dimanche 28 octobre 2012

Quand le service médical de la CPAM maltraite un assuré. Histoire de consultation 134.


Cette histoire est vraie.
Au moment où je l'écris les fonds ne sont pas débloqués.
Monsieur A, 57 ans, et, pour une fois, je dirais qu'il est un travailleur immigré venant du Fouta, une région du Sénégal, une région qui a fourni la majorité des travailleurs africains de l'industrie automobile, et dans la vallée de la Seine, tout près de l'endroit où j'exerce, cela peut avoir de l'importance, vient consulter au cabinet il y a quinze jours et un vendredi soir. Il vient avec un ami et je me fais insulter :"Docteur, je ne comprends pas, mon frère A n'a pas été payé depuis 5 mois et vous, vous ne faites rien ! Vous êtes son médecin depuis quinze ans et vous n'êtes pas capable d'intervenir pour qu'il soit payé. Vous vous rendez compte, il va être expulsé de son logement, il ne peut plus envoyer d'argent à sa famille ! Qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes son médecin référent !" Cet ami, je ne l'ai jamais vu auparavant. La situation de Monsieur A est grave. Mais j'ai fait ce que je pouvais, j'ai fourni les certificats, j'ai produit les documents, j'ai eu plusieurs fois un des médecins conseils au téléphone, mais c'était il y a au moins trois mois... il y a plusieurs conceptions du médecin généraliste : l'avocat du patient ; le professionnel distant ; l'empathique impliqué ; le militant ; le proximologue (ICI) ; le les-autres-le-font-mieux-que-moi-pourquoi-je-le-ferai-? ; le j'ai-pas-fait-dix-ans-d'études-pour-faire-l'assistante-sociale ; le toutologue  (ICI) ; l'intuitionniste déontologique (ICI) ; le je-m'en-balance ; le l'assistanat-c'est-pas-pour-moi ; le millénariste (ICI) ; le gars-qui-ne-connaît-pas-aux-statistiques (LA)... Mais l'ami, a-t-il le droit de me parler comme cela ? Parce qu'il continue après que je lui eus dit que c'était le médecin conseil qui décidait. Mal m'en a pris ! "C'est vous qui prenez les décisions, c'est vous le médecin de mon ami, je connais la loi française, la sécurité sociale n'a aucun pouvoir, c'est vous qui savez ce qui lui est arrivé, c'est vous qui le connaissez, c'est vous qui savez de quoi il souffre... Le médecin de la sécu, lui c'est un ignorant, il ne connaît rien, il est l'agent de l'Etat..." Et ainsi de suite...
Je suis un peu énervé.
Bien entendu que c'est agréable d'entendre quelqu'un vous dire que le médecin conseil n'est rien par rapport à vous, que c'est vous, le petit médecin généraliste secteur 1 qui ne touche pas d'indemnités journalières quand il est malade, lui qui distribue généreusement, c'est un adverbe que tout le monde emploie, depuis ma boulangère, dont l'employée payée au SMIC s'est fait arrêter pour une gastro-entérite un peu trop longtemps à son goût, jusqu'à l'énarque qui ne consulte que des MG secteurs 2 dans les beaux quartiers, le petit médecin généraliste qui travaille plus de 35 heures par semaine (quel crétin !), qui finance une retraite que bientôt il ne touchera plus, et cetera, et cetera, mais ce n'est pas un blog syndical, que diable !, attendez la suite, c'est donc bien agréable d'entendre quelqu'un vous dire, serait-ce pour vous engueuler, que le médecin conseil n'est rien... Rêve ou cauchemar ? 
Et "mon" patient : il me regarde, il me fait des signes pour dire que son ami va trop loin, mais il croit que son ami, c'est lui qui sait, d'ailleurs, il travaille pour la mairie de ***, il est médiateur, il a aussi travaillé à Paris, également comme médiateur... Vous parlez comme il connaît mieux que moi la loi française... Non, non, je ne plaisante pas, je le pense vraiment : je ne connais pas la loi française mais je connais la loi de la CPAM, pas celle des textes (un médecin conseil qui, depuis, fait autre chose, et qui était et médecin et conseil, avec lequel nous avions de franches explications, je n'étais pas l'avocat et lui le procureur, nous discutions ente confrères de cas cliniques qui posaient problème, nous mangions une fois par mois au restaurant le midi, mais cela n'a pas duré longtemps, il ne pouvait plus supporter, il est parti dans une autre administration, je ne dirais pas où, on pourrait le retrouver, donc, un médecin conseil m'avait dit qu'il était possible de disposer en ligne des textes réglementaires, et quand je lui avais demandé avec naïveté si c'était accessible au commun des mortels, un médecin généraliste par exemple, il m'avait répondu que ce serait du temps perdu car même eux, les médecins conseils, avaient un mal fou à les utiliser...), celle de l'omnipotence administrative, du règlement c'est le règlement, du "Je n'y peux rien ce sont les textes", du "Nous avons fait une erreur mais ce n'est pas réparable", du "C'est malheureux mais nous n'y pouvons rien", des experts "maisons", des experts sur les listes de la CPAM qui disent amen à ce que dit le médecin conseil qui n'a pas examiné le malade, des experts qui n'examinent pas les malades, des experts dont le seul but est de rechercher des failles dans l'histoire clinique du malade, des experts qui n'écoutent pas le malade mais pratiquent des manoeuvres qui pourraient leur laisser penser que les patient sont des simulateurs, des profiteurs, des troueurs de trous d la sécurité sociale...
Je suis aussi un peu énervé car, d'une certaine manière, je pourrais penser que je n'ai pas assuré... Oui, je sais, c'est lui, l'assuré... Parce que j'ai quand même appelé la plate-forme, on m'a passé un administratif (enfin, une administrative) qui ne s'est pas présenté, qui m'a dit que le dossier était entre les mains du service médical et qu'eux, ils ne pouvaient rien faire... Puis, la situation était compliquée, trop compliquée pour ma petite tête de MG... L'autre jour un expert à qui j'avais envoyé une patiente, une situation inextricable, me téléphone au cabinet. Déjà, quand un expert de l'AP-HP, à qui j'avais déjà adressé des patients, avec un courrier ad hoc et de qui j'avais reçu des courriers également ad hoc, vous téléphone au cabinet pendant "sa" consultation, vous vous posez LA question : "Quelle khonnerie ai-je bien pu faire ?" ou alors quelle énormité ai-je bien pu écrire. Non, l'expert me pose une question basique et je lui réponds du mieux que je le peux, et je lui dis, en passant, une manière d'aveu pour qu'il ne me reproche pas un truc encore plus gros, que, les règlements de la Sécurité Sociale, c'est pas de la tarte, je veux dire, c'est compliqué et il me répond, j'en reste comme deux ronds de flan, "Nous aussi, on a du mal..."
Je ne dirais pas que cela rassure, mais...
Bon, l'ami du patient est super énervé. Il n'est pas content que je n'aie rien pu faire.
On résume : le patient n' a pas été payé depuis 4 mois.
Il est 16 heures trente un vendredi soir. Appeler la plate-forme de la CPAM à cette heure là et obtenir quelqu'un au bout du fil c'est comme trouver un plombier le soir de la Saint-Sylvestre... Non, je dis des bêtises, je veux dire : la réponse n'est obtenue que sous 48 heures... Donc, je n'ai pas envie de téléphoner, perdre du temps, sous le regard du médiateur qui sait tout sur les relations entre la CPAM et les médecins généralistes, je n'ai qu'une envie : qu'il fiche le camp.
Je temporise, je dis des bonnes paroles, je me calme, je résume la situation, l'ordinateur est rempli de lettres pour les différents médecins conseils qui se sont épuisés sur le cas (l'affaire dure depuis 2002), pour l'avocat qui m'a pris pour un khon (je sais, ce n'est pas le seul) et qui a promis monts et merveilles à son client (qui ne le paie pas beaucoup puisqu'il a demandé l'aide judiciaire) en suivant une procédure nulle (à mon avis, mais, comme dit l'autre, le temps de la médecine n'est pas celui de la justice... ce n'est pas l'inverse ?) et je dis au patient que, lundi, j'appelle la sécu.
On se quitte (presque) bons amis.
Mardi, je reçois un appel du service administratif de la CPAM.
Les fait sont les suivants (ah, j'ai oublié de vous dire que l'ami du patient, celui qui n'a pas été payé pendant quatre mois, eh bien, il m'a dit qu'il allait faire une descente à la CPAM et qu'il allait faire quelque chose dont Le Parisien Aujourd'hui en France allait parler en première page ; je rappelle que dans mon coin un type s'est suicidé parce qu'il n'avait pas touché l'argent de la CAF qu'il estimait qu'elle lui devait) : Monsieur A a eu un accident de travail en 2002, un accident de travail grave (un rouleau compresseur lui est monté sur la jambe droite et il a fait un crush syndrome) ; il ne s'en est pas trop mal tiré ; son employeur, une grosse entreprise de BTP, a été correct, voire plus correct qu'il aurait dû ou pu ; il a repris son travail et, au bout de quelques mois, nous sommes convenus avec le médecin du travail qu'il pourrait continuer à travailler avec un poste "allégé" ou adapté ; je ne vous dis pas que les CPK, des enzymes musculaires, que l'on dosait régulièrement étaient au plafond et que les douleurs persistaient ; il a même fallu convenir que les douleurs s'atténuant, il existait également des douleurs moins explicables ; un rendez-vous a été pris à Paris dans un service spécialisé qui a constaté et les dégâts musculaires et une symptomatologie "nouvelle", à savoir une radiculalgie L5S1 homolatérale qui était passée inaperçue en raison de l'intensité initiale du traumatisme et des douleurs, selon le service spécialisé ; différents examens ont été faits, je passe sur les détails et la vraisemblance de la radiculalgie post traumatique a été établie et le courrier du professeur B était explicite sur ce point et concluait au fait qu'il fallait demander une invalidité pour ce patient. N'oublions pas, chers lecteurs, qu'il n'est pas possible de demander une invalidité au décours d'un accident du travail... De toute façon, Monsieur A ne souhaitait pas d'invalidité, il préférait continuer à travailler dans un poste allégé (du balayage et de l'entretien) grâce à la bienveillance de son employeur ("bienveillance" expliquée ultérieurement, je ne le savais pas encore, par les "vraies" circonstances de l'accident) , ce qui, compte tenu des différences de ressources, était bien compréhensible. Et c'est alors que la CPAM se réveille et décide que le malade est "consolidé". Ce qui n'est pas choquant... Je passe sur les détails intermédiaires. Puis : il se trouve que l'état du patient, je veux dire ses douleurs, s'aggrave, qu'il a du mal à travailler et que, finalement, les rechutes d'accident de travail étant refusées, et par le médecin conseil et par les experts convoqués, je profite de la radiculalgie qui ne faisait pas partie du tableau initial de l'accident de travail de 2002 pour trouver un motif d'arrêt qui est accepté par la CPAM...
Mais je commence à vous lasser.
Tout cela pour vous dire quelle est l'existence excitante du médecin généraliste qui tente d'aider son patient dans des procédures complexes et... injustes.
Venons-en au principal.
Monsieur A est venu au cabinet mi-octobre.
J'ai donc au téléphone une "administrative" de la CPAM qui m'appelle de la plate-forme (je suis désolé, comme elle ne s'est pas présentée, je ne peux l'appeler Madame C, c'est l'"administrative") et qui me fournit les renseignements suivants : "Monsieur A est arrêté pour une maladie identifiée depuis le 28 mai 2009. Il a reçu ses dernières IJ (indemnités journalières) le 30 juin 2012. Sa maladie identifiée pouvait être indemnisée jusqu'au 27 mai 2012 mais, comme il avait cependant travaillé un an dans la période sus-dite, il y avait deux possibilités ou deux décisions qui pouvaient être prises par le Service Médical (quand elle parle de cela, notre administrative, mais peut-être interprété-je son ton, on dirait qu'il s'agit d'un service différent, planant dans l'Olympe de la CPAM à des années-lumières des préoccupations basiques des administratifs) : soit une prolongation de trois ans d'arrêt possible pour maladie identifiée, soit mise en invalidité CRAMIF. Or le service médical n'a rien fait. Et le coupable est le docteur C***. Le docteur C***, peut-être en arrêt de travail, n'a pris aucune décision et, après enquête, n'a pas signalé le cas à la CRAMIF comme il aurait dû le faire (puisqu'il a refusé les IJ au delà du 30 juin 2012) le 28 mai 2012 mais début octobre, la signature entre les deux parties ayant été obtenue le 12 octobre 2012. Et c'est pourquoi, lorsque nous avons appelé la plate-forme de la CPAM durant cette période on nous disait que le dossier était "instruit". Tu parles ! J'ai prévenu l'administrative qu'un individu avait menacé de venir faire un carnage à l'antenne CPAM de mon coin.
J'espère que la longue maladie du docteur C***, qui est injoignable dorénavant, lui sera indemnisée en temps et en heures.

(Pierre Laroque, inventeur de la sécurité Sociale (1907 - 1997) - Photographie prise en 1951)

jeudi 25 octobre 2012

La prévention selon la CPAM maltraite le patient (et le médecin traitant) et conduit à des examens inutiles.


J'avais déjà écrit un post sur la prévention conçue par la CPAM (ICI), prévention appelée examen périodique de santé, qui délègue à des officines privées le soin de la "pratiquer", des officines qui se moquent complètement de l'organisation du système de soins et notamment de la notion de médecin traitant, des officines qui se moquent complètement des recommandations pour prescrire des examens, font ce qu'elles veulent, quand elles veulent, au moment où elles veulent et publient des commentaires déplorables. J'avais écrit au directeur de la CPAM des Yvelines (ma naïveté me rend perplexe) qui m'avait répondu dans un style administratif d'une grande compétence qu'il ne faisait que suivre la loi et qu'il fallait que je m'adresse au médecin responsable du centre de prévention pour ce qui était de mes remarques médicales (probablement dans le but qu'un simple médecin généraliste, pas encore médecin spécialiste en médecine générale, fasse respecter la Médecine comme on dit respecter la LOI. Combien de divisions, docteurdu 16 ?).
Tout a donc continué comme avant, pourquoi se gêner ?
Il y a, certes, depuis, une publication de la Collaboration Cochrane, qui montre que les bilans de santé ne servent à rien (LA), mais les experts français ne considèrent pas que cette Collaboration puisse dire des choses intéressantes tant pour la vaccination contre la grippe (LA) que pour le dépistage du cancer du sein (ICI) et, en général, voici le mode de pensée français (au moment où on s'interroge sur l'identité nationale) :
Première version : Les Français se lancent à corps perdu dans des innovations innovantes que tout le monde nous envie, s'y perdent, s'y noient, et prennent du retard sur l'innovation innovante mondiale (Minitel puis Internet).
Deuxième version : Les Français se moquent de ce qui se fait ailleurs (c'est quand même nous les meilleurs), finissent par s'y mettre avec retard et avec beaucoup de sérieux sans tenir compte du fait que les expériences étrangères ont échoué (Capi et P4P).

Et là, je reçois un patient d'origine africaine, Monsieur A, 46 ans, parlant difficilement le français, en France depuis quelques années, patient du cabinet depuis son arrivée en France, qui a été convié par une de ces officines, appelé pompeusement Centre d'Investigations Préventives et Cliniques (CIPC, ICI), et j'aimerais tant que l'IGAS s'intéressât à son fonctionnement, à des examens de dépistage et que je revois, inquiet, avec un compte rendu, deux prises de sang, un scanner abdominal et une cholangio - IRM... 
Pendant ce temps là le nouveau Directeur de la CPAM des Yvelines pond des circulaires à la khon pour obliger les patients à consommer du générique et pour atteindre le taux de 85 % qui lui permettra de toucher son P4P de directeur de caisse...
Reprenons les faits depuis le début.
Monsieur A, 46 ans, a été convoqué par le CIPC (C.E.S. conventionné par la Sécurité Sociale, sic) à subir un examen périodique de santé, c'est à dire des examens GRATUITS dans son centre de Mantes-La-Jolie et dans des locaux que j'imagine prêtés gratuitement (enfin, sur des fonds publics) par la ville en question. La gratuité est une notion qui laisse rêveur quand on sait qui paie (les assujettis de la CPAM) et quand on connaît le rendement de l'affaire en termes de santé publique.
Il arrive avec une grosse pochette d'examens que nous allons examiner ensemble :
  1. Il est examiné le 26 mars 2012 et reçoit un courrier daté du 30 avril 2012 signé par le Docteur  D*** qui comprend 5 pages et des résultats d'examens complémentaires.
  2. "Le bilan ci-après ne montre pas, dans son ensemble, d'anomalies remarquables"
  3.  "..." "Nous attirons votre attention sur le fait que les éléments ci-après sont à prendre en compte : - tension artérielle limite (sic) - anomalie du bilan urinaire - globules rouges limites - bilan lipidique limite - bilan hépatique limite "
Reprenons les faits un à un.
  1. "Tension artérielle limite" (la notion de "limite" est assez nouvelle et nul doute qu'il faudrait que nous analysions en détail ce qu'elle signifie. Une recherche sur PubMed a été décevante, nous l'avouons bien volontiers. S'agit-il d'une pression artérielle normale ou anormale ? ). Les chiffres sont les suivants pour la première mesure en position couchée : 146/90 à droite et 141/90 à gauche ; la deuxième mesure effectuée nous dit-on par une infirmière (mais la position n'est pas notée) au bras de référence (à droite) : 142/92, ce qui nous donne, accrochez-vous aux barrières de votre lit médicalisé, des valeurs "moyennes" au bras droit de 144 (146 + 142 / 2) / 91 (90 + 92 / 2) ! Avouons que leurs calculs sont compréhensibles ! Je ne sais pourtant pas d'où ils tirent leurs notions. Les recommandations du NICE anglais ne demandent pas de faire des moyennes mais de prendre la valeur la plus BASSE lors de mesures répétées et notamment quand une infirmière a mesuré la pression artérielle (voir ICI). Monsieur A n'a pas une pression artérielle limite, il n'est tout simplement pas hypertendu.
  2. "Anomalie du bilan urinaire". Le bilan biologique a été réalisé au laboratoire de l'IPC dont le Directeur s'appelle J-M Kirzin (pharmacien biologiste). Les dépistages urinaires sont "qualitatifs", la Bandelette Combur-7 ROCHE indique 2 pour une normalité à 0+, et le commentaire est "Leucocyturie modérée à vérifier"
  3. "Globules rouges limites". Cette expression est également on ne peut plus précise et digne d'un questionnement. Je lis 5,54 GR avec un VGM à 80 et une Hb à 14,5 g / l ????
  4. "Bilan lipidique limite". Je dois être totalement ignare chez cet homme de 46 ans non fumeur : CT = 2,1 g/l ; TG = 1,08 ; HDL = 0,5 ; LDL = 1,38. Sans commentaires. Cela dit, suivent des conseils hygiéno diététiques pour "que l'alimentation devienne plus pauvre en cholestérol et en graisses saturées".  Conseils non personnalisés puisque le patient est musulman...
  5. "Bilan hépatique limite". Nous sommes confrontés à des problèmes d'interprétation majeurs puisque les résultats sont les suivants : ALAT = 55 UI/L (N < 55) ; ASAT = 35 (N < 35) ; GGT = 75 ; "gGT modérément augmentée à surveiller" ; Phosphatase OH = 78.
On voit combien les points sur lesquels le bon docteur D*** a "attiré l'attention" sont majeurs. Mais attendez la suite.

Pendant mes vacances (il a appelé le cabinet et ne voulait consulter ni mon associée ni ma remplaçante) et le patient résidant à Paris chez sa soeur pendant ses vacances, il se rend, alerté par l'attirage d'attention du CIPS, au Centre médical Europe, 44 rue d'Amsterdam, 75009, Paris, où le patient a droit,   le 21 juillet 2012, aux examens suivants demandés par le docteur C*** : VS = 6 ; TP = 100 ; ferritine = 82. 

Le docteur C***, gastro-entérologue de son état, a aussi prescrit le 18 juillet 2012 l'ordonnance suivante : Daflon 500, Hirucrème, titanoréine suppo, aerius, dexeryl et doliprane. 

Le 20 juillet de cette an de grâce 2012 où notre Ministre Marisol Touraine "révolutionne" les honoraires, et toujours selon la prescription du bon docteur C*** consultant au 44, rue d'Amsterdam, Monsieur A, 46 ans, a droit à une échotomographie abdominale réalisée, savez-vous où ? Au 44 rue d'Amsterdam ! L'indication de cet examen : "Augmentation des Gama (sic) GT". L'examen est normal selon le bon docteur M*** : "Foie homogène de taille normale".

Notre bon patient, Monsieur A, 46 ans, revoit avec ses résultats le non moins fameux docteur C***, qui prescrit un bilan biologique qui sera fait le 26 septembre : Gamma GT = 94 ("Aspect sans grande particularité"). Il prescrit une cholangio IRM qui sera réalisée dans la foulée dans un autre centre privé et le docteur S*** conclura : "Examen sans particularité."

Et ainsi revois-je Monsieur A, 46 ans, qui aura "droit" à un dosage de GGT dans trois mois. Comment faire autrement ? A part cela, et à part un peu d'anxiété liée à cette cascade d'examens, il va bien.

Remarques :
  1. Il faudrait aller voir un peu ce qui se passe chez CIPC
  2. Il faudrait voir ce qui se passe dans ces centres médicaux intégrés où je te passe le patient, je te le repasse, je te le renvoie et le tiroir-caisse fonctionne
  3. Tout le monde s'assoit sur le parcours de soins.

lundi 22 octobre 2012

Les nouveaux médecins généralistes (1) : Ne plus mesurer la pression artérielle.


Les internes de médecine générale (IMG) ne veulent plus s'installer en libéral et ils ont de bonnes raisons, leur ai-je dit  (ICI) de ne pas accepter ce que nous avons accepté et ce que nous continuons d'accepter (LA). Et les médecins généralistes déjà installés, les Spécialistes en Médecine générale (SMG) (mince, j'ai oublié de m'inscrire et de jurer au Conseil de l'Ordre que je suis médecin généraliste exclusif, que pourrais-je faire d'autre ?, de la broderie, du macramé, de l'homéopathie, de la gelstat thérapie ou de l'entretien motivationnel, la dernière couillonnerie à la mode, de la mésothérapie -- j'ai honte, je l'ai pratiquée et m'en suis enfui à toutes jambes en raison de mon incompétence manifeste à pistoriser à tout va--, de l'ostéopathie manuelle, de l'auriculothérapie, de l'acupuncture -- attention, la HALDE va me tomber sur le grappin, non, on me dit que cela n'existe plus, diable, mais enfin, quelqu'un va bien me reprendre, sinophobie manifeste, pour esquisser la critique de techniques éprouvées issues de cultures ancestrales,  ...) les ont rejoints (LA) à moins que j'aie raté un épisode...
Tous ces IMG, ces SMG ne veulent pas être seuls dans leur exercice, ils veulent tchatcher, ils veulent se rassurer sur leurs connaissances, ils veulent être reconnus, ils veulent "partager", ils veulent travailler en équipe, en réseaux, ils veulent faire des réunions à la House en jouant aux maîtres de stages cyniques avec leurs futurs IMG béat(e)s d'admiration (choisir entre l'Abominable Garce et Numéro 13), boire des cafés avec la secrétaire, l'infirmière, la puéricultrice, le kinésithérapeute, l'auxiliaire de vie, l'aide-soignante, la femme de ménage, créer des interfaces avec l'administration en utilisant des anciennes visiteuses médicales, j'imagine plutôt girondes, faire des réunions de concertation, recréer un Comité d'Hygiène ou un Comité Médical d'Etablissement, devenir président de SEL ou de SCP, gérer les comptes bancaires, et cetera.
Non, je m'arrête là, je provoque.
En français administratif les futurs nouveaux SMG désirent, sous la houlette de l'Alma Mater universitaire, le partage des compétences (c'est mieux d'écrire sur une diapositive de l'ARS : "L'élargissement du champ des compétences") et " La délégation des tâches". 
La délégation des tâches : qu'en de termes choisis ces choses là sont dites.
Prenons un exemple entre autres : la prise de la pression artérielle.
Les IMG ont fait tant d'années d'études qu'ils trouvent insultants de mesurer la pression artérielle.
Touchés par la grâce et enivrés par le fait d'avoir bientôt leur diplôme après avoir écrit une thèse à la mords-moi-le-noeud (désolé : moi aussi), tout le monde ne s'appelle pas Louis-Adrien Delarue (voir ICI) ou Julie Chouilly (LA), les IMG pensent que pour remplir leurs 35 heures salariées de gestes nobles, lire des ECG, cocher le nombre de frottis, prescrire des glitazones, de l'evista ou des pseudo anti Alzheimer, leur ôter de leurs emplois du temps la prise de la pression artérielle sera une des solutions d'avenir.
Quant aux SMG, forts de leur expérience interne admirable, ils verraient bien une infirmière, le genre assise sur une chaise en train d'attendre le boulot, pas l'infirmière libérale qui court d'un bout de son bled à l'autre avec des indemnités de déplacement à la gomme, les insulines, les pansements, les prises de sang,..., prendre la pression artérielle, la marquer dans le dossier qu'elle leur tendrait, zut, on est informatisés, donc inscrire la PA, position assise, dans le dossier médical partagé de la maison médicale quand ils ouvrent leur ordinateur métier... Sans compter que nos amis SMG verraient très bien les infirmières de MUST vacciner contre la grippe, avoir un vaccinodrome à la maison, et déshabiller les nourrissons en les pesant, les taillant avant leur arrivée (non sans n'avoir pas omis de remplir les courbes de poids et de taille, tellement fastidieux), afin qu'ils n'aient plus qu'à poser leur stéthoscope sur le coeur vaillant de ces charmants bambins, qu'à évaluer leur fontanelle, leur tonus, jeter un oeil distrait sur leurs tympans, et contrôler que l'interrogatoire aura été bien mené : allaitement maternel exclusif ou mixte, nombre de gouttes de vitamines D (les mêmes qui prescrivaient jadis du fluor pour faire comme à l'hôpital en ayant oublié de lire Prescrire et Christian Lehmann), et bla bla bla et bla bla bla.
D'ailleurs, de grands professeurs comme, par exemple, l'éminent Guy Vallancien, l'homme des PSA dès 40 ans, l'homme des prostatectomies à la volée, voir ICI, est d'accord, la délégation des tâches, c'est l'avenir. C'est dire.
La pression artérielle doit être prise par les infirmières, cela va changer notre vie.
La pression artérielle est un geste technique et tout geste technique peut être accompli par un technicien.
Les frottis itou dans les laboratoires d'analyse médicale. Zut, les laboratoires d'analyse médicale vont fermer.
Les ordinateurs feront les ECG (il faudra encore de petites mains pour poser les électrodes) et les interprèteront : version MG de base, version interniste de base, version cardiologue lambda libéral, version cardiologue PUPH et, summum, version rythmologue (à brancher sur l'Ipad).
Dans les services hospitaliers les infirmières pensent également que la prise de la pression artérielle est indigne de leur condition et elles s'en débarrassent sur les stagiaires. Les stagiaires qui pensent que, finalement, toutes ces études après le bepc, c'est casse-pieds,  mesurer la pression artérielle alors que Madame Dynamap serait si compétente...
Nul doute que tout ce petit monde aura reçu une formation ad hoc sur la façon de la prendre, cette foutue pression artérielle. Avec, à la clé, une formation et un QCM à la fin pour valider.

La prise de la pression artérielle est un geste noble, eh oui, j'ai bien écrit cela. Cela fait partie des soins.  Cela fait partie de la relation médecin malade. Bientôt les médecins ne toucheront plus leurs patients, ils ne repèreront plus avec les doigts le passage de l'artère brachiale, ils seront des purs esprits qui interprèteront derrière leur bureau, leur bureau avec ordinateur, des chiffres qu'on leur aura notés. Et surtout, pour les ennemis des indices, des index, des critères de substitution, les chiffres de la pression artérielle, cela s'interprète. Il peut même arriver que nous mentions au patient pour le tranquilliser et que dix minutes après cette pression artérielle se normalise... une infirmière mentira-t-elle au patient ou au grand docteur ?
L'acceptation de l'incertitude est la première qualité du médecin généraliste.
J'ai écrit dans un post (LA), et sur une idée de Des Spence qui en connaît un bout sur la pratique de la médecine anglo-écossaise, que la délégation des tâches allait entraîner plus d'hospitalisations abusives, plus de prescriptions, plus de passages par les urgences, plus de dépenses, surtout pour ceux qui croient encore aux limites de normalité de la pression artérielle fixée par la Fédération Française de Cardiologie...
Je prends la pression artérielle, je n'ai pas envie que quelqu'un, fût-ce une infirmière DE, la prenne à ma place et je continuerai à le faire.
C'est tout.


(Illustration : Premier sphygmomanomètre - Siegfried von BASCH - Sur le site ICI )

PS1 - Selon la collaboration Cochrane, traiter les HTA légères est d'un bénéfice incertain : ICI

jeudi 18 octobre 2012

Lundi 15 octobre toute la journée : la médecine de papa ?


Voici quelques raisons d'être un bon et un mauvais médecin généraliste : une journée trop chargée où j'ai vu sans doute trop de malades, mais qui pourra dire que la médecine générale n'a aucun intérêt ?
Cette journée n'est pas représentative de mes activités habituelles (il est des jours où je travaille moins et des jours où je travaille plus, ma moyenne annuelle étant de 31 actes par jour travaillé), pas représentative car une infime partie de mes activités se sont retrouvées par hasard en cette journée (de nombreux épisodes annuels sont manquants et surtout le travail accumulé sur chacun de ces nombreux patients que je connais depuis longtemps, sur chacun de tous ces autres patients  ici qui m'ont inspiré pour cette journée là... mais j'ai pensé que me livrer à cet exercice de reconstitution (forcément incomplète et subjective car j'aurais dû écrire  beaucoup plus de 12 heures pour rapporter les 12 heures de travail...) un intérêt documentaire.
(Il ne s'agit pas d'un verbatim car sinon il m'aurait fallu des pages et des pages pour tout recenser... En rouge, ce sont des notes...)

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Je commence les rendez-vous à 8 H 30 (je suis arrivé à 8 H 15 et la secrétaire à 8 H, et mon associée arrivera vers 8H 45). Madame A, 52 ans, 30 ans de clientèle, (C1), est la première patiente inquiète parce qu'elle doit passer demain une fibroscopie en raison de brûlures épigastriques post prandiales tardives qui n'ont pas  cédé sous IPP. Elle veut un arrêt de travail pour aujourd'hui car son angoisse l'a empêchée d'aller travailler. Je l'interroge sur ses problèmes de boulot "Toujours pareil... Pourquoi voulez-vous que cela change ?...", la réorganisation, dit-elle, la rentabilité, ajoute-t-elle, faut-il la croire ?,  et je finis par "tomber" sur les raisons de son angoisse : sa mère est morte d'un cancer de l'oesophage il y a quelques années. Elle ne m'en avait jamais parlé. Elle me raconte en plus qu'il y avait des métastases partout et qu'elle a beaucoup souffert. Nous parlons de métastases, de chimiothérapie, d'Helicobacter Pylori, et surtout du fait que je pense qu'elle n'a pas grand chose. (I)  Monsieur A, 27 ans, deuxième fois que je le vois, (C2), est angoissé pour deux raisons : des problèmes de travail (une chef qui lui veut du mal, dit-il) et sa femme qui est partie sans donner de nouvelles il y a quelques jours (et avec leur petit garçon d'à peine 2 ans). Il revient parce qu'il ne va pas mieux, il me redonne des détails sur sa situation professionnelle, je lui fais mon numéro habituel sur les conflits du travail, le harcèlement, le fait qu'il ne faut pas déclarer ses troubles en maladie professionnelle, le fait qu'il vaudrait mieux en parler au médecin du travail (au cas où sa chef serait connue dans cette grande entreprise pour des faits similaires) et à l'inspection du travail en raison de la gravité des faits rapportés (II). Et, en plus, me dit-il, "J'ai la grippe." Le patient a autant la grippe que moi mais nous continuons de parler de ce qu'il faut faire ou ne pas faire vis à vis de sa chef "qui ne l'aime pas." Le troisième rendez-vous, (C3), Madame A, 49 ans, 20 ans de cabinet, me tend les résultats de sa prise de sang avec beaucoup d'inquiétude car il y a des croix partout. (Que l'on me permette de dire un mot sur les critères de normalité dans les résultats de prises de sang : c'est une source d'incompréhension infinie. Ne parlons pas des données fantaisistes comme la limite supérieure de la glycémie qui, dans 90 % des cas, ne correspond à rien de tangible en termes de décision diagnostique ; sans compter les commentaires sur le degré de l'insuffisance rénale, les patients ne comprenant rien et s'attribuant des insuffisances indues, sans compter les facteurs de risque pour le cholestérol...). Cette patiente n'a pas de cholestérol (je fais exprès d'utiliser une expression triviale) et n'est pas diabétique. Mais elle n'est pas contente parce qu'elle n'est pas rassurée. Pourquoi y a-t-il des croix si tout va bien ? Le laboratoire ne peut se tromper (III). Son médecin, si. Je lui donne des CHD (conseils hygiène-diététiques) et une prise de sang à faire dans trois mois (entre temps j'ai pris la PA...). Madame A, 84 ans, (C4), a toujours été pimpante et enjouée depuis que je la connais, 4 ans de cabinet, elle est vive, elle marche bien, elle est hypertendue diabétique bien équilibrée et la seule chose qui l'embête, et que la prescription d'un IPP a améliorée (hors AMM, cela va sans dire, ou presque hors AMM, c'est plus précis), c'est une hypersalivation et des renvois acides. On a cherché, on a regardé, on a ORLé, on a gastroentérologisé, et nous sommes convenus avec la patiente qu'il n'y avait rien à faire et qu'il ne servait à rien de continuer les investigations ou de donner des médicaments qui ne servaient à rien. Echec de la médecine générale qui aurait dû confier la patiente à des spécialistes professeurs parisiens ou constat que tout ne peut être fait et qu'il existe une part de douleur dans la vie humaine qu'il est impossible de combattre ? Ou faute majeure de ne pas combattre la douleur, la souffrance, le mal être par tous les moyens ? A vous de choisir (voir LA et LA sur l'anhédonie). Le jeune Monsieur A, 23 ans, 23 ans de cabinet avec des interruptions de contact liées à la PMI, (C5), est asthmatique et depuis qu'il a eu droit à plusieurs engueulades et des démonstrations à n'en plus finir sur la façon de se servir d'un aérosol (voir ICI), ne fait pratiquement plus de crises. Il a droit à une ordonnance pour six mois et revient deux fois par an sauf aujourd'hui parce qu'il a la diarrhée. Interrogatoire habituel, pas de TIAC, CHD habituels pour lui et pour son entourage, lavage des mains et alimentation et il ressort, déçu, avec un jour d'arrêt de travail et du pinaverium. Monsieur A, 32 ans, et 32 ans de cabinet, (C6) arrive en portant des lunettes noires de star qui cachent une conjonctivite bilatérale pour laquelle je tente, bien malencontrueusement, de rechercher une origine virale ou bactérienne, je ne fais pas de prélèvements, je donne des CHD (il a deux enfants et une femme) et je prescris du sérum physiologique et du tobrex. Ah, j'oubliais un truc : il a été arrêté par mes soins, il doit venir vendredi pour enlever les fils, au décours d'un accident de travail (plaie de l'index doit avec trois points de suture, l'interne des urgences n'ayant pas jugé bon de lui faire un arrêt de travail, le Monsieur A lui a pourtant dit qu'il travaillait les mains dans l'huile de vidange, mais Monsieur l'interne de l'hôpital, dont le nom est illisible sur le certificat médical initial, n'a pas jugé bon d'en tenir compte. L'interne est un zêlé défenseur des économies) (IV). A vendredi. Monsieur A, 60 ans, 29 ans de cabinet, (C7), comptable, travaille en mi-temps thérapeutique depuis six mois et attend sa retraite avec impatience. Cet homme est charmant, ainsi que sa femme et que ses enfants, mais je ne crois pas qu'il aurait obtenu cela s'il avait travaillé dans une petite boîte. Ce n'est pas un jugement, seulement une constatation : on dit que les arrêts de travail entretiennent les douleurs. Pourquoi pas ? Nous parlons de kinésithérapie, il continue des séances de kinésithérapie du rachis cervical, il rechigne en revanche pour mes conseils d'auto kinésithérapie, mon dada, et tout va aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Il est content. Le médecin conseil a accepté. Le médecin du travail itou. La DRH a l'air également contente. Madame A, 25 ans, (C8), un an de cabinet, a mal au pied : elle présente un durillon rétrocapital et le port de semelles n'y a rien fait. Elle est d'accord pour se faire opérer malgré le fait qu'elle va perdre de l'argent, elle est femme de ménage et son mari est dans le même métal (homme de ménage), avec deux enfants en bas âge et la convalescence post opératoire est souvent longue. J'écris un courrier pour le chirurgien de l'hôpital parce qu'elle ne veut pas payer de dépassements à la clinique (V). Madame A, 76 ans, est une femme que j'aime beaucoup, dix ans de cabinet, (C9), et dont le principal souci, hormis une hypertension équilibrée, un diabète de type II équilibré (HbA1C à 7,8 -- et que les puristes ne me cassent pas les pieds avec le 7,8, je veux dire les diabétologues, les ophtalmologues, les cardiologues et les néphrologues, en me disant que cela pourrait être mieux), une arthrose généralisée,  des douleurs musculaires (mais oui, on a arrêté les statines, mais oui les CPK sont normales) et un "vieux" diagnostic de jambes sans repos fait il y a quelques années par un neurologue de l'hôpital qui avait été "sensibilisé" par la campagne pharmaceutique d'un médicament "étudié pour", dont le principal souci, dis-je, est son isolement par rapport à ses enfants, vivant très loin de Paris, et le fait que ses voisins n'aient pas son niveau d'exigences intellectuelles. Je passe mon temps à pratiquer de la psychothérapie de soutien. J'ai appris, au cours de ces années, des détails de biographie sur cette femme qui pourraient permettre à des journalistes malins d'écrire des articles de sociologie pendant des semaines et à des romanciers en mal d'inspiration d'écrire au moins un livre dans le flux. Je l'aime bien mais je ne peux pas faire grand chose pour elle, c'est à dire soulager vraiment ses douleurs squelettiques et ses douleurs morales. Je la vois donc tous les 15 jours pour des séances  de psychothérapie de soutien. Madame A, 43 ans, 33 ans de cabinet, (C10), fait une angine. Je regarde sa gorge, je n'annonce pas angine mais pharyngite (il s'agit en fait d'une angine rouge), je l'examine, j'écoute ses poumons, je regarde ses oreilles, je prescris du rhinotrophyl et du paracétamol, je réponds avec gentillesse à sa question "Ca n'irait pas un peu plus vite avec des antibiotiques ?" et elle repart au travail. Tout prêt du cabinet. Non sans m'avoir demandé un certificat indiquant qu'elle est bien venue consulter, son chef, dit-elle, et non sans m'avoir rappelé que son ancien chef, que je connaissais, c'était autre chose, exigeant qu'elle se justifie (et que je la justifie) (VI). C'est l'époque qui veut cela, en avons-nous conclu. Le petit A, neuf mois, première fois au cabinet, (CMNO11), mais je connais sa mère, est suivi à la PMI. Aujourd'hui il est enrhumé et à peine fébrile, ses vaccins sont à jour (toute la cavalerie), une petite trace de bécégéite à la face interne du bras doit (jamais déclarée au CRPV), allaitement mixte, bon, y a rien à dire, rien à faire, quelques CHD. Je n'ai même pas eu besoin de dire qu'il n'y avait pas besoin d'antibiotiques tant la maman était persuadée qu'il n'avait rien et qu'elle avait seulement besoin d'être rassurée. Monsieur A, 34 ans, une dizaine d'années de cabinet, (C12), est mon malade hypochondriaque préféré. La liste de ses maux est impressionnante. La liste de ses symptômes est quasiment inaudible. A part cela, c'est un charmant garçon, marié, père de deux enfants, mais il souffre de son corps et cette somatisation, facile à dire, depuis le temps que je le connais, par ignorance vraisemblablement, je n'ai jamais pu la faire remonter au cerveau. Son inconscient se bloque. Et le mien fait la même chose. J'ai déjà confié le patient à mon associée et à mon ex associé. Ils n'ont pu débloquer la situation. Le dernier rendez-vous de la matinée, je le reçois en retard de 15 minutes : Monsieur A, 49 ans, 7 ans de cabinet, (C13), est toujours désagréable mais je me demande bien pourquoi parce qu'il n'est ni bête ni méchant. Asthmatique sévère, il consulte pour des douleurs du dos qui s'avèrent être une lombalgie gauche associée à de vagues irradiations fessières. Il a mal. Ce n'est pas la première fois, il a fait un effort bénin, un faux mouvement et la douleur s'est déclenchée. Je suis un bon interrogateur dans les lombalgies et les lombo-sciatalgies car j'ai été à bonne école mais surtout parce que j'ai déjà souffert d'une sciatique mixte L4L5 et L5S1. (Mon expérience en ce domaine peut être considérée comme doublement interne, mon expérience de praticien et mes propres douleurs. Je ne veux pas dire que l'on ne peut connaître une pathologie que si on l'a subie, cela rendrait l'exercice de la médecine difficile, ce que je veux dire : lorsque j'ai eu un mal de chien, que j'ai posé des questions ici ou là, un rhumatologue, un neurologue, un médecin généraliste, un radiologue, enfin, des confrères, j'ai été surpris de la diversité des réponses et, finalement, je suis allé faire un tour sur le net, d'abord les publications, ensuite les cours et, enfin, je me suis refait, je devrais dire fait l'anatomie vertébrale en détail, l'espace foraminal et tutti quanti et, à la fin, je me suis fait ma propre idée, une idée subjective, cela va sans dire, et cette idée subjective m'a fait remettre en cause les dogmes et les avis d'experts que j'avais entendus et lus ici ou là. Je n'ai donc plus jamais regardé un patient de la même façon et les questions que je lui posais sur la nature de ses douleurs, c'était du vécu. J'ai été impressionné par un médecin du sport qu'un collègue m'avait conseillé de voir, une consultation de réassurance, un type très cool, et j'en ai conclu : pas d'intervention sauf urgence du siècle, pas de kinésithérapie mais de l'auto kinésithérapie. Bien entendu que j'ai vu des opérations qui se sont bien passées et pour lesquelles l'indication urgente n'était pas évidente, mais cette expérience unique m'a à la fois fortifié et inquiété : fallait-il que pour chaque pathologie je me mette à réapprendre l'anatomie, à contester les recommandations, à me faire ma propre idée ?... On voit que cette journée de travail que je décris, et dont vous n'avez vu que les premiers 13 patients, rendrait mon existence intenable si je devait TOUT réapprendre...) J'ai donc interrogé, examiné ce patient, je lui ai prescrit des médicaments, AINS et antalgiques, je lui ai fait un arrêt de travail jusqu'à la fin de la semaine et je me suis rendu compte qu'il était midi moins le quart.
Il y avait des papiers à signer, un bon de transport à remplir (un patient se rendant à la Salpêtrière), un carnet de santé à regarder et un appel téléphonique à recevoir de la CPAM.
J'ai vérifié qu'il ne manquait rien dans ma sacoche.
La première visite, disons que je ne peux pas détailler, parce que les gens se reconnaîtraient. Disons que c'est une visite particulière, parce qu'il y a une grand-mère de 91 ans que je connais depuis 33 ans (V+MD14) (ICI) et deux adultes, dont un ne peut se déplacer (C15 et C16). Le patient 16 se déplace régulièrement à mon cabinet mais en profite quand je viens voir sa mère pour que je "renouvelle" ses médicaments ou autre. (VII).
La deuxième visite est un poème. Monsieur A, 78 ans, (V+MD17), connu par moi depuis 20 ans, est hypertendu diabétique (je ne rajoute pas qu'il est bien équilibré, mais j'ai les chiffres, parce que je vais me faire rougir et que les lecteurs vont finir par ne pas me croire si je leur dis que tous mes diabétiques sont équilibrés, c'est bien entendu faux, mais disons que je tombe bien aujourd'hui), souffre d'une AC/ FA et est porteur d'un cancer de la prostate évolué localement. Il vient d'être opéré d'une hernie inguinale bilatérale, il sort de la clinique, il est paumé. Il était traité par antivitamine K, previscan (non, ne râlez pas, il était équilibré à sa sortie de son hospitalisation en cardiologie il y a 3 ans, et il l'est resté, je n'ai pas prescrit de coumadine, et voir plus bas C32 et la note afférente XIV), et, sorti le samedi, ne pouvant pas aller chez le pharmacien avant le lundi, c'est sa voisine qui le fait, il n'avait donc ni previscan, ni rien (lovenox, on le verra plus tard) pour l'anticoaguler... J'ai piqué une crise et j'attends encore, au moment où j'écris ces lignes, que la clinique me rappelle... Je signale que c'est l'infirmière à domicile qui a apporté les boîtes de lovenox... Bon, on rattrape, on rattrape.
Un petit sandwich acheté à la boulangerie : formule à 6 euro avec jambon gruyère + éclair au café + coca zéro. Un café bu au cabinet.
13H30.
Les deux enfants A, 4 ans et 27 mois, (C18 et C19) sont accompagnés par leurs deux parents et ont une rhino-pharyngite banale. Poids, mensurations, vérification du carnet de santé, bien que je les connaisse bien tous les deux. Prescription minimaliste. Puis c'est Madame A, 67 ans, environ 8 ans de cabinet, (C20), très sourde, inappareillable, "De toute façon je ne peux pas payer un appareil." (VIII). Elle vient pour "ses" médicaments et "son" vaccin contre la grippe (IX). Elle est allergique à tout. Son ordonnance est immuable. Elle a peur de changer de marque de génériques. Mais il y a un point curieux : le rhumatologue lui a prescrit un jour un produit inutile, voire dangereux, le chondrosulf, non remboursé, et elle continue de l'acheter malgré le fait qu'elle doive le payer... Elle présente depuis des années de grosses lésions dermatologiques liées à son allergie mais elle a fini par comprendre qu'il n'était pas nécessaire de s'exciter, il fallait faire avec... Madame A, 27 ans, première fois au cabinet, (C21) a attendu une heure et demie devant ma porte puis dans la salle d'attente, son médecin traitant ne pouvant lui accorder un rendez-vous, pour un rhume et une toux. Elle ne m'a même pas demandé d'arrêt de travail car elle ne travaille pas le lundi. Elle m'a payé en chèque (je veux dire, pour les grincheux : ce n'était pas une CMU) (X). Je n'ai pas traîné. Je ne lui ai pas prescrit : derinox ou rhinadvil, pas plus que toplexil, pas plus que maxilase ou de solupred...  Monsieur A, 27 ans, 27 ans de cabinet, (C22), consulte pour diarrhée / vomissements. Il sait pourquoi : il a fait réchauffer de la viande qui était conservée depuis 24 heures à l'extérieur. On discute de choses et d'autres et je lui dis que son rappel de DTPolio est pour l'année prochaine. Monsieur A, 35 ans, 5 ans de cabinet, (C23), a lui aussi des douleur abdominales et ne vomit pas. C'est une gastro-entérite probablement virale. L'examen est sans particularité. Nous parlons de son fils qui présente un retard psychomoteur qui est en train de se combler. Une prescription de CHD. Du paracétamol. Deux jours d'arrêt de travail. Mademoiselle A, 17 ans, première fois au cabinet, (C24), elle vient d'arriver dans le coin, est enceinte et veut avorter. Mais elle ne veut pas, mineure, que ses parents le sachent. Nous parlons de la date des dernières règles (elle est dans les clous), nous parlons du test de grossesse qu'elle a fait en pharmacie, nous parlons des conditions de survenue (elle n'avait plus de pilule, le préservatif a éclaté), nous parlons des IST, elle dit oui à tout ce que je lui dis, facile, la vie. (XI) Je téléphone au centre 'Aide Ados' de mon coin, nous sommes en milieu d'après-midi, à la deuxième sonnerie une voix de femme me répond, très douce, je lui explique le cas, je lui demande si je dois programmer une échographie, elle me dit que non, et elle donne un rendez-vous pour mercredi 11 heures. "Cela vous convient ? - Oui." J'aimerais bien savoir ce qui s'est passé ensuite mais il est probable que je ne reverrai jamais cette jeune fille qui avait choisi mon cabinet au hasard. Le jeune A, 5 semaines, deuxième fois au cabinet (la première fois, c'était mon associée), (CMNO25), est enrhumé. L'examen montre effectivement une petite rhinite, j'en profite pour expliquer, ré expliquer, comment on administre le sérum physiologique, j'interroge sur l'allaitement (maternel), et bla bla bla et bla bla bla (vitamines). C'était une consultation de courtoisie au cas où. Je n'ai pas eu besoin de prescrire les vaccins du deuxième mois, mon associée l'avait fait. Monsieur A, 32 ans, 32 ans de cabinet, est le père du précédent (C26). Il en "profite" pour son renouvellement : il est asthmatique et est traité par le pneumologue, enfin, le pneumologue lui a prescrit cela il y a deux ans et il ne fait plus de crises ou presque sous seretide. J'aime bien lui faire un peak flow à ce jeune père de famille c'est son premier enfant, parce qu'il a un peak flow d'enfer quand il va bien : 750 ml.  Il faut donc en tenir compte quand il va mal : les valeurs de base sont élevées. Mademoiselle A, 32 ans, 25 ans de cabinet, (C27), est fatiguée, pense qu'elle a perdu du poids, alors que, comme elle dit, "tout roule..., je travaille, j'ai un copain..." La connaissant depuis, donc, 25 ans, je sais qu'elle traverse parfois des périodes d'intranquillité, je ne sais pas comment dire autrement, je la rassure, je lui mesure sa PA, basse comme d'habitude, je palpe et ausculte sa thyroïde, je surveille depuis 4 ans une augmentation modérée de volume et plusieurs kystes infra centimétriques, elle est cliniquement euthyroïdienne, je l'interroge sur ses dysménorrhées et ses spanioménorrhées qui persistent malgré la prise d'oestroprogestatifs, et je cède à sa demande, mais ce n'est pas totalement injustifié, de prescrire une numération et une tsh. "Vous pouvez me prescrire des vitamines ? - Heu, tu sais, (XII), les vitamines, ça sert pas à grand chose..." et de me remettre en position disque rayé sur les CHD pour "mieux vivre" : alimentation sommeil et tout le tralala. Sa gynécologue lui fait faire un frottis tous les 2 ans (XIII). Madame A, 26 ans, 3 ans de cabinet, (C28), mais avec des intermittences, elle aime bien changer, présente à n'en pas douter un syndrome viral des voies respiratoires hautes mais elle préfère consulter, dit-elle, parce qu'elle est enceinte de 4 mois. Elle a attendu longtemps. Je l'examine avec le plus grand sérieux, elle me dit qu'elle a pris du doliprane, "je pouvais ?", je lui conseille le site du CRAT (Centre de Références sur les Agents Tératogènes, LA) en lui expliquant, bla bla, et elle ressort avec du paracétamol, du sérum physiologique et des bonnes paroles (et un arrêt d'une journée). Monsieur A, 61 ans, 14 ans de cabinet, est un homme charmant (contre transfert quand tu nous tiens), (C29), dépendant de l'alcool, qui a déjà consulté moult addictologues, moult centres de désintoxication, un homme cultivé et intelligent et travaillant comme préparateur de commande chez un grand transporteur, avec lequel nous tentons de tuer les démons. Nous avançons pas à pas et commençons à déchiffrer. Pas de baclofène prévu (XIV) : ce patient veut, comme il dit, "extirper la bête". C'est son droit. Sort sans ordonnance.
16 H 30 : Départ de notre secrétaire. Nous répondons au téléphone, mon associée et moi. Et nous ouvrons le portier.
 Monsieur A, 45 ans, au cabinet depuis 10 ans, (C30), est un disco-lombalgique chronique qui travaille comme préparateur de commande (c'est le deuxième de la journée). Il travaille bien qu'il souffre mais il n'a pas le choix, dit-il. Kinésithérapie abandonnée depuis longtemps et remplacée par auto kinésithérapie, piscine et antalgiques à la demande (paracétamol / codéine). A part cela : hémorroïdes. Madame A, 83 ans, malade du cabinet depuis 9 ans, (C31), forme olympique en général, bien qu'un peu amaigrie ces derniers temps, aucune pathologie chronique à signaler (elle ne prend aucun médicament), consulte pour des douleurs abdominales accompagnées d'une vague diarrhée. Le ventre est souple, la pression artérielle normale : CHD + pinaverium. Monsieur A, 84 ans, malade du cabinet depuis 9 ans, le mari de la précédente, (C32), tient avec du scotch (c'est une expression) depuis des années et on peut se demander s'il tient grâce à sa résistance naturelle, grâce aux médicaments ou en dépit des médicaments ; mais certainement en raison de l'entente fusionnelle avec sa femme que je perçois à chaque consultation (voilà que je sentimentalise). Je résume : infarctus du myocarde (à une époque où on ne revascularisait pas tout de suite) ; HTA ; dyslipidémie depuis 20 ans ; AC / FC ; antécédents d'embolie pulmonaire ; pace maker ; obésité morbide ; vous voulez autre chose ? Ils reviennent de vacances. Avant les vacances le cardiologue avait suggéré que l'on remplace le previscan (cf. plus haut pour la coumadine et V+MD17) (XV) par dabigatran. Nous sommes convenus que puisque l'INR était stable depuis des années, et qu'il était difficile de savoir ce qui pouvait se passer avec le dabigatran, et en raison de la "fragilité" de ce patient, que nous continuerions avec previscan. Mademoiselle A, 14 ans, 14 ans de cabinet, (C33), se présente avec un impétigo sur peau propre. On discute avec le papa qui accompagne. Je réponds aux questions. Je m'aperçois que j'aurais dû prendre une photographie. Je remplis le carnet de santé. Je prescris des antibiotiques. je donne des CHD. Mademoiselle A, 15 ans, 11 ans de cabinet, (C34), vient pour une simple ampoule à la face interne du pied droit attrapée à la patinoire. La cicatrisation commence. Traitement local : protection. Nous parlons de ses problèmes de poids qu'elle est en passe de résoudre. L'intervention de la diététicienne (première consultation 45 euro et la deuxième 25 non remboursées) a été très contributive. Vaccins à jour. Ni hépatite B, ni gardasil. Monsieur A, 51 ans, sportif vétéran de haut niveau, au moins 30 ans de cabinet,  (C35), a fait une chute de vélo à l'entraînement (sur le côté droit). Je ne peux manquer de l'embêter à propos d'Armstrong et consorts (XVI). Nous en avons parlé si souvent... Problèmes : six mois après la chute et bien qu'il s'entraîne normalement, il a une zone d'insensibilité étendue sur la face externe de cuisse, qui a tendance à s'améliorer mais qui le gêne (je connais le phénomène, je lui explique; je lui dis qu'en revanche je ne sais pas quand cela disparaîtra : encore une fois des choses nous échappent et nous devons les accepter) et son poignet droit est sensible en hyper extension. Il existe un point douloureux exquis au niveau cubital. Je demande une IRM. Les sportifs ont besoin de réponses. Les sportifs de haut niveau, et j'en ai peu l'expérience, mais les sportifs passionnés en général, considèrent que leur corps est un outil qui doit être en parfait état de marche et les performances sont très affectées par le moindre doute de leur cerveau sur l'intégrité de cet outil (on voit que la journée avance et que les truismes font flores). Monsieur A, 23 ans, depuis 2 ans au cabinet, mesure deux mètres zéro trois, (C36), est une victime du business system américain : après une fracture de fatigue d'un métatarsien alors qu'il avait été drafté par une équipe universitaire américaine, on l'a fait reprendre trop tôt, il n'a plus pu jouer et il a dû partir, ruiné, pour la France, il est Sénégalais, et on essaie de le traiter. Il recommence à shooter, il court un peu à l'entraînement. Il vient parler avec moi en anglais de la NBA pour oublier ses soucis, prendre des médicaments (le secret médical m'interdit de dire lesquels), et demander des séances de kiné balnéothérapie. Mademoiselle A, 22 ans, 22 ans de cabinet, (C37), présente une drépanocytose hétérozygote, elle est Française d'origine sénégalaise, des spanioménorrhées qui n'arrangent pas son taux d'hémoglobine, et voudrait continuer à faire du sport (hand ball). Elle a besoin d'un certificat. Elle a également besoin de sa contraception oestro-progestative, qu'elle prend mal, qu'elle oublie, elle n'aime pas les comprimés en général (dans son dossier, au chapitre Allergie il y a noté "gélules et comprimés"), et refuse un implant (les progestatifs utilisés auparavant (levonorgestrel) avaient, en outre, provoqué des spottings très gênants. Madame A, 29 ans, 8 ans de cabinet, (C38), revient de vacances au Maghreb, nous en profitons pour parler de la façon dont elle voit la situation là-bas, j'écoute, j'enregistre, j'interviens à peine, et elle présente une classique diarrhée du retour. CHD et antinauséeux. Un jour d'arrêt de travail. Pour le frottis : l'année dernière. Mademoiselle A, 24 ans, 24 ans de cabinet, ne paie jamais, non, j'exagère, paie rarement les maigres 6,90 € que je lui demande au titre du tiers payant, (C39) (XVII), et vient ce soir pour une poussée d'herpès labial. Je prescris local et hors AMM et lui renouvelle sa pilule (remboursée). Mademoiselle A, 32 ans, et 18 ans de cabinet, (C40), est radieuse mais malade. Radieuse parce que le conflit du travail qu'elle avait eu avec une de ses collègues, conflit qui, avant les vacances, aurait pu la mener à la démission tant elle était angoissée, voire à la limite de la déprime (nous étions convenus de lui donner des anxiolytiques "légers"), le conflit s'est donc terminé par le licenciement de sa collègue.  (XVIII). Malade en raison d'une banale virose des voies aériennes supérieures ne requérant, bien entendu, que des soins "légers" sans vasoconstricteurs nasaux, sans dérivés opiacés pour calmer la toux, sans corticothérapie... Mademoiselle A, 14 ans, malade fréquentant le cabinet depuis 14 ans, (C41), revient pour des douleurs abdominales intermittentes et récurrentes, basses, sans troubles du transit, sans signes urinaires, qui ne cèdent pas sous pinaverium. La jeune fille n'est pas réglée et il pourrait s'agir de dysménorrhées... J'examine, je temporise et je rassure. On discute de choses et d'autres et, tout d'un coup, la maman se rappelle qu'elle a eu le même genre de douleurs avant d'avoir ses règles. Cela ne rassure pas la jeune fille mais il s'agit d'une réaction que je décrypte ainsi (d'habitude la jeune fille vient seule et j'ai souvent discuté de ses problèmes --mineurs-- par rapport à sa maman) : je ne veux pas ressembler (trop) à ma maman. Monsieur A, 26 ans, malade du cabinet depuis quatre ans, (C42), a besoin de son traitement que je lui prescris habituellement tous les six mois : il présente un diabète insipide. Je lui remplis également un certificat pour qu'il puisse pratiquer le tennis de table. Il est tard, nous sommes tous les deux fatigués.
Il est 19 H 45. Je ferme la porte. Je fais la recette, c'est à dire que je compte les chèques et les cartes bancaires et cela correspond à ce que me dit l'ordinateur. J'imprime la liste pour la secrétaire demain. Je télétransmets, ce qui met un peu moins de trois minutes. Je ferme mon poste. Je me rends dans le bureau de mon associée qui est partie vers 19 heures, déconnecte les utilisateurs et sauvegarde. Je commence à fermer les volets. Je mets le répondeur. J'éteins le fax. Je retourne dans mon bureau consulter mèls et tweets que je n'ai cessé de regarder tout au long de la journée. Pendant que les malades se déshabillent, se rhabillent... La sauvegarde s'est bien passée sur le disque dur. Je sauve sur la clé USB. Je ferme tout. Je pars et il est 20H 5.

Epilogue : je vous assure que j'ai pris cette journée de lundi au hasard, il y avait longtemps que j'avais envie de le faire.. J'ai mis toute cette journée de jeudi, mais je n'ai pas fait que cela, pour la rapporter. Sera-ce un épouvantail pour les jeunes générations ? Je n'ai pas tout raconté, pas tout dit, ce n'est pas possible, mais on peut se rendre compte qu'au delà du temps passé avec les patients, il y a des connaissances accumulées, de l'expérience, du travail, de la réflexion en arrière-plan, cela s'appelle le métier. Je crois que je ne recommencerai plus : trop épuisant mais c'était aussi très intéressant pour moi de me retourner. Car le moindre des gestes que nous faisons, la moindre des attitudes que nous montrons à nos patients, jouent un rôle dans notre métier. A vous de juger.
Dernière précision : je me suis installé le 5 septembre 1979.


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Notes :
(I) Au moment où j'écris ces lignes j'ai eu le résultat de la fibroscopie : rien de chez rien. Nous pourrions, si nous en avions le temps, aborder la surconsommation délirante d'IPP chaque fois qu'une aigreur d'estomac est ressentie, chaque fois qu'un patient digère mal, et la surconsommation de fibroscopies négatives... Je rajoute le 29/10/12 : une étude américaine montre la surconsommation d'IPP à l'hôpital (LA)
(II) Le problème du harcèlement au travail demande une certaine clairvoyance et un certain recul vis à vis des déclarations des travailleurs, un certain recul vis à vis de notre propre conception du monde (idéologie, patronat, syndicat), un certain recul vis à vis de notre empathie / antipathie (cf. contre transfert), un certain recul vis à vis des attitudes stéréotypées à la mode dans la menée de la consultation  : entretien motivationnel, psychothérapie de soutien, approche analytique, et cetera...). J'ai abordé ICI ou LA ces problèmes et il est difficile de ne pas être informé sur le droit (par exemple ICI), avoir lu les classiques de la question puisque les malades les ont lus soit directement, soit indirectement sur le net ou dans les médias audiovisuels : ICI. Question annexe : que doit dire le médecin généraliste à son patient ? Jusqu'où doit-il l'informer de ses droits ? Non, n'écarquillez pas les yeux : certains médecins généralistes font le minimum pour ne pas se substituer au patient, pour ne pas être celui qui induit le recours au médecin du travail ou à l'inspection du travail, il faut rester neutre et ne nous occuper que des conséquences médicales de ce conflit. Je ne fais pas cela. (voir aussi la note XVIII)
(III) Les laboratoires d'analyse médicale (qui vont bientôt disparaître physiquement grâce (?) au SROSS) sont obligé de fournir des valeurs limites lors de la remise des résultats. Or, pour de nombreuses valeurs (voir plus haut), c'est faux, cela inquiète, cela déroute, cela rend floue la décision du médecin qui peut faire ce qu'il veut selon qu'il est activiste, attentiste, alarmiste, normal ou négligent (mais la négligence de certains médecins est souvent bénéfique pour le patient)
(IV) Vaste débat sur les forums pour comprendre pourquoi : a) les hôpitaux et les spécialistes libéraux rechignent à faire des arrêts de travail et renvoient vers les médecins traitants. Explication 1 : ils ne veulent pas que les arrêts de travail entrent dans leurs profils (c'est faux car leurs profils d'IJ -- Indemnités Journalières) ne sont pas étudiés par la CPAM) ; Explication 2 : ce sont des flemmards ; Explication 3 : ils agissent ainsi pour que le médecin traitant soit au courant (hum, hum) ; Explication 4 : ils sont tellement habitués au à moi à toi des hôpitaux et des cliniques qu'ils pensent que cela fera plaisir au médecin traitant de faire un acte deplus...  b) les bons de transport pour aller à l'hôpital : voir les explications plus haut.
(V) Les dépassements d'honoraires, nous avons, nous les glorieux médecins généralistes du secteur 1 qui ne pratiquons jamais de dépassements (et nous ne nous en vantons pas, nous constatons), à les gérer dès que nous adressons un malade à un spécialiste. Et j'exerce dans un coin où il existe encore des zones de non dépassement, mais cela devient rare. Il faut donc que nous fassions la part entre ce que peut admettre le patient (et ce n'est pas toujours évident de juger bien que 18 % des actes que j'effectue le sont en CMU), ce que je peux admettre moi-même (en fonction de mon opposition de principe aux dépassements mais aussi à la compréhension que je peux avoir de la nécessité de dépassements en consultation dans des spécialités non techniques comme la psychiatrie -- temps passé en consultation-- ou techniques comme l'ophtalmologie -- matériel à amortir et à changer), ce que je juge être raisonnable, ce que je juge en valoir le coup, et cetera, et cetera...)
(VI) D'aucuns de mes collègues prétendent que c'est la CPAM et ses annexes qui les envahissent de paperasserie tatillonne et inutile, plus qu'il y a cent ans, c'est évident, mais c'est plutôt la société civile qui nous contraint : certificats en tout genre pour l'école, la mairie, la crèche, les clubs de sport les plus farfelus, l'employeur, et cetera.
(VII) Les visites à domicile sont un vaste problème qui mettent en jeu différents points de vue (disons, pour déclarer mes liens d'intérêt, que je fais partie des médecins généralistes qui ont fait beaucoup, beaucoup, de visites, jusqu'à 13 par jour en moyenne -- et j'étais atypique dans mon coin -- ; c'était une autre époque que les moins de 30 ans ne peuvent pas comprendre et je ne regrette vraiment pas alors que je fais, grosso modo 7 visites par semaine désormais) : certains médecins généralistes ne font jamais de visites (par principe, parce que les spécialistes d'organes n'en font pas, parce que les malades n'ont qu'à se déplacer, parce que c'est de la mauvaise médecine, parce que cela prend du temps, parce que cela n'st pas assez rémunéré...) et je pense qu'il n'est pas possible, je répète et je souligne, pas possible, de faire de la médecine générale sans faire de visites ; certains médecins généralistes en font le moins possible pour les mêmes raisons que précédemment et ils ont probablement raison, d'autres continuent d'en faire beaucoup (parce qu'ils n'ont pas su s'arrêter ou en raison de la structure de leur clientèle ?) ; il paraît, selon la CPAM, qu'il faut faire moins de visites à domicile, inutiles cela va sans dire, pour des raisons d'économie... Convenons que nombre de visites à domicile sont des visites de convenance (même en n'en faisant que 7 par semaine) mais qu'il n'est pas possible de faire autrement pour les malades isolés, pour les malades en fin de vie, pour les malades impotents (à moins de faire exploser le budget transports de la CPAM), et que la vision de l'habitat du patient, de son habitus en général, est parfois très instructive et évite certaines erreurs de jugement. N'oublions pas qu'un des sport favoris de Docteur House est d'envoyer des enquêteurs sur le terrain. Mais il faudrait écrire un post entier sur la question...
(VIII) Il est tragique de constater dans ce beau pays que pour trois des valeurs de base de la santé et de l'hygiène de l'être humain, entre autres, les dents, la vue et l'audition, les soins ne sont pratiquement pas remboursées par le panier de soins ordinaire... Si l'on pense que la marge brute des médicaments est d'environ 95 %, que dire de celle des prothèses dentaires, optiques ou auditives ?... Au moment où les mutuelles complémentaires, que l'on devrait plutôt appeler des mutuelles supplémentaires (ICI), font de la publicité sur les ondes pour le remboursement de l'ostéopathie ou des consultations de diététique, le remboursement oculodentoditif n'est toujours pas assuré... au contraire des anti Alzheimer inefficaces, des strippings de varice à but esthétique ou des chambres individuelles dans les hôpitaux (dans ce cas le problème est aux hôpitaux qui n'ont pas de chambres individuelles)...
(IX) Les habitués de ce blog connaissent sans doute ma position sur la vaccination anti grippale chez les personnes de plus de 65 ans : elle est peu efficace. Il est amusant de constater que les vaccinologues patentés ont changé d'argumentation : avant que l'on ne vienne voir leurs dossiers, le vaccin marchait chez les personnes de plus de 65 ans, ensuite, le vaccin marche moins bien chez les personnes de plus de 65 ans que chez les adultes sains, et, maintenant, cela ne marche que dans 50 % des cas mis il faut le faire en cas de grande épidémie car c'est mieux que rien... ICI, un document savoureux et brut de décoffrage, d'un des spécialistes mondiaux (français) de la vaccinologie. Pour en revenir à "ma" patiente. Je lui ai expliqué (en hurlant, car elle est sourde) que le vaccin était peu efficace, que si elle avait envie de le faire, je le lui ferai, et que si elle ne le faisait pas cela n'avait pas une grosse importance. Elle a été vaccinée.
(X) Il est possible que cette patiente ait pu répondre, lors d'un sondage sur la qualité des soins en France, qu'elle a eu des difficultés à se faire soigner, voire, qu'elle a failli renoncer à des soins (urgents ?) pour cause d'encombrement dans les cabinets médicaux.
(XI) Pour connaître, un peu, mon avis sur l'IVG, voir sur ce blog : ICI. Mais cela mérite de longs développements.
(XII) Question que je n'ai pas encore résolue : Faut-il tutoyer les nourrissons, les enfants, les jeunes gens et donc, comme je les suis jusqu'à l'âge adulte, continuer de le faire ? Françoise Dolto, qui a dit beaucoup de khonneries, affirmait qu'il fallait vousoyer les enfants, fussent-ils nourrissons. Je ne l'ai jamais fait mais ce conseil lacano-doltoïen m'a toujours interrogé. Les parents me regardent déjà d'un drôle d'air quand je parle aux nourrissons, avant de les examiner, en leur disant ce que je vais leur faire, écouter leur coeur, regarder leurs tympans, je dis dans le désordre, regarder leur moineau, mâle ou femelle, les mesure, les peser, et cetera... Les parents qui me regardent étonnés quand je leur demande s'ils ont prévenu le nourrisson qu'il allait se faire vacciner, quand je parle au nourrisson pour lui annoncer que j'allais le vacciner contre la diphtérie... et pas contre l'hépatite B. Mais c'est un autre problème... Quoi qu'il en soit, je commence à vouvoyer les enfants / adolescents que je n'avais jamais vus auparavant à partir, disons, il n'y a pas de règle, de 16 ans. Pour les autres, ceux que j'ai tutoyés plus tôt, je continue, sauf quand le mari de la patiente n'apprécie pas. Enfin, il ne me viendrait pas à l'idée de tutoyer mes patients adultes comme on le voit sur certains blogs (LA).
(XIII) Les gynécologues médicales vont manquer. Les rendez-vous sont difficiles à obtenir chez elles. Mais si elles ne faisaient pas faire des frottis tous les ans pour certaines, tous les deux ans pour d'autres, alors que le consensus est tous les 3 ans quand tout va bien...
(XIV). Baclofène : nous sommes en pleine irréalité. En gros, à mon avis, et il arrive que je ne le partage pas, j'attends le résultat des études. Nous avons tellement été trompés par le passé sur des médicaments  et des procédures qui résolvaient tout, surtout entre les mains de leurs prescripteurs et opérateurs, médicaments et procédures sans effets indésirables, bien entendu, que je me méfie. Ensuite, et là, j'avoue, c'est mal de penser ainsi, j'ai un peu de mal avec l'arrogance, le mépris pour les autres et la personnalité pour le moins alambiquée de son promoteur Olivier Ameizen, (LA). Puis, il est amusant de constater que ceux qui contestent en général les utilisations de médicaments hors AMM (sous la houlette de Big Pharma) utilisent désormais les arguments inverses pour dire qu'il faut utiliser le baclofène hors AMM parce que Big Pharma ne fait pas d'essais. Quitte à passer pour un passéiste incapable d'applaudir au progrès, mais surtout incapable de croire que l'alcoolisme est seulement un problème de récepteurs (les neuroscientistes, holà !), j'attends et je vois.
(XV) Qui pourra m'expliquer pourquoi les cardiologues français n'aiment pas la coumadine. Ce n'est pas une question de prix, alors ?
(XVI) Un blogueur connu a une opinion très tranchée sur le dopage et je ne comprends pas son point de vue : ICI. J'y repense en parlant avec Monsieur A.
(XVII) Bon, je vous entends d'ici, les conseilleurs et pas les payeurs, c'est le cas de le dire, pourquoi continuer à la recevoir ? Je ne sais pas. Nous avons nos pauvres et, dans le quartier, ce n'est pas ce qui manque, disons que nous avons nos pauvres favoris, et que Mademoiselle A, elle a fait trois heures de queue, elle sait que je l'engueule toujours parce qu'elle ne prend pas bien ses médicaments (elle a fait un paludisme gravissime et on l'a rattrapée par les cheveux), parce qu'elle oublie sa pilule, parce qu'elle oublie les préservatifs, parce que, parce que... Parce que je connais sa famille, son père, sa mère, sa belle-mère, ses frères et soeurs, ses neveux... 
(XVIII en complément de la note II) Dans les conflits du travail la seule mesure véritablement efficace est d'exfiltrer le salarié de l'entreprise, non seulement en lui faisant un arrêt de travail mais en lui demandant de couper tout lien (mèl, téléphone). Et ensuite on voit au coup par coup.

(Photographie : grève des internes à Strasbourg)

vendredi 12 octobre 2012

De (très) bonnes raisons de ne pas être généraliste.


On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes.
On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes libéraux.
On dit partout que les jeunes étudiants en médecine ne veulent pas devenir médecins généralistes libéraux exerçant à la papa.
Mais qu'ils ont raison, ces jeunes.
Je ne peux que les encourager.
Je ne peux que leur dire qu'ils doivent persister dans leur volonté de ne pas exercer ce métier médiocre qui est celui de médecin généraliste libéral sans exercices particuliers permettant des dépassements ad hoc.
Ils méritent mieux.
Ils valent plus que cela.
Ils valent mieux que tous ces anciens généralistes, ces généralistes à la papa, ceux qui ont mis la médecine générale dans la merdre actuelle, ceux qui dirigent les syndicats, ceux qui s'occupent des URML, ceux qui siègent dans les commissions paritaires, ceux qui gèrent la Carmf, ceux qui acceptent le paiement à l'acte, ceux qui se contentent de 23 euro, ceux qui ont accepté le paiement à la performance, ceux qui ont accepté la fermeture du secteur 2, ceux qui ont contribué à l'enterrement de l'Option Médecin Référent...
Imaginez un peu la vie de ces anciens qui acceptaient tout, qui acceptaient les gardes de nuit, qui acceptaient des consultations sans rendez-vous, qui acceptaient des salles d'attente bondées, qui acceptaient sans barguigner de prescrire des antibiotiques dans les rhino-pharyngites, des antibiotiques dans les angines non streptococciques, des antibiotiques dans les bronchites aiguës, des antibiotiques dans les otites moyennes aiguës, qui faisaient des diagnostics de sinusite avec autant de fréquence que des diagnostics de pendulums, qui faisaient des diagnostics d'appendicite à la volée et qui, en plus, les envoyaient chez le chirurgien, qui prescrivaient des radios pour un oui ou pour un non sans se poser de questions, qui accordaient des arrêts de travail à la demande, qui adressaient des patients à des spécialistes en écrivant des mots sur un coin de table, qui vaccinaient à tours de bras, qui faisaient des visites à domicile de convenance, qui acceptaient les invitations des visiteuses médicales, qui se formaient dans des réunions sponsorisées par des laboratoires, qui lisaient le Quotidien du Médecin et pas seulement pour les locations de vacances, qui recevaient Impact Médecin en ne le jetant pas à la poubelle, qui travaillaient plus de sept heures par jour, qui faisaient de leur femme la secrétaire du cabinet, qui trônaient au Rotary en compagnie du pharmacien et du notaire, qui croyaient dur comme fer que le Halstedt n'était pas un geste dégradant, qui pensaient que la paracentèse était toujours justifiée, qui prescrivaient des phlébotoniques, des vasodilatateurs artériels, du déturgylone et / ou du lipanthyl, des vitamines B1 B6 B12, de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies, des hormones oestroprogestatives aux femmes ménopausées, des séances de kinésithérapie respiratoire en cas de bronchiolite, sans compter de la ventoline sirop, du stediril aux jeunes femmes pour prévenir les kystes de l'ovaire, du magnésium aux femmes spasmophiles, de la cystine B6 pour enrayer les chutes de cheveux, des céphalosporines dans les syndromes viraux, qui conseillaient aux mamans de coucher leurs nourrissons sur le ventre, de donner des biberons à heure fixe, de prescrire du talc en cas de varicelle, de l'aspegic 100 en cas de fièvre, qui prescrivaient des sirops aux enfants de moins de deux ans, qui croyaient que les vincamines amélioraient les performances cérébrales, qui adressaient des femmes pour qu'on leur enlève leur utérus ou qui laissaient des obstétriciens envever des utérus comme des lipomes...
On comprend pourquoi les anciens sont tant haïs, on comprend pourquoi les jeunes ne veulent plus revivre ces situations horribles, ces gardes inutiles, ces réunions ennuyeuses, ces visites médicales dévoreuses de temps, ces prescriptions abracadabrantesques, ces hospitalisations injustifiées, ces gestes barbares. Et n'oublions pas non plus les exaspérantes tâches administratives qu'il faudrait voir confier, gratuitement, cela va de soi, à un comptable, un urssafologue, un MdPHologue ou un longuemaladiologue, sans compter la prise de la pression artérielle par une infirmière diplômée d'Etat ou  l'explication de l'hemoccult dans les mêmes conditions...

Les jeunes ont raison de préférer l'existence plus exaltante des vrais spécialistes, des cardiologues interventionnistes, des rythmologues, des neurogériatres prescripteurs d'anti Alzheimer, des algologues prescripteurs de lyrica, des ophtalmologistes cataractectomisants, des chirurgiens bariatriques, des coelioscopistes de tout poil, des arthroscopistes de tout acabit, voire des capillaro-greffeurs, des prothéseurs de seins, des diabétologues glitazolinés,  des addictologues les bras remplis de méthadone, de subutex, et bientôt de baclofène, des sidéologues CD4ophiles, des liposucceurs agréés, des sectoristes deux, des dépasseurs d'honoraires, des fibrocoloscopistes, des racleurs itératifs de prostate, des poseurs de plaques abdominales, des périduralistes, des yoyoteurs transtympaniques ou des myringoplasteurs émérites, des anti hypertensologues sartanophiles, des néphrologues inhibosartanobloqueurs, des ORL vastarologues et / ou bétaserquiens, des oncologues de première, deuxième ou troisième ligne, des pneumo nodulologues, des arthroscannerologues,  ...
A moins qu'ils ne veuillent, nos jeunes internes, pour éviter le déshonneur des rhumes, des bouchons de cerumen, du P4P, de la rémunération à l'acte, des hernies inguinales ou des "boutons" non identifiés ou des plaques dans le même métal, être vraiment des salariés comptant les jours d'arrêt de travail à la CPAM, vérifiant que les recos de l'HAS ont été suivies, ou décidant d'une longue maladie ou d'une invalidité, des salariés recherchant l'albumine dans les urines, les conflits du travail ou refaisant le monde de l'ergonomie dans les entreprises, ou cochant des MP sur une liste, ou harcelant les harceleurs, des salariés vaccinant sous l'égide d'Infovac les enfants des prolétaires dans les PMI en leur collant des bécégéites non déclarés dans les CRPV, des salariés comptant les décès de la grippe dans les ARS ou enquêtant sur les maltraitances dans les EHPAD ou... des capillarogreffeurs devenus ministres du budget ou des découvreurs du traitement du sida devenant pharmacologues ou des pandemrixologues refusant le zolpidem mais acceptant la narcolepsie...

Je rêve d'un monde où des jeunes médecins auraient envie de devenir des généralistes après avoir lu, et éventuellement rejeté, cela vient dans le désordre, Michaël Balint, Ivan Illich, Sigmund Freud, ou David Sackett, après avoir compris comment lire un article de recherche, comment reconnaître un lien et un conflit d'intérêt, comment interpréter un rapport de cote, savoir ce qu'est l'EBM et non la caricature de l'EBM et la pratiquer, savoir comment prendre en compte un nombre de malades à traiter ou inclure dans son raisonnement une faible valeur prédictive positive, après s'être abonné à Prescrire, au BMJ ou au NEJM, après avoir lu Minerva, après avoir rangé dans ses favoris des sites comme CRAT ou mémobio et pouvoir consulter Tweeter et demander l'avis en direct de Pierre, Paul ou Jacques... Je rêve de jeunes médecins participant à un groupe de pairs, réunion autrement plus intéressante qu'une rencontre machine à café avec la secrétaire, l'infirmière, l'orthophoniste et l'ex visiteuse médicale transformée en interface, en faisant du à toi à moi sans concurrence aucune avec d'autres structures, je rêve donc de jeunes médecins lisant des blogs pertinents et, surtout, tentant de se faire un avis par eux-mêmes.

Ces perles rares existent, je les ai rencontrées.
Mais tout cela ne s'apprend pas à la Faculté de Médecine où le système des QCM a remplacé celui de la réflexion, où le lèche-cutage, le népotisme familial et politique, la compromission et le suivisme, ont remplacé les têtes bien pleines et bien faites qui avaient lu Claude Bernard, qui avaient des notions d'anthropologie, d'ethnologie, d'analyse freudienne, de behaviorisme ou qui s'informaient sur les neuro-sciences, je le répète, pour y adhérer ou pour les réfuter...

J'ai oublié beaucoup de choses.

Mais un conseil : quittez le navire. Ne restez pas médecins généralistes, passez une sous-spécialisation en médecine du sport, naturopathie, angiologie, homéopathie, auriculothérapie, gériatrie, allergologie, nutrition, ergothérapie, mésothérapie et, bien entendu, ostéopathie.

Quittez le navire comme genou des alpages (ICI) car c'est beaucoup plus difficile d'être un, ouvrez les guillemets, "bon généraliste" qu'un sous secrétaire d'Etat au ménisque interne gauche. Vous aurez le temps de lire, d'écouter de la musique, de voir des expositions, d'écrire, de faire de la musique, de peindre ou de dessiner.

Lisez ce post (écrit ensuite), peut-etre vous dégoutera-t-il définitivement ? ICI

A un médecin spécialiste qui me demandait comment on pouvait être généraliste, j'aurais aimé lui répondre, comme Tommy Lee Jones (I would not dignify your question by answering it) ou dire, comme Michel Audiard (Je ne réponds pas aux cons, ça les instruit).

(Illustration - Dodo)

PS - Un blogueur n'est pas d'accord avec moi, semble-t-il : ICI

mercredi 10 octobre 2012

Education thérapeutique à l'Hôpital Européen Georges Pompidou. Histoire de consultation 133.


Il y a deux histoires.
Je reçois samedi une femme qui consulte pour la prolongation d'un arrêt de travail, une névralgie cervico-brachiale très douloureuse qui la gêne beaucoup car elle est éducatrice spécialisée dans un établissement pour enfants handicapés, et qui me raconte ce qui est arrivé à son oncle qu'elle a retrouvé assis dans un couloir de l'HEGP (Hôpital Européen Georges Pompidou), quasiment abandonné dans son coin. Après enquête auprès du service, il n'avait pas été oublié du tout puisqu'on lui avait tout expliqué et qu'on croyait qu'il attendait sa famille qui, la méchante, n'arrivait pas. Pour la petite histoire ce patient avait été hospitalisé une grosse semaine au décours d'une défaillance cardio-rénale, il avait été déclaré sortant la veille et tout le monde pensait que c'était l'autre qui avait prévenu sa famille (qui avait fini par arriver pour la visite du soir habituelle). Ajoutons que ce patient d'origine portugaise ne parle pas un mot de français.
Madame A1, la malade avec NCB, a piqué une grosse crise à l'HEGP mais tout le monde est resté de marbre.
L'autre histoire est la suivante : Madame A2, 64 ans, présente une maladie rare et à la khon, tellement rare et à la khon que je ne vais pas la citer car on pourrait reconnaître la malade en question. Toujours est-il que Madame A2 est analphabète, parle mal le français et le comprend encore plus mal. 
Je remonte en arrière : début juillet, je reçois un courrier de l'HEGP la concernant et me rappelant à l'ordre pour une ordonnance que j'aurais faite à la patiente qui n'aurait pas tenu compte d'un courrier précédent où l'on m'annonçait que le traitement avait été changé pour le bien de la patiente. Quand j'ai reçu cette lettre j'ai pris un coup dans la figure. Je me sentais mal. Le dossier de Madame A2 est lourd. Et épais. Quant aux lettres de l'HEGP, elles sont lourdes, trois médecins différents s'occupent d'elles, l'un est parti dans un autre hôpital, un autre a changé de service, et elles sont aussi très longues en raison de l'utilisation intempestive du copier / coller qui rend leur lecture difficile tout autant que l'accumulation de détails peu pertinents. Mais ce n'est pas une raison. Je me suis senti mal.
Mais le courrier, après que j'ai vérifié, je ne l'avais pas reçu à temps pour que l'ordonnance soit modifiée avant le départ de la patiente pour le Maghreb.
Et trois mois se sont passés.
Bien entendu, la première erreur vient de ce que j'ai répété plusieurs fois à la famille de Madame A2 de ne pas la laisser venir seule au cabinet. Et la deuxième erreur : recevoir Madame A2 toute seule. Ce ne sont pas les enfants qui manquent dans la famille mais ils travaillent, ils ont des enfants, et la malade fait ce qu'elle veut, elle se pointe à la consultation libre quand elle a décidé de venir au cabinet, elle vient, et moi je la reçois car c'est toujours urgent... Quant au mari, il complique encore plus l'affaire. Il existe une concurrence entre les enfants pour être celui qui apparaîtra, aux yeux du monde, comme celui qui en fait le plus pour la maman et j'ai eu beau demander une interlocutrice unique, une des filles plutôt maligne, je n'y suis pas arrivé.
Et, après que je me suis rendu compte des circonstances de mon "erreur" je n'ai pas fait de courrier à l'HEGP pour l'expliquer, me justifier et me sentir moins coupable : je passe pour eux pour un khon de généraliste. J'en ai marre de faire des courriers qui ne servent à rien.
L'histoire continue.
Madame A2 retourne donc encore une fois à l'HEGP accompagnée cette fois d'un de ses fils, niveau Certificat d'études primaires (ça n'existe plus ? mais cela veut bien dire ce que cela veut dire, surtout de nos jours). Elle en ressort avec une ordonnance d'un mois et des conseils. Elle ne revient pas me voir et part directement pour son pays d'origine pour un petit mois. Entre temps je reçois le courrier de l'HEGP qui me précise les circonstances de la consultation, les décisions qui ont été prises et les consignes qui ont été données, je téléphone à l'une de ses filles qui me dit ne pas être au courant et me renseigne auprès du frère et fils (dont je n'avais pas le numéro de téléphone) qui n'en sait pas plus.
Le courrier de l'HEGP stipulait qu'il fallait augmenter la dose de ramipril de 1,25 mg tous les quinze jours pendant deux mois jusqu'à atteindre la dose de 10 mg en contrôlant la pression artérielle et la créatininémie qui ne doit pas varier de plus de 20 % avant chaque augmentation de dose. Le courrier indiquait aussi que la malade avait été prévenue.
Donc, le docteur spécialiste qui travaille à l'Hôpital Européen Georges Pompidou, il explique à une dame analphabète et en présence de son fils dans presque le même métal que le ramipril, et cetera, et cetera.... Et sans lettre de sortie remise immédiatement.
De qui se moque-t-on ?
Est-cela la nouvelle Education Thérapeutique avec des majuscules Partout ?
Dans le Formulaire Education Thérapeutique des Malades à qui on prescrit des doses croissantes d'inhibiteur de l'enzyme de conversion en surveillant la pression artérielle et la créatininémie en ne tolérant pas, pour cette dernière, une augmentation de plus de 20 %, le médecin docteur spécialiste avait coché les cases Oui aux questions suivantes :
- Avez-vous prescrit un IEC ?
- Avez-vous prescrit un dosage de la créatinine plasmatique tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de la nécessité de faire mesurer la pression artérielle tous les 15 jours pendant 2 mois ?
- Avez-vous informé le patient de faire doser la créatinine sanguine tous les 15 jours pendant 2 mois en lui demandant de montrer le résultat au médecin traitant ?
- Avez-vous écrit un courrier au médecin traitant ?
Le médecin spécialiste a donc passé plus de temps à remplir des formulaires (car les 5 questions font vraisemblablement partie d'un questionnaire plus important comprenant au moins un trentaine d'items qui permettront au service de valider ses compétences en Education Thérapeutique...).

La politique des index va à l'encontre des individus.
Les patients, dans leur diversité, comptent pour du beurre.
C'est à pleurer.

(Illustration : Mannequin de réanimation ou le rêve d'une médecine sans patients pensants)