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mercredi 10 octobre 2012

Education thérapeutique à l'Hôpital Européen Georges Pompidou. Histoire de consultation 133.


Il y a deux histoires.
Je reçois samedi une femme qui consulte pour la prolongation d'un arrêt de travail, une névralgie cervico-brachiale très douloureuse qui la gêne beaucoup car elle est éducatrice spécialisée dans un établissement pour enfants handicapés, et qui me raconte ce qui est arrivé à son oncle qu'elle a retrouvé assis dans un couloir de l'HEGP (Hôpital Européen Georges Pompidou), quasiment abandonné dans son coin. Après enquête auprès du service, il n'avait pas été oublié du tout puisqu'on lui avait tout expliqué et qu'on croyait qu'il attendait sa famille qui, la méchante, n'arrivait pas. Pour la petite histoire ce patient avait été hospitalisé une grosse semaine au décours d'une défaillance cardio-rénale, il avait été déclaré sortant la veille et tout le monde pensait que c'était l'autre qui avait prévenu sa famille (qui avait fini par arriver pour la visite du soir habituelle). Ajoutons que ce patient d'origine portugaise ne parle pas un mot de français.
Madame A1, la malade avec NCB, a piqué une grosse crise à l'HEGP mais tout le monde est resté de marbre.
L'autre histoire est la suivante : Madame A2, 64 ans, présente une maladie rare et à la khon, tellement rare et à la khon que je ne vais pas la citer car on pourrait reconnaître la malade en question. Toujours est-il que Madame A2 est analphabète, parle mal le français et le comprend encore plus mal. 
Je remonte en arrière : début juillet, je reçois un courrier de l'HEGP la concernant et me rappelant à l'ordre pour une ordonnance que j'aurais faite à la patiente qui n'aurait pas tenu compte d'un courrier précédent où l'on m'annonçait que le traitement avait été changé pour le bien de la patiente. Quand j'ai reçu cette lettre j'ai pris un coup dans la figure. Je me sentais mal. Le dossier de Madame A2 est lourd. Et épais. Quant aux lettres de l'HEGP, elles sont lourdes, trois médecins différents s'occupent d'elles, l'un est parti dans un autre hôpital, un autre a changé de service, et elles sont aussi très longues en raison de l'utilisation intempestive du copier / coller qui rend leur lecture difficile tout autant que l'accumulation de détails peu pertinents. Mais ce n'est pas une raison. Je me suis senti mal.
Mais le courrier, après que j'ai vérifié, je ne l'avais pas reçu à temps pour que l'ordonnance soit modifiée avant le départ de la patiente pour le Maghreb.
Et trois mois se sont passés.
Bien entendu, la première erreur vient de ce que j'ai répété plusieurs fois à la famille de Madame A2 de ne pas la laisser venir seule au cabinet. Et la deuxième erreur : recevoir Madame A2 toute seule. Ce ne sont pas les enfants qui manquent dans la famille mais ils travaillent, ils ont des enfants, et la malade fait ce qu'elle veut, elle se pointe à la consultation libre quand elle a décidé de venir au cabinet, elle vient, et moi je la reçois car c'est toujours urgent... Quant au mari, il complique encore plus l'affaire. Il existe une concurrence entre les enfants pour être celui qui apparaîtra, aux yeux du monde, comme celui qui en fait le plus pour la maman et j'ai eu beau demander une interlocutrice unique, une des filles plutôt maligne, je n'y suis pas arrivé.
Et, après que je me suis rendu compte des circonstances de mon "erreur" je n'ai pas fait de courrier à l'HEGP pour l'expliquer, me justifier et me sentir moins coupable : je passe pour eux pour un khon de généraliste. J'en ai marre de faire des courriers qui ne servent à rien.
L'histoire continue.
Madame A2 retourne donc encore une fois à l'HEGP accompagnée cette fois d'un de ses fils, niveau Certificat d'études primaires (ça n'existe plus ? mais cela veut bien dire ce que cela veut dire, surtout de nos jours). Elle en ressort avec une ordonnance d'un mois et des conseils. Elle ne revient pas me voir et part directement pour son pays d'origine pour un petit mois. Entre temps je reçois le courrier de l'HEGP qui me précise les circonstances de la consultation, les décisions qui ont été prises et les consignes qui ont été données, je téléphone à l'une de ses filles qui me dit ne pas être au courant et me renseigne auprès du frère et fils (dont je n'avais pas le numéro de téléphone) qui n'en sait pas plus.
Le courrier de l'HEGP stipulait qu'il fallait augmenter la dose de ramipril de 1,25 mg tous les quinze jours pendant deux mois jusqu'à atteindre la dose de 10 mg en contrôlant la pression artérielle et la créatininémie qui ne doit pas varier de plus de 20 % avant chaque augmentation de dose. Le courrier indiquait aussi que la malade avait été prévenue.
Donc, le docteur spécialiste qui travaille à l'Hôpital Européen Georges Pompidou, il explique à une dame analphabète et en présence de son fils dans presque le même métal que le ramipril, et cetera, et cetera.... Et sans lettre de sortie remise immédiatement.
De qui se moque-t-on ?
Est-cela la nouvelle Education Thérapeutique avec des majuscules Partout ?
Dans le Formulaire Education Thérapeutique des Malades à qui on prescrit des doses croissantes d'inhibiteur de l'enzyme de conversion en surveillant la pression artérielle et la créatininémie en ne tolérant pas, pour cette dernière, une augmentation de plus de 20 %, le médecin docteur spécialiste avait coché les cases Oui aux questions suivantes :
- Avez-vous prescrit un IEC ?
- Avez-vous prescrit un dosage de la créatinine plasmatique tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de la nécessité de faire mesurer la pression artérielle tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de faire doser la créatinine sanguine tous les 15 jours pendant 2 mois en lui demandant de montrer le résultat au médecin traitant ?
- Avez-vous écrit un courrier au médecin traitant ?
Le médecin spécialiste a donc passé plus de temps à remplir des formulaires (car les 5 questions font vraisemblablement partie d'un questionnaire plus important comprenant au moins un trentaine d'items qui permettront au service de valider ses compétences en Education Thérapeutique...).

La politique des index va à l'encontre des individus.
Les patients, dans leur diversité, comptent pour du beurre.
C'est à pleurer.

(Illustration : Mannequin de réanimation ou le rêve d'une médecine sans patients pensants)