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jeudi 6 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Jules Romains. #13

Romains Jules. (1923) Knock ou le triomphe de la médecine. Paris : Gallimard, 118 pp.



La fameuse phrase que Jules Romains a fait prononcer en 1923 au docteur Knock, « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent », résume de façon lumineuse la première partie de l’histoire de la médecine moderne. Tout est dit. Tout est exprimé. L’intuition géniale de Jules Romains va au delà des faits établis par la chronologie des progrès médicaux qui, en l’occurrence, n’ont aucune importance, ils ne sont que des outils ultérieurs au développement de l’idéologie knockienne. La pièce est intitulée « Knock ou le triomphe de la médecine », ce qui est à la fois prémonitoire et incomplet. Prémonitoire, puisque la médecine et les médecins ont envahi la société tout entière au point de régir la vie des citoyens depuis leur pré conception jusqu’à leur mort, et le plus souvent, avec leur assentiment. Incomplet, car la médecine n’est rien sans le reste, à savoir les politiques de santé publique et les « bonnes » conduites individuelles. 

La vision knockienne, c'est le point de vue du médecin, une vision certes toute-puissante et paternaliste, et qui ne se préoccupe que des intérêts du docteur Knock, de l’état de ses finances et, mais cela n’apparaît qu’après dans la pièce, mais c’est sans doute à l’origine de tout cela, de sa volonté de prendre le pouvoir sur la population du canton. Knock est un infatigable idéologue qui parle d’un paysage « tout imprégné de médecine » dont le premier acte fut d’organiser des consultations gratuites les jours de marché et qui énonce ceci : « J’estime que malgré toutes les tentations contraires, nous devons travailler à la conservation du malade. » Knock embarque dans son commerce le tambour du village, l’instituteur, le pharmacien et les corps constitués en général. 
Jules Romains, en filant la métaphore commerciale, fondait une nouvelle pratique médicale qui atteint aujourd’hui son apogée et dépassait les propos dévastateurs de Molière en 1673 (Le malade imaginaire) et de Georges Bernard Shaw en 1906 (Le dilemme du médecin) qui dénonçaient, au delà de son mercantilisme, l’ignorance et l’arrogance du corps médical.

Jules Romains a inventé le disease mongering (voir ICI), le consumérisme, et nul doute que l'OMS, sans le savoir, a parachevé son oeuvre lorsqu'elle  a dit la santé en 1946 : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » 

Ainsi, de façon prophétique et alors que les véritables progrès thérapeutiques n’étaient pas advenus (antibiothérapie, traitements cardiovasculaires, oncologie, vaccins, notamment), l’OMS annonçait que le knockisme allait s’étendre au delà de la médecine et des médecins, anticipant l’élargissement des champs de compétence des différents acteurs de la santé (les médecins, les patients, l’industrie pharmaceutique au sens large, les pouvoirs publics, les payeurs) et préfigurait les transformations des représentations collectives de la santé que l’on pouvait désormais résumer à un slogan, « toujours plus ! », à un précepte, « la santé n’a pas de prix » ou encore à deux affirmations éthiques, « la santé est un droit » et « la souffrance est une anomalie ». 

Le knockisme pur et dur, celui des médecins, était dépassé : le patient devenait un sujet pensant, le pharmacien une industrie, l’instituteur un donneur de recommandations et le tambour de village le propagateur des politiques publiques.  


Jules Romains (1885 - 1972)

jeudi 7 mai 2015

Un malade d'Alzheimer sur deux n'est pas diagnostiqué. Article écrit par un robot dans le journal Le Monde.


Alzheimer : des révélations fracassantes !

Voir ICI pour l'article.

Le titre : Un malade Alzheimer sur deux ne serait pas diagnostiqué en France.
La signature : inconnue. Ou plutôt : Le Monde.fr avec AFP. Un robot journaliste, sans doute.
La source : Une étude publiée par Cap Retraite. Le robot aurait pu nous donner le lien pour l'article, non ? Le VOICI. Le rapport est beau comme une brochure publicitaire. Il n'est pas signé (c'est la Revue Prescrire qui fait des émules), les couleurs sont belles, la bibliographie ronflante. Est-ce la même agence qui a réalisé le document vantant l'intérêt de Sophia, le machin, disease management de la CPAM ? 
Le financeur : je donne le lien sur Cap Retraite pour le robot qui a écrit l'article : LA.
Cap Retraite est un service gratuit et il n'est pas clair à première vue et sur son site de savoir qui le finance. Le robot recherche sur google (pas très loin) : le robot trouve LA des éléments indiquant que Cap Retraite a fait l'objet d'une enquête de la revue 60 millions de consommateurs : voir ICI, LA et LA. C'est pas clair, clair, clair.
Bon, vous voulez un dessin ? 

Ensuite, en lisant l'article (qui reprend sans le savoir, à moins que le robot n'ait été programmé ou qu'il ne s'agisse que du recopiage pur et simple du communiqué de presse officieux de Cap Retraite, on se rend compte que :
  1. Il y a 500 000 personnes qui souffrent d'Alzheimer et, d'après l'INSERM, un million en souffrirait... Sous-diagnostic.
  2. Le nombre de ces malades risque de doubler et d'atteindre les 2 millions en 2014. Apeurer les populations.
  3. Dans les départements les mieux lotis 30 % des malades seraient effectivement pris en charge et, ailleurs, 15 % On sent le scandale pointer.
  4. Et là, on sort l'arme magique : le médecin généraliste ! Arme bien entendu à double tranchant : on a besoin de lui, il ne fait pas encore son boulot, il va le faire et s'il ne le fait pas, c'est que c'est un khon. MG bashing.
  5. La phrase choc sur la prise en charge précoce. On cite un gériatre cité dans l'étude qui fait partie de Cap Retraite. "Une prise en charge précoce permettra au sujet de rester plus longtemps à son domicile, lieu par excellence à favoriser, car porteur de l’histoire et de la mémoire" Hugues Bensaïd est expert Cap Retraite : LA.
  6. Rengaine : les MG ne font pas leur boulot. En effet, "20 % des malades estimés résidant à domicile sont pris en charge par les ESA, es accueils de jour spécialisés et l'hébergement temporaire, les 80 % restants n'ayant pas encore été suivis, faute de diagnostic". Comme en d'autres domaines "on" demande aux MG, ce "on" signifiant les experts, les spécialistes, les gériââââtres, les marchands de réseaux, les marchands de médicaments, les marchands de structure, les promoteurs immobiliers, les mutuelles, les assureurs, qu'ils se transforment en rabatteurs pour le plus grand bien de la santé publique. un citoyen qui oublie l'endroit où il a posé ses clefs, une citoyenne qui ne se rappelle plus ce qu'elle a vu à la télé la veille, est un Alzheimer en puissance, un ou une citoyenne que le MG, brave gars un peu niais (la MG, brave  fille un peu niaise), doit ficher immédiatement pour l'adresser dans un centre mémoire où, n'en doutons pas, le diagnostic d'Alzheimer sera porté, les anti Alzheimer prescrits, et cetera.
  7. L'article continue, il avait des trucs à vendre : Il faut créer 20 fois plus de places en ESAD et multiplier par 10 le nombre de places d'accueil de jour, et, dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Le robot serait-il passé par les ARS ?
  8. Mais, on l'aura remarqué, l'article ne dit pas un mot sur les médicaments dits anti Alzheimer, on n'oserait plus ?
Cet article, ni écrit ni à écrire est un concentré de disease mongering (fabrication des maladies, stratégie de Knock, voir ICI pour les précisions), une manoeuvre de plus pour alzheimeriser la société, je me permets de vous rappeler ce que j'écrivais LA sur ce sujet, la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants..., une façon de promouvoir des marchands d'illusions et des associations louches.

Fin de l'article.

Maintenant, et cela dit, qu'est-ce qu'on fait ?

Gertrude Weaver, 116 ans, doyenne de l'humanité pendant 5 jours


Le médecin généraliste (je commence le blablabla) est effectivement au centre de la prise en charge des personnes âgées.
Petit détour : et si les malades Alzheimer (sic) n'étaient que le symptôme plus général d'un problème sociétal éternel (la peur de la maladie et de la mort) et circonstancié (le vieillissement de nos sociétés et le nombre accru de personnes atteignant le stade de dépendance et le grand âge) et d'un problème anthropologique (la gestion des anciens par les familles).
L'anticipation est le maître mot de la médecine longitudinale. Parler de l'avenir avec ses patients est une façon de les informer et de les sonder sur leurs intentions, leurs possibilités et sur les moyens dont ils pourraient disposer quand ils commenceront à perdre leur indépendance.
Il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui pense avoir un Alzheimer car elle a des trous de mémoire, il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui me dit que la prochaine fois que je verrai son conjoint, sa conjointe, interrogez le (la) sur ses trous de mémoire, ça devient pénible.
Je commence par interroger, je commence par prendre le pouls (au sens figuré) de la situation médicale, familiale, sociale, avant (1) d'administrer un test de mémoire, (2) d'adresser.
Quand j'ai l'impression que c'est rassurant je fais passer un test MMS (mini mental state), téléchargeable pendant la consultation pour la consultation suivante, qui, le plus souvent, dans ces cas bien entendu, est rassurant : rassurant par ses résultats, rassurant parce que le patient, la patiente, est étonné (e) de la simplicité et de l'évidence des questions. Il est donc nécessaire de rassurer, de comprendre ce qu'il est possible de changer dans la vie du patient pour qu'il aille mieux.
Les personnes vieillissantes ont peur d'être malades, de souffrir, de devoir dépendre de quelqu'un, elles sont anxieuses, elles dorment mal, et cette anxiété, cette trouille, cette angoisse, intergissent avec leurs performances mentales, avec leur mémoire, et pas seulement en raison des anxiolytiques et des hypnotiques trop souvent prescrits. Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences (à moins que cela ne soit l'inverse).
Et les familles des personnes vieillissantes, attention, j'enfonce des portes ouvertes, sont elles-aussi anxieuses que les personnes vieillissantes qu'elles aiment souffrent, perdent la mémoire et... meurent. Comme dirait l'autre : cela les renvoie à leur propre vieillissement...
Une anecdote : une patiente sous neuroleptiques et anxiolytiques est vue lors d'un passage à l'hôpital (problèmes digestifs) par la consultation mémoire qui conclut à un Alzheimer... Les troubles de la mémoire et la désorientation ne devaient pas faire partie des effets indésirables notés des neuroleptiques et des anxiolytiques (la malade a retrouvé ses esprits et n'a plus d'Alzheimer).
Quand le malade, la malade, a vraiment un Alzheimer ou apparenté. Il faut d'abord travailler avec la famille, quand c'est possible. Il est rare que les familles soient absentes ou qu'elles ne soient pas capables de gérer avec l'aide des services sociaux (assistantes sociales, centre de gérontologie) les problèmes d'APA et la recherche de structures. Le maintien à domicile est souvent plus compliqué à organiser et coûte cher.
Mais le rôle du MG, en général, à condition qu'il s'agisse d'une famille qu'il connaît, est surtout un rôle d'accompagnement des familles. Pas un rôle médical, sinon gérer le quotidien. Soutenir le mari ou la femme non malade. Voir les enfants, leur parler. Savoir que cela risque d'être un bouleversement considérable dans l'équilibre familial. Etablir, avec les services compétents, un projet de vie.

Heureusement, nous sommes partis loin de l'article robotisé.
Mais les problèmes liés au vieillissement...  Cela ne vous donne pas envie d'être anxieux ?



jeudi 22 septembre 2011

Alzheimer : des experts montent au créneau pour défendre des médicaments peu efficaces !


La maladie d'Alzheimer progresse.
La maladie d'Alzheimer se répand.
La maladie d'Alzheimer est en phase pandémique (l'OMS ne l'a pas encore annoncé).

Les critères diagnostiques sont flous.
Les solutions pharmaceutiques sont quasiment inexistantes.
La prise en charge familiale et institutionnelle est difficile et coûteuse.

Il semblerait que les médicaments dits anti-Alzheimer soient sous le coup d'une réévaluation par la Commission de Transparence de la Haute Autorité de Santé qui les rendraient non remboursables à 100 %

Les visiteurs médicaux académiques se déchaînent :
  1. Le professeur Ollier de Sainte-Anne est interrogé sur Europe 1 et, sans aucune Déclaration Personnelle d'Intérêt (DPI), DPI qui montrerait, si elle était sincère, des liens avec des molécules qu'il prescrit tous les jours, enfile les perles des contre-vérités, voir ICI, notamment sur l"efficacité des molécules.
  2. Le docteur Christophe Trivalle, Praticien Hospitalier, commet un article dans le journal Le Monde qui est un modèle de désinformation et d'incompréhension de la Santé Publique (LA). C'est d'une telle sottise qu'on est partagé entre l'admiration et la résignation. Le bon docteur prétend, en bon soldat du disease mongering ou fabrication des maladies ou stratégie de Knock (voir ICI pour le disease mongering), et en dévoilant le dessin invisible de la manoeuvre, que la quasi disparition des médicaments anti- Alzheimer, rendrait la maladie moins structurée, empêcherait que le diagnostic fût fait, découragerait les médecins à adresser les patients dans les centres de mémoire et ruinerait les trois plans Alzheimer antérieurs. La médecine hospitalière a donc rendu les armes : elle ne prend pas en charge quand elle n'a pas de médicaments à prescrire (fût-ce des placebos...) comme on le reprochait et qu'on le reproche encore à la médecine générale praticienne... La dernière phrase de son article est exceptionnelle, il a dû la polir et la hurler dans son gueuloir hospitalier, à moins qu'il ne l'ait soumis à ses amis de Big Pharma... "Si on supprime ces médicaments, la France sera le premier pays qui verra ainsidisparaître la maladie d'Alzheimer, car plus personne ne fera de bilan diagnostique pour une pathologie sans aucun traitement. Et on en reviendra à la démence sénile et au bon vieux gâtisme d'antan." Car Dominique Dupagne nous apprend aussi sur son site (LA) que le bon docteur et ses envolées lyriques sont fortement connotés : il a présidé un symposium au Pavillon Dauphine (haut lieu de la scientificité parisienne) sponsorisé largement par Big Pharma... Mais il n'en parle pas dans son article du monde. Une sorte d'anosognosie intraitable.
  3. Le professeur Bruno Dubois fait feu de tout... bois dans les media. Il faut dire qu'il défend sa paroisse, étant Président de l'Institut Alzheimer de l'Hôpital de la Pitié Salpétrière, et il fait de l'annonce dans deux voies : une molécule, dont je ne vous dirai pas le nom, a montré, en double-aveugle contre placebo (nous attendons la publication), qu'elle diminuait la diminution de la taille de l'hippocampe qui serait une donnée anatomique chez les patients Alzheimer ; un vaccin aurait été mis au point et il agit, selon les dires Dubois, de façon spectaculaire chez les souris (il ne nous dit pas s'il s'agit de mâles ou de femelles). Voir ICI. Tout baignerait donc bien dans le monde merveilleux de l'Alzheimer s'il n'y avait pas, comme le dit si bien le docteur Trivalle, la revue Prescrire, les syndicats de médecin généraliste et des médecins médiatiques (ICI ENCORE)...
Et je pense que nous n'avons rien vu...

Je voudrais également, en passant, dire un mot de l'échelle qui permet de "faire le diagnostic", la MMS (Mini Mental State) (ICI), échelle qui n'est pas spécifique de l'Alzheimer, il faut le préciser.
Elle n'est pas spécifique mais elle est utilisée larga manu pour prescrire les molécules sus citées.
Non spécifique mais spécifique de la prescription systématique des médicaments anti-Alzheimer : on en était à un, cela ne marche pas, alors on est passés à l'association...
J'avais proposé ICI un questionnaire facilement administrable pour faire le diagnostic de la maladie (International Docteurdu16 Alzheimer Score), un complot l'a enterré...

Cela m'a fait drôlement penser aux MMS, les bonbons chocolatés (voir plus haut).

Une étude française (et toulousaine) parue dans le British Medical Journal est tout à fait confondante mais on n'en a pas beaucoup entendu parler : ICI. Elle raconte ceci : A comprehensive specific care plan in memory clinics had no additional positive effect on functional decline in patients with mild to moderateAlzheimer’s disease.. Ce qui, en français signifie ceci : un programme d'intervention dans les cliniques de la mémoire associant patients et aidants ne fait pas mieux (ou fait aussi mal si on veut) qu'un suivi en milieu ouvert par le généraliste sur le déclin fonctionnel des patients présentant une maladie d'Alzheimer légère à modérée.

Qu'en conclure ?
Que la prise en charge des patients Alzheimer est faite par des spécialistes qui n'ont que l'effet placebo comme argument thérapeutique.
C'est navrant.
(Ne me faites pourtant pas dire que les médecins généralistes font mieux, disons qu'ils font ce qu'ils peuvent dans le cadre du domicile ou de la famille, et que ce peu est un investissement considérable en temps et en pénibilité.)


(Photographie : MMS)


samedi 11 juin 2011

La FDA alerte sur Proscar et Avodart : à éliminer !


La FDA annonce dans un communiqué (ICI) le changement des mentions légales des inhibiteurs de la 5 alpha reductase incluant Proscar et Avodart (finasteride et dutasteride).
Ces mentions légales avertissent désormais du risque accru qu'un cancer de la prostate de haut grade soit diagnostiqué sous ces traitements.

Rappelons que la seule indication de ces produits était le traitement symptomatique de l'hypertrophie bénigne de prostate. La FDA n'a jamais approuvé l'indication "réduction du nombre de risques de cancers de la prostate" pour Proscar (finasteride) ou Avodart (dutasteride) mais cet argument a largement été avancé par les deux firmes commercialisant les deux produits. Et de nombreux articles ont été publiés en ce sens (307 publications dans PubMed).

Pour ce qui est de son indication princeps, à savoir améliorer la symptomatologie fonctionnelle (i.e. I-PSS) en réduisant la taille de la prostate, je n'ai jamais été convaincu de l'efficacité de la finasteride (la molécule la plus étudiée) et j'ai même toujours été surpris que la diminution par deux du taux de PSA ne pose aucun problème aux tenants du dépistage à tout crin du cancer de la prostate... Sans compter (expérience interne) que les effets de la finasteride sur la puissance masculine n'étaient ni anodins ni rares...

Quoi qu'il en soit, la communication de Merck and Co, insistait sur la coprescription de la finasteride avec un alpha-bloquant (pour masquer l'inefficacité clinique de sa molécule et pour tenter de masquer les effets indésirables sur l'érection) et sur la possible possibilité de diminuer l'incidence des cancers de la prostate.

Et voilà que l'on apprend que, non contents d'être peu efficaces sur la symptomatologie fonctionnelle, non contents de modifier le taux de PSA de façon aléatoire, et incapables de ne rien prouver sur la prévention des cancers de la prostate, les inhibiteurs de la 5 alpha réductase entraîneraient l'apparition de cancers de la prostate de haut grade !

On voit ici que l'imposture de ces molécules est désormais totale.
Merck and Co est une firme influente qui peut se permettre de faire publier pratiquement n'importe quoi dans la plus grande revue américaine, le New England Journal of Medicine, ce qu'ils ne se sont pas privés de faire avec Proscar (et Vioox également dont on connaît la saga médicale et judiciaire, et Fosamax alendronate et Zocor simvastatine), pour des raisons de proximité géographique (Merck and Co est installé dans le New jersey), de proximité académique (la firme "arrose" les plus grands centres américains dont la prestigieuse faculté de Harvard qui est située non loin du siège du NEJM), de proximité économique (Merck and Co est une des plus grosses valorisations de Wall Street), et cetera, et cetera...

Mais plus encore : la stratégie de Merck and Co a été d'une exemplaire filouterie.
  1. Story telling malin avec une enzyme (la 5 alpha reductase), un concept parlant "Shrink the prostate" (réduire la prostate) et des résultats cliniques peu évidents
  2. Masquer les effets indésirables sur la puissance masculine en les noyant dans le bruit de fond de développements annexes comme la réduction des saignements post prostatectomies
  3. Faire croire que la baisse de moitié du taux de PSA pourrait être un avantage pour la prévention des cancers de prostate
  4. Développer des essais de prévention de la Rétention Aiguë d'Urine
  5. Imposer l'association thérapeutique avec un alpha bloquant pour masquer l'inefficacité clinique de la molécule
Mais surtout : Merck and Co a pratiqué le doute et le confusionnisme en associant de façon incongrue l'hypertrophie bénigne de prostate et le cancer de la prostate ; en laissant croire que l'on pouvait prévenir des cancers alors qu'ils n'auraient pas été "graves" (comme les urologues opèrent des cancers qui ne sont pas malins) ; et en permettant que des cancers de haut grade puissent se développer (ce qui n'était pas prévu).
Il s'agit donc d'un double Disease Mongering : sur l'hypertrophie bénigne de prostate et sur le cancer de la prostate. Sans oublier la calvitie...

L'urologie ne s'est pas grandie, encore une fois, dans cette affaire en acceptant le story telling de Merck and Co et en marchant dans toutes les combines associées.
Pas fameux, tout cela.

PS (du deux avril 2015 : un article sur le propecia : ICI)

mardi 8 février 2011

UN DIABETE VITE FAIT : HISTOIRES DE CONSULTATION 67

La ville de Sucre (Bolivie)

Monsieur A, 58 ans, dont je suis le médecin traitant, vient consulter après qu'il a vu un confrère généraliste pendant les vacances de Noël. J'étais remplacé et il ne voulait pas voir un remplaçant. Il est allé chez le médecin du copain qui a vu le copain parce qu'il avait mal au dos : le docteur B.
Cela fait donc à peu près six semaines.
Eh bien, le docteur B, c'est un rapide.
Monsieur A me montre le bilan que lui avait demandé de faire le docteur B (pour son mal de dos ?). Monsieur A me dit qu'il est diabétique.
Le bilan est délirant. A mes yeux. Pour un malade qu'il n'avait jamais vu et dont il savait qu'il avait un médecin traitant. NFS, VS, CRP, glycémie à jeun, HbA1C, créatininémie, bilan d'une anomalie lipidique, urée, sodium, potassium, SGOT, SGPT, GGT, TP, ECBU et... PSA.
Ainsi monsieur A a-t-il été déclaré diabétique avec une glycémie à jeun à 1,20 (g/l), une HbA1C à 6,8 % (demandée dès la première analyse). Le patient (j'ajoute que je connais ce malade depuis des lustres et que je le soigne habituellement pour des riens, sinon des rhumes, des lombalgies et une grippouillette hivernale) est inquiet et voudrait savoir ce qu'il doit faire. Encore une chose : le docteur B a prescrit un anti diabétique oral (il ne se rappelle pas le nom sur le moment et il me téléphonera une fois revenu chez lui qu'il s'agit de la metformine) que le malade a acheté mais n'a pas consommé parce qu'il avait peur de prendre des médicaments pour le diabète. Le docteur B a aussi prescrit du paracétamol pour les douleurs du dos. Il est dix-huit heures, Monsieur A a pris son dernier repas à midi, léger m'a-t-il dit. La glycémie capillaire est à 0,80 dans mon bureau.
Je lui affirme qu'il n'est pas diabétique, qu'il pourrait en revanche faire un peu de régime (il a déjà commencé) en mangeant moins calorique et moins sucré.
Mais l'affaire n'est pas terminée : le docteur B a aussi, sans être le médecin traitant, fait une demande d'ALD, l'a envoyée et le malade est à 100 % ! En deux coups de cuillères à pot.

Vous voulez une explication de texte :
  1. Je connais de réputation le docteur B comme un fanatique des prescriptions, des bilans et, accessoirement des vaccins (je ne parle pas du PSA).
  2. C'est en plus un escroc en prescrivant autant d'examens à un malade qui venait le voir parce qu'il avait mal au dos. Voulait-il élargir sa clientèle ou son ego ?
  3. On a un exemple parfait de disease mongering de terrain, une knockerie ordinaire : le docteur B a fait de Monsieur A un diabétique imaginaire en élargissant les critères du diabète, en lui prescrivant des médicaments avant de lui prescrire un régime, en rendant diabétique un patient bien portant : j'avais déjà écrit un post sur ce sujet : ICI.
  4. Le docteur B a non seulement prescrit des génériques (il entrera au paradis des bons médecins) mais aussi les molécules ad hoc selon les recommandations : metformine pour le diabète de type 2 et paracétamol comme antalgique. Nous avons donc un cas de disease mongering recommandable.
  5. Monsieur A a désormais la trouille d'être vraiment malade et si un jour il devient diabétique il dira : "Le docteur B me l'avait bien dit."
  6. La CPAM du coin, mon coin, a fait feu de tout bois pour qu'un non diabétique le devienne et puisse désormais bénéficier de soins gratuits.
J'aime pas le docteur B.

mercredi 14 juillet 2010

ALZHEIMER : LA STRATEGIE DE KNOCK S'EMBALLE !

Peter Falk, atteint de la maladie d'Aloïs Alzheimer (1864 - 1915)

Un Congrès international sur la maladie d'Alzheimer qui se tient actuellement à Hawaii propose d'élargir les critères diagnostiques pour déclarer un patient atteint de la maladie qui touche déjà 5,3 millions d'Américains.

Jadis, quand on voulait mettre son grand-père ou sa grand-mère sous tutelle pour cause de démence sénile, on utilisait le test à trois items suivants (International Docteurdu16 Alzheimer Score - IDAS) :
  1. Quel est le nom de l'inventeur de la maladie d'Alzheimer ?
  2. Quel est le prénom de l'inventeur de la maladie d'Alzheimer ?
  3. Quelle est la date de naissance de l'inventeur de la maladie d'Alzheimer ?
(Score 0 : maladie d'Alzheimer certaine ; score 1 : possible ; 2 : envisageable ; 3 : malade ayant déjà passé le test et non Alzheimer.) In : Docteurdu16 JC. International Docteurdu16 Alzheimer Score (IDAS): external and internal validity. J of Docteurdu16 2010;2:153-6.

Désormais les chercheurs, probablement non influencés par les industriels (alias Big Pharma), ayant constaté que les ventes d'anti Alzheimer stagnaient malgré la propagande institutionnelle et l'inefficacité de ces médicaments (qui aurait dû entraîner, au contraire, une baisse des ventes), et, probablement, non influencés par les marchands de sommeil (les promoteurs constructeurs d' institutions pour personnes âgées démentes) au moment où une étude française publiée dans le British Medical Journal indique que les services de neurologie spécialisés dans les troubles de la mémoire ne font pas mieux, dans l'évolution de la maladie légère à modérée, que les médecins généralistes : ici), veulent prévenir la maladie d'Alzheimer et favoriser la recherche (sic) comme le rapporte un article du New York Times.

La stratégie de Knock s'est mise en place de façon classique et habituelle :
  1. Mise en avant d'une nouvelle hypothèse étiopathogénique, la démence n'étant que la phase terminale de la maladie
  2. Nouvelle classification des stades de la maladie : a) stade préclinique ; b) atteinte cognitive légère ; c) démence
  3. Modification des critères diagnostiques sur la base de la faible sensibilité (?) des tests de mémoire actuels afin, bien entendu, d'élargir le champ de la maladie : scanners, P E T scans, IRM, ponctions lombaires.
  4. Campagne de presse grand public des experts de la maladie interrogés dans les grands médias et indiquant qu'il s'agit d'un "progrès", d'un "espoir", d'une "avancée"
  5. Occultation du fait qu'aucun traitement efficace n'est proposable
  6. Minimisation des effets collatéraux : erreurs diagnostiques, anxiété des malades et de leur famille, augmentation des dépenses de santé
  7. Bonne conscience
Nous attendons sans impatience et avec effroi les conséquences françaises de cette annonce : montée aux créneaux et aux étranges lucarnes (je verrai bien un reportage de l'ineffable Brigitte Fanny-Cohen dans Télé Matin) des gérontologues, des réseaux de soins (on trouvera bien un médecin généraliste spécialiste en Alzheimer), des marchands de médicaments, des promoteurs immobiliers (les premières résidences qui vous feront attendre "votre" Alzheimer dans la joie et le confort d'un nid douillet) et des assureurs...

Nous vivons une époque formidable !

vendredi 5 mars 2010

LE DIABETE DE TYPE 2 : UN CAS D'ECOLE POUR LA STRATEGIE DE KNOCK


La stratégie de Knock (ou disease mongering) consiste, dans le cas du diabète sucré de type 2 (ou diabète gras ou diabète de la maturité) à



  1. Dramatiser sa fréquence à partir de chiffres vérifiables mais peu vérifiés : deux millions de Français seraient porteurs d'un diabète de type 2 et il en existerait 600 000 qui s'ignoreraient (diabétiques "invisibles") selon Wikipedia. Trois millions selon la Mutuelle Nationale Territoriale.

  2. Dramatiser l'augmentation des nouveaux cas réelle et prévisible en parlant d'une maladie épidémique.

  3. Imposer une stratégie de lutte reposant sur un rationnel éprouvé (sinon prouvé) : combattre les complications cardiovasculaires et microcirculatoires sans preuves réelles (oeil et rein).

  4. Promouvoir une stratégie thérapeutique simple et univoque en visant trois critères de substitution : l'HbA1C ou hémoglobine glyquée inférieure à 7, le LDL cholesterol inférieur à 1 et la pression artérielle inférieure à 140 - 90.

  5. S'appuyer sur un leitmotiv univoque qui serait que "The Lower the better" ou, en français "Moins c'est mieux".

  6. Privilégier les essais sponsorisés par Big Pharma qui n'apportent rien sur le plan essentiel de la diminution significative de la mortalité totale mais qui autorisent la vente de nouveaux médicaments qui n'ont fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur innocuité (cf. les glitazones).

  7. Négliger l'article fondateur du traitement du diabète ou UKPDS (pour United Kingdom Prospective Diabetes Study) qui privilégie uniquement la metformine.

  8. Faire des campagnes nationales grand public pour "sensibiliser" les patients et, surtout, les futurs malades. En France comme à Abidjan.

  9. Mobiliser les associations de patients comme l'AFD (Association Française des Diabétiques) dont on connaît les liens, il suffit de regarder la page d'accueil, avec l'industrie pharmaceutique et les marchands de diététique. Mais une recherche rapide sur google est impressionnante : ici et .

  10. Mobiliser les experts de tous poils afin que, tels des Hare Krishna, les leaders d'opinion internationaux, nationaux, locorégionaux psalmodient partout "MOINS C'EST MIEUX !", à tous les coins de rue, dans les Congrès comme dans les restaurants où ils mangent au frais de Big Pharma, dans les hôpitaux comme dans les Formations Médicales Continues sponsorisées par Big Pharma, par la CPAM ou par les syndicats médicaux... dans les allées du pouvoir (la DGS) comme dans les locaux des Agences Gouvernementales (HAS) ou presque (InVS). Hare Krishna, Hare Krishna.

  11. Investir tous les lieux de pouvoir afin de promouvoir le traitement (voir le CAPI), le dépistage, le surdépistage et la propagation des fausses rumeurs, tout ceci, au nom des experts, et le faire assumer par la CPAM, bon toutou de la HAS et des industriels, qui agit sous le masque de l'amélioration des performances et de carottes budgétaires pour les médecins.




Il est également nécessaire de cacher, de taire, de réduire au silence tous les arguments contraires et de nier tous les faits qui s'opposent à cette fantastique stratégie d'intoxication.

Et les experts peuvent compter sur le silence de la presse médicale qui est, à quelques exceptions près, aux ordres, sur le silence de la presse grand public dans le même métal, le silence des politiques qui ne savent qu'emboîter le pas sur celui des leaders d'opinion qui leur permettent de faire du sentiment (sauver des vies !) et d'engranger facilement des voix.


Quels sont les principaux arguments contre le tout diabète (LE MOINS EST L'ENNEMI DU MIEUX)
  1. Il n'existe quasiment qu'une seule étude qui montre une diminution de la morbimortalité en traitant le diabète de type 2 : l'étude UKPDS et vous verrez ici les commentaires que j'en ai faits (l'étude, brandie comme un étendard par les experts dits indépendants, est d'une très faible qualité méthodologique, surtout vers la fin puisque le nombre des perdus de vue est aussi important que dans le cas d'une étude menée par l'InVS et qu'elle est non comparative). Elle est surtout favorable à la metformine (glucophage, stagid en France), ce dont les industriels et donc les experts ne sont pas SATISFAITS puisque la molécule est génériquée depuis de nombreuses années

  2. Le critère de substitution HbA1C est sujet à caution ou plutôt l'application de la formule "The Lower the Better" n'est pas appropriée le concernant : un essai récent (Lancet 2010;375:481-9) a montré qu'une HbA1C en dessous de 7 entraînait plus de morts qu'une HbA1C supérieure à 7 et qu'une augmentation de mortalité réapparaissait au dessus de 9 ! Etonnant, non, pour les experts du Toujours Moins ? Et cet essai dit observationnel confirme trois essais contrôlés dont je vous ai déjà parlé ici. Ce qui n'empêche pas les recommandations grand public de préconiser un chiffre inférieur à 7 sur le net comme dans la rue !

  3. La baisse jusqu'auboutiste et de la pression artérielle et du LDL cholesterol conduit également à des effets inverses (la fameuse courbe en U) ou n'entraîne pas les effets escomptés.
  4. Des études indiquent que la baisse de la mortalité cardiovasculaire chez les diabétiques s'est déjà produite avant que l'on ne s'occupe de faire baisser strictement l'HbA1C (Fox CS et al. JAMA 2004;292:2495-9 ; Dale AC et al. BMJ 2008;337:a236) et que le nombre des dialyses rénales pour diabète a diminué de 40 % aux Etats-Unis entre 1996 et 2006 alors que c'était la période où l'accès à la dialyse était devenue plus facile (Burrows NR et al. Diabetes Care 2010;33:73-7)
  5. Le slogan "Toujours moins !" induit une débauche de prescriptions tant pour la baisse de l'HbA1C (jusqu'à la trithérapie) que pour la baisse de la pression artérielle (tri voire quadrithérapie) et du cholestérol (bithérapie) avec, en outre, de l'aspirine pour délayer le tout. Les interactions médicamenteuses font florès et sont rarement prises en compte.
Nous sommes bien au coeur de la Stratégie de Knock : le diabète est une cause nationale, tout le monde doit s'en préoccuper, les médecins, les malades comme les futurs malades, les sociétés ssavantes, les associations de patients, les politiques, les Autorités de santé dans une gabegie formidable de fonds, d'allocations, de ressources.
Tout le monde y croit. Tout le monde se sent concerné.
Les industriels du médicament et des dosages vont ganger de l'argent.
Les médecins également par le biais du nombre de consultants et des honoraires accordés par la prime à la Performance (appelée CAPI).
Mais il s'agit, à n'en pas douter, de mauvaise médecine. comme l'écrit Des Spence, médecin généraliste à Glasgow (un des endroits du monde avec la Karélie finlandaise où le taux d'infarctus du myocarde est un des plus élevés de la planète), dans le British Medical Journal.
Je vous livre sa conclusion avec laquelle, comme d'habitude, vous me connaissez, je ne suis pas d'accord à cent pour cent, mais je vous laisserai conclure : Le diabète de type 2 est véritablement de la mauvaise médecine car il a autorisé les médecins à se vautrer dans le confort facile d'un modèle de maladie, évitant le chaos froid d'une politique sociale s'attaquant à l'obésité. Il est temps pour les médecins de promouvoir la santé plutôt que d'être payés pour promouvoir Big Pharma.


jeudi 2 avril 2009

FIBROMYALGIE : LE MARCHE DE LA DOULEUR

Ce matin : chronique "médicale" sur Télé-Matin par Brigitte Fanny-Cohen.
La fibromyalgie en première ligne.
Un publi reportage pour un professeur de la Salpétrière. Un publi reportage pour trois molécules (non citées). Une approche univoque et sans esprit critique sur la "maladie" et sur sa fréquence : 600 000 personnes en France (hypothèse basse). Une caution médicale : l'OMS.
On est loin du disease mongering, on est en plein délire knockien ou en plein emballement mimétique (girardien).
Je viens de lire dans le British Medical Journal un article rapportant le fait que deux patients ont perdu leur procès contre le NICE (National Institute for Health and Clinical Excellence) qui mettait en avant dans ses recommandations la pratique de la Thérapie Cognitive Comportementale et de l'Exercice Physique Gradué. Les arguments des plaignants étaient ceux-ci : conflits d'intérêt détectés chez les membres du NICE ; non évaluation des risques possiblement causés par les deux techniques mises en avant ; sur estimation du rapport York analysant les différentes thérapeutiques et leurs résultats ; non prise en compte du point de vue des patients.
Les patients ne veulent pas entendre parler d'une approche psychosociale mais désirent qu'on les considère comme atteints d'une maladie biométabolique. En d'autres termes ils se sentent minorés par la non reconnaissance d'une maladie qu'ils souhaiteraient à substratum anatomopathologicophysiologique pur et par le soupçon d'une participation psychologique (voire psychiatrique) à leurs souffrances. En d'autres termes, ils préféreraient que leur maladie ne s'appelle pas Chronic Fatigue Syndrome mais Myopathic Encephalomyopathy.
Au delà de cette controverse, on voit ici combien la douleur des patients peut être au centre d'une réflexion générale dépassant la Stratégie de Knock et, a fortiori, le disease mongering.
La fibromyalgie fait l'objet d'un intérêt croissant en raison du fait que le nombre de malades qui en seraient atteint "explose". Rien de bien extraordinaire pour ceux qui suivent l'actualité, déjà ancienne, des "nouvelles" maladies, des maladies mimétiques et du marketing médical : dans le cas précis il y a invention d'une maladie (en 1955), regroupement de symptômes, agrégation d'évidences, définition de critères, appropriation par des "experts" qui croient être des pionniers se battant contre les moulins à vent de l'académisme, puis appropriation par les malades, enfin reconnus, puis académisation de la maladie, reconnaissance par l'OMS (ça en jette, l'OMS, surtout lorsque l'on n'analyse pas les conflits d'intérêts multipliés à la puissance cent), par l'Association Américaine de Rhumatologie, la FDA, et cetera... Et, enfin, last but not least : on propose des molécules, d'abord anciennes puis nouvelles.
Un petit tour sur google donne le vertige : le nombre de sites est impressionnant et, au bout du compte, tout patient souffrant de fibromyalgie (polyenthésopathie) peut se reconnaître, demander à son médecin de le reconnaître afin de lui coller une étiquette sur le front et de le gaver de médicaments.
La controverse britannique maladie biométabolique / maladie psychosociale est amusante. En France où les Thérapies Cognitivo Comportementales sont peu répandues en raison de la chappe freudienne, il y a aussi la psychothérapie d'obédience analytique qui est également mise en avant.
Mais là où le paradoxe devient excitant c'est au moment où les partisans de la théorie organique réclament des médicaments qui sont soit des antisérotoninergiques (comme dans la dépression ?), soit des amitryptiliques (comme dans la dépression ?), soit des antiépileptiques (maladie qui fut longtemps, et encore, une maladie honteuse). Le dernier produit émane de chez Pfizer et les études me semblent-ils ont été réalisées par un escroc.
Un autre paradoxe : les tenants, comme moi, de la prise en compte des Values and Preferences des patients, se trouvent pris à leur propre piège : elles me renvoient à un débat que je ne veux pas avoir.
Car argumenter sur la fibromyalgie c'est aussi asseoir la maladie dans son statut.
Et comme le dit David Michaels à propos de Byg Pharma : Le Doute est leur Produit.
Plus les controverses sont fortes, plus le patient est conforté dans ses certitudes.
Et le patient souffre !

jeudi 12 mars 2009

LES PERSONNES AGEES : UNE CIBLE REVEE POUR LA STRATEGIE DE KNOCK / DISEASE MONGERING

Cet article est en relation avec les deux premiers articles publiés sur Stratégie de Knock et Disease Mongering : premier et deuxième.


Les personnes âgées (on dit désormais le troisième, voire le quatrième âge) sont au centre d'enjeux importants :


  1. L'allongement continu de leur espérance de vie est un critère majeur avancé par les politiques et par les médecins (les medias attendent avec impatience les derniers chiffres et le classement des Etats / systèmes de santé) pour justifier l'excellence du système de santé, les dépenses engagées et les dépenses à engager. (On se plaît en détaillant ces classements globaux à douter de l'existence d'une corrélation entre l'organisation des soins et la longévité des populations.)


  2. Cette longévité pose le problème de la dépendance et nécessite des investissements pour que les personnes âgées puissent finir leur vie entourées d'un personnel qualifié à domicile ou en institutions médicalisées ou non. Il paraît acquis d'un point de vue sociétal que les personnes âgées (nos parents pour faire trivial) ne doivent plus compter sur leur famille sinon sur un plan financier, et encore.


  3. Le cas particulier de l'apparition de nouvelles maladies comme l'Alzheimer et les démences en général inquiète à la fois sur le plan de la santé mais aussi sur un plan économique : que faire de ces patients déments ?


  4. La mort est devenue un sujet tabou. Si quelques médecins promettent l'immortalité, la société se fixe deux objectifs pour elle-même : une existence et une mort sans souffrances. La société demande la généralisation de l'accompagnement médicalisé vers l'au-delà avec services de fin de vie et réseaux locaux dans le même métal. Ce que l'on appelle les soins palliatifs. Il est possible qu'un député veuille un jour inscrire le Droit aux soins palliatifs dans la constitution.


  5. Les personnes âgées sont déjà et potentiellement un marché lucratif pour : les médecins, les sociétés d'assurances, les groupements immobiliers, les entrepreneurs, les services de restauration à domicile, le paramédical (y compris les ambulanciers, les infirmiers et les aides-soignants, les kinésithérapeutes...), les associations, les politiques...


  6. La Stratégie de Knock peut donc s'y exercer avec délectation.


Un point de vue vient d'être publié dans le British Medical Journal, malheureusement l'accès est payant. Je vais essayer de vous le résumer car il est passionnant. L'auteur s'appelle Michael Oliver, il est professeur émérite de cardiologie et exerce à Edimburgh. le titre de son papier : Let's not turn elderly people into patients. Ne rendez pas malades les personnes âgées.


Notre collègue replace cela dans le contexte du programme du NHS s'appelant QoF (Quality and outcomes Frameworks) qui s'intègre dans le programme du paiement à la performance mis en place pour les médecins généralistes.


Son article commence ainsi : "De nombreuses personnes âgées, souvent à la retraite [nous ne sommes pas en France - Note de JCG], sont convoquées par leur médecin généraliste pour un bilan annuel. Ils se sentent généralement bien mais le NHS ne permet pas toujours une telle euphorie. On leur dit qu'ils pourraient être hypertendus, avoir un diabète, un cholestérol élevé ; qu'ils pourraient être obèses, qu'ils pourraient faire peu d'exercice, mal manger et boire trop. Et ainsi demande-t-on à nombre de ces patients de nouvelles investigations. Il est possible qu'il commence à prendre des pilules. Très peu semblent être considérés comme non à risques de quelque chose. Et ainsi nombre d'entre eux qui se sentaient en bonne santé reviennent chez eux malades. Et ils peuvent en être effrayés et ne plus vieillir confortablement."


Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?


Et il continue : "De quelle sorte de médecine s'agit-il ? Ce sont les politiques qui prennent le pas sur le professionnalisme [des médecins], c'est l'obsession des objectifs gouvernementaux qui écrase le bon sens, c'est le paternalisme qui remplace les opinions personnelles."


Les commentaires qu'il fait sur les raisons de cette extrême préoccupation pour la santé des personnes âgées est classique : le poids des Recommandations mal digérées ou lues sans esprit critique ; la pression financière du NHS, des économistes gouvernementaux et des assurances privées ; la force de persuasion de Byg Pharma.


Pour le reste, nous soulignerons des éléments classiques que l'on retrouve constamment lorsque la Stratégie de Knock est en marche.

  1. Les Recommandations ont tendance à élargir le champ des maladies (cf. l'HTA) et à négliger les sous-groupes à risques ou, dans le cas présent, à non risques. La limite de 140 / 90, contestée chez l'adulte sain pour faire entrer un patient dans la cohorte innombrable des hypertendus et considérée comme un dogme par l'ensemble des recommandations internationales, devient ridicule au delà de 75 ans (et même avant). Toujours dans le même ordre d'idée, la façon de mesurer la PA mériterait que l'on s'arrêtât sur le nombre de diagnostics par excès qui deviennent justifiés puisque la prescription d'un médicament permet d'obtenir, ensuite, une PA normale...
  2. La méconnaissance par la majorité des médecins de la moindre notion d'épidémiologie et / ou de statistiques médicales facilite l'interventionnisme des marchands de médicaments et des médecins qui vivent des personnes âgées. Deux exemples : a) la différence entre risque relatif et risque absolu qui est fondamentale dans la décision thérapeutique. Imaginons un traitement qui diminue le risque relatif de 20 à 25 % mais le risque absolu de 1 % Qu'en sera-t-il chez une personne âgée avec une espérance de vie a priori plus restreinte ? 2) Le nombre de malades à traiter pour éviter un événement. Imaginons qu'il faille traiter 75 hypertendus âgés légers pour éviter un Accident vasculaire Cérébral, est-ce que les décideurs économiques comprennent qu'il faut traiter 74 personnes âgées pour rien (et à vie) ?
  3. La sous-estimation des effets indésirables chez les personnes âgées qui sont probablement plus importants en nombre, intensité et gêne que chez des personnes plus jeunes. Faut-il risquer chez des hypertendus légers de provoquer, en baissant la pression artérielle, des vertiges et des chutes ? Les myalgies liées aux statines ne sont-elles pas plus gênantes que leur non prescription chez des personnes à faible risque cardiovasculaire ? La sous notification de ces effets n'est-elle pas encore plus grande dans ce groupe particulier de population ?
  4. Le fait que les Recommandations négligent les groupes atypiques comme les personnes âgées ou font semblant de croire que les critères intermédiaires ou de substitution (pression artérielle, LDL ou HDL cholestérol , glycémie à jeun ou HbA1c) sont à prendre en compte de la même façon chez des personnes fragiles, à faible espérance de vie ou, au contraire, à espérance de vie spontanée plus importante qu'il ne pourrait y paraître.
Ainsi les personnes âgées sont-elles un enjeu économique majeur que l'enjeu moral (il serait criminel de ne pas traiter, la santé n'a pas de prix) surévalue et la réflexion des médecins au moment de la prescription doit tenir compte d'une interprétation correcte des données existantes non appropriées à des personnes âgées.

Mais surtout : pourquoi pourrir la fin de vie de patients qui ne se sentent pas malades ?



dimanche 15 février 2009

STRATEGIE DE KNOCK ET DISEASE MONGERING : UNE TENDANCE SOCIETALE ?


Stratégie de Knock et Disease mongering. Deuxième épisode : une tendance sociétale (cf. premier épisode) ?

La Stratégie de Knock n’est pas seulement une marchandisation capitaliste de la santé (ce que serait, finalement, le disease mongering) où tout serait à vendre chez l’humain, son corps (ses organes, ses symptômes, ses syndromes et ses maladies) et son âme (les fantasmes, le bonheur, la bonne santé et l’éternité), et dont profiteraient les professionnels de la santé et leurs dépendances (sociétés savantes, agences gouvernementales, conseils de l’ordre, Universités, Assurance Maladie, Ministère de la Santé), les industriels (marchands de médicaments, de matériel médical, de tests diagnostiques, compagnies d’assurance, mutuelles), les faiseurs de politiques de santé, les payeurs et, à un moindre degré, les patients malades organisés en associations…
Si la Stratégie de Knock prospère, c’est qu’elle s’inscrit dans un mouvement historique profond qui se manifeste par le désir des citoyens de satisfaire leurs besoins coûte que coûte, de consommer toujours plus et d’exiger le bien-être généralisé pour chacun et pour tous (la Qualité de Vie). La Stratégie de Knock, ou le Triomphe de la Médecine, a beau jeu de se justifier en vantant l’allongement ininterrompu de l’espérance de vie dans les pays développés (ce qui signifie a contrario que dans les autres pays il n’y a pas assez de médecine), en mettant en avant les performances de la médecine moderne (Résonnance Magnétique Nucléaire, opérations chirurgicales robotisées) et en soulignant la diminution considérable de la mortalité infantile et la quasi disparition des maladies infectieuses mortelles mais en feignant d’oublier que ces progrès sont aussi le fait de l’amélioration de l’hygiène et que les effets indésirables du tout médical sont très importants (maladies nosocomiales en particulier).
La Stratégie de Knock prospère parce que les citoyens des pays développés ne veulent pas seulement être soignés, ils revendiquent le Droit à la Santé qui implique une existence sans douleurs, un vieillissement sans contraintes voire une société sans maladies où la mort, que l’on voudrait repousser le plus loin possible, ne pourra être que douce. Ainsi, non seulement il ne faudrait pas souffrir quand on est malade mais il faudrait prévenir la survenue de la maladie d’où la popularisation de l’idée de prévention comme logique implacable du développement moderne du bien-être.
Tout aussi paradoxalement la Stratégie de Knock, dont le principal défaut selon ses détracteurs serait de créer des maladies (le disease mongering), s’accommode très bien d’une autre tendance historique, celle de la société sans défauts, où, entre autres, la maladie devient insupportable et la différence à la fois acceptée et refusée : le trisomique n’est plus appelé mongolien, on le montre, on l’exhibe parfois, on lui donne des droits et, au même moment, on tente de le supprimer complètement avant qu’il ne naisse… Cette tendance à l’eugénisme se répand volontiers pour d’autres maladies avérées ou potentielles (les cancers par exemple ou d’autres maladies chromosomiques) et ce qu’elle avait de scandaleux quand elle émanait du national-socialisme devient de l’ordre de la normalité quand elle est exprimée dans une société démocratique.
Une des autres caractéristiques de la Stratégie de Knock est de faire peu de crédit du citoyen bien portant / malade. Au nom d’idéaux volontiers humanistes, le Droit à la Santé, le disease mongering utilise la propagande et le mensonge pour promouvoir ses idées (et sa camelote). Mais ses adversaires, il vaudrait mieux dire, ses dénonciateurs, oublient également de prendre en compte l’opinion du bien portant / malade qui ne peut seulement être considéré comme un manipulé au nom d'un certain paternalisme médical.
Il est évident que nous ne sommes plus sur le terrain de la médecine mais sur celui de la morale. Faudrait-il alors seulement condamner les excès de la Stratégie de Knock qui est, on l’a vu, un phénomène désormais ancré dans la société ? Faudrait-il plus simplement dire aux citoyens qu’ils doivent accepter leur condition ? Faudrait-il, à l’inverse, que les désirs et les souhaits des citoyens soient pris en compte au nom de la démocratie et du droit à pouvoir disposer de leur corps et ainsi fournir les moyens de l’assouvissement de leurs désirs ?
On voit qu’on est loin d’une critique purement anticapitaliste ou, plus précisément, d'une critique de la seule industrie pharmaceutique. Il s’agit plus probablement d’une tendance lourde de la société à rechercher le bien-être et la Qualité de Vie et les acteurs de la Stratégie de Knock peuvent avoir des rôles changeants : au cours du temps, voire au même moment : la personne bien portante devenue malade, le malade redevenu bien-portant. Mais surtout le citoyen peut être au centre de conflits d’intérêts qui le traversent : en tant que bien-portant il s’insurge contre le niveau des dépenses de santé ; en tant que parent de malade il se satisfait des chimiothérapies compassionnelles ; en tant que patient il revendique tous les examens complémentaires ; en tant que professionnel de la santé il se pose des questions sur l’utilité de son métier ; en tant qu’économiste il s’interroge sur les coûts ; en tant que scientifique il pose des questions sur l’utilité du dépistage ; en tant que citoyen il se demande si les contraintes de la Stratégie de Knock ne vont pas amputer son libre-arbitre…
Dans le prochain épisode nous tenterons de définir précisément les acteurs et les moyens de la Stratégie de Knock.

mardi 3 février 2009

DISEASE MONGERING OU STRATEGIE DE KNOCK


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Disease mongering ou Stratégie de Knock : Premier épisode
Une petite histoire du concept.

La traduction en français de l’expression anglo-saxonne disease mongering est incertaine ou, plutôt, imparfaite : invention de maladies, façonnage de maladies ou colportage de maladies (dans le sens ancien du colporteur / bonimenteur).
Je propose comme traduction : la Stratégie de Knock.
Les Anglo-Saxons ont souvent l’art de réinventer des concepts existants et de se les approprier en leur donnant des noms attractifs et rapidement universels. Or, le disease mongering n’est qu’une version mineure et partielle de la Stratégie de Knock qui est fondée sur le slogan du personnage titre de la pièce de Jules Romains, Knock ou le triomphe de la médecine (1922), : « Toute personne bien portante est un malade qui s’ignore. »
Ce slogan est d’une modernité époustouflante. Il permet de comprendre quels sont tous les partenaires de cette machination sociétale : les bien-portants et les malades, les maladies et les symptômes, les médecins et les non médecins, les fabricants de matériels diagnostiques et thérapeutiques et leurs utilisateurs, les autorités de contrôle les citoyens et les politiques au sens large.
Il souligne aussi pourquoi l’industrie pharmaceutique est seule capable de développer un modèle promotionnel global incluant une démarche marketing complexe (marketing mix) et pourquoi les autres acteurs, dont le point de vue est plus restreint, sont enclins à dire que l’enfer du disease mongering, c’est les autres oubliant que chacun y trouve un intérêt.
Mais la Stratégie de Knock ne peut être comprise sans la replacer dans un contexte historique. Nous en resterons à la période moderne mais nous savons qu’à toutes les époques la façon de considérer la maladie et les malades et a fortiori de les désigner a toujours été un constituant fort du lien social et un instrument déterminant du pouvoir.
Si à l’époque moderne le rôle de l’industrie pharmaceutique au sens large (Byg Pharma) est montré du doigt, cela n’a pas toujours été le cas : Le Malade Imaginaire de Molière (1673) insistait autant sur la bêtise des malades que sur la duplicité des médecins à vouloir faire plaisir aux patients tout en leur soutirant leur argent ; Bernard Shaw, dans son essai décapant de 1903, Doctor’s Dilemma, insistait sur l’outrecuidance des médecins omniscients et sur leur avidité qui leur commandait de traiter un maximum de patients avec pour conséquence inattendue de rendre malades ceux qui ne l’étaient pas encore ; on retiendra d’Ivan Illich (Nemesis Médicale, 1975) qu'il a d'une part attiré l’attention sur la médicalisation de la société et sur l’impasse médicale vers laquelle cela menait en termes d’efficacité et d’autre part qu'il a rendu à l'hygiène ce qui appartenait à l'hygiène en minimisant ce qui revenait à la médecine proprement dite.
Plus près de nous, c’est Lynn Payer (1994) qui a contribué à identifier le concept de disease mongering en insistant sur le lien très fort existant entre l’augmentation du nombre des malades et la courbe des ventes des médicaments.
Il n’est pas inintéressant, dans une perspective plus dynamique, de rappeler la French Theory de René Girard, et l’application de sa Théorie Mimétique aux maladies en général avec, ouvrage dernier en date, la parution en français de Anorexie et désir mimétique (2008).

N’oublions pas non plus que si des maladies apparaissent (et il est difficile de croire que le SIDA fait partie du disease mongering) il y en a d’autres qui disparaissent non pas seulement grâce à la médecine et à l’hygiène comme nombre de maladies infectieuses (du moins sous nos climats) mais aussi par effet de mode anti mimétique (l’hystérie). L'histoire de la médecine est remplie de ces apparitions / disparitions qui permettent de mettre à jour le contexte historique de ces phénomènes et non seulement leur origine psychologique ou sociologique.

Quels sont donc les procédés majeurs de la Stratégie de Knock ?
Je reprends une phrase de Monique Debauche (http://www.grouperechercheactionsante.com/diseasemon_llg51.htm) que je mélange à des données retrouvées dans l’article de Monhyan et al. [Moynihan R, Heath I, Henry D. Selling sickness: the pharmaceutical industry and disease mongering. BMJ 2002;324:886-91.]

Le principe de la Stratégie de Knock est d’élargir le plus possible les frontières du pathologique traitable pour y inclure un maximum de personnes et ainsi vendre plus de tests diagnostiques, d’examens complémentaires, de consultations médicales et de médicaments. Soit en transformant un trouble mineur ou un processus ordinaire du vieillissement en maladie (la calvitie), soit en élargissant les critères d’une maladie existante (l’hyperactivité chez l’enfant), soit en transformant des symptômes légers en sévères (le syndrome du colon irritable), soit en transformant des facteurs de risques en maladies susceptibles d’être traitées sans qu’en définitive le pronostic du patient ne soit amélioré (ostéoporose)soit en médicalisant des troubles privés (les chagrins d'amour) ou sociétaux (les phobies), soit en exagérant la fréquence ou la gravité d’une maladie pour inviter les patients à consulter (troubles de la fonction érectile), soit en créant de toute pièce une maladie à partir de symptômes mal définis (fibromyalgie), soit en popularisant un syndrome pour en faire une maladie (le syndrome des jambes sans repos), soit en développant une politique de prévention (la pré hypertension, le pré diabète) pour faire peur.

La Stratégie de Knock se sert de tous les moyens anciens et modernes pour arriver à ses fins : la cupidité des médecins depuis le haut jusqu’au bas de la pyramide (cadeaux en tous genres), le besoin de reconnaissance des médecins (faire des diagnostics faciles, publier des articles que l’on a ou non écrits, mettre son nom sur des tests diagnostiques) et des patients (associations de malades), manipuler des données épidémiologiques pour faire peur, négliger les effets indésirables des traitements, etc. Elle infiltre les Institutions comme l'Académie de Médecine, l'Afssaps, la HAS, la Direction Générale de la Santé mais aussi la CPAM et les syndicats d'usagers, de malades et de médecins...

Il ne faut pas croire qu’il y ait un seul chef d’orchestre clandestin à cette Stratégie (qui serait Byg Pharma) : il existe dans la société tout entière un désir d’être en bonne santé et d’exiger que tout soit mis en œuvre (la santé n’a pas de prix) pour que les besoins collectifs et individuels soient satisfaits. Il existe aussi un désir de ne pas souffrir pour rien : il faut que les souffrants aient leur maladie identifiée, que les médecins fassent leur diagnostic, que les vendeurs vendent leurs tests diagnostiques, leurs examens complémentaires et leurs thérapeutiques et que les dirigeants des institutions se glorifient d’être à l’origine de cette bonne santé généralisée grâce à l’argent qui a été injecté et, surtout, grâce aux sentiments qu’ils ont prodigués aux bien-portants comme aux malades.
Et tout cela fait d’excellents citoyens.
Mais, finalement, la Stratégie de Knock permet la médicalisation de la société qui rassure en tentant de faire croire que l’on pourrait d’une certaine mesure échapper à la mort et, là, de façon contractuelle, aux souffrances éventuelles de la mort.

Dans un deuxième épisode nous tenterons d'approfondir la réflexion.