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mardi 23 juin 2015

Brigitte Dormont n'est-elle qu'une idiote utile ?


1984 : Emmanuel Goldstein

Sur France-Culture où, par parenthèse, le discours médical haut de gamme est « tenu » par le grand mandarinat (1), Brigitte Dormont a fait des déclarations stupéfiantes (ICI) sur le tiers payant annonçant que sa généralisation (voir LA ce que j'en pense) allait enterrer la médecine générale libérale, ce qui, selon elle, n'était pas une mauvaise chose, parce que cela permettrait aux payeurs de contrôler les prescripteurs et aux politiques de santé d'être appliquées.

Indignation.
Je me dis qu'il faut écrire un truc.
C'est trop !
Dormont vend la mèche allumée par Touraine.
Le Tiers Payant généralisé qui a permis au Parti Socialiste de refaire son unanimité lors du vote de la Loi santé n'était donc pas seulement une mesure de gauche (l'accès libre aux soins pour les défavorisés) mais aussi une mesure de gauche (détruire les méchants libéraux).
On tient la révélation de l'année.

Mais d'autres ont été plus rapides que moi.

Chritian Lehmann et coll. ont produit un articulet (LA), deux billets (ICI et LA) et une video (LA) à la mode UFML  ainsi qu'un peu plus tard un article de blog dans Mediapart (LA) pour nous dire :
  1. que Madame Dormont ne déclarait pas ses liens d'intérêt
  2. que l'économétrie pratiquée par Madame Dormont était une science lyssenkiste
  3. que les mutuelles et autres assurances complémentaires, qui arrosent l'Université Paris-Dauphine (où exerce Brigitte Dormont) sont de vilaines entreprises capitalistes qui recherchent le profit et qui vont manger toute crue l'assurance maladie (solidaire).
A la réflexion : les propos de Brigitte Dormont sont-ils scandaleux, blasphématoires, ou rendent-ils compte de l'évolution inéluctable d'un système de santé français unique au monde dans sa structuration et agité par les tendances lourdes de la mondialisation dont les stigmates les plus visibles sont la financiarisation de la Santé ?

Brigitte Dormont écrit beaucoup.
Je lis aussi un entretien de Brigitte Dormont dans Viva (ICI). Que dit-elle ? Est-elle aussi favorable que cela à la Loi santé de Marisol Touraine ?

  1. Notre sécu n'est pas aussi solidaire qu'on ne le pense
  2. La couverture sociale offerte par la Sécurité sociale aux patients qui ne sont pas en ALD est limitée à 59,7 %
  3. Les règles des complémentaires permettent une sélection des risques ... les primes sont plus élevées pour les personnes les plus malades et les plus âgées
  4. Le coût d'une complémentaire n'est pas proportionnel aux revenus et peut atteindre 8 à 10 % pour les ménages modestes (2,5 % pour les hauts revenus)
  5. L'accord national interprofessionnel (ANI) qui généralise la complémentaire santé au sein des entreprises va creuser les inégalités en transférant une couverture financée sur un mode solidaire par une couverture financée majoritairement par des primes indépendantes des revenus
  6. Il existe avec l'ANI un effet d'aubaine pour les mutuelles et une augmentation des primes pour les chômeurs, les vieux et les étudiants
  7. Il faut plafonner le reste à charge (hors dépassements d'honoraires)
  8. Il est nécessaire de définir un panier de soins pertinent en luttant contre les lobbies comme les laboratoires pharmaceutiques et les villes thermales : est-ce à l'Assurance maladie de faire une politique de l'emploi ?
  9. Le tiers payant généralisé ... met fin à la fiction d'un paiement direct du médecin par le patient.
J'ai résumé.
Peut-on vraiment dire, en lisant ces quelques lignes, que Brigitte Dormont soit favorable à la Loi santé de Marisol Touraine ?

Et ainsi, de la critique de Lehmann et coll., ne retient-on que leur polémique sur les liens d'intérêt de Brigitte Dormont et de ses piètres qualités scientifiques. Le reste, sur les mutuelles, a déjà été écrit par Lehmann C. (ICI par exemple) et il n'est pas certain que Brigitte Dormont ne puisse y souscrire.



Et je me suis dit que, finalement,  Brigitte Dormont avait fait œuvre d'idiote utile, mais pas seulement.

(Avant de continuer je précise quelques informations sur ma Déclaration Personnelle d'Intérêt (2)).


De quoi Brigitte Dormont est-elle le nom ?




Brigitte Dormont fait partie du main stream de la pensée économique et médicale française, ce qui renseigne, non pas tant sur la collusion des élites que sur notre avenir commun, à moins, bien entendu de croire à un complot mondial dont l'objectif final serait de ralentir l'accroissement continu de l'espérance de vie dans les pays développés et d'augmenter de façon considérable la mortalité infantile dans les pays bénis où n'existent ni le tout à l'égout ni les avancées des idées pasteuriennes.

Brigitte Dormont est accessoirement proche du Parti Socialiste (mais, on l'a vu, pas si proche que cela). Peu importe puisqu'elle est aussi proche du professeur Guy Vallancien connu pour ses idées "progressistes", i.e. sa croyance en un monde néo libéral où les robots remplaceront les médecins pour les actes techniques et où les médecins pourront devenir enfin humanistes (je n'ai pas dit transhumanistes) et, je cite Laurent Alexandre, "accompagner les malades en les tenant par la main", elle participe au CHAM, officine néolibérale sponsorisée par l'industrie où l'on côtoie Guy Vallancien et Didier Tabuteau (énarque socialiste), entre autres, officine dont vous verrez ICI le programme de la réunion annuelle 2015 et dont le conseil scientifique, excusez du peu, comprend, entre autres et hormis Brigitte Dormont, le scientifique Claude Evin (voir LA pour une biographie personnelle), le très politique Didier Tabuteau, la brillante Elisabeth Hubert, le transhumaniste Laurent Alexandre (et fondateur de Doctissimo), la brillantissime Denise Silber, papesse de la médecine 2.0 au service du fric, Claude Le Pen et Guillaume Sarkozy, et cetera, et cetera.
Vous savez sans doute ce que je pense également des think tanks proches du PS auxquels notre amie a collaboré comme Terra Nova et dont j'ai analysé la prose futuriste avec beaucoup de distance (LA).


Brigitte Dormont est une idiote utile.

Brigitte Dormont est bien notre idiote utile qui dévoile les intentions cachées de Marisol Touraine (pour ceux qui pensent que Marisol Touraine a une quelconque influence dans le domaine de la santé, lire LA).
Encore faudrait-il que Marisol Touraine eût des intentions cachées.
Marisol Touraine suit le mouvement. C'est tout. Le mouvement généralisé et mondialisé de la médecine dans les sociétés développées. Le mouvement que j'ai décrit cent fois et qui passe par les cases : augmentation inéluctable des dépenses de santé (une analyse de ses tenants et aboutissants serait passionnante puisqu'elle permettrait d'intéresser tous les acteurs de ce jeu de bonneteau sociétal), accès aux soins (dont les soins inutiles considérés comme des "droits"), corruption généralisée des agences gouvernementales de santé, corruption (passive et active) des médecins, droit à la santé (et négation du droit à l'hygiène), hédonisme généralisé, influence déterminante des corrupteurs (big pharma et big matériel pour la médecine proprement dite et big junk food et big tobacco et big alcoolo et big pesticido pour l'hygiène) dans l'appareil d'Etat, ce que j'appelle le lobby santéo-industriel, mise en avant des associations de patients qui, pour défendre leurs droits à être bien soignés, n'hésitent pas à accepter l'argent de big pharma, des mutuelles et à considérer que le consumérisme sauvera le monde, et cetera, et cetera.

Car Brigitte Dormont, dont je ne doute à aucun moment qu'elle ne réfléchisse pas au delà de l'économétrie, passe à côté du contexte général de la Santé dans les pays développés. Mais lui demande-t-on de réfléchir à la place des médecins sur les rôles comparés de la médecine et de l'hygiène dans l'allongement, pour l'instant inarrêtable, de l'espérance de vie ?

Brigitte Dormont est une idiote utile qui souligne que la médecine libérale à la française est une exception mondiale et... française (et je ne reviendrai pas sur ce qui l'a fondée : l'anti étatisme des médecins français). Mais, comme le disent les crétins franchouillards de chez franchouillards qui pensent que le fait d'être les seuls à faire quelque chose donne raison (voir Concorde et Minitel), attention, le ridicule ne tue pas, "la médecine française est la meilleure du monde".

Brigitte Dormont est une idiote utile qui a constaté qu'une grande majorité des doctorants en médecine, et notamment les IMG, souhaitaient travailler dans des maisons de santé pluridisciplinaires en tant que salariés. Pourquoi ne pas les décevoir ?



Et ainsi, Lehmann et coll. auraient dû, bien au contraire, remercier Brigitte Dormont de mettre les pieds dans le plat.

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que la société française est gangrénée par la corruption et que cela n'épargne surtout pas les médecins (Brigitte Dormont est décrite comme une femme de pouvoir qui profite de la haute fonction publique pour manger à tous les râteliers et, notamment, pour collaborer avec l'Etat, l'industrie et les mutuelles. N'engageons cependant pas un comparatif qui serait désastreux entre les niveaux de compétence et de corruption des experts économistes et ceux des experts médicaux. Nous aurions beaucoup à perdre, nous les professionnels de santé). Et le formindep n'est pas en reste en soulignant la corruption des institutions et des médecins par big pharma (ICI).


MEDICAL DOCTORS


La lecture de Lehmann et coll. est déterminante pour qui ne sait pas que les socialistes en théorie favorisent volontiers la fonction publique (n'oublions pas que les membres de la fonction publique seraient étonnés par un tel constat) en privilégiant l'hôpital (le "camembert" de leur article est classique mais toujours aussi pertinent) et en prônant le salariat pour la médecine générale (on me dit qu'une grande majorité des jeunes médecins et des jeunes doctorants en médecine générale seraient aux aussi favorables au salariat). A ce dernier propos, ajoutons ceci : les partisans du libéral (dont je suis en partie pour des raisons anti étatiques historiques) pensent que c'est parce que nous nous "tuons" à la tâche que les jeunes ne veulent plus faire de médecine générale et préfèrent le salariat mais des enquêtes chez les jeunes en général (les non médecins pour faire court) montrent que non seulement le salariat les attire mais plus encore la fonction publique...

La lecture de Lehmann et coll. est déterminante quand les auteurs se lancent dans la critique de l'économétrie à partir de formules absconces dont ils tirent la substantifique moelle et nous parlent de Lyssenko à propos de cette universitaire. Pas moins. Ils reprochent à Brigitte Dormont d'étudier les conditions socio-économiques des médecins comme une catégorie comme une autre de la population, de les mettre en comparaison et de s'interroger sur les raisons qui font qu'il y a plus de médecins dans le seizième arrondissement de Paris que dans le neuf-trois. Les études économétriques n'ont pas que des désavantages. Elles comparent. Comparaison n'est pas raison mais les médecins qui, d'un côté, ne veulent plus entendre parler de métier sacerdotal, revendiquent en même temps une légitimité différente (le soin étant différent de la construction de ponts, par exemple). Il est vrai que seuls les économistes mentent. Les médecins, tels des anges descendus du ciel, ne mentent pas sur des phénomènes majeurs de santé publique (sans se servir de formules également absconces) comme le dépistage du cancer du sein, le dépistage du cancer colo rectal ou le remboursement sans façon de nombres d'anti cancéreux hors de prix et inutiles.

La lecture de Lehmann C et coll. est passionnante quand les auteurs rapportent les propos qu'il trouve infâmants de Brigitte Dormont sur les femmes, leur façon de s'installer, leur façon de travailler, et cetera. "Les femmes, ces branleuses peu motivées qui travaillent trop peu", écrivent-ils. Je ne me lancerais pas dans une contre critique des propos prétendûment féministes des auteurs qui font preuve, en l'occurrence, d'idiots utiles en soulignant les charges de travail inhumaines de ces femmes médecins qui doivent gérer un cabinet médical libéral, faire la syndicaliste, faire l'épouse, faire la mère de famille alors que les mêmes hommes, parlons des générations précédentes pour ne froisser personne, avaient une femme secrétaire, une femme femme de ménage, une femme et cetera, et, objectivement, ont toujours un temps de travail ménager moins important que celui de leur femme/épouse/compagne quel que soit son statut. 



Ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., c'est la perspective mondialisée de la santé que j'ai vaguement évoquée dans le tourbillon des facteurs concourant à l'état de santé. Mais, prétendre, comme ils écrivent, que "Taper sur la médecine de ville, maillon faible... une spécialisté française", c'est méconnaître la situation de l'exercice de la médecine générale dans presque tous les pays développés, même ceux pour lesquels l'argent investi dans la médecine générale est en pourcentage plus important que celui alloué aux hôpitaux et aux spécialistes d'organes... La lecture de nos cousins britanniques les éclaireraient par exemple : voir LA. Et leur montreraient que, quel que soit le système de rémunération, quel que soit le mode d'enseignement, quel que soit l'accès direct aux spécialistes d'organes, la médecine générale n'attire plus.

Enfin, ce qui manque à l'article de Lehmann et coll., ce sont les perspectives.
Voici un billet de Richard Smith, ancien directeur du BMJ, qui sonne juste et qui devrait parler aux médecins français (ICI) sur les pleureuses.


Cessons de faire les pleureuses et questionnons.

Est-il possible de supprimer les mutuelles ?
Est-il possible de faire baisser les coûts de la santé ?
Est-il plausible de moins prescrire ?
Est-il possible de dissoudre les agences gouvernementales corrompues ?
Est-il possible de mener des véritables politiques de santé publique contre big junk food, big tobacco et big alcool ?
Est-il possible de supprimer la médecine à l'acte ?
Est-il possible de salarier tous les médecins ?
Est-il possible de revoir les programmes de dépistage ou du moins les auditer sérieusement ?
Est-il possible de former plus de médecins à la médecine générale ?
Ad libitum.


Notes :

(1) (sur France Inter le discours médical est lui « tenu » directement et sans aucun complexe par big pharma) et délivre un message convenu sur les progrès ininterrompus de la médecine (ce qui, par ricochet, devrait faire réfléchir à qui, sur les chaînes du service dit public, « tient » l’histoire, la philosophie, l’art, la littérature, la sociologie – encore que l’écoute de Caroline Broué (@cbroue) aux alentours de midi renseigne sur la main mise des Fassin boys, entre autres, sur l’entreprise éhontée de déconstruction du monde au nom de l’écrasement de l’idéologie des Lumières). L'émission Le téléphone sonne du mercredi 17 juin 2015 était un résumé éloquent de la main mise de la cancérologie sur les animaux malades.

(2) DPI :
  1. Je souscris à une mutuelle (AXA) qui me permet de déduire des frais professionnels
  2. Je ne suis pas un fanatique de la médecine libérale à la française
  3. Je suis pour une transformation du paiement à l'acte vers une médecine plus centrée sur des objectifs individuels/sociétaux mais la transition me paraît complexe
  4. Je ne suis pas opposé au Tiers Payant Généralisé (voir ICI) pour des raisons idéologiques mais parce que ce n'est pas au point techniquement
  5. J'ajoute que j'étais médecin référent et que nous avons connu les avantages/inconvénients de ce TPG
(3) Le programme de 2014 (LA) comporte une session intitulée (sans rire) "Bâtir un système sanitaire  équitable : la vision des industriels".


Illustration.
Emmanuel Goldstein est un personnage d'Orwell (1984), opposant fabriqué par le régime, inspiré par Lev Davidovich Bronstein, alias Trotsky, ce qui ne manquera pas de faire froncer les sourcils des nombreux naïfs qui pensent que le trotskisme est un mouvement démocratique. Voici ce qu'en pensait Orwell in Notes on NationalismThe fact that Trotskyists are everywhere a persecuted minority, and that the accusation usually made against them, i. e. of collaborating with the Fascists, is obviously false, creates an impression that Trotskyism is intellectually and morally superior to Communism; but it is doubtful whether there is much difference.