dans les cordes du conformisme et du suivisme.
Car le médicalement correct (MC), comme le politiquement correct n'est pas aussi flou que cela : il y a en effet le MC Quotidien du Médecin, le MC FMC sponsorisée, le MC visite médicale, le MC le-spécialiste-en-sait-plus-que-le-MG, le MC le-MG-est-plus-fort-que-le-spécialiste-d'organe, le MC Revue Prescrire, le MC de ddroite, du centre et de gauche, voire d'extrême-gauche.

Le dernier numéro spécial de La Revue Prescrire (n°298) nous place dans un autre domaine : la bien-pensance généralisée, c'est-à-dire la médecine citoyenne (y aurait-il une médecine noble, ci-devante, camarade ?), médicalement correcte de gauche, l’éthique absolue associée à la transparence dans le même métal.

Et nous avons droit, dans le plus pur style missionnaire, à des phrases dans le genre « C’est ajouter du mal à son mal que de considérer le soigné indigne de recevoir l’information qu’il sollicite… » (p 577) ou « Les soignants ne sont pas des êtres humains à part dotés de la fonction de guide moral. » (p 576) ou « La recherche biomédicale : l’intérêt des personnes d’abord. » (p 569). Mais laissons là ce florilège dont le chapeau est « S’appuyer sur des principes utiles aux patients. »

OK, on l'a compris : il faut être éthique.

Quel est l'aspect de l'EBM / Médecine par les Preuves qui est le plus dédaigné par le corps médical ? LES VALEURS ET LES PREFERENCES DU PATIENT. Bien entendu pas en paroles (tout le monde a la main sur le coeur quand il faut parler de la médecine faite pour les patients) mais en réflexion épistémologique et en travaux cliniques.

Surtout en France, encore plus qu’ailleurs (et ce n'est pas par autoflagellation que je dis cela mais par constat), mais aussi, rassurons-nous, dans la littérature internationale, car les travaux sur ce que veut et désire le patient (quelle vulgarité !), sont la dernière roue du carrosse de l'EBM.
Il y a donc, dans la hiérarchie qualitative et quantitative de l'EBM, d'abord et toujours les études cliniques randomisées, que tout le monde critique mais dont il est impossible de se passer, ce qui permet aux firmes de placer la barre des coûts le plus haut possible (tout en s'en plaignant) afin que le moins possible d'essais indépendants puissent voir le jour, puis, derrière, loin derrière, l'évaluation de l'expertise interne (dont les Agences Gouvernementales se sont emparées à la fois par désoeuvrement et pour faire plaisir aux Payeurs) et enfin LE PAUVRE PATIENT.

Qu'est-ce qui peut remettre le plus en cause l'autorité du médecin praticien ?

L'évaluation de son expertise interne et le non respect des Valeurs et Préférences du Patient.
La Revue Prescrire a choisi le point de vue éthique et politiquement correct. On l'a vu. Mais où sont les solutions scientifiques derrière les bonnes paroles ?

Où peut-on se nourrir pour s’informer du patient, l’informer, connaître les limites de ces méthodes, les juger, les interpréter et, finalement, prendre des décisions avec son accord (valeurs et préférences) à moins de s’en référer au bon sens (tant décrié et à juste titre par Balint) et à son expertise interne fondée sur ses propres valeurs, préférences et agissements ? On en revient, sous le couvert de l’éthique à une philosophie paternaliste agissant pour le compte, citoyen, de l’autorité de celui qui sait. LRP ne cite jamais la Qualité de Vie Liée à la Santé (Health Related Quality of Life), assez rarement les études QALY (Quality Adjusted Life Years) dont on peut discuter à l’infini de leurs valeur dans nos sociétés non anglo-saxonnes, et encore moins les procédures de tradeoff qui sont étrangères à la culture française.

On demande aux lecteurs de La Revue prescrire de développer leur sens critique mais où sont les armes ?
On conseille, certes, aux lecteurs de La revue Prescrire de « développer une pensée critique, c'est-à-dire de savoir effectuer des déductions correctes à partir d’informations factuelles… », à propos du Quotidien du Médecin (mais qui ne s’est pas fait avoir par une location de vacances ?) ou du Généraliste ou d’ Impact Médecin, mais ne devraient-ils pas, ces chers lecteurs, faire de même avec leur revue chérie dont il est dit parfois, sur des forums éminents, « Qu’elle a toujours raison ».

J’espère n’être ni politiquement ni médicalement correct, ce que les réactions que je glane ici et là confirment, mais, après tout, ce qui compte c’est de toujours se tromper pour toujours faire réagir et se faire traiter d’Ayatollah par un lecteur du Quotidien du médecin, par un lecteur de La Revue Prescrire, par un confrère spécialiste ou non ou par un syndicaliste médical, ou par une revue généraliste, ne peut que procurer un plaisir exquis.

mardi 25 novembre 2008

COMMENT EXPLIQUER L'EFFET PLACEBO AUX PATIENTS...


Voici un exemple tiré d’un article paru dans le BMJ (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct30_1/a2281) sous la plume de Nicholas A Christakis, professor of medical sociology, Harvard Medical School, and attending physician, Mt Auburn Hospital, Cambridge, Massachusetts

Dans l’étude ASCOT (Lancet 2003;361:1149-58, doi:10.1016/S0140-6736(03)12948-0) qui a réuni 10000 patients pendant une moyenne de 3,3 ans, il a été montré que 1,9 % des patients qui ont pris l’atorvastatine ont eu un accident cardiaque contre 3 % de ceux du groupe placebo.


Cette différence relative est importante mais nul doute que de nombreux patients n’auraient pas accepté le traitement si on leur avait dit que le placebo « marchait » au moins dans 97 % des cas.


Commentaire : de nombreux médecins continuent de prescrire des placebos dans des affections qui guérissent toutes seules (i.e. des antibiotiques dans une angine virale) en s’en félicitent. Le risque de se tromper est tellement faible…

jeudi 25 septembre 2008

EBM : LES INCERTITUDES, LES CRITIQUES ET LES RETICENCES

L’Evidence Based Medicine (EBM) : une idéologie ou une méthode ?


2) Les incertitudes, les critiques et les réticences
L’EBM, on l’a vu, c’est tenter de relever les défis de la formation continue, de l’intégration méthodique du nombre croissant des publications médicales, de l’évaluation des pratiques et de la communication avec le patient / malade.

L'EBM, c’est l’intégration à l’expertise clinique et aux valeurs du patient des meilleurs faits (ou preuves) issus de la recherche

C’est une aide à la compréhension, au diagnostic et à la décision.

C’est pourquoi s’opposer à l’EBM paraît curieux.
L' EBM, avec ses trois piliers (expertise interne, expertise externe et patient) requiert de la part du clinicien une grande exigence ce qui peut entraîner des inquiétudes chez ses tenants convaincus (pourrais-je jamais être au niveau de ces impératifs inatteignables ?) comme chez ses tenants de circonstance (comment me faire passer pour un bon ebéèmien ?) mais devrait encourager ses adversaires qui peuvent crier en montant sur la table « Vive l’EBM ! » et faire ce qu’ils veulent.
On comprend alors les inquiétudes des tenants de l’EBM mais moins de ses adversaires qui pourraient y voir une porte ouverte sur le "On fait comme d'habitude".
Tout médecin, confronté à une situation clinique et à un patient unique, devrait faire de l’EBM sans le savoir, voilà une phrase que les partisans de l’EBM n’aiment pas (car elle supprime l’exigence) et que ses détracteurs apprécient (parce qu’elle simplifie la tache).
Parce que la méthode EBM implique des contraintes. Les « scientifiques » se voient accuser de privilégier l’expertise externe (et surtout les essais contrôlés) et les artistes de privilégier l’expertise interne (l’intuition libre).

La difficulté fondamentale de l’EBM vient de ce qu’il existe une double relation asymétrique :

- entre l’expertise interne et l’expertise externe d’une part (il est toujours possible de soupçonner l’expertise externe « objective » de dominer a priori l’expertise interne « subjective » et surtout d’induire qu’il existe toujours des « preuves » applicables méconnues susceptibles d’infirmer l’expérience du praticien)

- et entre l’expert praticien et le patient / malade soigné potentiel (dont la seule expertise est sa demande, la façon dont il la vit et le contexte de ses valeurs et de ses préférences – sans compter ses agissements).

Mais le principal problème est : le médecin praticien doit arbitrer entre ces trois angles de vue afin de prendre une décision qui soit le plus en accord avec l’Etat de l’Art et celui de la société dans laquelle vit, pense et agit son patient. On le voit, la véritable asymétrie vient de ce que le praticien est juge et partie et peut se croire le maître du monde en se servant consciemment ou inconsciemment de la méthode EBM).
Dernier problème (et non des moindres) : s'il existe un consensus sur les deux premiers piliers, la partie patient / malade est extrêmement négligée par la littérature. Nous y reviendrons.
EN CONCLUSION : L'EBM définit un cadre théorique dans lequel le praticien se doit de s'intégrer pour pratiquer une médecine "moderne", c'est à dire informée et pratique. En quoi cela pourrait-il être gênant ou contraignant ? Chacun peut y voir une incitation à "mieux" diagnostiquer, prescrire, améliorer le contact avec ses malades.


jeudi 28 août 2008

EVIDENCE BASED MEDICINE : DEFINITIONS

L’Evidence Based Medicine (EBM) : une idéologie ou une méthode ?
1) Aujourd'hui nous allons aborder les modalités théoriques de l'EBM
2) La prochaine fois : les incertitudes, les critiques et les réticences
3) Enfin : EBM et médecine générale : ICI.


1) Les modalités théoriques



Comment traduire EBM en français : médecine par les preuves, médecine fondée sur la preuve, médecine basée sur des faits prouvés, médecine des preuves, médecine factuelle, et cetera. J’ai commencé à utiliser le terme Médecine par les Preuves mais cela me semble réducteur. Nous y reviendrons.


Comment la définir. Il existe bien entendu plusieurs définitions.

Il en est une que j’aime bien (et que j’ai adaptée) :
Intégrer l’expertise interne (l’expérience clinique du praticien) à l’expertise externe (les meilleures preuves disponibles et applicables issues de la recherche) pour mieux prendre soin d’un patient / malade qui a ses propres valeurs et préférences.
Il est possible, à ce moment, de dire qu'il s'agit plus d'une méthode que d'une idéologie.

Elle est aussi un apprentissage : Pratiquer l'EBM, selon ses promoteurs, c'est s'investir dans un processus d'apprentissage permanent centré sur la résolution de problèmes rencontrés dans notre activité clinique qui crée un besoin de repères fiables en matière de diagnostic, de pronostic, de traitement, ou d'autres domaines touchant à la santé des patients.
Ici on entre dans le plus discutable, le plus interprétable.
Elle peut devenir une idéologie si l'on considère que l'EBM se propose :

1) de transformer ces besoins d'information en questions claires auxquelles il est possible d'apporter une réponse ;
2) de rechercher, aussi efficacement que possible, les meilleurs arguments pour y répondre (qu'ils soient fournis par l'examen clinique, le diagnostic biologique, les données de la littérature ou par d'autres moyens) ;
3) d'évaluer ces arguments de manière critique aux plans de leur validité (degré de fiabilité) et de leur utilité (faisabilité pratique) ;
4) d'appliquer effectivement les conclusions dansnotre pratique ;
5) d'évaluer nos résultats ultérieurs.


Il s’agirait alors, pour l'EBM, de répondre aux défis de la formation continue, de
l’intégration méthodique du nombre croissant des publications médicales et de l’évaluation
des pratiques.
L'EBM ne serait-elle pas, alors, une nouvelle façon d'être la médecine ?

Je me suis inspiré, outre des articles de la littérature, d'une thèse de médecine de Savardhttp://www.techniques-psychotherapiques.org/documentation/ArticlesAccesLibre/DEASavard.pdf qui est consultable en ligne.

vendredi 8 août 2008

EVIDENCE BASED MEDICINE : LES FONDAMENTAUX

Chers amis,

Je vous propose la traduction d'un article "fondateur" de Sackett concernant l'EBM qui est certes une auberge espagnole mais dont il faut connaître les tenants et les aboutissants.
Certains passages peuvent paraître datés mais c'est parce que la référence est déjà ancienne (1996). Vous pouvez consulter l'original ICI.
Après avoir relu cela il est possible de parler d'EBM... Ce que nous ferons sur le plan théorique dans d'autres articles.

Docteurdu16


Editorial
Médecine par les preuves: ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas : Il s’agit d’intégrer l’expertise clinique individuelle aux meilleures preuves externes.

La médecine par les preuves, dont les origines philosophiques remontent au milieu du dix-neuvième siècle à Paris et encore plus tôt, reste un sujet chaud pour les cliniciens, les professionnels de la santé publique, les payeurs, les planificateurs et le public. Il existe actuellement de nombreuses séances de travail consacrées à sa pratique et à son enseignement ; des programmes d’entraînement pour étudiants (1) et non diplômés (2) l’intègrent (3) (ou pondèrent la façon de l’utiliser) ; des centres britanniques de médecine par les preuves ont été fondés ou plannifiés en médecine d’adulte, pédiatrie, chirurgie, pathologie, pharmacologie clinique, soins infirmiers, médecine générale et chirurgie dentaire ; la Collaboration Cochrane et le Centre britannique de York pour le recensement et la diffusion [ndt : NHS Centre for Reviews and Dissemination de l'Université d'York (Angleterre). Cette institution rassemble, évalue et diffuse en permanence des travaux scientifiques sur les mesures technologiques et organisationnelles du système de santé. Site : http://www.york.ac.uk/inst/crd/] fournissent des revues systématiques des effets des soins de santé ; de nouveaux journaux de médecine par les preuves vont être lancés ; et c’est devenu un sujet commun dans les media grands publics. Mais l’enthousiasme a été contrebalancé par des réactions négatives (4, 5, 6). La critique a tout dit : la médecine par les preuves pouvait être d’un côté une vieille barbe et à l’extrême une dangereuse innovation perpétrée par des arrogants pour aider les coupeurs de crédits et pour supprimer la liberté des cliniciens. Comme l’EBM continue d’évoluer et de s’adapter, il est maintenant utile de reconsidérer la discussion sur ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas.
La médecine par les preuves est l’usage consciencieux, explicite et judicieux des meilleures preuves existantes pour prendre des décisions concernant la prise en charge d’un patient. La pratique de la médecine par les preuves signifie intégrer l’expertise clinique personnelle aux meilleures preuves cliniques externes obtenues par recherche systématique. Par expertise clinique personnelle nous entendons la compétence et le jugement que chaque clinicien acquiert à travers son expérience et sa pratique clinique. Une amélioration de l’expertise se mesure de différentes manières mais essentiellement par plus de diagnostics effectifs et efficients et dans un meilleur usage raisonné et compassionnel des situations difficiles, des droits et des préférences des patients dans le choix clinique décisionnel les concernant. Par meilleures preuves cliniques externes disponibles nous entendons des recherches cliniques pertinentes, souvent issues des sciences médicales fondamentales, mais essentiellement à partir de recherches cliniques centrées sur le patient comme la pertinence et la précision de tests diagnostiques (incluant l’examen clinique), la puissance de marqueurs pronostiques et l’efficacité et la sécurité des thérapeutiques et des procédures de réhabilitation et de prévention. Les preuves cliniques externes invalident à la fois les tests diagnostiques et les traitements précédemment acceptés et les remplacent par de nouveaux qui sont plus robustes, plus appropriés, plus efficaces et sûrs.
Les bons médecins utilisent à la fois l’expertise clinique personnelle et les meilleures preuves externes disponibles et l’un sans l’autre est insuffisant. Sans expertise clinique la pratique risque d’être tyrannisée par la preuve, car même une preuve externe excellente peut être inapplicable ou inappropriée pour un patient donné. Sans les meilleures preuves existantes la pratique risque de devenir dépassée au détriment des patients.
La description de ce qu’est la médecine par les preuves aide à clarifier ce qu’elle n’est pas. La médecine par les preuves n’est ni vieille ni impossible à exercer. L’argument selon lequel « chacun l’exerce déjà » tombe derrière la réalité des variations importantes existant à la fois dans l’intégration des valeurs du patient dans notre conduite clinique (7) et dans les taux d’intervention des cliniciens à l’égard de leurs patients (8). Les difficultés que rencontrent les cliniciens à se tenir au courant des avancées médicales rapportées par les journaux de soins primaires sont évidentes quand on compare le temps requis pour lire (pour la médecine générale : 19 articles par jour, 365 jours par an (9)) avec le temps disponible (moins d’une heure par semaine pour les consultants britanniques, même dans un questionnaire déclaratif (10)).
L’argument selon lequel la médecine par les preuves peut seulement être conçue depuis des tours d’ivoire et des fauteuils est contredit par des expériences de soin clinique où déjà des équipes cliniques hospitalières en médecine générale (11), psychiatrie et chirurgie assurent des soins issus de la médecine par les preuves à une majorité de leurs patients. Ces études montrent que des cliniciens occupés qui consacrent leur rare temps de lecture à des recherches sélectives, efficaces, conduites par le patient, à l’évaluation et l’incorporation des meilleures preuves disponibles peuvent pratiquer la médecine par les preuves.
La médecine par les preuves n’est pas un livre de recettes médicales. Parce qu’elle nécessite une approche par le haut qui intègre les meilleures preuves cliniques externes avec l’expertise clinique individuelle et le choix des patients, elle ne peut conduire à une approche servile et automatique des soins de chaque patient. Les preuves cliniques externes peuvent informer mais ne jamais remplacer l’expertise clinique individuelle et c’est cette expertise qui décide si les preuves cliniques externes sont applicables à un patient particulier et, si c’est le cas, comment elles doivent être intégrées dans la décision clinique. De la même façon, toute recommandation externe doit être intégrée à l’expertise clinique individuelle pour décider si elle correspond à l’état clinique du patient, sa situation et ses préférences et, ainsi, si elle doit être appliquée. Les cliniciens qui craignent les recettes tombant d’en haut devraient retrouver les avocats de la médecine par les preuves en les accompagnant sur les barricades.
Certains craignent que la médecine par les preuves soit détournée par les payeurs et les décideurs pour couper les crédits de la santé. Cela ne serait pas seulement un mauvais usage de la médecine par les preuves mais suggérerait une méconnaissance fondamentale de ses conséquences financières. Les médecins pratiquant la médecine par les preuves identifieront et appliqueront les interventions les plus efficaces pour optimiser la qualité et la quantité de vie de chacun de leurs patients ; cela pourrait élever plus que diminuer le coût des soins.

La médecine par les preuves, ce n’est pas seulement les essais randomisés et les méta-analyses. Elle inclut la recherche des meilleures preuves externes avec lesquelles on peut répondre à nos interrogations cliniques. Pour déterminer la pertinence d’un test diagnostique nous devons trouver les études transversales appropriées incluant des patients suspects cliniquement de correspondre au problème recherché, pas un essai randomisé. Pour une question pronostique, nous avons besoin d’études appropriées de suivi de patients analysés à un moment commun et précoce de leur maladie. Et parfois les preuves dont nous avons besoin viendront des sciences fondamentales comme la génétique ou l’immunologie. C’est lorsque nous nous posons des questions sur les traitements que nous essaierons d’éviter les approches non expérimentales puisqu’elles conduisent fréquemment à de fausses conclusions concernant l’efficacité. Parce que les essais randomisés et principalement les revues systématiques de nombreux essais randomisés sont probablement plus informatifs et moins susceptibles de nous induire en erreur, ils sont devenus le « «gold standard » pour juger si un traitement fait plus de bien que de mal. Cependant, certaines questions relatives au traitement ne requièrent pas d’essais randomisés (succès pour différentes situations fatales) ou ne peuvent attendre que les essais soient conduits. Et si aucun essai randomisé n’a été mis en œuvre pour la situation de notre patient nous devons suivre la piste de la prochaine meilleure preuve externe et travailler pour elle.
En dépit de ses origines anciennes la médecine par les preuves est une discipline relativement jeune dont les impacts positifs commencent seulement à être validés (12, 13) et qui continuera à évoluer. Cette évolution sera améliorée car de nombreuses formations pour étudiants et médecins, et dans le cadre de la formation médicale continue, l’adoptent et l’adaptent pour les besoins de chacun. Ces programmes et leur évaluation fourniront de plus amples informations et une meilleure compréhension de ce que la médecine par les preuves est et n’est pas.

David L Sackett, William M C Rosenberg, J A Muir Gray, R Brian Haynes, W Scott Richardson
Professor NHS Research and Development Centre for Evidence Based Medicine, Oxford Radcliffe NHS Trust, Oxford OX3 9DU
Clinical tutor in medicine Nuffield Department of Clinical Medicine, University of Oxford, Oxford
Director of research and development Anglia and Oxford Regional Health Authority, Milton Keynes
Professor of medicine and clinical epidemiology McMaster University, Hamilton, Ontario Canada Clinical associate professor of medicine University of Rochester School of Medicine and Dentistry, Rochester, New York, USA
Références :
8)
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