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samedi 19 mars 2022

Bilan (partiel) de la semaine entre le lundi 14 mars et le samedi 19 mars 2022

Chien-Chi Chang ©️ Magnum Photos

 


Les semaines se suivent et se ressemblent.

Les critères de substitution restent des critères de substitution dans les essais cliniques, en oncologie comme ailleurs,

Bel article dans le JAMA (ICI) sur le fait que prendre comme critère dans les essais cliniques en oncologie, Progression Free Survival (PFS) ou en français (Survie Sans Aggravation/Progression), conduit à des biais importants.

Rappelons qu'en cancérologie les deux critères principaux devraient être la Survie Globale et/ou la Qualité de Vie.

Les auteurs rapportent qu'environ 50 % des molécules approuvées par la FDA et par l'EMA montraient une amélioration de la Survie Globale et/ou de la Qualité de Vie (mesurée avec une échelle validée)

Le sur diagnostic est un des problèmes majeurs de la médecine actuelle : mille repetita placent.

Une étude taïwanaise (ICI) sur le dépistage des cancers du poumon chez des femmes fumeuses et non fumeuses (rappelons que 15 % des cancers du poumon surviennent chez des non-fumeurs) montre un sur diagnostic massif. 

Les études vaccin Covid vs placebo montrent un nombre considérable d'événements indésirables dans le groupe placebo !


Une analyse US (LA) menée partir de 12 articles sur plus de 20 000 patients dans chaque groupe (vaccin et placebo) montre qu'après la première dose et la deuxième dose de placebo 35,2 et 31,8 % des sujets rapportaient des événements indésirables systémiques. 

Mais : il y en avait significativement plus dans le groupe vaccin.

Cette analyse devrait entraîner plusieurs conséquences : 1) l'accueil dans les centres de vaccination doit  mieux prendre en compte cet effet nocebo de la vaccination ; 2) les sujets qui présentent des événements indésirables ne sont pas des demeurés ; 3) prévenir les sujets est important.


Hors sujet : le Pritzker Price 2022 attribué à un Burkinabé, Francis Kéré




Running gag chez Prescrire : chez les jeunes enfants de moins de deux ans en cas de douleur et fièvre il faut préférer le paracétamol à l'ibuprofène.

Voir LA pour les non abonnés et... les abonnés.

Certaines molécules qui ont obtenu une approbation accélérée en oncologie et qui n'ont pas prouvé plusieurs années après qu'elles satisfaisaient à des critères d'efficacité...

... sont toujours sur le marché, avec les mêmes indications et sans tenir compte des études négatives.

Etonnant, non ? Voir LA.


Omicron vs Delta

Une étude anglaise (LA) montre qu'Omicron réduisait de 50 % (risque relatif, je n'ai pas pu calculer la diminution du risque absolu) le risque d'hospitalisation et de 69 % le risque de décès, comparé à delta.

Les auteurs ont stratifié par âge mais ne parlent jamais du risque absolu...

Les conclusions sur la protection comparée par les infections antérieures et/ou les vaccins sont difficilement exportables en France car de nombreux sujets ont été vaccinés par le vaccin Astra Zeneca.

The 80% overall reduction in the intrinsic risk of death that we estimate for omicron infection compared with that of delta will make the goal of living with COVID-19 in the absence of socially and economically disruptive public health interventions substantially easier to achieve at the current time. 

Les sujets les plus à risque de formes graves du Covid sont, étonnamment, 

Selon une étude de la DREES (ICI) les sujets les plus à risque de formes graves du Covid sont :

  1. Les plus jeunes âgés
  2. Les femmes hommes
  3. Les plus riches pauvres
  4. Les travailleurs intellectuels manuels et de certaines professions.
  5. Les habitants des logements les plus grands petits par rapport au nombre d'occupants
  6. Les habitants des logements sociaux
  7. Les hommes nés en France en Afrique.
  8. Les hommes nés en France en Asie
Le biais évident est le suivant : nous avons vu la semaine dernière (LA) que les non vaccinés appartenaient peu ou prou à ces mêmes catégories.

Mais ce peut être considéré comme une confirmation : le darwinisme social existait avant le Covid. S'il faut mettre le paquet sur la protection de la population tout entière (mesures barrières et vaccination ciblée) pour lutter contre le Covid, il faut mettre le paquet sur la réduction des inégalités. On verra cela dans un millénaire.

La quatrième dose contre Omicron ne semble pas très efficace en population générale : selon un article du NEJM

ICI Une étude israélienne non contrôlée (non randomisée)

Prescrire des IPP en cas de maux de gorge persistants ne sert à rien.

Voir ICI Un avis du NIHR.

Une étude contrôlée IPP vs placebo a inclus 346 patients présentant des maux de gorge (toux, gêne, sensation de corps étranger) explorés et sans étiologie claire depuis au moins 6 semaines. La durée de l'essai était de 16 semaines. Une évaluation des symptômes et de la qualité de vie été faite à 16 semaines et à un an. Les symptômes et la qualité de vie ont été améliorés dans les 2 groupes sans différences inter groupes, que les symptômes initiaux soient légers ou sévères à l'inclusion, que les patients soient fumeurs ou non, et cetera.

Un guide québécois des biais cognitifs.



Le truc est vraiment bien foutu pour s'initier, pour creuser ou pour lire.


Et je ne vous ai pas parlé de : 

  1. L'EBM est condamnée : par les médecins qui n'y croient pas et par les industriels qui ont confisqué les essais cliniques à leur profit. ICI  
  2. Dans le mésothéliome pleural malin, nivolumab seul ou associé à l'ipilimumab augmentent la survie globale de 4 mois ! On peut en discuter ? LA
  3. Grâce à Hervé Maisonneuve on apprend de Erik Turner (ICI) que sur 30 essais concernant les antidépresseurs les 15 publiés étaient favorables aux molécules et, parmi les 15 autres, négatifs, 6 n'ont pas été publiés et 2 autres étaient "trompeurs". Mais l'auteur constate une amélioration par rapport : ente 1987 et 2002, seuls 11 % des essais avaient été publiés. 

La semaine prochaine : pas de bilan : vacances.

Plein soleil (1960) René Clément


Dernière minute : grand chelem !




jeudi 3 septembre 2020

MALIGNANT, le dernier opus de Vinay Prasad. Comment une mauvaise politique et des preuves de mauvaise qualité nuisent aux patients souffrant d'un cancer.



Lire ce livre est un bonheur tant le style est limpide, l’anglais évident, le propos clair, l’enthousiasme communicatif, l’absence d’animosité élégante et les exemples choisis pertinents. Mais cette lecture est aussi un véritable calvaire pour le praticien (et pour le citoyen).

Ce que nous apprenons ou réapprenons, ce que nous découvrons ou redécouvrons, ce que nous constatons ou re constatons, ce qui est mis en lumière et ce que nous avions oublié, ce que nous nous étions caché et qui réapparaît, dévoile un système effrayant de noirceur, d’avidité, d’appât du gain et de gloire, de fraudes scientifiques, de manques à l’éthique, de mépris des citoyens malades, de conflits d’intérêts majeurs, un système qui pourrait apparaître comme une dystopie mais qui est le passé, le présent et sans doute l'avenir de l’oncologie.

Vinay Prasad, avec son air de ne pas y toucher, n’oublions pas qu’il fait partie du milieu, qu’il n’est pas un lanceur d’alertes, c’est un révélateur, peut-être même un dénonciateur, qu’il n’est certes pas rétribué par l’industrie pharmaceutique mais qu’il a reçu deux millions de dollars en trois ans de la part de la fondation Laura and John Arnold (ICI), décrit des pratiques, celles de la recherche de molécules en préclinique jusqu’à leur commercialisation en oncologie, qui sont détestables. Détestables pour les patients qui souffrent, des patients instrumentalisés par l'espoir, les médicaments miracles, les déclarations tonitruantes, les mensonges, les non-dits, et, finalement, des patients livrés à une machine qui broie.

Tout ce qui est excessif est insignifiant, pourriez-vous d'emblée dire et ainsi cesser de lire ce résumé d'un livre capital. Mais, malheureusement, ce qu'écrit Vinay Prasad, et il existe dans ses articles, dans sa bibliographie, des centaines de thèmes qu'il n'a pas explorés ici, est devant nos yeux : il suffit de lire, de regarder, de comprendre, et la majorité d'entre nous, les praticiens, nous ne le faisons pas. Nous nous laissons faire. A tous les niveaux. Sans oublier les progrès formidables en cancérologie qui ont été accomplis dans la prise en charge de certains cancers avec des résultats sur l'espérance de vie et la qualité de vie des patients.

Car ce livre, malgré la noirceur de ce qu'il décrit, est surtout une oeuvre salutaire brillante et éclairante.

Vinay Prasad ne nous dit pas que tous les oncologues, tous les onco-hématologues, sont malhonnêtes, il nous dit que le système est vicié, il nous décrit des pratiques qui, depuis les phases 1 jusqu’à l’approbation par la FDA et la fixation des prix des molécules, sont contraires à l’intérêt des patients, commercialiser des molécules inefficaces et dangereuses, contraires à l’intérêt des contribuables états-uniens, commercialiser des molécules inefficaces et dangereuses à des prix ahurissants (en moyenne 100 000 dollars par an pour un traitement), contraires à la méthodologie scientifique, commercialiser des molécules qui n'ont fait ni la preuve de leur efficacité (et a fortiori de leur efficience) ni de leur absence de toxicité, contraires à la morale commune, commercialiser des molécules sur la base d'avis corrompus par l'argent des développeurs de molécules.

Vinay Prasad rapporte des faits, cite des molécules, met le système à plat et, surtout, propose des solutions.

C'est une leçon d’anatomie, tel un légiste il dépèce le système, il désarticule les différentes phases de la procédure industrielle, c'est une leçon de physiologie, il investigue les processus qui animent le grand corps décisionnel des différentes administrations états-uniennes, c'est une leçon de médecine au lit du malade, tel un interniste il diagnostique les maux et les maladies qui conduisent à toutes ces anomalies de fonctionnement, c'est une leçon de morale, tel un éthiciste il pointe du doigt les endroits où les consciences font fi des malades, mais surtout, c'est une leçon de thérapeutique, tel un praticien, il suggère des traitements.

Vinay Prasad est pourtant un OVNI, un OVNI que les responsables de la santé états-unienne et que les oncologues de tous les pays regardent de loin, au télescope, ils auraient trop peur en s’approchant de lui de devoir remettre en cause leurs pratiques qui leur semblent naturelles, dans le sens du progrès et de l’enrichissement de tous, trop peur de se faire contaminer par les idées de bon sens et d’éthique scientifique qui devraient présider à l’amélioration de la survie et de la qualité de vie des patients souffrant d’un cancer.

Pourtant, avec malice, il donne des pistes à l’industrie pour lui éviter de perdre de l’argent (et par la même occasion d’en gagner un peu plus) et pour la remettre dans le sens de la morale, il donne des pistes pour que les patients souffrant d'un cancer puissent être mieux pris en charge, soulagés et traités, et surtout pour que la recherche et le développement des futures molécules ait pour objectif d'améliorer la survie globale des patients et leur qualité de vie d'une façon cliniquement pertinente et non seulement statistiquement pertinente.

Il n’est pas seul à défendre de pareilles idées dans le monde de l’oncologie, et plus généralement dans le monde des essais cliniques, nous citerons John Ioannidis, Ben Goldacre (dont les livres recensent depuis longtemps les mauvaises pratiques d'essais cliniques dans tous les domaines de la médecine) ou Peter Goetzsche, ses pairs, mais la liste de ses fellows serait trop longue pour que la rapporte ici. Qu'ils m'en excusent.

Comme il ne s’agit pas d’un livre profane et que les exemples que je pourrais extraire du livre pour illustrer la perversion du système seraient trop techniques et ciblés, je vais résumer la pensée prasadienne et je laisserai le nom des molécules aux oncologues et onco-hématologistes.

S'il n'y avait qu'un chapitre à lire, ce serait le chapitre 2 concernant les critères de substitution (pp 23-51). 

Il rend compte de la problématique actuelle de l'oncologie. Adam Cifu a écrit : "Un critère de substitution est quelque chose que le patient ne savait pas important jusqu'à ce qu'un médecin lui dise que cela l'était."
1) Le taux de réponse est fondé sur la diminution de la taille de la tumeur qui a été fixé arbitrairement à 30 % Arbitrairement pour des raisons techniques (le pied à coulisse de nos ancêtres) mais sans corrélation aucune avec une quelconque amélioration clinique pour le patient. 2) La durée de la réponse est le temps que met la tumeur à grossir plus de 20 % par rapport à l'évaluation initiale : le lien avec une plus longue survie est ténu. 3) Les autres catégories de critères de substitution sont le temps au bout duquel survient un événement : la survie globale n'est pas un critère de substitution, c'est le critère majeur de l'oncologie associé avec la qualité de vie. Mais il existe des critères de substitution pour cette survie globale (Overall survival) : 3) a. Le plus célèbre est le PFS (Progression Free Survival) qui est un critère composite : le temps au bout duquel plusieurs faits peuvent survenir : le décès du patient, l'apparition d'une autre tumeur au scanner ou l'augmentation de la taille de la tumeur de plus de 20 % Mais c'est un critère arbitraire car une augmentation de diamètre constatée dans un plan peut signifier une augmentation de 173 % en volume ! 3) b. Le Disease Free Survival (DFS) est aussi un critère composite : le temps au bout duquel le patient meurt et/ou apparaît une rechute. Il est utilisé dans le cas où une tumeur a été enlevée et où on ne sait pas s'il va ya avoir une rechute. Mais c'est aussi un mauvais critère : l'exemple du cancer in situ est développé par Vinay Prasad. 3) c. Nous citerons également l'event-free-survival (EFS), Time to Progression (TTP) et Relapse-Free-Survival (RFS). En conclusion (mais Vinay Prasad donne de nombreux exemples précis où ces critères de substitution ont échoué) : "Quand des études de qualité ont été faites elles montrent majoritairement qu'il existe une faible corrélation entre les critères de substitution et la survie globale des patients."


Voici un résumé succinct de ce que pourrait être une volonté politique et scientifique pour développer la recherche clinique en cancérologie, et permettre à tous d’en profiter et finalement aider les patients porteurs d’un cancer.

Premier point : Indépendance.

L’argent de l’industrie du cancer pervertit les chercheurs, les cliniciens, les responsables académiques, les agences gouvernementales, les patients, les associations de consommateurs, le public. L’argent versé ne favorise pas l’esprit critique et conduit à l’utilisation de molécules marginales dont les preuves d’efficacité ne sont pas pertinentes pour les patients.

Vinay Prasad prend l'exemple de la façon dont les conflits d'intérêts peuvent influencer les six différents groupes de votants du Oncology Drug Advisory Committee qui décide de la commercialisation d'une molécule. 1) Les employés de la FDA doivent ne pas avoir de conflits d'intérêts au moment du vote. Plusieurs enquêtes ont montré qu'après leur départ de l'agence entre 37 et 68 % des employés votants trouvent un poste dans l'industrie. L'avenir d'un employé de la FDA est donc essentiellement de travailler pour l'industrie (revolving door) 2) Les votants de l'ODAC : en 2006 un article du JAMA révélait que 70 % d'entre eux présentaient au moins un conflit d'intérêt. Une réforme est survenue et désormais, aucun conflit d'intérêt n'est retrouvé au moment du vote mais 27 % des votants ont précédemment reçu de l'argent d'industriels dont les molécules étaient examinées devant le comité (revolving door passé et à venir) 3) Les industriels : pas de commentaires : ils défendent leurs molécules. 4) Mais ils ont le droit d'inviter des experts qui sont en général des géants de l'oncologie. 92 % d'entre eux reçoivent de l'argent de l'industrie et, en moyenne, 35 000 dollars. Les voix majeures de l'oncologie sont donc payées par l'industrie de l'oncologie et la quantité d'argent qu'ils reçoivent est corrélée avec le nombre de leurs publications et leurs facteurs d'impact. La question est : qui a commencé ? 5) Les patients et groupes de patients : 19 % présentaient un conflit d'intérêts entre 2009 et 2012 6) Le public. Une étude a montré que sur 103 personnes du public qui ont pris la parole devant le comité 30 % recevaient de l'argent soit directement, soit par l'intermédiaire des associations auxquelles ils appartenaient et, bien plus, 92 % des intervenants étaient pour la commercialisation des molécules, 6 % étaient neutres et 2 % contre.

Deuxième point : Les preuves. Mesurer ce qui importe et le faire de façon juste.

Pour développer un plan cancer qui réussisse il faut produire des preuves de grande qualité et obtenir des résultats qui comptent pour les patients : améliorer leur espérance de vie globale et leur qualité de vie.

Les preuves doivent être recherchées avec des essais randomisés bien faits sans arrière-pensées (équipoise).

Ce qui signifie (1) entreprendre des essais de non infériorité seulement quand le jeu en vaut la chandelle : par exemple si la nouvelle molécule est moins chère, moins toxique, ou plus pratique que les anciennes ; (2) être certain  que les changements de posologie dus aux effets indésirables sont justes et appropriés ; (3) comparer une nouvelle molécule par rapport au meilleur standard de soin existant (sur 95 essais randomisés menant à une commercialisation, 17 % avaient un bras contrôle inapproprié) ; (4) et utiliser le cross-over  de façon correcte : jamais dans un essai pour prouver l'efficacité d’une molécule mais toujours dans un essai qui tente de montrer qu’une molécule est efficace plus tôt dans le traitement.

Vinay Prasad donne des exemples nombreux sur des protocoles ni faits ni à faire, sur des protocoles biaisés, sur des résultats fondés sur des critères fallacieux, les fameux critères de substitution, sur des protocoles menés à l'encontre de l'état de l'art sur des protocoles menés hors Etats-Unis sur des patients qui ne sont pas états-uniens... Imagine-t-on aujourd'hui que l'on développe une molécule anti hypertensive en ne mesurant que la pression artérielle, en menant un essai de non infériorité sur six mois contre une molécule bétabloquante, et en affirmant que cette étude permet de diminuer la morbimortalité liée à l'hypertension ? C'est ce qui se passe en oncologie.
Comme il n'est pas possible de tout passer en revue voici un exemple de biais méthodologique relevé par Bishal Gyawali et Alfredo Addeo en 2018  :
Douze essais négatifs de phase 3 publiés dans des "grands" journaux pour de nouvelles molécules : 1 essai a été mené sans essai de phase 2, 3 ont été menés malgré des résultats négatifs en phase 2, 5 malgré des résultats de phase 2 non concluants et 3 conduits après une phase 2 positive ! 

Troisième point : Pertinence. Nos études doivent aider le patient "moyen" souffrant de cancer. 

Il faut se concentrer sur le patient moyen et non se fonder sur des essais effectués chez des personnes jeunes et en « bonne santé » hors cancer où les bénéfices obtenus sont maigres et où la prescription à des personnes plus âgées et plus fragiles pourrait entraîner une toxicité gommant les maigres effets obtenus. Les essais doivent s'intéresser à tous les patients âgés avec comorbidités et valider qu'ils sont effectivement efficaces sur de larges échantillons en situation réelle communautaire. La FDA doit approuver des molécules pour les citoyens et non pour des patients idéalisés.

Quatrième point : Accessibilité. Les thérapeutiques efficaces doivent être largement disponibles. 

Une molécule non disponible n’est pas un meilleur traitement du cancer que pas de molécule du tout. Il y a de nombreuses solutions pour faire baisser le prix des molécules anti cancéreuses.

Il faut d’abord souligner la nécessité de séparer le soin de la recherche. Le soin est financé par les gouvernements, les sociétés d’assurances et par les dépenses personnelles. La recherche est fondée sur la recherche publique, les compagnies biopharmaceutiques et les fondations non gouvernementales. 
Aux États-Unis d’Amérique les dépenses de santé représentent 3500 milliards de dollars soit 10 000 dollars par personne tandis que le budget de la recherche atteint 110 milliards de dollars, soit 300 dollars par personne (industrie pharmaceutique : 71 milliards, National Institutes of Health, 39,2). En d’autres termes le budget de la recherche représente grossièrement 3 % des dépenses de santé. 
Personne ne connaît le bon ratio. 
En revanche il apparaît que la recherche tente de s’approprier les ressources du soin pour se financer. Notamment le séquençage des tumeurs pour chaque personne atteinte d’un cancer, ce qui signifie donc faire financer par le soin des interventions non démontrées… 
Il est certain que la recherche doit être plus financée mais pas en affirmant que des procédures incertaines « marchent ».

Cinquième point : Perspectives. Le pipeline pré-clinique doit être développé.

Seules 5 % des hypothèses physiopathologiques conduisant à des conséquences cliniques voient le jour.
Il faut financer le pré clinique, ne pas tout investir dans des hypothèses hasardeuses (bien que la sérendipité soit une des options de la recherche) comme l'oncologie fondée sur le génome, il faut aussi financer la recherche fondamentale sans objectifs cliniques évidents, favoriser les jeunes chercheurs, envisager de nombreux systèmes d'allocations des ressources dont l'établissement d'une loterie... Page 245 Vinay Prasad propose même un essai randomisé (4 bras d'intervention et un bras contrôle) pour décider quel type de financement de la recherche favoriser.

Sixième point : Agenda. L'horizon général des essais cliniques en oncologie doit encourager la contribution des participants.

Vinay Prasad : il est nécessaire de minimiser les biais dans les essais en cancérologie, de poser les bonnes questions et dans le bon ordre, afin d'en faire profiter les patients souffrant de cancer. Il est possible d'imaginer un système formel, international, sans conflits d'intérêts à un niveau gouvernemental pour encourager les essais de qualité, les nouvelles molécules, la non duplication des essais, l'investissement dans des indications rares.

***

Je terminerai, mais je n'ai pas cité les dizaines de molécules pour lesquelles la FDA a donné son approbation et pour lesquelles elle n'aurait pas dû le faire, par les mirages de la médecine de précision, le hype du hype. Selon le NCI Match Trial (mené au niveau fédéral) en 2017 seuls 495/4702 (10,5 %) des patients qui ont été inclus dans le Next Génération Sequencing ont pu être associés à une molécule. L'essai MOSCATO-1 a montré que sur 1000 patients inclus 200 ont pu être associés à une molécule et que seuls 22 ont eu une réponse complète ou partielle. Soit 2 % de chances de voir une réduction de la taille de la tumeur ! Rappelons qu'avec de vieilles molécules cytotoxiques le taux est de 10 à 20 % lors de cancers récidivants.

Je vous conseille de lire ce livre avec lenteur pour regarder autrement vos futurs patients porteurs d'un cancer et regarder avec plus d'attention les comptes-rendus des Réunions de Concertation Pluridisciplinaire, pour suivre le cheminement de vos patients traités depuis le diagnostic jusqu'à la guérison et, malheureusement, les soins palliatifs.




mercredi 26 juillet 2017

Vinay Prasad sur les débats qui animent twitter


Vinay Prasad fait un travail magnifique d'éclaircissement sur un certain nombre de faits qui agitent les sphères de l'oncologie, du dépistage, des traitements, du coût des traitements. Je ne le connais pas personnellement mais je lis ce qu'il écrit (il écrit beaucoup). Il nous enthousiasme sur le niveau de réflexion que des médecins, dans leur propre spécialité, ici l'hématologie et l'oncologie, peuvent atteindre  dans un système de santé aussi étranger au nôtre que celui des Etats-unis et nous déprime quant à l'absence de médecins critiques dans notre propre pays. @VinayPrasad82 pour le suivre sur twitter.




Voici la traduction d'un tweet qui m'avait bien plu. 

Le dépistage des cancers n'a jamais démontré sauver des vies, ce qui signifie améliorer la mortalité globale, et a des conséquences néfastes majeures incluant des faux positifs et des sur diagnostics et nous devons le juger par des preuves provenant d'essais randomisés. Voir ICI pour l'article original (sur abonnement) et LA pour un commentaire. [1]


Le coût des médicaments est hors de contrôle, il n'est pas régi par les forces traditionnelles du marché, il est mauvais pour les patients et la société, et des réformes sont nécessaires (LA).

La FDA états-unienne a assoupli les standards d'autorisation de mise sur le marché fondée sur des critères de substitution (ce qui, en soi, n'est pas la fin du monde) mais en les couplant avec l'abandon des études marketing post commercialisation, ce qui est mauvais pour les patients (ICI). [2]

Le financement de la recherche est majoritairement non fondé sur les preuves et arrose de façon disproportionnée les mêmes fausses  idées et les mêmes personnes (LA). [3]

L'oncologie de précision et les autres "traitements personnalisés" paraissent magnifiques mais manquent de données robustes issues d'essais randomisés.  Le seul essai dont nous disposons est négatif ( LA). [4]

Les nouvelles molécules sont souvent annoncées comme des miracles mais la réalité est typiquement qu'il y a un certain nombre de réserves majeures, de distorsions dans le protocole, des biais et des manipulations derrière tout cela (ICILA, et encore LA). [5]

Les conflits d'intérêts sont vraiment un problème. 


Notes.

[1] Rappelons qu'en France les résistances sont fortes et que l'INCa a exercé des pressions intolérables pour que l'on n'abandonne pas en rase campagne le dépistage organisé du cancer du sein.
[2] les études post marketing (après commercialisation) ne paraissent pas devoir être très conclusives puisqu'elles sont menées dans l'immense majorité des cas par l'industrie pharmaceutique voir ICI ; mais, pire encore, quand les études post commercialisation montrent des résultas négatifs, les produits ne sont pas retirés du marché.
[3] Les recherches sont menées en fonction des marchés porteurs (nombre de patients putatifs élevé) et/ou dans des marchés de niche où le faible nombre de patients traités sera dans un premier compensé par des prix très élevés et dans un second par une extension des indications (alias saucissonnage). Voir à ce sujet l'excellente communication de Marc-André Gagnon lors des Pilules Prescrire 2015 : ICI.
[4] L'oncologie de précision est pourtant considéré comme l'avenir de l'oncologie par tous les experts mais les experts sont surtout payés par l'industrie pour des opérations promotionnelles justifiant a priori une efficacité non démontrée et l'obtention de prix faramineux.
[5] Big Onco organise une messe annuelle sous le patronage de l'ASCO durant laquelle elle fait du pré marketing à base d'abstracts aux résultats rarement confirmés, de communications tronquées et truquées à laquelle est convié le gratin des oncologues et le gratin des journalistes internationaux.

dimanche 16 novembre 2014

Sérendipité du suivi des patients. Histoire de consultation 179.


Madame A, 64 ans, est diabétique non insulino-dépendante, hypertendue, dyslipidémique et en surpoids. On peut même dire qu'elle est une diabétique pas bien équilibrée selon les canons de la médecine réglementaire puisque son HbA1C est à 8,2 (et que nous n'arrivons pas à faire baisser depuis des années malgré une pression artérielle, un LDL cholestérol, une fonction rénale et une rétine aux taquets). 

Les recommandations recommandent une HbA1C aux alentours de 7 (j'ai toujours aimé l'expression "aux alentours" issue de la Revue Prescrire).

Pourquoi cette patiente n'est-elle pas bien équilibrée sur le critère de substitution HbA1C ? 

Vous avez plusieurs options : c'est la faute du médecin qui la suit (le docteur du 16 depuis une une bonne vingtaine d'années), c'est la faute de la patiente, c'est de la faute de la société, ou vous mélangez le tout.

Nous étions convenus qu'elle se fasse opérer du genou (prothèse totale) en raison de lésions arthrosiques majeures très invalidantes pour une femme qui a la responsabilité de sa famille (mère, petits-enfants, arrière petits-enfants).
Je la revois l'autre jour au décours de son intervention (qui s'est "bien" passée), de son séjour en centre de rééducation (qui s'est bien passé à quelques détails près), de son retour à domicile (qui s'est mal passé car elle n'a pu continuer la rééducation, aucun kinésithérapeute ne voulant ou ne pouvant ou les deux se déplacer à domicile). 
J'ajoute que cette patiente a déménagé et habite désormais à plus de 20 kilomètres de mon cabinet et qu'au lieu de me contacter elle a essayé de se débrouiller toute seule, "pour ne pas me déranger".
Quoi qu'il en soit, je la reçois, l'examine et me rend compte qu'elle n'a pas récupéré une flexion complète mais, bien plus, que sans exercices, elle a régressé depuis sa sortie du centre de rééducation. Je lui prescris des séances de kinésithérapie (elle pourra s'y rendre car elle conduit désormais) et lui donne des conseils d'auto rééducation.

Mais voici l'affaire.
Durant son séjour au centre de rééducation, les médecins, à juste titre, ont trouvé que ses objectifs d'équilibration diabétique n'étaient pas atteints. Ils ont changé son traitement. Ce qu'elle n'a pas supporté (non désir de changer, effets indésirables, refus de se faire piquer). Elle leur a dit expressément qu'elle ne voulait pas continuer. Ils ont insisté. Ils l'ont menacée d'appeler son médecin traitant (ce qu'ils n'ont pas fait) pour l'obliger à l'observance (une nouvelle cause nationale ?). Tant et si bien qu'elle a refusé de se faire piquer (un nouveau médicament qui n'est pas de l'insuline), a fait semblant de prendre ses nouveaux médicaments et a continué à prendre en cachette ceux qu'elle prenait avant (metformine et glibenclamide) que lui rapportait l'une de ses petites-filles.
Une performance.
Plus de trois semaines après la sortie du centre je n'ai toujours pas reçu de compte rendu mais le compte rendu opératoire est arrivé.
Elle m'a dit également qu'on lui avait conseillé de demander à son médecin traitant de lui prescrire un lecteur de glycémie afin de mieux contrôler son diabète (je rappelle ici, et malgré les scandaleuses campagnes de publicité grand public que l'on entend actuellement pour inciter les diabétiques tout venant de demander à leur médecin de leur prescrire des lecteurs de glycémie, que les lecteurs de glycémie sont réservés aux diabétiques utilisant l'insuline -- voir ICI-- et que non seulement c'est hors nomenclature mais qu'en plus aucun essai n'a montré un quelconque avantage à se servir de ce type d'appareil pour équilibrer un diabète).

Nous sommes convenus avec la patiente de doser son HbA1C avant que je ne lui represcrive ses médicaments, le dernier dosage remonte à mi août, et, au dernier moment, avant qu'elle ne quitte le cabinet, je découvre ceci : durant son séjour de 3 semaines au centre de rééducation elle a perdu 8 kilos ! "La nourriture était tellement mauvaise."
Ainsi apprends-je par la bande que le fait de ne pas manger fait maigrir... que la patiente, ce que je savais, ne "faisait pas de régime" alors qu'elle "prétendait" faire des efforts (ce qui était sans doute vrai)... que la nourriture n'est pas très bonne dans certains établissements mais que cela sert de révélateur de la malbouffe généralisée qui règne à l'extérieur.



Le culte des indicateurs et des critères de substitution (ici l'HbA1C) conduit à l'"innovation" : de nouveaux médicaments non éprouvés et chers sont prescrits pour remplacer des médicaments peu efficaces mais connus. 
Sans doute en toute indépendance de big pharma.
Le rêve des lobbys agro-alimentaire et santéo-industriel (ce sont souvent les mêmes), c'est une HbA1C "convenable" obtenue grâce à des médicaments coûteux prescrits à des personnes qui continuent de manger "normalement", c'est à dire en consommant (trop) de la nourriture à la mode. 
Les campagnes de dépistage du diabète sont un épisode de plus de l'hypocrisie ambiante : le tout coca et le tout McDo sont favorisés par la pub, le tout dépistage est favorisé par la pub, le tout traitement est favorisé par big pharma, et, en bout de chaîne, les médecins (mais bien entendu les médecins généralistes en premier lieu) sont désignés comme coupables du non dépistage (voire peut-être de la non prévention).
Les patients ont, heureusement, une histoire personnelle, mentent à leur médecin, s'en sentent parfois coupables, n'"observent pas" et gardent leur libre-arbitre tout en étant bombardés de publicités délétères et de conseils fallacieux. 
Les médecins, eux, n'écoutent pas assez leurs patients, et il arrive qu'ils soient à la fois trop intrusifs (de quoi je me mêle) ou pas assez (vous auriez pu le savoir avant). Où placer le curseur ? 

Quant à la médecine générale, c'est quand même compliqué. Nous croyons gérer et le patient s'échappe, nous croyons être au courant et le patient a ses propres vues sur la question (qui est aussi sa question), nous avons des "certitudes" qui se traduisent par des "aux alentours de 7", nous avons l'illusion également de pouvoir faire son bonheur malgré lui... Nous sommes dans le règne de l'incertitude. C'est ce qui me plaît dans la médecine générale. Le danger essentiel de notre métier vient de ce que tout dans notre attitude, le verbal comme le non verbal, la prescription comme la non prescription, l'adressage comme le non adressage, la bonne comme la mauvaise conscience, est potentiellement source de dégâts collatéraux ou de bénéfices imprévisibles qui affectent la vie et l'entourage de nos patients et malades. Parfois pour de longues années.



jeudi 5 janvier 2012

Le bon docteur, les critères de substitution, les bons sentiments et l'HbA1C



Diagon Alley.
Toutes choses égales par ailleurs, un de mes plaisirs favoris est de me promener sur le web, le nez au vent. J’ai bien entendu quelques repères et quelques balises qui me permettent de ne pas (trop) me fourvoyer dans des impasses ou dans des lieux dévoreurs de temps. Mais les chemins détournés sont probablement le meilleur de la vie en général, ceux où l’on rencontre l’inconnu(e) ou les inconnu(e)s, ceux qui nous font nous éloigner de nos cercles d’ami(e)s ou de faux ami(e)s, de ces cercles où nous nous sentons bien car nous entendons ce que nous avons envie d’entendre, où nous percevons l’affirmation ou la contestation qui nous confortent dans nos certitudes ou dans nos doutes (ce qui est, à quelques détails près, la même chose) et où notre ego d’ami est valorisé.

La subjectivité.
Là où je veux en venir : pendant mes promenades dans les chemins de traverse (voir JK Rowling, Diagon Alley) les articles sont tellement nombreux, les sujets tellement différents, les angles d’attaques tellement déroutants, je me suis rendu compte, avec le temps, que je ne finis par ne retenir (et commenter) que les articles qui vont dans le sens de ce que je pensais auparavant. Disons que je sélectionne inconsciemment ce qui va me donner encore plus de grain à moudre dans le sens de mes convictions et que j’écarte les données qui pourraient m’amener à changer mes schémas de pensée tout faits ou, plus encore, qui pourraient donner des armes à ceux qui ne pensent pas a priori comme moi.
Cela s’appelle la banale subjectivité.
Il existe des endroits où l’on tente de combattre cette subjectivité.
Hervé Maisonneuve a publié en son blog un post sur la question (http://www.h2mw.eu/redactionmedicale/2012/01/développer-des-revues-systématiques-prenant-en-compte-léquité.html) et il relève que deux organisations ont tenté de relever le défi. Une que je connais bien, car elle est dans mon domaine, c’est la Collaboration Cochrane (http://www.cochrane.org/about-us ), et une autre que je connais mal, car elle se situe dans la domaine des sciences sociales, la Collaboration Campbell (http://www.campbellcollaboration.org/about_us/index.php). Ces deux organisations se sont engagées à suivre les recommandations de PRISMA pour Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (http://www.prisma-statement.org/). Où est passée La Revue Prescrire ? Eh bien, une des critiques fondamentales que l’on peut faire de notre revue nationale vient de ce qu’elle n’a jamais publié sa méthode. On doit lui faire confiance. Quand elle fait une revue de littérature on lit toujours, dans la présentation, que Prescrire bla bla bla a suivi la procédure méthodique de… Prescrire. Mais on ne connaît pas la pondération et, plus que tout,  Prescrire ne publie jamais de méta-analyse…
C’est donc le règne de la subjectivité absolue et de la croyance cléricale.

Le blog de Richard Lehman (ICI).
Pour rester à ce niveau (de subjectivité) je vous parle à nouveau (voir ICI) du blog de Richard Lehman (RL) qui fait partie des blogs hébergés par le BMJ. 
RL est un type formidable que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître personnellement (no free smile), dont je veux même ignorer la Déclaration Publique d'Intérêt, mais dont j'apprécie la plume alerte et, parfois, la naïveté, lorsqu'il commente certaines études cliniques, et avec lequel il m'arrive de ne pas être d'accord, c'est un bonheur que de ne pas être d'accord avec des gens que l'on aime beaucoup, cela permet de se dire qu'on est parfois plus fort qu'eux...  En le lisant, je me suis dit que les partisans du capi, première ou deuxième mouture, ne devraient pas lire le British Medical Journal, trop NICE, cela les désespèrerait et cela pourrait les mettre en porte-à-faux avec leurs fiches de paie...

L'HbA1C.
Je n'aime pas qu'on me raconte des histoires. Je n'aime pas que l'on me dise que le bon sens indique que... Qu'il vaut mieux doser que ne pas doser... Comme ceux qui disent que les bons sentiments font de la bonne médecine... Les commentaires moraux des partisans de la nouvelle convention encapifiée, sur, par exemple, l'évidente utilité du dosage tri ou quadriennal de l'HbA1C et sa valeur intrinsèque comme preuve absolue de qualité du médecin prescripteur, me cassent les pieds. Ce sont les mêmes qui nous ont dit pendant des années que les critères de substitution étaient d'absolus repoussoirs et qui prennent maintenant la partie pour le tout (cela s'appelle une métonymie, je dis cela pour les jeunes médecins qui trouvent que les vieux sont acariâtres) en voulant nous faire croire que c'est en prenant la température qu'on la fait baisser.

Parlons donc, foin des propos moralisateurs, de l'actualité du diabète à partir des commentaires de RL en son blog. 

D'abord, il nous parle de l'idolâtrie des critères de substitution (sur le blog de RL : ICI) à partir d'un article qui a été publié dans le British Medical Journal (LA, mais vous ne pourrez le lire que si vous êtes abonné) et que j'avais lu distraitement car le sujet me paraissait d'une trivialité absolue. Mais RL en a extrait la substantifique moelle.

Obsessed with glycated haemoglobin and microalbuminuria, diabetologists are like the Children of Israel in the wilderness, worshipping the Golden Calf and ignoring the Voice from Mount Sinai, whose Great  Commandment is “First Do No Harm.” John went on to develop the full Ten Commandments, but was dissuaded from publishing them due to American religious sensitivities:

The New Therapeutics: Ten Commandments
  • Thou shalt treat according to level of risk rather than level of risk factor.
  • Thou shalt exercise caution when adding drugs to existing polypharmacy.
  • Thou shalt consider benefits of drugs as proven only by hard endpoint studies.
  • Thou shalt not bow down to surrogate endpoints, for these are but graven images.
  • Thou shalt not worship Treatment Targets, for these are but the creations of Committees.
  • Thou shalt apply a pinch of salt to Relative Risk Reductions, regardless of P values, for the population of their provenance may bear little relationship to thy daily clientele.
  • Thou shalt honour the Numbers Needed to Treat, for therein rest the clues to patient-relevant information and to treatment costs.
  • Thou shalt not see detailmen, nor covet an Educational Symposium in a luxury setting.
  • Thou shalt share decisions on treatment options with the patient in the light of estimates of the individual’s likely risks and benefits.
  • Honour the elderly patient, for although this is where the greatest levels of risk reside, so do the greatest hazards of many treatments.


Puis, dans une autre livraison de son blog (LA), notre ami RL nous parle de deux études qu'il présente de façon drôle puis d'une troisième qui ne me fait pas rire.
La première étude (ICI) démonte la croyance des médecins qui pensent que l'incentive idéologique mené par eux-mêmes dans le cocon de leurs cabinets auprès de leurs malades (qui les auraient choisis) permet de faire des miracles.
Deux cent vingt-deux patients diabétiques de type I et de type II à parts égales et mal équilibrés avec une HbA1C aux alentours de 9 sont randomisés en trois groupes : a) thérapie comportementale structurée avec des sessions en groupes animées par un formateur ; b) sessions de groupes avec formateur ; c) séances individuelles illimitées avec infirmières et diététiciennes. Les critères de jugement sont multiples (qualité de vie, autocontrôles glycémiques, HbA1C). Au bout d'un an les trois groupes montrent une amélioration significative de l'HbA1C  (p< 0,01). Mais ce n'est qu'à trois mois que le groupe a) est significativement plus amélioré (- 0,8 %) que les groupes b) et c) (- 0,4 %). Les diabétiques de type II sont plus améliorés que les diabétiques de type I.
Donc : comment faire pour faire baisser l'HbA1C chez des patients diabétiques insuffisamment équilibrés selon les critères des experts attitrés élaborant des recommandations ou de Big Pharma effectuant des essais cliniques ?
La deuxième étude (LA) montre que les techniques intensives appliquées pour faire baisser l'HbA1C ne marchent pas (ce qui est un net avantage pour les patients !) : 623 patients sont soumis à une thérapeutique intensive pour faire baisser l'HbA1C en dessous de 7 et sont randomisés en trois groupes : a) éducation de groupe ; b) éducation individuelle ; et c) soins usuels. Bien heureusement (depuis ce que l'on sait grâce aux essais Advance,   Accord et VADT (LA), et contrairement à la recommandation (retirée) de l'HAS) seuls 21,2 %, 13,9 et 12,8 % des patients appartenant respectivement aux groupes b), a) et c) passent sous la barre des 7. On est soulagés !
La troisième étude (ICI). Elle intéresse 201 patients à faibles revenus dont le diabète de type II est mal contrôlé qui sont randomisés en deux groupes : a) sessions videos et entretiens téléphoniques ; ou b) remise d'une brochure d'éducation (20 pages) rédigée par un service officiel. Au bout de six mois l'HbA1C baisse significativement dans les deux groupes (9,6 à 9,1 %) mais on ne retrouve pas de différences entre les deux groupes.
Cette étude montre que les conditions socio-économiques sont probablement plus fortes que l'interventionnisme médical c'est à dire que Big Sugar ou Big Junk Food sont de mèche avec Big Pharma (et ont peut-être les mêmes actionnaires). 

Enfin, ce n'est pas RL qui m'en a parlé, mais cet article est extrêmement pertinent car il resitue les indicateurs à leur vrai niveau.
Une étude menée avec la warfarine (LA) indique que chez 250 sujets équilibrés, et alors qu'aux US la recommandation est de doser l'INR toutes les 4 semaines (pas tous les mois, les Français), doser l'INR toutes les 12 semaines revient au même. Les auteurs disent quand même qu'il faut se méfier... Je rappelle pourtant à ceux qui l'ignoreraient que la warfarine est la première cause d'hospitalisation (surdosage).

Je n'ai malheureusement pas d'essai montrant que le dosage de l'HbA1C deux fois par an est équivalent au dosage trois à quatre fois par an. Mais l'absence d'études ne rend pas idiotes les intuitions fondées sur l'expérience interne.

Bon, pour terminer, ajoutons qu'il serait utile que les organisations représentatives des médecins généralistes sur le plan scientifique identifient qui sont les décideurs des indicateurs du nouveau CAPI. Cela permettrait de discuter.

(illustration : les Dix Commandements en hébreu)




dimanche 25 avril 2010

CAPI EN GB (QOF) : 8 CRITERES ENLEVES DONT 5 APPARTENANT AU CAPI !

De nombreux médecins généralistes français bavent devant le système de santé britannique.
Les médecins de gauche parce que le système du paiement à l'acte n'existe plus.
Mais personne ne voudrait être britannique...
Ainsi, l'introduction du CAPI, système de prime à la performance, a-t-elle séduit des médecins dits de gauche car elle semblait introduire une part de forfait dans la rémunération et a-t-elle séduit les médecins de droite parce qu'elle permettait une augmentation des honoraires.
On me dit que ma segmentation des médecins de gauche et des médecins de droite est une connerie. D'abord parce qu'il y a aussi des médecins du centre, des médecins d'extrême-droite et des médecins d'extrême-gauche.
Dont acte.
Et surtout parce que l'argent c'est quand même important, que l'on soit de gauche ou de droite.
Mais on sait ici combien j'apprécie peu le CAPI pour des raisons qui ne tiennent ni à la forfaitisation de l'activité, ni à la prime qui pourrait venir au bout. Ni d'ailleurs au principe lui-même de l'excellence ou de l'amélioration.
Si je suis contre le CAPI, c'est en raison des critères choisis et de la façon de les apprécier. J'ai déjà dit ici et tout le mal que j'en pensais.
Les promoteurs de l'opération se sont, sans nul doute, inspirés du modèle britannique : Quality and Outcomes framework. Pour les curieux nous vous donnons le lien avec le site du NHS sur le système mis en place afin de pouvoir vous faire une idée (en anglais) : ICI.
En anglais parce que les Anglais écrivent dans leur langue. Mais le CAPI n'est pas une bonne traduction en français !

Ainsi, nos amis britanniques, ont-ils enlevé des critères pour la future grille d'évaluation des médecins.

Rappelons auparavant que le QOF comprend quatre domaines (% de participation à l'évaluation) :
  1. Un domaine clinique avec 80 indicateurs recouvrant 19 champs cliniques (65 %) : pathologie coronarienne (10 indicateurs), insuffisance cardiaque (3), AVC et AIT (8), HTA (3)... et vous pourrez vous reporter à la page 8 du document du NHS Information Centre
  2. Un domaine organisationnel avec 36 indicateurs sur cinq aires organisationnelles (16.75 %) : dossiers et informations (12), information des patients (2), éducation et formation (7), organisation pratique (7) et contrôle des médicaments (8)
  3. Un domaine patients comprenant 5 indicateurs (14.65 %) : longueur des consultations, gestion des rendez-vous et surveillance des patients.
  4. Un domaine de services additionnels (3.6 %) : frottis cervical, surveillance de la santé de l'enfant, maternité, contraception.
Et donc, pour l'an prochain, un certain nombre de critères vont être enlevés comme le décrit un article du BMJ car ils paraissent peu discriminants et peu contributifs : mesures de la pression artérielle (insuffisance coronarienne, diabète, AVC ou AIT), prises de sang pour mesurer l'HbA1C (diabète), cholestérolémie totale (diabète) ou créatininémie (diabète, patients traités par lithium), fonction thyroïdienne (patients traités par lithium, hypothyroïdisme). Et lisez ceci : c'est parce que la récompense concernait plus l'action de pratiquer tel ou tel geste plutôt que de proposer une réponse clinique à des résultats ou à des indicateurs intermédiaires comme la pression artérielle ou le taux de cholestérol... Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
Néanmoins des facteurs intermédiaires seront maintenus en ces domaines comme par exemple la proportion de patients dont la pression artérielle sera inférieure à 145 / 85 dans les quinze mois précédents chez les diabétiques...

On voit donc le retard de notre CAPI et le fait que les décideurs restent de marbre en constatant les "erreurs" étrangères qu'ils nous proposent de copier.

Le meilleur système de santé du monde est à la traîne...

vendredi 5 mars 2010

LE DIABETE DE TYPE 2 : UN CAS D'ECOLE POUR LA STRATEGIE DE KNOCK


La stratégie de Knock (ou disease mongering) consiste, dans le cas du diabète sucré de type 2 (ou diabète gras ou diabète de la maturité) à



  1. Dramatiser sa fréquence à partir de chiffres vérifiables mais peu vérifiés : deux millions de Français seraient porteurs d'un diabète de type 2 et il en existerait 600 000 qui s'ignoreraient (diabétiques "invisibles") selon Wikipedia. Trois millions selon la Mutuelle Nationale Territoriale.

  2. Dramatiser l'augmentation des nouveaux cas réelle et prévisible en parlant d'une maladie épidémique.

  3. Imposer une stratégie de lutte reposant sur un rationnel éprouvé (sinon prouvé) : combattre les complications cardiovasculaires et microcirculatoires sans preuves réelles (oeil et rein).

  4. Promouvoir une stratégie thérapeutique simple et univoque en visant trois critères de substitution : l'HbA1C ou hémoglobine glyquée inférieure à 7, le LDL cholesterol inférieur à 1 et la pression artérielle inférieure à 140 - 90.

  5. S'appuyer sur un leitmotiv univoque qui serait que "The Lower the better" ou, en français "Moins c'est mieux".

  6. Privilégier les essais sponsorisés par Big Pharma qui n'apportent rien sur le plan essentiel de la diminution significative de la mortalité totale mais qui autorisent la vente de nouveaux médicaments qui n'ont fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur innocuité (cf. les glitazones).

  7. Négliger l'article fondateur du traitement du diabète ou UKPDS (pour United Kingdom Prospective Diabetes Study) qui privilégie uniquement la metformine.

  8. Faire des campagnes nationales grand public pour "sensibiliser" les patients et, surtout, les futurs malades. En France comme à Abidjan.

  9. Mobiliser les associations de patients comme l'AFD (Association Française des Diabétiques) dont on connaît les liens, il suffit de regarder la page d'accueil, avec l'industrie pharmaceutique et les marchands de diététique. Mais une recherche rapide sur google est impressionnante : ici et .

  10. Mobiliser les experts de tous poils afin que, tels des Hare Krishna, les leaders d'opinion internationaux, nationaux, locorégionaux psalmodient partout "MOINS C'EST MIEUX !", à tous les coins de rue, dans les Congrès comme dans les restaurants où ils mangent au frais de Big Pharma, dans les hôpitaux comme dans les Formations Médicales Continues sponsorisées par Big Pharma, par la CPAM ou par les syndicats médicaux... dans les allées du pouvoir (la DGS) comme dans les locaux des Agences Gouvernementales (HAS) ou presque (InVS). Hare Krishna, Hare Krishna.

  11. Investir tous les lieux de pouvoir afin de promouvoir le traitement (voir le CAPI), le dépistage, le surdépistage et la propagation des fausses rumeurs, tout ceci, au nom des experts, et le faire assumer par la CPAM, bon toutou de la HAS et des industriels, qui agit sous le masque de l'amélioration des performances et de carottes budgétaires pour les médecins.




Il est également nécessaire de cacher, de taire, de réduire au silence tous les arguments contraires et de nier tous les faits qui s'opposent à cette fantastique stratégie d'intoxication.

Et les experts peuvent compter sur le silence de la presse médicale qui est, à quelques exceptions près, aux ordres, sur le silence de la presse grand public dans le même métal, le silence des politiques qui ne savent qu'emboîter le pas sur celui des leaders d'opinion qui leur permettent de faire du sentiment (sauver des vies !) et d'engranger facilement des voix.


Quels sont les principaux arguments contre le tout diabète (LE MOINS EST L'ENNEMI DU MIEUX)
  1. Il n'existe quasiment qu'une seule étude qui montre une diminution de la morbimortalité en traitant le diabète de type 2 : l'étude UKPDS et vous verrez ici les commentaires que j'en ai faits (l'étude, brandie comme un étendard par les experts dits indépendants, est d'une très faible qualité méthodologique, surtout vers la fin puisque le nombre des perdus de vue est aussi important que dans le cas d'une étude menée par l'InVS et qu'elle est non comparative). Elle est surtout favorable à la metformine (glucophage, stagid en France), ce dont les industriels et donc les experts ne sont pas SATISFAITS puisque la molécule est génériquée depuis de nombreuses années

  2. Le critère de substitution HbA1C est sujet à caution ou plutôt l'application de la formule "The Lower the Better" n'est pas appropriée le concernant : un essai récent (Lancet 2010;375:481-9) a montré qu'une HbA1C en dessous de 7 entraînait plus de morts qu'une HbA1C supérieure à 7 et qu'une augmentation de mortalité réapparaissait au dessus de 9 ! Etonnant, non, pour les experts du Toujours Moins ? Et cet essai dit observationnel confirme trois essais contrôlés dont je vous ai déjà parlé ici. Ce qui n'empêche pas les recommandations grand public de préconiser un chiffre inférieur à 7 sur le net comme dans la rue !

  3. La baisse jusqu'auboutiste et de la pression artérielle et du LDL cholesterol conduit également à des effets inverses (la fameuse courbe en U) ou n'entraîne pas les effets escomptés.
  4. Des études indiquent que la baisse de la mortalité cardiovasculaire chez les diabétiques s'est déjà produite avant que l'on ne s'occupe de faire baisser strictement l'HbA1C (Fox CS et al. JAMA 2004;292:2495-9 ; Dale AC et al. BMJ 2008;337:a236) et que le nombre des dialyses rénales pour diabète a diminué de 40 % aux Etats-Unis entre 1996 et 2006 alors que c'était la période où l'accès à la dialyse était devenue plus facile (Burrows NR et al. Diabetes Care 2010;33:73-7)
  5. Le slogan "Toujours moins !" induit une débauche de prescriptions tant pour la baisse de l'HbA1C (jusqu'à la trithérapie) que pour la baisse de la pression artérielle (tri voire quadrithérapie) et du cholestérol (bithérapie) avec, en outre, de l'aspirine pour délayer le tout. Les interactions médicamenteuses font florès et sont rarement prises en compte.
Nous sommes bien au coeur de la Stratégie de Knock : le diabète est une cause nationale, tout le monde doit s'en préoccuper, les médecins, les malades comme les futurs malades, les sociétés ssavantes, les associations de patients, les politiques, les Autorités de santé dans une gabegie formidable de fonds, d'allocations, de ressources.
Tout le monde y croit. Tout le monde se sent concerné.
Les industriels du médicament et des dosages vont ganger de l'argent.
Les médecins également par le biais du nombre de consultants et des honoraires accordés par la prime à la Performance (appelée CAPI).
Mais il s'agit, à n'en pas douter, de mauvaise médecine. comme l'écrit Des Spence, médecin généraliste à Glasgow (un des endroits du monde avec la Karélie finlandaise où le taux d'infarctus du myocarde est un des plus élevés de la planète), dans le British Medical Journal.
Je vous livre sa conclusion avec laquelle, comme d'habitude, vous me connaissez, je ne suis pas d'accord à cent pour cent, mais je vous laisserai conclure : Le diabète de type 2 est véritablement de la mauvaise médecine car il a autorisé les médecins à se vautrer dans le confort facile d'un modèle de maladie, évitant le chaos froid d'une politique sociale s'attaquant à l'obésité. Il est temps pour les médecins de promouvoir la santé plutôt que d'être payés pour promouvoir Big Pharma.