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vendredi 1 juillet 2011

Un écart culturel. Histoire de consultation 88.


Monsieur A, 42 ans, a fait un stage post-opératoire dans un établissement de rééducation. Il en est sorti prématurément. Il avait été opéré pour une hernie discale après de longs mois de douleurs et il avait été convenu qu'il ne pourrait mener une vraie réhabilitation que dans un centre spécialisé. Il n'a pas eu de chance car on a dû le loger dans une chambre à deux et le deuxième occupant était un vieillard grabataire, insuffisant respiratoire et plutôt mal en point. Il n'a pas supporté la situation. Il n'a peut-être pas supporté le fait qu'il y ait du bruit dans la chambre, qu'il ne puisse pas dormir, qu'il geigne ou râle, qu'il pisse sous lui, qui pourrait accepter une pareille chose ? Monsieur A, et je ne sais pas si c'est une posture, je ne sais pas si c'est une façon de se justifier ou une façon de se donner le beau rôle, m'a dit ceci : "Ce n'est pas ma culture que l'on traite une vieille personne de cette façon là. Ce n'est pas comme cela que l'on m'a dit qu'il fallait s'occuper des vieilles personnes. Tout le monde lui parlait mal, quand il demandait quelque chose on l'engueulait, personne ne l'aidait vraiment à manger, c'est moi qui l'ai fait le temps que j'étais à côté de lui, c'est vraiment pas bien..." Monsieur A est algérien, il parle bien, il écrit le français, il est soudeur de profession, et j'ai essayé de défendre le système, j'ai essayé de défendre le manque de personnel, les faibles salaires et tout ce que j'entends dire et qui ne me convient pas. Mais je n'étais pas très convaincant, c'était un exercice de style comme si on m'avait demandé de défendre des idées que je ne partageais pas, même si je sais que le manque de personnel, le manque de formation, le manque de salaire, le manque de métier choisi cela n'arrange pas les choses... Mais le coeur n'y était pas.
Monsieur A est algérien mais cela ne fait que dix ans qu'il est en France, il n'a pas encore assimilé la culture française, son intégration se passe donc mal (à part qu'il est un bon ouvrier, à part qu'il était un bon ouvrier avant ses problèmes lombaires), puisqu'il a du mal à accepter la façon dont on traite parfois, dans certaines circonstances, les personnes âgées et malades dans nos institutions, publiques ou privées... Ce serait cela, l'intégration, accepter nos travers ? Car il m'a dit aussi que les femmes qui servaient les repas et les aides-soignantes itou, elles étaient souvent aussi maghrébines et qu'elles n'avaient pas compris ce qu'il voulait leur dire, à savoir qu'elles traitaient mal ce vieux monsieur et... Monsieur A m'a regardé avec un drôle d'air, je crois un air navré...
Je ne suis pas assez idiot pour croire que je peux m'exonérer d'une telle situation : c'est mon pays, ce sont mes hôpitaux, mes cliniques, mes centres de rééducation, mes chambres communes...
Je l'ai regardé et j'ai fini par lui dire : "Je suis désolé."

(Photographie : Salle commune de l'hôpital Général de Montréal en 1910)