Affichage des articles dont le libellé est CORPS DES FEMMES. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est CORPS DES FEMMES. Afficher tous les articles

mardi 5 novembre 2013

L'Aide Médicale à la Procréation dans la vraie vie. Histoire de consultation 157.


Mademoiselle A, 25 ans, est venue consulter pour obtenir un arrêt de travail.
Je la connais depuis l'examen du premier mois de sa vie et je connais sa maman et son papa dont je suis le médecin traitant. C'est une jeune femme charmante. Elle est assistante sociale.
Elle a grossi (je ne l'avais pas vue depuis un an).
Elle désire un arrêt de travail car l'implantation a raté et elle est incapable d'affronter ses collègues qui sont au courant de ses tentatives d'être enceinte.
Je la laisse parler.
Je suis effondré.
Grosso modo son compagnon est stérile. On a réussi à lui récupérer chirurgicalement des spermatozoïdes (il n'aurait pas voulu, m'assure-t-elle, que l'on fasse appel à un donneur tiers). Elle a eu droit à une ICSI (voir ICI, site bêtifiant et sulpicien).
Je la laisse parler et elle me raconte la souffrance de toutes les étapes depuis la stimulation ovarienne (il s'avère qu'elle était hyperréactive) jusqu'à la ponction folliculaire, les opérations de laboratoire, la fabrique des embryons et leur congélation, puis le transfert embryonnaire (dont l'implantation a échoué).
Je la laisse parler et j'écoute sa souffrance physique et j'imagine son compagnon en train de boire des bières devant un match de foot avec ses copains pendant qu'elle souffre physiquement.
Je sais, ce n'est pas bien de faire pleurer Margot, et, tandis qu'elle parle, je me dis qu'être un mec, c'est vachement bien. T'es stérile (ça peut arriver à tout le monde), t'as pas un spermatozoïde dans le sperme, il est de quelle couleur, le liquide, tu te mets avec une fille qui ne sait pas ce que c'est qu'un sperme azoospermique, elle a des ovaires fonctionnels, des voies génitales nickel, et vous décidez de faire un enfant et c'est elle qui va trinquer. Et je ne parle pas du reste, le jour où ils vont se séparer... Non, j'en ai trop dit.
Les bonnes âmes vous diront que c'est tellement beau, ce désir d'enfant, que cela vaut le coup de souffrir (mince, c'est la fille qui souffre, le garçon, il souffre mentalement, le pauvre chéri, il lui en voudrait presque que l'implantation ait raté, il a oublié que c'était lui l'incompétent dans l'affaire, il souffre et il n'a pas mal dans son corps, il n'a pas pris de kilos, il n'aura pas de vergetures, il n'aura aucun stigmate physique de ces stimulations, de la grossesse elle-même (la petite varice de la jambe gauche), il pourra rêver des embryons congelés ou en faire des cauchemars, c'est tout.
Elle parle, elle parle, et ma petite A que j'ai connue si svelte quand elle était enfant et jeune fille et que je vois, non enceinte, avec déjà huit kilos de trop, tellement concentrée sur ce désir d'enfant (elle a un regard extatique en me disant, "C'est tellement beau de vouloir faire un bébé...")...
Je ne peux pas en dire plus.

Pendant qu'elle parle et que je tente par un non verbal appuyé de la consoler (et c'est tellement sincère de ma part : je suis réeellement désespéré par ce que j'entends et par ce que je vois), je repense à tous les débats sur l'Assistance Médicale à la Procréation et, surtout, à la Gestation Pour Autrui.
Et d'ailleurs : c'est elle qui m'en parle. Elle est contre la GPA.
Nous en discutons car cela me permet d'évacuer ma colère.
Nul doute que les souffrances de cette jeune femme pour avoir un enfant avec l'homme qu'elle aime et avec ses spermatozoïdes, personne n'y pense quand il s'agit d'une femme "altruiste" qui prête son uterus  pour porter un enfant qui n'est le fruit ni de son ovule ni des spermatozoïdes de son conjoint.
Nul doute que les Nisand / Frydman / Winckler / Brunerie, qui nous bassinent avec les risques thrombo-emboliques de la grossesse supérieurs, disent-ils, à ceux de la prise d'une contraception hormonale (voir ICI), sans compter les risques thrombo-emboliques du post partum, n'en parlent pas sur les sites dédiés... Ce qui est le cas.

Les souffrances acceptées de cette jeune femme me font penser à ces mères porteuses que l'on suppose consentantes et altruistes pour faire le bonheur d'une autre femme, et à ceux qui balayent cela d'un revers de la main.

Je viens de lire un article passionnant de Diane Roman (L'Etat, les femmes et leur corps. La bioéthique, nouveau chantier du féminisme. Revue Esprit 2013;80(398):17-28) qui me permet de répondre à une objection anonyme qui m'a été faite quand j'ai parlé des féministes en général (voir ICI). 
En résumé, je constate que toutes les féministes ne sont pas enthousiastes pour l'AMP, contrairement à ce que la gauche bien-pensante voudrait nous imposer. On pourrait, pour simplifier, dire qu'il y a trois courants : un courant féministe libéral (et on pourrait en écrire des tonnes sur le libéralisme anglosaxon émanant de John Rawls qui a déteint sur la gauche progressiste qui ne sait plus que ses conceptions sont celles également du libertarianisme américain d'extrême-droite) qui dit, en substance, que l'accès à l'AMP est le corollaire de l'accès à la contraception et à l'avortement (protéger la liberté positive de la femme en utilisant la technique médicale disponible) ; un courant féministe radical et social (volontiers anglosaxon puisque là-bas les femmes -- et les hommes-- connaissent les ravages du libéralisme culturel considéré a contrario en France comme progressiste, voir le site FINNRAGE, LA, Feminist  International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering) qui dénonce l'exploitation du corps des femmes (AMP et GPA) et son instrumentalisation, notamment par la marchandisation de ce corps et par l'injonction d'être mère ; un courant féministe culturel et relationnel (issu du Care, voir ICI) qui pense que la technique médicale peut être une menace pour les femmes et pour la nature.

Pendant que cette jeune femme parle (merci le contre transfert) je pense qu'à 25 ans je n'avais pas envie d'avoir d'enfants, si, peut-être, mais avec qui, et, de façon tout à fait déplacée, que le don de spermatozoïdes, c'est quand même plus sexy et moins dangereux que le don d'ovocytes.

Vous remarquerez, chers lecteurs, que, pour ne pas polémiquer, je n'ai pas parlé de la GPA pour les couples homosexuels.

PS. Je vous renvoie bien entendu vers le site de Marc Girard où vous pourrez trouver la deuxième édition de son livre "La brutalisation du corps féminin". ICI

(Leonard de Vinci. L'Annonciation. 1475)

PS du 13 novembre 2013 : une réponse de Le bruit des sabots : ICI

samedi 16 octobre 2010

UNE FEMME COUPEE EN DEUX - HISTOIRES DE CONSULTATION : QUARANTE-SIXIEME EPISODE

Judith tranchant la tête d'Holopherne - 1620 - Artemisia Gentileschi

Madame A est compliquée. Je ne sais par quel bout la prendre et si je m'écoutais je la prendrais pour une emmerdeuse.
Je me rappelle les couplets de Brassens et je ne sais comment les manier avec la sensibilité d'aujourd'hui où cette chanson serait huée par les féministes comme, à l'époque de ses débuts, les policiers se levaient pendant son spectacle quand il chantait Voir le nombril d'la femm d'un flic....

Misogynie à part, le sage avait raison :
Il y a les emmerdantes, on en trouve à foison,
En foule elles se pressent,
Il y a les emmerdeuses un peu plus raffinées,
Et puis, très nettement au dessus du panier,
Y'a les emmerderesses.

Quoi qu'il en soit, Madame A, m'emmerde. J'ai beau tout tenter, j'ai beau me raisonner, j'ai beau réunir toutes mes ressources, je ne sais plus quoi faire. Et le pire vient, mais c'est toujours comme cela, que Madame A est aussi une femme estimable, une femme qui fait tout son possible, une femme qui fait de son mieux. Que lui reprocher ? D'avoir mal ? De déprimer ? De ne pas y arriver ? De se mentir à elle-même ? De mentir à tout le monde ? De vouloir préserver sa famille coûte que coûte ?

J'ai déjà demandé plusieurs fois à Madame A que le psychothérapeute qui s'occupe d'elle m'appelle pour que nous puissions faire le point.
C'est ce qu'il fait au bout de nombreux mois.
Il a une voix charmante au téléphone : une voix, mais pourquoi faut-il que je ne puisse m'empêcher de me moquer ?, de téléconseiller au Service Après Vente d'une société freudienne de réparation. Une voix empathique et douce comme celle d'un prédicateur laïque.
Nous comprenons que nous apprécions cette femme mais que, pour l'instant, elle travaille à contre courant. A lui elle raconte ses problèmes de douleurs physiques et à moi elle laisse entrevoir ses douleurs morales. Elle résiste, comme on dit.
Je dis ceci au psychothérapeute : je suis son médecin traitant, elle a trente-quatre ans et je la connais depuis vingt-six ans ; je connais son père, sa mère et nombre de ses frères et soeurs ; je connais son mari ; je connais ses enfants ; je connais son mode de vie ; j'entre chez elle quand elle ne peut se déplacer et je connais les détails de son appartement et les quelques secrets qu'il peut renfermer (trente-et-un ans de visites à domicile permet aussi de comprendre un peu mieux comment les "gens" vivent et ne vivent pas) ; et je n'ai pas envie d'entendre ce qu'elle commence à me raconter ; je n'ai pas envie d'entendre qu'elle me parle de ses difficultés avec son mari, sa mère, son enfance, le métier qu'elle a abandonné, je ne veux pas qu'elle me fasse de confidences ; non parce que je ne serais pas prêt, non parce que je ne serais pas formé ; mais par simple pudeur ; je ne veux pas qu'elle aille trop loin et que je doive me boucher les oreilles, que je lui demande d'arrêter ; parce que je connais son père, sa mère, ses frères et soeurs, son mari, parce que je connais trop de choses sur cette famille et que je ne veux pas qu'elle me mette en situation de devoir juger ces gens qui ont leurs défauts comme tout le monde mais qui sont plongés, non à cause d'elle mais à côté d'elle, dans une situation compliquée qui les dépasse de très loin ; je veux bien m'occuper de ses douleurs, de son mal être en général mais je ne souhaite pas être son confesseur ou son psychiatre ou son psychothérapeute ; je veux me maintenir à l'extérieur ; je n'ai pas à me protéger, je n'ai pas à préserver quelque chose qui est en moi, je souhaite seulement ne pas la voir nue devant moi ; ma pudeur s'y refuse.
Le psychothérapeute me dit : je voulais vous dire une chose importante, Madame A n'a aucune tendance hystérique.
C'était le message qu'il voulait me faire passer : occupez-vous de ses douleurs physiques et je m'occupe de ses douleurs morales ; ne la prenez pas pour une simulatrice (ce à quoi je n'ai jamais pensé). Il me dit les mots magiques : elle somatise. Diable ! Comme si je le savais pas ! Comme si le fait de le dire pouvait faire avancer Madame A...
Je suis dubitatif mais je me sens plus léger : elle ne fait pas la comédie. Mais cela ne règle pas le problème de ses douleurs et de la façon de les traiter. Les centres antidouleurs s'y sont frottés et ont laissé tomber. Il ne lui reste plus, à Madame A, que son médecin généraliste traitant qui doit gérer tous les ressentiments, ceux de Madame A, ceux de son mari, ceux de tout le monde, même moi, les ressentiments qui ne comprennent pas qu'au vingt-et-unième siècle, malgré toutes les émissions de Michel Cymes et les propos résiliants de Boris Cyrulnik ou les propos pleins de bon sens analytique de Marcel Ruffo ou les déclarations urbi et orbi des patrons de soins palliatifs, j'en passe et des meilleurs, on ne puisse pas soulager Madame A.
Je suis dubitatif mais à peine libéré d'un poids car le psychothérapeute m'a demandé mon aval pour couper cette femme en deux : d'un côté son âme, de l'autre son corps. Pour toutes les raisons que je vous ai dites, cela m'arrange mais je doute que cela facilite mes relations avec TOUTE la famille de Madame A.
Le psychothérapeute m'a affirmé qu'elle n'était pas folle.
Mais elle reste une emmerdeuse car je vais tâtonner, ne pas savoir que faire, reculer, avancer, prescrire encore et encore, elle reste une emmerdeuse qui m'appelle souvent, qui demande souvent à la secrétaire... Et le psychothérapeute coupeur de femme en morceaux, il ne la voit que deux fois par mois, il ne l'a pas trois fois par semaine au téléphone, quand ce n'est pas son mari ou ses enfants que je rencontre.
Je n'ai plus envie d'appeler Madame A une emmerdeuse mais, dans ma tête, je la nommerai Judith Holopherne en train de trancher la tête non d'Holopherne mais du psychothérapeute freudien qui me demande, lui, de la couper en deux.
Je préfère quand même la Judith Holopherne de Gustav Klimt que l'on ne voit pas trancher la tête mais dont le visage enjôleur signifie qu'elle en a été capable.

lundi 25 janvier 2010

LE CORPS DES FEMMES EN MEDECINE



Il y a déjà un moment que j'ai lu les deux textes que je vous propose, l'un de Marc Girard et l'autre de Marc Zaffran (Martin Winckler). Les psychanalystes en herbe et les plus confirmés des analystes ne manqueront pas de faire un développement sur le fait que les deux auteurs se prénomment Marc. J'ai été intéressé par la convergence de leurs analyses aux détails près que sont leur ontologie propre, leur positionnement idéologique et leur style.

Tentant de me désintoxiquer de mon bachelotage actuel qui avait pris une allure grippale (au sens de prendre en grippe), je suis revenu vers mes dadas que sont le respect de l'Humain et le respect du Patient dans la médecine.

En faisant un détour par le corps des femmes.

Je reviendrai dans une autre rubrique sur la lecture de Paul Yonnet et de son livre sur la famille qui m'a rappelé combien le problème de l'avortement (l'interruption volontaire de grossesse) était un problème crucial de la conscience moderne (Yonnet Paul, Famille - Tome I Le recul de la mort. L'avènement de l'individu contemporain, Paris, Gallimard, 2006).

Vous lirez donc ces deux textes. Le premier : La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne par Marc Girard, le second : Les violences faites aux femmes... par les médecins par Marc Zaffran.

J'aurais pu vous faire lire ces articles en aveugle mais l'interprétation contextuelle est indispensable.

Je ne sais si l'un a influencé l'autre et vice versa. Sachez que le texte zaffranien date du 25 novembre 2009 et que le texte girardien date du 25 janvier 2010 (remise à jour d'un texte plus ancien qui n'est pas daté sur le site).

J'ajoute, comme à l'accoutumée, que je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'écrivent les deux médecins.

J'ajoute également, mais je n'ai pas écrit d'article à ce sujet, que le corps des hommes est lui aussi brutalisé par les médecins et je ne citerai que deux interventions, la circoncision, pour les jeunes enfants / hommes dans certaines cultures et la chirurgie de la prostate (pour adénome ou pour adénocarcinome) pour les hommes mûrs. Et, dans le passé l'amygdalectomie masculine...

J'attends qu'une femme écrive un article sur la brutalisation du corps masculin...par les médecins.

A vos plumes.