dimanche 29 avril 2018

La mortalité infantile à Mantes-La-Jolie.


Petit retour sur les fondamentaux de la santé publique à l'occasion de la parution du rapport Borloo sur les quartiers prioritaires et les politiques de la ville. Quel rapport, me direz-vous ? Parce que ce rapport, s'il dresse 19 programmes d'amélioration, ne parle de la santé que du bout des lèvres. Je ne l'ai pas lu encore car, à l'heure où j'écris ces lignes, il n'est pas en ligne. Je dispose de commentaires journalistiques mais sans lien. L'article le plus documenté et sourcé est celui que j'ai lu dans le journal Le Monde : ICI.

Je cite : "SANTÉ 
Pour assurer le droit à la santé, il propose la création de 200 maisons de santé supplémentaires, comme le développement des consultations de télémédecine. "
C'est un peu court, jeune homme.

Il est admis par les épidémiologistes que les indicateurs comme la mortalité infantile, la mortalité en couche, l'espérance de vie à la naissance et l'espérance de vie à 20 ans sont des critères solides pour différencier les pays qui ont connu la transition épidémiologique (voir la figure ci-dessous pour la transition épidémiologique en France).



Je vais vous parler d'un seul point : la mortalité infantile dans les quartiers prioritaires comme symbole des difficultés rencontrées et pour laquelle on dispose de chiffres plus fiables et de facteurs de risques plus identifiés.



Nous ne discuterons pas ici de la courbe et de ce qui revient à la médecine et à la non médecine (les services sociaux, les conduites individuelles, l'environnement de la santé publique).

La mortalité infantile (rapport entre le nombre d'enfants morts avant un an sur le nombre de naissance d'enfants vivants) en France métropolitaine est de 3,3 pour 1000 naissances (j'ai consulté diverses sources qui citent des chiffres différents, allant de 3 à 3,6 selon les années, selon que l'on intègre ou non les territoires d'Outre-mer mais sans Mayotte).

Quelle est la mortalité infantile à Mantes-La-Jolie (les mauvaises langues diront que ces mauvais résultats sont liés au fait que j'y travaille, que je suis abonné à la Revue Prescrire et que je ne dis pas amen à toutes les recommandations farfelues émanant des agences gouvernementales...) ?

Elle est de 3,2 dans les Yvelines et j'ai eu connaissance d'un chiffre plus élevé dans le Mantois (source introuvable).

Les chiffres de la Seine Saint Denis sont de 4,8 selon l'INSEE (voir le rapport de l'INSERM sur l'analyse des causes : ICI). Pour mémoire, les chiffres de Mayotte sont de 16.

J'ajoute pour ceux qui considèrent, encore, que la santé publique à la française est la meilleure du monde que la France est classée trente-huitième dans le monde sans Mayotte (ICI). Ce qui n'est pas fameux. Dans d'autres classements elle est en vingtième position, ce qui est un peu mieux : ICI.

Exerçant depuis 38 ans dans un "quartier", je ne vous parlerai que de mon expérience interne.

Quelles sont les solutions pour que les chiffres de Mantes-La-Jolie régressent à la moyenne ?

Les politiques de la ville ont proposé de nombreux facteurs explicatifs (largement analysés par les sociologues, philosophes, psychiatres et ethno-psychiatres de toutes obédiences) pour apporter des solutions : 1) l'explication culturaliste : les comportements humains, ici la grossesse et l'accouchement, seraient plus conditionnés par les cultures d'origine que par les conditionnements sociaux ; 2) l'explication socio-économique post marxiste : la pauvreté et l'exploitation capitaliste de certains sous-groupes populationnels expliqueraient les différences observées dans la société française sur les indices épidémiologiques ; 3) l'explication ethno-raciale qui constaterait à la fois  l'effet ghetto des "quartiers" et qui en tirerait des conséquences (assignation des personnes à des rôles sociétaux).

De nombreux pièges sont à éviter, me semble-t-il. Il est illusoire de croire (et la santé n'est pas le seul domaine) que l'on pourra résoudre tout de Mantes-La-Jolie, quels que soient l'argent investi et les ressources humaines mobilisées. Il existe un système social et il y aura toujours une population pauvre et marginalisée. Les discriminations, on l'a vu, sont multiples.

Je vais vous donner un exemple concret : la PMI de Mantes-La-Jolie a déménagé pour des raisons que j'ai oubliées alors que les femmes et leurs enfants pouvaient s'y rendre à pied et ils et elles doivent désormais prendre le bus pour aller en centre ville. Ce n'est pas une bonne mesure de santé publique.

Un deuxième exemple : il est pratiquement impossible pour un médecin homme de réaliser des suivis de grossesse en libéral au Val Fourré.

J'ouvre la réflexion. Il faudrait également prendre en compte l'espérance de vie à la naissance, l'espérance de vie à 20, 30 ou 40 ans ainsi que la morbidité (troubles de la gluco-régulation, hypertension artérielle, infarctus du myocarde...). Les difficultés scolaires dans les quartiers sont aussi liées aux 3 points que nous avons indiqués plus hauts et sont intriquées avec les difficultés médico-sociales.

Je pourrais également parler de mondialisation et de migration.

A Mantes-La-Jolie ou plutôt au Val Fourré les migrants de la première, de la deuxième, de la troisième génération sont volontiers d'origine marocaine, algérienne, sénégalaise, turque, malienne, mauritanienne, et cetera. Citer toutes les origines ethno-culturelles et les langues maternelles des parents/grands-parents/arrière grands-parents atteindrait la centaine.

Je vais vous donner les chiffres de mortalité infantile dans ces différents pays (voir LA pour tous les pays).
Algérie : 17
Mali : 80
Maroc : 27
Mauritanie : 65
Sénégal : 45
Tunisie : 14
Turquie : 12

Impressionnant, non ?

(Image : le groupe de rap Expression Direkt qui fut emblématique du Val Fourré et qui me marqua personnellement)

6 commentaires:

CMT a dit…

Pourquoi la PMI a déménagé ? Voilà au moins une question simple à laquelle je peux répondre simplement : parce que ce sont les politiques publiques de réduction de coûts qui le veulent. En effet, bien que les conseils généraux ou métropoles soient des collectivités territoriales, ils répondent à des objectifs de réduction des dépenses fixés par les gouvernements et les ARS. Ceux-ci n’ont pas varié depuis que je fais partie des services publics, à savoir début des années 2000 et peuvent se résumer en trois points : premièrement réduction des dépenses, deuxièmement réduction des dépenses et troisièmement réduction des dépenses.

Les professionnels de terrain que nous sommes ont beau expliquer à leurs N+X que les publics reçus dans les PMI, souvent très précaires, ont une mobilité très limitée et qu’ils ne viendront plus nous voir s’il faut prendre le bus, toutes ces considérations sont balayées par ceux qui sont aux postes de responsabilité devant cet impératif unique : réduire les dépenses publiques.

Donc, regrouper plusieurs équipes fait faire des économies d’échelle, facilite les remplacements et permet de semer quelques usagers en route (la plupart en fait), ce qui permet à son tour d’acter une diminution des besoins. Moins de personnes viennent dans les PMI : c’est donc qu’il y a moins de besoins, cela doit donc permettre de réduire encore les services, etc.

L’universalisme proportionné reste encore proportionné, dans la mesure où les services publics sont encore très présents dans les quartiers les quartiers politique de la ville (liste https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030007934&categorieLien=id ), mais est de moins en moins universel. à suivre

CMT a dit…

suite
Pour le reste, je pense qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’une population issue de l’immigration, peu éduquée, malmenée par la vie car ayant survécu en milieu hostile, rejoigne en quelques années les standards d’une population qui a bénéficiés des trente glorieuses et d’un niveau de vie sans commune mesure avec celui des pays de provenance de ces populations. La mortalité infantile de ces pays, est, grossièrement, du niveau de celle qu’elle était dans les années 50 en France. Le lien entre pauvreté et mortalité ne s’est pas démenti en un siècle comme le montre cette étude britannique, qui établit l’association entre aires géographiques de pauvreté et mortalité relative par rapport aux aires prospères http://www.bmj.com/content/339/bmj.b3454
Les personnes d’origine immigrée, celles qui se rassemblent dans les quartiers prioritaires, sont avant tout pauvres et cela les caractérise davantage que leurs origines culturelles. Elles sont aussi dans des situations précaires, hébergées, ou dans des logements petits et/ ou insalubres, préoccupées par l’obtention des « papiers » ou la recherche d’un emploi, souvent isolées, en difficulté pour communiquer lorsqu’elles ne parlent pas français, en difficulté pour se repérer, dans l’espace mais aussi dans le temps, et vivent donc au présent plus qu’elles n’arrivent à se projeter.

Si ces personnes sont en grande difficultés, ce n’est pas, comme le voudrait l’idée de base du libéralisme, empowerment, chacun pour soi et que le meilleur gagne, parce qu’elles sont nées pour être pauvres et victimes mais c’est parce que comme le dit Davey Smith : » The inadequately recognised truth is that we live in an associational world—people who are disadvantaged in one regard tend to be disadvantaged in other regards, since the forces that structure life chances and experience tend to ensure that some folk get the worst of all things. « https://www.bmj.com/content/325/7378/1437.full

Ces personnes ont aussi une vision très idéalisée de la société de consommation et elles subissent cette abondance d’offre plus qu’elles ne la gèrent.

Le principe de la réponse au handicap est la compensation . Dans le handicap, une déficience se traduit en une incapacité qui génère un désavantage. Celui-ci se traduit à son tour par une restriction des possibilités et des choix qui à leur tour génèrent d’autres désavantages. Si on ne propose pas une compensation le cours de la vie et l’ »associational world « de Davey Smith vont concourir à entrainer ces populations dans une spirale descendante.

Je crois beaucoup au handicap social. Etre pauvre est un handicap qui restreint d’emblée votre horizon et la possibilité de faire des choix.
Le concept du service public à travers la gratuité et un accès égal à tous c’est de compenser les inégalités (individuelles, territoriales). Si on réduit à la portion congrue les services publics ou les fonctions de service subventionnées par l’argent public comme la médecine libérale il ne restera plus que les inégalités sans compensation possible et avec leur tendance naturelle à l’auto-aggravation.

Anonyme a dit…

@CMT

Merci pour ce commentaire véritablement humain.

herve_02

dsl a dit…

Je ne partage pas nécessairement cette vision.
D'abord, rien ne nous dit que si les conditions de vie des quartiers sont moins bonnes, leurs habitants sont identiques. Il est bien possible aussi qu'une partie des habitants progressent dans l'échelle sociale, et quittent leur banlieues, tandisqu'ils sont remplacés par une nouvelle vague.
Ensuite, il faudrait isoler le facteur pauvreté du facteur culturel, et pour cela regarder ce qui peut se passer dans des zones aussi pauvres mais culturellement plus homogènes comme certaines campagnes, et je ne pense pas qu'on arrive aux mêmes conclusions.
Le service public ne fait pas tout. L'éducation nationale est publique et pourtant les écarts ne cessent de se creuser, et la France de chuter dans les classements.

Anonyme a dit…

@dsl si le service publique ne fait pas tout en matière de santé...qui doit faire ?

Si je devais faire un commentaire iconoclaste, je dirais qu'il suffirait d'augmenter la couverture vaccinale pour faire baisser la mortalité infantile, car tout le monde sait que la vaccination à sauvé des millions de vie.

Bon, je ~~~~~>[ ]

hervé_02

Anonyme a dit…

Le monde est mal fait.