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jeudi 26 janvier 2012

Zéro douleur. L'antalgie aux EU et le patient cancéreux. Histoire de consultation 112.


L'avant-dernier numéro du NEJM traite du soulagement de la douleur aux Etats-Unis d'Amérique (ICI). J'y apprends des choses étonnantes. D'après cet article 116 millions d'Américains souffrent de façon chronique (de quelques semaines à quelques années) sans compter les enfants, les adultes en institution, en prison ou à l'armée. Les dépenses sont assumées à 560 à 635 milliards de dollars par an, soit plus que toutes les dépenses consacrées au cancer, aux maladies cardiovasculaires et au diabète réunies ! Les auteurs, qui ne déclarent pas de conflits d'intérêt, appartiennent à l'IOM qui vient de publier un rapport sur la question (Institute of Medicine. Relieving pain in America: a blueprint for transforming prevention, care, education, and research. Washington, DC: The National Academies Press, 2011.) Et la conclusion de ces auteurs est que le problème de la douleur est négligé aux EU !
Je répète toujours la même chose : en médecine, les malades les moins graves sont le plus souvent traités par excès et de façon inadaptée (HTA, cholestérol) et les malades les plus à risques sont sur traités ou sous traités de façon inadéquate (dans la maladie asthmatique, c'en est caricatural).
Le propos des auteurs de l'article est ambigu : ils citent les extrêmes, les médecins qui négligent la douleur parce qu'ils ont peur d'utiliser des produits potentiellement addictogènes ou qui pourraient conduire à enfreindre la loi, et les médecins qui délivrent des opiacés larga manu... ; ils font le bla bla habituel sur la non éducation des étudiants, la non formation continue des médecins, la nécessaire éducation thérapeutique de la population ; mais aussi ils diffusent les 9 principes qui ont guidé le Comité dont ils sont les co présidents, les 9 bons principes, évidemment.
Je vous rappelle qu'Une Société Sans Douleur est devenue un des leitmotivs de la norme officielle sociétale. J'en ai déjà parlé LA et LA en parlant du paradigme d'un monde indolent et anhédonique. Personne ne doit plus souffrir. Depuis les foetus (avec une dissociation cognitive ou une division de la conscience sur la question de l'IVG) jusqu'aux mourants dans les Unités de Soins Palliatif. Je ne ferai pas de détour par Illich comme ICI qui soulignait la valeur anthropologique de la douleur et de la souffrance, et de la mort.
Et ainsi l'idéologie du bien être éternel en ce bas monde se complaît-elle avec celle de la médicalisation et de la marchandisation du corps humain qui va de pair avec les profits industriels. On note dans cet article "moral" que la cible privilégiée des débusqueurs de la douleur, ce sont les personnes âgées. Mon expérience interne est celle-ci : chez les personnes âgées le rapport bénéfices / risques des antalgiques est souvent rapidement négatif en raison des effets indésirables neuropsychiques (somnolence, désorientation, coprescriptions dangereuses) mais la pression de la famille est souvent très forte car la persistance des douleurs signe l'incompétence du médecin dans l'esprit des gens qui regardent les émissions sur la santé à la télévision... 
Je tire de cet article un effarement non forcé et, encore une fois, de la béatitude devant le triomphe des bons sentiments : la douleur peut être soulagée en utilisant les bons médicaments et les bonnes procédures (nursing, kinésithérapie, habitat, ...) prescrits ou pratiquées par de bons médecins et de bons professionnels de santé (ceux qui savent parler aux malades) qui ont été bien formés par de bons pédagogues, pour des malades éduqués et au courant et dans une société apaisée par l'éducation des masses...

Monsieur A, 79 ans, il s'agit de l'histoire de consultation 112, a un cancer métastasé qui le fait, finalement, peu souffrir jusqu'à présent mais en prenant des antalgiques désormais de palier 3. Je le vois hier chez lui et il est tout content de me dire qu'il a été reçu par son oncologue et par le spécialiste de la douleur (l'hôpital devient humain...). Dialogue : "Vous avez mal ? demande l'algologue - J'ai encore quelques douleurs mais c'est supportable. - Mais ce n'est pas bien, mon objectif est que vous n'ayez plus mal du tout !" 
Le patient me raconte qu'il a été surpris : il ne demandait rien de plus. Cela lui suffisait. 
Je pensais en moi-même que l'algologue ne serait pas là quand Monsieur A sera en fin de vie à domicile et que son médecin traitant ne pourra enlever de la tête du malade et de celles des membres de sa familles qu'il est possible de ne pas souffrir du tout...

jeudi 25 août 2011

Douleur Zéro : une politique sociétale qui rencontre des difficultés.


Une société sans violence, une société sans injustices, une société sans douleur et sans douleurs, sans spleen, une société paradisiaque, en quelque sorte, une société immortelle, également, où la mort est vécue non seulement comme une incongruité mais aussi comme un événement évitable, voilà ce que l'arrogance médicale intériorisée par l'arrogance politique propose à notre biotope.

Je vous avais déjà entrepris (ICI) de ce que j'avais appelé avec effroi le monde indolent et anhédonique qui était désormais l'ambition eschatologique de nos sociétés et, en relisant le post, pardon pour cette immodestie, je n'ai rien à ajouter.

Mais l'actualité des opiacés me rattrape.

Un commentaire paru dans le British Medical Journal (ICI), pose des questions.
Les auteurs soulignent que la prescription des opiacés dans d'autres indications que celles du cancer a progressé considérablement dans le monde et notamment aux Etats-Unis où, en ce pays, le nombre de décès associé à leurs prescriptions est passé de 4041 en 1999 à 14459 en 2009, ce qui représente quand même environ 1000 morts par mois (LA) ! Ce qui signifie que la mortalité rapportée aux opiacés est supérieure désormais à celle du myélome, du sida ou des affections hépatiques liées à l'alcoolisme ! Ces données états-uniennes sont retrouvées également en Ontario (Canada) et en Australie (Victoria) et concernent surtout l'oxycodone. Il est intéressant de noter que les décès liés à la méthadone et à la codéine ont doublé entre 2005 et 2009 en Angleterre et au Pays de Galles alors que la mortalité liée à l'héroïne et à la morphine n'a pas changé (ICI). Quant au docteur House vous verrez ici comment il avale acétaminophène - codéine (LA).

Ce commentaire, avant que nous ne l'analysions en détail et que nous ne le commentions, pose plusieurs questions :
  1. S'agit-il d'une nouvelle offensive de Big Pharma contre les vieilles molécules afin de promouvoir des antalgiques plus chers (voir ICI un post de Marc Girard) ?
  2. S'agit-il d'un vrai problème de santé publique lié à des effets indésirables graves, une dépendance forte conduisant à des surdosages ou un mésusage?
  3. Existe-t-il des éléments convaincants sur le rapport bénéfices risques favorable ou défavorable des opiacés ?
  4. Je rappelle ici que j'étais assez dubitatif sur les "vraies" raisons du retrait du dextropropoxyphène et je n'attends rien des futures données de pharmacovigilance concernant le tramadol et autres (bien qu'il faille noter qu'un essai anglais a montré que le retrait de la molécule sus citée avait entraîné moins de décès et pas plus d'effets indésirables liés aux molécules de substitution : LA).
Donc, voici ce que racontent les auteurs (canadiens) :
Outre ce que je vous ai raconté sur l'augmentation de la mortalité liée aux opiacés, ils essaient d'analyser les raisons de la diffusion large des opiacés aux douleurs non cancéreuses. Ils retracent l'histoire des opiacés en Amérique du Nord et le fait que leurs risques ont d'abord été négligés (sirops pour la toux de Bayer) puis que leurs prescriptions ont commencé à être encadrées, avancent des incitations marketing de la part de Big Pharma (classiques incitations : minoration des effets indésirables, extension des indications, possibilité de lutter contre des addictions plus graves...). Au point que les médecins qui s'interrogent sur l'utilisation large des opiacés et sur leurs éventuels effets indésirables (et y compris l'addiction) sont considérés avec mépris comme des opiophobiques (LA).

Ensuite, ils "font la littérature" et soulignent d'abord qu'aucun essai clinique randomisé n'a fait la preuve que les opiacés, au long cours, entraînaient plus de bénéfices que de risques : à partir d'une meta-analyse (ICI) ils rapportent que les études ont été généralement faites à court terme (moins de 16 semaines), qu'aucune étude n'a été menée versus paracétamol ou AINS, et, surtout, que les études ont exclu les patients à risque d'effets indésirables sérieux et qu'en conséquence il était difficile d'en tirer des conséquences claires pour la pratique quotidienne comme écrit dans un autre article (LA)... Puis ils citent une revue Cochrane de 2009 (LA) qui conclue à l'absence de preuves pour utiliser les opiacés dans le traitement des douleurs sévères liées à des troubles ostéoarticulaires !

Enfin, ils proposent des solutions.

En France, comme d'habitude, on ne sait rien. Circulez, y a rien à voir. Quant aux débats démocratiques, je ne parle pas des poussées d'urticaire sous forme de commentaires, ils n'en sont pas à l'esquisse de l'esquisse d'un commencement. Où publierait-on des débats contradictoires de type socratique avec un modérateur pour rappeler qu'il faut citer quand on affirme.
La sécurité sanitaire est une affaire trop importante pour la laisser au vulgum pecus.
On interdit les sirops chez les enfants de moins de deux ans avec autant de preuves qu'un article original dans le Quotidien du Médecin.
On interdit bientôt le noctran et la mépronizine pour des raisons qui tiennent d'une part à la détestation des autorités et des médecins bien pensants pour les hypnotiques et autres anxiolytiques (qui doivent être remplacés par le dialogue, l'entretien face face et les bonnes paroles moralisatrices) et d'autre part à une toxicomanie et à un mésusage connus depuis des lustres : combien de morts ? Il est clair que la consommation de produits sûrs comme le zolpidem et le zopiclone ne vont pas en être affectés.
On n'a pas interdit le mediator puis on l'a interdit sans que les pharmacovigilants puissent dire un mot mais il est vrai que leur mutisme original aurait paru plus assourdissant s'ils avaient parlé après : ce sont les mêmes.
On n'interdit pas le Pandemrix, produit de la recherche Daniel Floret...

Revenons à nos douleurs : il est nécessaire de réaffirmer que la vie peut rencontrer la douleur et que la douleur n'est pas toujours soluble dans la médecine.
La politique Douleur Zéro peut aussi conduire à des naufrages et à la négation de l'individu qui ne serait pas apte à vivre en souffrant, qui ne serait pas digne de vivre en souffrant et dont la seule issue à cette déchéance, la perte de l'autonomie et la vulnérabilité extrême, serait la mort rapide euthanasiée ou pas.

(Lucas Cranagh l'ancien - Adam et Eve : 1528. Crédit : repro.tableaux.com)