jeudi 31 mai 2012

Faut-il défendre un confrère qui "fait" cent actes par jour ?


Hier, une de mes patientes qui travaille aux urgences de l'hôpital, m'a dit que c'était la folie, qu'il y avait environ cent passages par jour et que c'était difficilement gérable.
Je ne sais pas combien de personnes travaillent aux urgences de Mantes mais il semble qu'il y en ait beaucoup et... pas assez.
A la suite de cette consultation et du post que j'avais écrit il y a déjà un moment sur la dénonciation des médecins et sur leur défense (ICI) et à propos du post que je viens d'écrire (LA) sur les urgences du samedi après-midi et après que le responsable de la cellule juridique de la FMF m'eut proposé de travailler à leurs côtés pour, je cite, "rompre l'isolement dans lequel se trouvent nombre de nos confrères", je me suis rappelé qu'un médecin venait d'être suspendu par l'Ordre des Médecins sur plainte de la CPAM locale parce qu'il avait effectué entre 99 et 151 actes quotidiens pendant 87 jours consécutifs (ICI). On me dit qu'il a été assisté / défendu par des syndicats. Assistance et défense ne me paraissent pas de la même eau. Nous allons le voir.
Je pose une question simple : Est-il possible de faire de la Bonne Médecine à 100 actes par jour ? 
Votre réponse : 1 - Oui  2 - Non 3 - Je ne sais pas.
Ma réponse est 1. LOL !
Plusieurs éléments contextuels sont cependant à prendre en compte : la densité médicale dans la zone de chalandise de ce médecin ; le nombre d'actes moyen effectué par les médecins dans la même zone ; je n'arrive pas à en voir d'autres, à moins, bien entendu, qu'il ne soit le seul en secteur 1...
Donc, ce médecin a dû être averti par la CPAM. Il a dû se faire convoquer par le médecin conseil ou par la commission paritaire. Et il a continué. Donc, ce médecin n'a pas pu faire autrement que de continuer à exercer de la sorte jusqu'à ce qu'il se fasse prendre. Et il dit qu'il va reconsidérer la question.
On remarque que la CPAM est la plaintive et que le Conseil National de l'Ordre condamne et suspend.
Faut-il assister ce médecin ? Bien entendu. Ce médecin a besoin d'assistance juridique car il est nécessaire qu'il ne soit pas broyé par un système rôdé pour ne pas entendre les médecins et pour les considérer comme de méchants libéraux par principe. Il faut l'assister car il doit se défendre, disposer d'un avocat efficace et connaisseur des arcanes de la CPAM, du droit administratif, du Code de la Santé Publique et du Conseil de l'Ordre, et tout accusé a ce droit. Qui, mieux que des confrères rompus au juridisme médical, pourrait l'assister ?
Faut-il le défendre ? Il me semble que s'il demande que la cellule juridique de tel ou tel syndicat le défende, cette cellule juridique ne peut pas lui dire non. Mais cela commence quand même à poser problème. 
Cela pose problème car la façon qu'a ce médecin de pratiquer la médecine générale n'est pas un bon exemple de la profession. N'est pas un bon exemple pour la profession. Même s'il s'agit d'une histoire de chasse. Ce praticien n'est pas représentatif de la profession, enfin, j'espère, non, je suis certain, mais il se pourrait que certains s'en servent pour dévaloriser la profession tout entière. C'est pourquoi il faut assister ce médecin, éventuellement le défendre mais aussi dire pourquoi nous ne sommes pas d'accord avec cette façon de pratiquer la médecine générale. Est-ce bien de la médecine générale ?
En ces périodes de restrictions budgétaires et de demandes de revalorisation des honoraires, est-ce bien raisonnable d'avoir un chiffre d'affaires d'au moins 2300 euro par jour travaillé ? Soit pour cinq jours de travail, mais il semble qu'il travaillait au moins cinq jours et demi (LA), soit au moins 11 500 euro de chiffre d'affaires par semaine ou 48 000 euro par mois... Je sais, il y a des charges...
Défendre ce médecin, certes, défendre sa pratique : non.
Je sais qu'on va me dire : ce n'est pas le moment. Ce n'est pas au moment où la médecine générale est en danger qu'il faut discutailler sur ceci ou cela. Je connais l'affaire : ce n'est jamais le moment. Mais, bon, ce n'est pas notre pratique, il faut aussi le dire. Ce n'est pas la médecine que nous souhaitons. Nous serons d'autant plus crédibles que nous dirons ce que nous n'acceptons pas. Quelles que soient les circonstances locales, quels que soient les motifs invoqués.
Notre confrère a besoin de faire de la Formation Médicale Continue. Notre confrère a besoin de faire un stage de gestion. Notre confrère a besoin de repos (non parce que j'approuve son interdiction d'exercice, je ne connais pas le dossier complet, mais parce que faire plus de 100 actes par jour pendant au moins 87 jours consécutifs signifie qu'il a vraiment besoin de repos).

dimanche 27 mai 2012

La Prévention vue par la CPAM et le Sur Traitement vu par l'ORL (histoires de consultation 119 et 120)



Belle journée de consultation dans la commune jadis champêtre de Plouc-La-Jolie en ce samedi ensoleillé. Tout le monde parle de l'affaire (deux infirmiers incarcérés pour "excès" d'actes) dont je ne dirai rien car je sais peu de choses qui ne soient sous le coup du secret professionnel et je continue de facturer 23 euro mes remarquables consultations de samedi sans invoquer l'urgence au contraire de mon confrère (et pas ami) qui a fait sonner trompettes, syndicats et media pour justifier son rôle majeur dans le sauvetage urgent des populations en danger (ce qui signifie que les autres médecins généralistes qui travaillent sur zone sont de gros khons bobologues tout juste bons à prescrire des emplâtres sur des jambes de bois et à se laisser intimider par, comme dit le syndicat qui le soutient mordicus, Madame Lacaisse, au mépris de toute décence commune...).

La prévention vue par la CPAM : Histoire de consultation 119. 
Monsieur A, 39 ans, est venu pour la première fois "consulter" au cabinet il y a un mois pour me "choisir" comme médecin traitant. Originaire d'Angola il parle portugais et trois mots de français. Le dialogue est difficile, mes connaissances lusitaniennes se cantonnant à feijoada (ICI) et Mourinho (LA) et surtout, mais avec beaucoup moins d'intérêt pour la conversation dans la langue de Camoëns (ICI), à la lecture en français des romans traduits du portugais de Fernando Pessoa (ICI) ou d'Antonio Lobo Antunes (LA), et de la lecture, toujours en français, des romans écrits en italien par Antonio Tabucchi (ICI), le plus Portugais des Italiens, où en étais-je, oui, le patient, qui n'a même pas l'AME ou la CMU,  revient donc avec une enveloppe que je subodore de loin, cela me colle un cafard terrible, et qu'il va me falloir lire en faisant semblant de m'y intéresser. C'est un examen de santé émanant de la CPAM de Paris ! Je lis d'abord la prose du médecin (que je ne nommerai pas par confraternité, il faut bien vivre, il faut bien, aussi, sauver l'humanité souffrante, et là, pour le coup, pas encore souffrante, enfin c'est notre consoeur, je ne comprends pas pourquoi on dit con frère et pas conne soeur...) qui m'apprend a) qu'il y a un problème de tension ; b) que les vaccinations ne sont pas à jour faute de données et c) que les dents ne sont pas en bon état.
Vous savez ce que je pense de ces consultations de prévention appelées aussi examens périodiques de santé (ICI) et de la façon dont ces examens, pas dans ce cas, je l'avoue, il semble qu'il s'agisse d'un centre "officiel", ont été privatisés à des sociétés privées qui se moquent comme d'une guigne du parcours de soins et des structures locales pérennes (désolé d'utiliser la langue de bois officielle) qui y travaillent depuis des années et qui vont continuer de le faire en raison, d'une part, du manque de médecins et, d'autre part, du fait que les retraites sont d'un niveau ridicule... Enfin, dans ce cas précis, un patient arrivant d'Angola pour des raisons que j'ignore et dont je me moque en tant que médecin (même si des renseignements biographiques pourraient m'éclairer sur de futures pathologies ou d'anciennes négligées jusqu'alors), il est possible, pas d'études bien entendu, la France est le pays du volontarisme, on n'expérimente pas, on impose, on fixe des objectifs, on n'évalue pas et on se gargarise des résultats obtenus, il est donc possible que cela serve à quelque chose...
A propos de ces examens périodiques de santé, nul doute que le nouveau (la nouvelle) ministre, les maintiendra pour des raisons politiques et sociales... Nous verrons...
Donc, ce patient a un problème de tension, apprends-je en lisant le petit mot de notre consoeur. Je parcours donc les nombreuses pages et je constate avec plaisir, hormis le problème des dents, que le patient est, selon les examens qu'il a passés, propre comme un sou neuf, et que sa PA, mesurée par, j'imagine le docteur, puis contrôlée par l'infirmière, est, toujours à 135 / 85 !
Où sont les problèmes de tension ?
Donc, le patient a été inquiété pou rien, et je dois lui dire, dans mon français non hésitant mais adapté à un lusophone qui comprend deux mots de français, que tout le cinéma qu'on lui a fait lors des examens qu'il a passés, c'était du flan absolu. Encore un qui va avoir confiance dans le système de santé que toute la planète nous envie (ce qui est moins évident selon les derniers chiffres publiés par le Haut Conseil de la santé publique (LA), mais je me méfie des comparaisons, surtout quand il s'agit d'experts du HCSP... mais les chiffres sont tenaces... puisque selon Euro Health consumer Index 2012, nous sommes en huitième position européenne : LA).
Le patient n'en sait pas plus sur ses vaccinations, je lui en avais touché un mot lors de la première consultation, et il a eu "droit" à une prescription de DTP (c'est le nom générique), et je lui ai conseillé un dentiste qui ne fait pas de DE importants.

Le sur traitement vu par l'ORL : Histoire de consultation 120.
La charmante Madame A, 49 ans, dépose devant moi deux comptes rendus qu'elle a sortis de son grand sac. A ma droite, celui d'un ORL, à ma gauche celui d'un pneumologue.
Anamnèse : la patiente, hypertendue traitée par un IEC depuis deux ans, est fatiguée. Elle a aussi un nouveau métier depuis environ deux ans, secrétaire administrative, métier qui lui plaît beaucoup mais dont le handicap essentiel est qu'elle doit faire un peu plus de deux heures par jour de transports en commun. Son mari, qui l'accompagne souvent en consultation, l'avait "balancée" : Docteur, elle ronfle la nuit... Je l'ai interrogée selon les règles et il m'a paru qu'il existait de nombreuses pauses...
Donc, fatigue, hypertension, ronflements : explorations.
J'ai écrit une lettre au pneumologue et voici ce qui s'en suivit.
Précision : les ronchopathies, qui sont aussi fréquentes que le vieillissement, les rides et, bientôt,  l'Alzheimer sont devenues la tarte à la crème de la pneumo-oRLogie et, accessoirement, de la cardiologie. Je n'ai pas analysé récemment la littérature (qui m'a paru, dans l'ensemble, fort partiale et fort favorable à la pression positive continue comme on le voit sur des sites grand public : LA) mais il me semble que, selon mon expérience interne, de nombreux diagnostics sont faits, de nombreux appareils de pression positive continue sont posés et que de nombreux patients ne s'en servent pas (et bien que l'on parle d'un taux d'acceptation de 80 à 90 % !) pour de multiples raisons dont le bruit (les ronchopathologues ont beau dire que l'appareil fait moins de bruit que les ronflements, le patient ne s'entend pas ronfler mais a volontiers du mal à s'endormir à cause du bruit) et le côté peu sexy de l'appareillage, sans compter les éventuels effets indésirables... Quant au traitement non médical, nous allons y venir.
Donc, sur ma droite, le courrier de l'ORL qui se conclue, après un exposé négatif sur les facteurs anatomiques, par une ouverture vers le tiroir-caisse : la macroglossie postérieure pourrait faire envisager une chirurgie du voile du palais.
Sur ma gauche : le compte rendu du pneumologue qui conclut que la patiente n'a pas de syndrome obstructif d'apnée du sommeil (SAOS).
La patiente : "Vous pensez à la même chose que moi ? - Oui, j'imagine."
Sur traitement quand tu nous tiens.

Belle journée de samedi. 

jeudi 24 mai 2012

Infovac, organe de référence de la vaccinologie : une plaisanterie !


Lors d'une réunion que nous avions organisée pour rencontrer les médecins de PMI j'avais entendu cette phrase étonnante de la part d'une des médecins de la PMI présente et après que j'eus objecté deux ou trois trucs sur la politique vaccinale : "De toute façon, notre référence, c'est  Infovac."

Je savais déjà deux ou trois choses sur Infovac puisque je suis abonné à son bulletin mensuel d'information (LA). 
J'ai enquêté.
Je me suis rendu sur le site : ICI dont le slogan est Ligne directe d'information et de consultation sur les vaccins ! 
Quand je me rends sur un site je commence par chercher qui le finance. 
Je note en passant qu'InfoVac adhère aux principes de la charte HONcode (ce qui n'est ni une preuve d'indépendance ni une preuve de compétence : je vous propose de lire ce qu'en dit Dominique Dupagne : ICI et LA). 

Je clique sur Qui sommes-nous ? et j'apprends, non sans avoir bravé quelques fautes d'orthographe, que a)  "En aucune manière, InfoVac ne se substitue pas (sic) aux autorités de santé" ; b) "Infovac n'émet  aucune recommandation collective" ; c) "... relève parfois des incohérences dans les recommandations actuelles et en réfère aux autorités officielles." ; d) "InfoVac-France, c'est un réseau d'experts qui se sont donnés (sic) pour mission de répondre rapidement aux questions que se posent les médecins."; e) InfoVac est officiellement soutenu par la Société Française de Pédiatrie (SFP) et par l'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) ; sur la page d'Accueil il y a également comme structures partenaires le Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP dont le lien ne fonctionne pas sur le site) et l'Association Clinique et Thérapeutique du Val de Marne (ACTIV dont le lien ne fonctionne pas sur le site) ; f) "les experts d'InfoVac-France sont indépendants des firmes pharmaceutiques" ; g) "Robert Cohen et Claire-Anne Siegrist coordonnent les experts" ; h) "les comptes d'InfoVac sont gérés et contrôlés par l'administration d'ACTIV" (une recherche sur le net ne m'apprend rien sur ACTIV sinon des diaporamas et des articles mais pas de noms d'administrateurs). On peut lire aussi sur la page d'accueil une phrase étonnante : "Les informations répertoriées sur ce site ont été sélectionnées pour leur objectivité et leur valeur médicale et scientifique. Elles s'appuient essentiellement sur les recommandations officielles de vaccinations en France et à défaut sur des études scientifiques et/ou des articles publiés."


La liste des experts (ICI) permet de consulter la DPLI (Déclaration Personnelle de Lien d'Intérêt) de chacun comme la loi l'exige. 
Allez y faire un tour et vous saurez quels sont effectivement les liens d'intérêt de ces experts. Tous les laboratoires de vaccinologie sont cités, ou presque.
Il y a des experts plus aliénés que d'autres comme une certaine Weil-Olivier qui déclara sous serment lors de la Commission d'enquête sur la grippe A menée au Sénat (ICI) que lors de la grippe un enfant sur cinq faisait une forme en grave ou en mourait (repris sur le site Atoute : LA)... Cette dame déclare se faire payer ses frais de déplacement (elle est au RSA) et de conseils par GSK, Novartis, Medimmune, Baxter , Pfizer, Roche, SP-MSD. Comme un de ses confrères, Bruno Lina (ICI), elle doit penser que multiplier les sources de financement rend les liens inopérants et, surtout, empêche de dire n'importe quoi.
Quant à Emmanuel Grimprel, Pfizer est sa principale source de financement pour sa formation personnelle et pour acheter ses allumettes, il ne dit pas qu'il est membre du Comité Technique des Vaccinations (CTV). Ainsi ce confrère peut-il souscrire sans rire à "Les experts d'InfoVac sont indépendants des firmes pharmaceutiques" et à "InfoVac relève parfois des incohérences dans les recommandations actuelles et en réfère aux autorités officielles" : Emmanuel Grimprel travaille sur des essais cliniques Prévenar financés par Pfizer, siège au CTV qui décide de la politique de vaccination contre le pneumocoque, émet des recommandations avec le CTV et écrit, peut-être, dans Infovac que les recommandations du CTV sont erronées (parce qu'il était sans doute minoritaire lors de la prise de décision du CTV...). On y croit beaucoup.
Par une sorte de tautologie que personne ne remarque (ou que tout le monde remarque et que tout le monde tait) les mêmes experts payés par l'industrie pharmaceutique (Big Vaccin) siègent dans les institutions officielles (comme le CTV ou le Haut Conseil de la Santé Publique) et sont les visiteurs médicaux les plus fidèles de la politique gouvernementale (et de son bras armé, la Direction Générale de la Santé) qui, comme par hasard, est la même que celle développée par les argumentaires de l'industrie. Fonctionnaires d'Etat, leur devoir est de défendre la politique de Santé Publique, agents du service public, ils sont aussi soumis au devoir de réserve, comme les médecins de PMI, et passez muscade : pas de discussion.
Big Vaccin n'a donc pas besoin d'éditer une revue de promotion de ses produits puisque cette revue existe déjà, Infovac, et qu'elle est perçue par les centres de PMI et, je l'imagine, par nombre de médecins généralistes, ne parlons pas des pédiatres, à part un ou deux ils ne discutent jamais, comme un organe officiel et indépendant, il suffit donc à Big Vaccin de financer en sous-main, à coups de voyages, de chambres d'hôtel et d'études cliniques, les personnes qui écrivent dans Infovac. Bravo.
Et où est le débat ?
Il faut partir d'un constat : toute personne qui conteste la politique officielle vaccinale est, soit, cochez les cases, plusieurs choix possibles, un ignorant de l'histoire des sciences, un anti vaccinaliste primaire, un ennemi du progrès, un dangereux illuminé, un réactionnaire, un terroriste écolo, un ennemi du bien public, un partisan des Ténèbres.
Circulez, y a rien à voir.
En revanche, et là, pour le coup, c'est un mystère, quiconque croit sans réserve que les nouveaux antidiabétiques devraient être testés, que les statines ont des inconvénients, que les traitements de la BPCO ne sont pas très efficaces ou que l'on prescrit trop de médicaments aux personnes âgées, sont à ranger dans le camp des bons, des résistants à Big Pharma...
Deux poids, deux mesures.
Le lobby vaccinal français comprend donc toute une série d'institutions qui s'auto règlent et se renvoient la balle : le Ministère (qui fait souvent passer les intérêts économiques avant les intérêts généraux comme dans la sinistre affaire mediator), la Direction Générale de la Santé (qui joua un rôle si important pendant la "pandémie" grippale), Le Haut Conseil de Santé Publique (dont les buts sont très clairs : ... une instance d'expertise qui contribue à la définition des objectifs pluriannuels desanté publique et évalue la réalisation des objectifs nationaux de santé et qui est donc juge et partie et dont je peux vous faire apprécier la prose technocratique à propos de l'évaluation à mi-parcours du plan cancer 2009-2013 : Selon le HCSP, les orientations du Plan précédent sont consolidées, mais les dimensions structurantes des inégalités sociales et territoriales de cancer, du rôle du médecin traitant et des systèmes d’information sont insuffisamment déclinées.), le Comité Technique des vaccinations (dont la composition, outre les experts, de nombreux responsables d'administration aux ordres, permet tous les votes politiques), l'Agence de Nationale de Sécurité du médicament et des produits de Santé (ANSM) dont la Commission Nationale de Pharmacovigilance (que le monde entier nous envie et qui n'a rien vu passer depuis le mediator, le vioox, ou l'acomplia mais surtout qui ne voit strictement rien à propos des vaccins, le pandemrix ayant évité la France), l'InVS (dont les publications dans le BEH ne servent qu'à conforter la politique de Santé Publique décidée plus haut et dont chacun peut se louer de leur qualité  car écrites par des auteurs reconnus internationalement)... J'ai bien entendu "oublié" dans cette énumération institutionnelle le côté privé de l'affaire, à savoir les laboratoires de vaccinologie dont Sanofi-Pasteur-Mérieux qui ont leurs entrées et leurs sorties dans toutes les sphères politico-gouvernementales.
Où en étais-je ?

La lecture d'InfoVac est édifiante car leurs professions de foi sont démenties par les faits. Disent-ils, et pourquoi donc dire des choses aussi sottes, qu'ils n'émettent aucune recommandation collective, et ils ne cessent de le faire (ce qui n'est pas blâmable, une piqûre de rappel du calendrier vaccinal n'est pas forcément une mauvaise chose) ; disent-ils qu'ils sont indépendants de tout, de l'industrie, des autorités, de leur hiérarchie (sic), et il est difficile de les croire : pourquoi diraient-ils des choses différentes selon qu'ils sont sponsorisés, experts officiels ou chefs de service ? ; disent-ils que leurs informations sont validées et ils ne parlent que des informations validées par eux...
Nous demandons des débats contradictoires, nous demandons qu'il soit possible de parler à partir de données scientifiques mais il semble que cela soit impossible puisque les agents du service public sont soumis au devoir de réserve, c'est à dire qu'une fois que les décisions ont été prises dans le cénacle fermé des institutions autogérées, plus rien ne doit transparaître, on ne doit voir qu'une tête. Comme on disait jadis : ne pas donner d'armes à l'ennemi ou : ne pas désespérer Billancourt. Si vous voulez connaître un autre son de cloche, si vous voulez connaître le fiasco du Prevenar, si vous voulez vous informer sur les nécessaires incertitudes et débats scientifiques, ne comptez ni sur InfoVac, ni sur l'InVS, ni sur la DGS, lisez ailleurs (un peu de publicité pour CMT qui a remarquablement informé sur le contexte des stratégies vaccinales dans le cas de la rougeole, de la grippe, de la méningite C ou du papillomavirus, notamment)
Prendre les médecins et le grand public pour des crétins est une vieille façon de faire qui, je l'espère, va se dissoudre un jour ou l'autre et permettra à tous et à chacun, de se faire son idée, voire d'accepter une politique de Santé Publique que l'on n'approuve qu'à moitié mais qui nous paraît être une hypothèse pratique raisonnable. Sommes-nous à ce point des profanes à QI infamant pour que l'on ne nous délivre que des informations aseptisées, triées, digérées, exploitables par notre maigre cerveau ?
Chaque fois que je vois Robert Cohen s'exprimer à la télévision dans les émissions grand public, je ne peux que me lamenter en voyant fonctionner dans le vide un tel esprit. Mais il tente de ne rien comprendre puisqu'il s'est insurgé contre le fait que les recommandations sur les antibiotiques en ORL avaient été invalidées pour des raisons de conflits d'intérêt alors qu'elles n'étaient pas favorables aux laboratoires, selon lui (ICI).

Comment voulez-vous que les médecins de PMI puissent ne pas appliquer les directives et ne pensent pas qu'InfoVac soit l'organe central de la vérité vaccinologique ? Il faut être courageux, ne pas avoir peur de perdre son poste, être curieux, ne pas se contenter des publications officielles... Mais il n'en est pas moins vrai que certains tentent de faire bouger le cocotier. Courage !

InfoVac est la référence française en matière de vaccinologie selon le gouvernement de la République. Ce qui montre l'état du débat en Santé Publique dans notre beau pays.








dimanche 20 mai 2012

Les centres anti douleurs : des annexes du laboratoire Pfizer.


Nous avons évoqué ICI et LA combien nous vivions dans une société où l'objectif affiché était l'absence de douleurs comme si la douleur n'était pas une donnée physiologique ou anthropologique mais une donnée "construite", c'est à dire sociologique, voire politique, qu'il était nécessaire d'éliminer. Je ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : je ne suis pas en train d'affirmer que la douleur est nécessaire, qu'elle est formatrice, qu'elle est éducative, qu'elle est une émotion nécessaire pour accepter notre humaine condition, voire qu'elle se justifie pour expier nos péchés supposés ou réels ou une épreuve que tout humain se doit de surmonter tout seul ou avec une aide extérieure. Je veux simplement dire que cet objectif est, pour l'instant, inatteignable.
Ainsi, aux Etats-Unis d'Amérique, nous avons appris ICI que 116 millions d'Américains souffraient de douleurs chroniques, que cela représentait environ 600 milliards de dollars de dépenses annuelles, et que les Etats-uniens n'étaient pas soulagés de leurs douleurs avec, en sus, environ 1000 morts par an liés aux opiacés (LA).
On marche sur la tête.

Les patients qui consultent dans les cabinets de médecine générale désirent le plus souvent (même si l'approche est indirecte, je parle de ça et c'est de ceci que je voulais parler) être soulagés d'un état ou d'une condition qui leur semblent nécessiter l'intervention d'un médecin généraliste.
Le médecin généraliste tente de soulager le patient de sa condition pour des raisons professionnelles (on lui a appris en théorie ce qu'il devait faire), sociétales (il a intégré le fait que c'était ce que la société attendait de lui), voire éthiques (soulager le pauvre monde de ses souffrances).
Dans le cas des maladies ou pseudo maladies chroniques ou dans le cas de souffrances aiguës la proximité  entre le patient et le médecin généraliste rend la souffrance persistante intolérable pour les deux protagonistes : le patient qui n'est pas soulagé et qui, dans le contexte du consensus sociétal "Zéro douleur", en veut à son médecin qui ne peut le "guérir" ("Donnez moi quelque chose de plus fort."), lui reproche son inaction ou son incompétence, voire son mépris ("Serrez les dents, mon vieux, c'est l'humaine condition.") ou son impuissance ("Alors à ceux qui souffrent devant l'impuissance de leur médecin... LA), voire les quatre ; le médecin qui, malgré tout ce qu'on lui a appris en théorie, tout ce qu'il sait et ne sait pas en pratique, tout ce que la bien-pensance lui renvoie sur l'ardente obligation de tuer la douleur. Le médecin traitant revoit un patient qui continue de souffrir et, compte tenu des pré requis que nous avons évoqués, il ne peut s'en suivre qu'une augmentation des plaintes et qu'une aggravation de la culpabilité.
Mais il reste les centres anti douleurs. Les fameux centres anti douleurs.
Les centres anti douleurs sont nés dans les années quatre-vingts en France, à l'instar de ce qui se passait dans les pays anglo-saxons et selon l'affirmation, jamais démentie, qu'en France on ne prend pas en charge la douleur. Originellement, c'est un anesthésiste, John Bonica, qui s'est intéressé à ce problème et a créé la première clinique anti douleur en 1961 à Tacoma dans l'Etat de Washington, en collaboration, c'est important, avec un psychologue et un neurochirurgien. Un article québécois recense les "bienfaits" de ces centres anti douleurs (LA) et souligne la multidisciplinarité avec, au minimum, un anesthésiste, un physiatre et un psychiatre et, au mieux, médecins (sic), psychologues, infirmières, physiothérapeutes, ergothérapeutes, travailleurs sociaux. 
Quand on fait une recherche "Centres anti douleurs" sur Google on a droit, selon les moments, à 12 300 000 occurences. Sur la première page, dix occurrences : les deux premières émanent du même site et donnent la liste, pour le premier, de tous les centres anti-douleurs français, la deuxième des centres parisiens (c'est dû à ma localisation google) ; on y trouve la définition d'un centre anti-douleur (1) et des publicités pour des thérapies algologiques : fasciathérapie, mésothérapie, chiropractie, sophrologie,  étiopathie, acupuncture, hypnothérapie, réflexologie... (ICI) ; la troisième occurrence émane de l'Institut UPSA de la douleur (LA) qui propose une autre définition (2) et des liens institutionnels gouvernementaux ; la quatrième émane d'une association de victimes et donne des listes de centres dans la région parisienne (ICI) ; la cinquième émane du Journal des Femmes (LA) qui insiste sur la Consultation pluridisciplinaire ; la sixième est un blog de patiente consacré à la fibromyalgie (ICI) ; et cetera, et cetera.
Ainsi, constatant la carence des médecins traitants et des structures hospitalières, des anesthésistes, les spécialistes de la douleur, des psychiatres, les spécialistes de la perception de la douleur, et les physiatres (le mot existe en québécois, pas en français gaulois), les spécialistes de la manipulation des corps, ont recréé ce qui existait déjà, à savoir le spécialiste de la médecine globale, le médecin généraliste et des centres multidisciplinaires qui ne sont en fait que des mini hôpitaux. 
C'est ce qui s'est passé à propos de l'Alzheimer où des Cliniques de la mémoire ont été créées par des neurologues et des néo spécialistes, les gériatres, dont la fonction est, aussi, de diagnostiquer, d'évaluer et, surtout, de prescrire des anti Alzheimer pour la plus grande gloire de Big Pharma (n'oublions pas que la neurologie a longtemps été négligée par Big Pharma en raison du faible nombre de molécules "efficaces" chères ; mais l'explosion des anti-épileptiques de ixième génération, dont gabapentine et prégabaline, sans compter ceux que l'on utilise dans la migraine (topiramate) avec des résultats dramatiques. On a vu récemment que la prise en charge des patients dits Alzheimer par les cliniques de la mémoire n'était pas meilleure que la prise en charge par des médecins généralistes, en France (ICI) comme aux Pays-Bas (LA), ce qui donne à réfléchir sur la disparition programmée de la médecine générale, les centres anti douleurs comme les Cliniques de mémoire coûtant une fortune par rapport aux prises en charge en médecine générale.

En gros, quand un médecin généraliste est confronté à des douleurs chroniques, quand il a tout essayé, il adresse le patient à un centre anti-douleurs où il est pris en charge et il ressort de là avec du Lyrica de chez Pfizer qui, dans l'immense majorité des cas a déjà été prescrit par le médecin traitant, mais mal, je présume.
Car le Lyrica est un vedette de l'algologie, pas seulement des douleurs neuropathiques, de l'algologie en général : pourquoi ne pas l'essayer ?
Si vous recherchez prégabaline ou pregabalin sur Google et sans préciser respectivement fraude ou fraud, vous aurez du mal à trouver des informations sur la fraude académique massive qui a conduit à l'établissement des traitements de pfizer, gabapentine et prégabaline dans la trousse des médecins.
Si vous voulez vous faire une idée précise de cette fraude qui a été révélée à propos des essais cliniques menés par Scott Reuben pour Pfizer, le meilleur article en français sur la question se trouve sur Pharmacritiques (ICI). Il est révélateur.
Pour résumer notre propos : douleurs chroniques suivies par le médecin traitant ; courrier pour un centre anti douleur ; trois mois pour obtenir un rendez-vous ; trois-quart d'heure de consultation dans les bons cas ; du Lyrica prescrit. Et retour à l'envoyeur. Je ne vous ai pas parlé du stimulateur externe. 
Ah, j'ai oublié de vous parler des effets indésirables du Lyrica. Vous lirez ce qu'en racontent les Canadiens : LA.
Donc, les médecins et autres professionnels de santé qui travaillent dans les centres anti douleur, sont des personnes admirables. Comment dire autrement de gens qui se penchent sur la douleur que tous les autres, le vulgum pecus, ne savent pas appréhender ? Mais ils devraient se rendre compte qu'ils sont au fond d'une nasse et que c'est Pfizer et autres qui les y maintiennent. 



Post scriptum : Je ne dis surtout pas qu'il faille respecter la douleur, qu'il ne faut pas la combattre, qu'il ne faut pas prendre en charge les patients qui souffrent, je dis simplement que le marché de la douleur n'est pas un vain mot, qu'il représente beaucoup d'argent, beaucoup d'effets indésirables, notamment pour les opiacés qui tuent plus aux Etats-Unis que les drogues illicites, en France on ne sait pas, en France on ne sait jamais, et que certains produits, plus chers que d'autres, n'ont pas vraiment fait la preuve de leur efficacité et, dans certains cas, au prix de fraudes massives sur les essais cliniques. Pour combattre la douleur, cause mondiale, on réinvente l'eau chaude mais à des prix défiant toute concurrence.



Définitions
(1) Le centre anti douleur est un établissement médical où sont reçu les patients souffrants de douleur chronique. Ces établissement ont pour objectif d'évaluer et de mettre en place des traitements antalgiques spécialisés et d'autres protocoles pour diminuer la douleur ressentie par le patient. Ces centres anti douleur ont l'avantage de proposer des consultations pluridisciplinaires pour une prise en charge globale du patient et de sa douleur. Ces consultations anti-douleur se trouvent en général dans les hopitaux et sont réalisées par des médecins algologues (spécialiste du traitement de la douleur).
(2) Leur vocation est d’évaluer et de traiter des patients souffrant de douleur chronique, mais aussi de faire de la recherche et de diffuser les nouvelles connaissances sur la douleur. Les centres anti-douleur sont par définitions pluridisciplinaires et comportent de nombreux spécialistes et professionnels : neurologues, neuro-chirurgiens, anesthésistes, rhumatologues, psychologues, psychiatres, infirmières, kinésithérapeutes, assistantes sociales... Les malades relevant des consultations anti-douleur souffrent de douleurs persistantes rebelles aux traitements habituels et sont adressés sur demande médicale.

jeudi 17 mai 2012

Les malades mentent tout le temps (Gregory House). Histoire de consultation 118.


Environ une fois tous les dix ans, un psychiatre libéral m'appelle en direct à mon cabinet. Cela doit faire trois fois en presque 33 ans d'exercice de la médecine générale.
Monsieur A, 81 ans, et sur mes conseils, consulte un psychiatre pour des troubles anxieux, vaguement dépressifs, développés sur un fond d'agressivité qu'il n'arrive plus à contrôler. Si je lui ai conseillé de consulter c'est essentiellement pour des raisons de confidentialité dans la mesure où je suis le médecin traitant et de sa femme et de sa fille et de certains de ses petits-enfants et de certains de ses arrière-petits enfants...
Il y a cinq ans, quand j'ai confié le patient au psychiatre que je connaissais et dont le cabinet est situé à une demi-heure en voiture de notre ville (les psychiatres libéraux se font rares dans des zones où les dépassements d'honoraires ne peuvent pas être très importants en raison des revenus moyens de la zone, je n'ai pas dit du secteur), j'avais écrit un courrier précisant notamment les antécédents somatiques du patient (double cancer dont il s'était sorti, troubles du rythme cardiaque et prothèse aorto-bifémorale pour lesquels il était traité) mais aussi quelques éléments psycho-biographiques. 
J'ajoute ceci concernant les lettres adressées à un psychiatre : que mettre dedans ? Soit vous avez affaire à un psychiatre qui ne lit pas votre courrier "pour ne pas être influencé" et cela ne sert à rien, sinon à informer le patient où vous en êtes de votre "analyse", soit vous avez un psychiatre qui ne lit les lettres qu'après que son opinion s'est formée, soit vous avez un psychiatre qui ne veut rien savoir venant du médecin traitant, soit vous avez un psychiatre qui lit tout et qui interprète tout avant même d'avoir vu le patient, soit vous ne risquez qu'une chose, que le psychiatre prenne le parti inverse de ce que vous avez écrit ou envisagé, mais, de toute façon, dans tous les cas, il ne vous répond jamais.
Et donc, le psychiatre libéral m'appelle vers dix-neuf heures et il me parle du patient pour lequel il est inquiet. Il me raconte ce qu'il a constaté, que le patient va mal, qu'il est angoissé, qu'il n'est pas près de passer à l'acte, enfin, il ne le pense pas, il me décrit sa personnalité, qu'il se fait une idée trop haute de lui-même et que la réalité le frappe de plein fouet, qu'il existe chez lui une blessure narcissique qui remonte à l'enfance, et, surtout, qu'il est en butte à l'hostilité incessante de sa femme et de ses enfants qui lui reprochent tout et n'importe quoi, qu'il n'en peut plus, qu'il est sous tension, qu'il a perdu son statut de mâle, qu'on le prend pour un crétin, qu'on lui fait comprendre qu'il ne sait rien faire, qu'il est incompétent et qu'il l'a toujours été, et, continue-t-il, "Vous qui connaissez la famille, comment est-il possible d'intervenir à votre niveau, car la situation est grave, elle m'échappe". 
Je ne lui réponds pas qu'il aurait pu m'appeler avant. Je ne lui réponds pas que le médecin traitant eût été ravi d'en apprendre plus sur cette blessure narcissique. Je ne lui réponds pas que je ne me rappelle pas avoir constaté que le patient éprouvait une trop haute idée de lui-même. Je ne lui réponds pas que je n'avais jamais remarqué qu'il se sentait découragé par l'hostilité de sa famille qui le dévaloriserait. Je lui dis en revanche que le patient en question n'a cessé, toute sa vie, de taper sa femme. Il ne lui a pas seulement tapé dessus avec des paroles, bien que dans les couples les paroles soient parfois plus difficilement supportables encore que les coups, non, il lui a tapé dessus, il lui a mis des volées, il l'a terrorisée, il l'a poursuivie quand elle a tenté de s'en aller, il la suivait partout quand elle voulait partir, il lui disait "Je te retrouverai...", il a aussi tapé sa fille et ses fils, quand ils étaient petits, il s'est montré méprisant à l'égard de ses petits-enfants qui ne réussissaient pas comme il l'aurait souhaité. Mais cela ne fait qu'un an que je sais cela alors que cela fait trente ans que je les connais. Jamais rien n'avait transparu. 
Je lui ai donc dit, au psychiatre, qu'il s'était trompé pendant cinq ans et moi pendant beaucoup plus longtemps.
Il a fallu qu'un jour la femme de mon patient, venue seule au cabinet, me fasse quelques confidences. Et je suis tombé par terre, je m'en suis voulu, je me suis demandé comment j'avais pu faire pour ne me rendre compte de rien. Je me suis même demandé, j'ai honte, au début, s'il ne s'agissait pas d'une affabulatrice tant les faits que j'avais constatés (et, en l'occurrence, que je n'avais pas constatés) me semblaient aller à l'encontre de ce qu'elle me racontait, puis j'ai tenté de réagir. Elle m'appelait de la maison quand son mari s'absentait. Mais elle ne voulait pas partir. Mais elle n'allait pas voir de psychiatre. Mais elle était soutenue par ses enfants. Mais il s'était calmé depuis une ou deux années, il ne la frappait plus, il la menaçait encore, il la serrait parfois contre un mur dans la maison, pour lui faire peur, il ne la lâchait pas pourtant, même quand elle allait faire des courses, il la bousculait parfois, et, quand je lui en parlais (malgré le fait que sa femme, terrorisée, m'ait demandé de ne rien dire, mais j'avais rusé, j'avais parlé d'une altercation avec un voisin que l'on m'avait rapportée), il baissait la tête, il ne cherchait pas à se justifier, il disait "Je tente de me calmer... Je fais des efforts... Aidez-moi..." Et cela faisait déjà quatre ans que je l'avais envoyé chez le psychiatre. Et les choses, d'après sa femme, se sont un peu arrangées. Il n'était plus violent physiquement. "Que pourrais-je devenir à mon âge ?" me disait-elle. "Ne me dites pas que je suis une victime, je le sais... Mais je ne veux pas partir. C'est trop tard."
Le psychiatre, au téléphone, a marqué le coup. Il s'était fait balader pendant des années, il n'y avait vu que du feu et là, tout d'un coup, le malade qui lui avait menti allait vraiment mal. Enfin, peut-être. 
A quoi servent les relations entre psychiatre et médecin traitant ? J'ai déjà évoqué ce problème de nombreuses fois et, plus particulièrement, ICI. Faut-il que l'entretien singulier entre un psychiatre et son patient ou entre le médecin traitant et son patient soit exclusif ? Comment faire pour qu'il n'y ait pas de clash ? Je ne parle pas d'un clash entre les deux médecins, cela n'a aucune importance, je parle d'un clash dans la tête du patient, un conflit d'intérêt au sens strict, quel est le discours qui me "parle" le plus au moment m, quel est le discours qui m'arrange le mieux à la seconde s, quel est le médecin qui me convient le mieux à l'instant i ? La lente construction d'une relation entre médecin et patient passe par des étapes, des hauts et des bas, et les différents interlocuteurs du patient (et le patient) peuvent (et doivent) ne pas aller au même rythme, passer par des chemins de traverse, se promener ou courir, prendre des raccourcis ou baguenauder le nez au vent, revenir sur leurs pas, hésiter, bégayer, se répéter, raconter toujours la même chose sous des formes différentes, dire le contraire en prenant les mêmes mots, penser à autre chose, être inconscients... ou laisser parler leur inconscient, en quelque sorte. Comment imaginer que ce qui se passe dans un cabinet se passe de la même façon dans un autre ? Comment espérer qu'en utilisant des techniques différentes des idées contradictoires ne se chevauchent pas, parfois au même moment ? Et par quel miracle cela pourrait-il être "bon" pour le patient, c'est à dire, comment le patient pourrait retrouver son unité dans une telle confusion des sentiments, si j'ose dire ? Comment le patient pourrait tirer profit d'un tel amas de faits, de constatations, d'avis, de conseils, de pistes, de portes à ouvrir ou à fermer ? Je laisse la réflexion ouverte mais elle me semble fondamentale et, à mon avis, soulève le problème crucial de l'entretien psychologique (je ne sais pas trop commet l'appeler), à savoir qu'il est très (trop ?) opérateur dépendant.
Pour en revenir à Monsieur A : va-t-il vraiment plus mal ? N'est-il pas encore en train de promener son monde ? Ne nous utilise-t-il pas encore ? On dira : un homme aussi tyrannique avec son entourage ne peut pas être franchement bon et ne peut pas aller bien. Mouais. Est-ce qu'un pervers ne prend pas du plaisir ? Est-ce que ce plaisir est condamnable en soi ou seulement parce qu'il peut causer du mal à autrui ?
Je n'en sais rien. 
Le psychiatre est en train de digérer ce que je suis en train de lui dire. Mais un psychiatre s'en sort toujours, il a toujours une explication à donner, il a toujours une veste à retourner. Celui-là me dit ceci : "C'est très intéressant. Je vais y réfléchir. Tout ce que vous venez de me dire va alimenter ma réflexion. Ne faites rien pour l'instant. Bien entendu, je ne vous ai pas appelé. Je vais le revoir dans quinze jours, je vous rappellerai après."
Il est gentil, le psychiatre. Il m'appelle pour m'inquiéter et ensuite il me dit de ne pas m'inquiéter alors que je lui ai appris sur son malade des choses qu'il ne connaissait pas et qui sont, proprement, bouleversantes.
(Lucian Freud. Reflection with Two Children (Self-Portrait), 1965)

mardi 15 mai 2012

Ne pas être curieux.


Quand j'étais étudiant en médecine j'entendais souvent, venant de nos enseignants, la phrase suivante, "En médecine, il faut être curieux...", et j'ai continué de l'entendre venant de mes pairs et j'ai même continué de la dire à mes collègues ou à des patients. Cette phrase signifiait, et signifie encore, qu'il ne faut pas se contenter d'une impression, d'une intuition ou d'une attitude probabiliste, il faut être certain, et certain de ne pas passer à côté de quelque chose de grave et / ou de curable qui permettrait au patient de "guérir". Les conséquences pratiques en étaient de poursuivre les investigations cliniques, paracliniques et autres jusqu'à ce que le diagnostic soit nommé et le malade traité.
Je suis devenu beaucoup plus sceptique sur ce point.
Il est clair que mon statut de médecin généraliste exerçant de façon extra institutionnelle a pu m'influencer. Ne disposant pas d'un plateau technique aussi développé que dans un hôpital de l'Assistance Publique, ne disposant pas de ressources intellectuelles aussi partagées que dans le milieu hospitalo-universitaire, il est possible que j'aie réduit mes ambitions, non de façon consciente mais de façon pragmatique et que, constatant mes insuffisances, j'ai mis mes ambitions diagnostiques totalisantes dans ma poche et les ai recouvertes de mon mouchoir cache-misère de ma culpabilité.
Renoncer à aller plus loin est pourtant une attitude beaucoup plus appropriée dans nombre de cas et ce renoncement, non appris dans les écoles de médecine, ne peut naître et se construire, que de l'expérience acquise par la pratique, que par la lecture assidue de la presse médicale et que par la fréquentation de la patientèle qui, non seulement à des avis sur tout comme tout un chacun, mais a aussi des avis sur son propre cas. 
Renoncer est une attitude difficile à décider et à tenir pour justifiée tant le médecin est soumis à des pressions jusqu'au-boutistes qui ne concernent pas seulement la fin de vie et ce que l'on appelle, improprement, l'acharnement thérapeutique, mais aussi à des pressions que l'on pourrait qualifier de sociétales (la construction d'une pensée dominante ou d'un bon sens commun partagé) et qui sont fondées sur, pêle-mêle, d'une part la médicalisation de la société, la médicalisation de la vie, la médicalisation de la Santé, et, d'autre part, le Droit à être pris en charge, traité, soulagé et guéri, tout cela dans un contexte de judiciarisation de la Santé oscillant entre le Primum non nocere, la Perte de Chance et le Principe de Précaution... Mais n'oublions pas que le médecin s'est aussi construit une image de lui-même avec, au centre de tout, sa fonction chamanique et sa croyance inconsciente d'une sorte de toute-puissance attribuée à la fois à sa compétence et à son rôle magique... 
Ne pas être curieux.
Il apparaît que cette absence de curiosité, on se rappellera quand même la sentence La curiosité est un vilain défaut, peut être aussi considérée comme une faute majeure pour un médecin. Mais il ne faut pas se laisser impressionner. Car l'absence voulue de curiosité s'inscrit dans un monde où il est certes des maladies diagnostiquées trop tard mais où, surtout, il est des maladies diagnostiquées trop tôt ou sur diagnostiquées. La société, comme nous l'avons vu (et ne me faites pas le coup de la société n'existe pas, c'est une vue de l'esprit, c'est un montage adroit ou maladroit, je connais les arguments, car il est possible d'identifier cette société par les actes qu'elle produit, les comportements qu'elle suscite, les lois qu'elle engendre, et cetera), oscille entre la sur médicalisation et le n'importe quoi de l'hygiène. D'un côté on invente des maladies, on sur diagnostique des maladies, on dramatise des maladies, on explore trop, on traite trop des maladies (et probablement on traite trop des stades pré cliniques et on traite mal des stades avancés), et de l'autre c'est le laisser-faire de la Santé Publique qui est "libérale" de gauche et de droite (boissons sucrées, aliments salés, alcoolisme, tabagisme, addictions multiples et variées), les uns pour des raisons de diversité, les autres pour des raisons de liberté individuelle, tant et si bien que le médecin généraliste est assis "le cul entre deux chaises" dans une position inconfortable.  
Prenons l'exemple des maladies mentales.
Notre ami Des Spence du BMJ (ICI) vient d'écrire un papier "Les oligarques psychiatres qui médicalisent la normalité."qui, par sa vigueur, ne peut que choquer et les spécialistes de la maladie mentale et les spécialistes des sciences de l'éducation. Que nous dit Spence ? Il stigmatise le DSM (Diagnostic and Statistic Manual of Mental Disorders) écrit par ces fameux oligarques, dont 75 % présentent des conflits d'intérêt (maladie grave et peu traitée) et il souligne la conception réductionniste de la maladie mentale véhiculée par cette classification fondée presque exclusivement sur des désordres chimiques (potentiellement traitables par des médicaments) qui conduit au fait que, selon le CDC d'Atlanta, 25 % de la population américaine est atteinte de pathologie mentale (une preuve explicite de la médicalisation de la normalité).
Bien plus encore, et dans une stratégie que l'on ne peut s'empêcher de penser concertée ou "marketing" ce sont les jeunes enfants qui sont les plus ciblés. Trois crises de colère par semaine et un comportement négatif suffisent à cataloguer un enfant pour le reste de sa vie ! Il ne faut être ni inattentif ni timide, et cetera. Ainsi, en Caroline du Nord, 15,6 % des enfants sont diagnostiqués  "hyperactifs", au New Jersey un garçon sur trente est catalogué "autiste", et les diagnostics de troubles bipolaires chez l'enfant ont été multipliés par 40 en 10 ans aux Etats-Unis ! Mais les adultes ne sont pas en reste dans ce champ de tir de la psychiatrie opérationnelle : sont ciblés des syndromes bizarres, infondés, contre intuitifs, comme "disruptive mood dysregulation disorder" ou "attenuated psychosis syndrome".
Ne pas être curieux, c'est donc, devant un enfant inattentif ou turbulent en classe, ne pas se précipiter sur son futur DSM V, pour lui coller un diagnostic comme on colle une fessée, lui coller un diagnostic pour lui prescrire une drogue censée le traiter et, surtout, traiter le malaise sociétal qui conduit non pas à créer des enfants turbulents ou inattentifs, il y en a toujours eu, mais à créer des comportements institutionnels rejetant ces enfants comme ne pouvant être évalués par la norme Iso 9001. 
Ne pas être curieux c'est tenter d'échapper à cette fatalité de la maladie biochimique qui conduirait des enfants, des adolescents et des adultes à se sentir mal et résister à la médicalisation de la normalité.
La tâche est immense.
La disparition des médecins généralistes va raccourcir le circuit décisionnel : un enfant qui ne tient pas en place va être adressé directement par l'enseignant à la structure CMPP la plus proche où un freudien, un comportementaliste ou un rien du tout prescrira de la ritaline, condition sine qua non du retour dans le cadre de l'Education Nationale.
Ne me dites pas que c'est déjà comme cela : c'est déjà comme cela.

Addendum (17 mai 2012) : un éditorial du NEJM (ICI) dénonce le futur nouveau DSM V qui voudrait que le chagrin (grief) d'intensité légère soit plus volontiers attribué à un état dépressif (et traitée) et que le deuil (bereavement) soit d'emblée rattaché à la dépression. Et l'éditorialiste d'écrire (RA Friedman) :The medical profession should normalize, not medicalize, grief. . On ne saurait mieux exprimer une pensée de bon sens.

dimanche 13 mai 2012

Beaucoup trop d'Alzheimer ! Histoire de consultation 117.


Madame A, 91 ans, vit dans les meilleures conditions possibles : entourée de certains de ses enfants et de certains de ses petits-enfants dans une très grande maison. Il y a environ six ans, elle a commencé à présenter des troubles du comportement et de la mémoire. Ralentie, elle vivait de façon calme, habituée  des lieux, connaissant le moindre des recoins, préservée des pièges de l'escalier, hypertendue légère depuis une quinzaine d'années, mangeant à la table familiale, couchée tôt, ne se levant pas la nuit sauf de façon exceptionnelle. Puis elle a commencé à présenter des troubles de la mémoire qui gênaient plus son entourage qu'elle-même, sans danger a priori, elle continuait de s'alimenter, il lui arrivait, un peu, d'être agitée vers vingt heures puis elle allait se coucher avec un noctamide 1 mg. J'ai résisté aux demandes de la famille pendant au moins un an et j'ai dû me résoudre à l'adresser au centre de gérontologie local.

(J'ai dû me résoudre : cette expression est au centre de nombre de polémiques passionnantes que l'on trouve ici et là sur le web ou, plus précisément, sur les forums cliniques réservés aux médecins ; je vais tenter de résumer les arguments pour et contre ; 
  1. pour certains J'ai dû me résoudre est une trahison : cela traduit le renoncement des médecins généralistes qui cèdent, connaissant les données de la science (les médicaments dits anti Alzheimer ne servent à rien, voire sont néfastes), à la volonté de la famille, au consumérisme de la Santé, à la dictature des spécialistes, à l'Etat et son plan Alzheimer, au chiffre d'affaires de leur cabinet (comment ne pas perdre un malade) ; 
  2. pour d'autres J'ai dû me résoudre est un simple accommodement : c'est une attitude pragmatique dans une situation donnée qui tient compte des données de la science (l'expérience externe, à savoir les essais contrôlés), des données du terrain (l'expérience interne du médecin et son appréciation des conditions de vie de la patiente) et des valeurs et préférences non de la patiente (qui n'est pas capable de juger) mais de la famille ;
  3. pour d'autres encore J'ai dû me résoudre est un choix délibéré qui permettrait de se conformer à l'état sociétal de l'opinion sur la maladie d'Alzheimer, avis sociétal bien entendu influencé par ce qu'on pourrait pompeusement appeler le lobby médico-administrativo-industriel, mais qui pourrait prétendre n'être influencé par rien, vivre en vase clos dans un monde protégé par une bulle des influences néfastes de la vie en société ?
  4. pour d'autres J'ai dû me résoudre est une faute majeure puisque cette attitude signifie mettre le doigt dans l'engrenage de la médicalisation de l'Alzheimer et livrer sa patiente, pieds et poings liés aux appétits diagnostiques et thérapeutiques des nouveaux spécialistes de la démence gériatrique ;
  5. pour certains encore J'ai dû me résoudre est une expression malheureuse pour dire à la fois je ne suis pas fier de l'avoir fait et je devais le faire, une façon maladroite de concevoir son rôle de médecin traitant, une esquive pour ne pas dire Je ne suis pas compétent pour juger, un prétexte pour ne pas affirmer qu'il est parfois nécessaire, pour ne pas qu'il y ait perte de chance, de quitter la médecine générale pour la médecine de spécialité ; 
J'ai dû me résoudre est aussi une figure de style, une sorte d'autocritique annoncée, justifiant a priori un manque de courage à refuser l'aide de confrères pour prendre en charge ses propres malades.)

Le centre de gérontologie local a vu la malade, lui a fait passer des tests, a demandé un scanner, a prescrit du donépézil, et s'est fendu d'un courrier. J'y ai appris que la patiente présentait une maladie d'Alzheimer, que les tests psychiques avaient été difficilement administrables et interprétables en raison du fait que le français n'était pas la langue maternelle de la patiente et parce que son niveau d'étude était celui du certificat d'études primaire ou équivalent, que le scanner était compatible, et cetera.

Madame A est Alzheimer : elle est entrée dans une case médicale et sociétale.

J'ai revu Madame A à son domicile (je la vois toujours à son domicile, ce sera une autre question pour une autre fois, l'intérêt possible et / ou improbable des visites à domicile) et j'ai longuement discuté avec la famille et j'ai accepté la prescription de donépézil aricept, la fille de la patiente voulant tenter le coup. Nous avons tenté le coup.

Résultat au bout d'un an : état stationnaire.
La patiente continue de mener sa "petite" vie tranquille entourée de sa famille aimante et attentionnée avec l'aide une fois par semaine d'une voisine qui vient garder (au black) la grand-mère pour que la famille souffle un peu. (Le centre de gérontologie a bien entendu initié la démarche de prise en charge, j'ai rempli le dossier, il a été accepté, et cetera...)
Au bout d'un an et conformément aux recommandations de l'HAS (ICI) j'ai réadressé la patiente au centre de gérontologie avec un courrier circonstancié.

Voici la réponse : "... L'état stabilisé de la patiente justifie la poursuite du traitement par donézépil qui semble avoir montré son efficacité..."

Ainsi, en conclusion, et à mon avis, Je n'aurai jamais dû me résoudre, j'aurais dû forcer mon naturel (conciliant) et ne pas céder à la famille et au risque évasif de perte de chance, j'aurais dû prendre mes responsabilités de médecin traitant et refuser la consultation spécialisée qui a conduit, encore à mon avis, à un diagnostic erroné, cette patiente n'a pas d'Alzheimer mais un vieillissement cérébral associé à des troubles anxieux, et à des mesures thérapeutiques inadaptées. J'aurais dû penser à l'article de Philippe Nicot (LA) et me relire moi-même (ICI).

J'ai arrêté le traitement dit anti Alzheimer. La famille a accepté. La patiente va bien jusqu'à présent. Mais il est certain aussi qu'elle va mourir un jour.

(Jeanne Calment, décédée à 122 ans et 164 jours)




jeudi 10 mai 2012

La rougeole : Etat de l'Art sous forme de questionnement par Claudina Michal-Teitelbaum


EST-IL SOUHAITABLE D’ELIMINER LA ROUGEOLE EN FRANCE ?

Ou le mieux est souvent l’ennemi du bien

Alors que lors de la récente flambée épidémique française des discours alarmants et stéréotypés ont été tenus, il s’agit de replacer les événements dans un contexte historique international mais aussi dans une perspective scientifique et de long terme.

« L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique toute connaissance est une réponse a une question. S'il n'y a pas eu de question il ne peut pas avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit »
                                                                                                                                                 Gaston Bachelard

Non seulement aucune question pertinente n’a été posée quant à la vaccination contre la rougeole mais bien plus encore des réponses stéréotypées ont été apportées avant que nous n’ayons eu le temps de poser des questions. Ces réponses stéréotypées répétées à l’identique et amplifiées par les organismes de santé publique nationaux et internationaux, sont devenues des vérités établies qui ont empêché l’émergence de tout questionnement ou débat.
Or, la réalité n’est pas ainsi faite que face à des maladies contagieuses nous disposerions d’armes absolues qui nous permettraient, sans inconvénients ni questionnements, de passer d’une situation A problématique, présence d’une maladie « non bénigne » sur le territoire, à une situation B supposée idéale, élimination de la maladie » non bénigne » du territoire. Et cela par le seul truchement d’une réponse quantitative : l’augmentation de la couverture vaccinale.
L’illusion de la simplicité ne naît que de la capacité à éviter que les bonnes questions soient posées. Et  les mouvements anti-vaccinalistes contribuent au consensus en occupant les esprits avec de mauvaises questions, donnant ainsi des arguments à ceux qui prétendent qu’il n’y a aucune question à se poser.

PREMIERE PARTIE : LE VACCIN ET LA MALADIE

Le vaccin contre la rougeole

Le vaccin contre la rougeole est un vaccin dont le composant actif est un virus vivant atténué, la souche vaccinale pouvant différer selon les fabricants. Le virus vivant atténué est, de fait, un virus rougeoleux sauvage rendu moins virulent par des passages successifs sur des cultures cellulaires. Pour obtenir cette atténuation du pouvoir pathogène du virus, celui-ci est habituellement cultivé sur des cultures de fibroblastes d’embryon de poulet.
Le vaccin ainsi produit se rapproche des vaccins pasteuriens des origines. Le virus garde, en effet, sa capacité à infecter le sujet, mais sa virulence, c'est-à-dire sa capacité à se multiplier dans l’organisme infecté, est moindre que celle des virus sauvages.
Un article de synthèse du CDC ( Center for Disease Control and Prevention) des Etats Unis (ICI) décrit le vaccin contre la rougeole comme produisant « une infection inapparente [sans symptômes cliniques] et non transmissible.  
Le vaccin contre la rougeole se différencie donc de la plupart des vaccins commercialisés plus récemment (comme le vaccin contre le pneumocoque par exemple) qui contiennent des fragments viraux ou des virus tués, car il contient un virus vivant, bien qu’atténué.

Historiquement, le premier vaccin vivant  contre la rougeole a été introduit aux Etats Unis en 1963, il s’agissait du Rubeovax de Merck (LA). Son utilisation était complexe car, insuffisamment atténué, le vaccin nécessitait l’injection simultanée d’immunoglobulines (anticorps) pour éviter des rougeoles sévères. La même année, d’autres vaccins, inactivés ceux-là, autrement dit tués, ont été commercialisés par plusieurs laboratoires. Ils ont été  retirés du marché américain en 1967 car, d’une part, leur pouvoir protecteur était de courte durée, d’autre part, ils provoquaient des cas graves de rougeole atypique accompagnés de pneumopathies sévères (ICI). 
A partir de 1968 Merck a commercialisé un autre vaccin, l’Attenuvax, plus atténué que le Rubéovax, qui autorisait l’administration du vaccin seul, sans provoquer les mêmes effets indésirables que le précédent.

Le virus de la rougeole n’a pas de réservoir autre que l’homme malade. Le virus pourrait donc être éradiqué en théorie s’il n’y avait plus de foyer infectieux humain sur la planète. C’est un virus particulier car il se propage dans l’organisme en infectant les leucocytes ou globules blancs, les cellules impliquées dans la défense contre les infections, dont il se sert pour se multiplier. Il génère ainsi donc une immunodépression transitoire d’une durée de 2 à 6 semaines, plus prolongée chez les très jeunes nourrissons et chez l’adulte. L’aspect paradoxal des mécanismes infectieux et immunitaires concernant le virus de la rougeole réside en ce qu’il semble bien que l’infection et donc l’immunodépression soient indispensables pour provoquer une réaction immunitaire durable, qui ne peut être obtenue avec des virus inactivés ni avec des fragments viraux (ICI). 

Quel est le problème posé ?
Nous voyons donc, à ce stade, que le problème s’est posé en des termes très différents de celui qui nous est expliqué actuellement de manière plutôt simpliste. Il ne s’agit pas en réalité, de supprimer l’infection rougeoleuse mais de remplacer l’infection par les souches  sauvages du virus de la rougeole par une infection par une souche vaccinale atténuée. Il s’agit donc de la recherche d’un compromis entre  le degré d’atténuation de la souche vaccinale, la quantité de virus  dans le vaccin d’une part,  et les capacités de défense de l’organisme ciblé par la vaccination d’autre part, afin de produire un vaccin qui provoque une infection suffisamment atténuée pour être moins dangereuse pour la plupart des individus que l’infection naturelle et non transmissible dans la majorité des cas, tout en permettant une réponse immunitaire durable.

Le fait que le virus vaccinal soit vivant comporte au moins un avantage, à savoir que les adjuvants ne sont pas nécessaires pour accroître la réponse immunitaire.
En France les vaccins les plus utilisés sont le PRIORIX, de GlaxoSmithKline, qui contient la souche Schwartz (ICI et LA),  et le MMR vaxpro de Sanofi Pasteur MSD, qui contient la souche Edmonston Enders (ICI). Ces deux vaccins font partie de  ce qu’on appelle des vaccins pédiatriques améliorés parce qu’ils sont composés d’une combinaison de trois virus différents, les virus contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. On les appelle aussi vaccins trivalents.
On trouve aussi un vaccin plus ancien, contenant uniquement la valence rougeole (vaccin monovalent) le ROUVAX, qui a obtenu une AMM  en 1966 et était fabriqué par l’institut Mérieux. Il est désormais commercialisé par Sanofi-Pasteur-MSD. Ce vaccin, qui contient la souche Schwartz du virus de la rougeole à la même concentration que les vaccins trivalents, est préconisé  pour la vaccination des nourrissons de 6 à 8  mois dans des situations épidémiques (dans les 72 h après un contact avec un cas de rougeole).
Le succès de la vaccination au niveau individuel, c'est-à-dire l’obtention d’une immunité protectrice et durable sans produire d’infection grave, résulte donc, comme avec l’infection par le virus sauvage de la rougeole, d’un équilibre entre la virulence du virus vaccinal et le terrain du sujet vacciné.

Contre-indications, précautions d’emploi

Compte tenu du risque de maladie rougeoleuse sévère, le vaccin contre la rougeole est donc contre-indiqué chez les personnes ayant un déficit immunitaire grave, congénital ou acquis (SIDA déclaré avec immunodépression sévère par exemple, ou traitement immunosuppresseur), mais également chez la femme enceinte, et en cas d’allergie à la néomycine contenue dans le vaccin ou à tout autre composant de celui-ci. De plus, en France, on évite d’administrer des vaccins vivants à des nourrissons nés de mères séropositives tant qu’on n’est pas certain de leur statut HIV.
L’intolérance au fructose, maladie rare due à un déficit enzymatique, contre-indique également le vaccin qui contient du sorbitol.
Les antécédents d’allergie sévère à l’œuf avec des manifestations de type œdème, urticaire généralisé, ou choc anaphylactique constituent une précaution d’emploi. Il est certainement préférable d’éviter de faire le vaccin dans ce cas. En revanche, l’allergie à l’œuf sans manifestations sévères n’est pas considérée comme une contre-indication (LA .
L’administration du vaccin en même temps que de nombreux autres vaccins est autorisée. Mais on dispose de peu de données sur les conséquences de ces associations, en particulier avec les vaccins récents. Il est donc certainement préférable d’éviter d’administrer le vaccin en même temps que d’autres vaccins, en particulier avec des vaccins récents (Prevenar).
Par précaution, on devrait éviter de vacciner au cours des infections aiguës fébriles, qui en outre, diminuent l’efficacité du vaccin.
Le vaccin peut induire une négativation des tests tuberculiniques pendant 6 semaines.
L’intervalle minimum entre deux vaccins trivalents ou rougeoleux est de 28 jours.  Entre le vaccin trivalent et un autre vaccin, elle est de un mois.
Il faut attendre trois mois pour vacciner après une transfusion ou si le patient a reçu des gammaglobulines.

Efficacité du vaccin : importance de l’âge de la vaccination et du statut vaccinal de la mère

L’efficacité du vaccin est jugée importante, même si elle est variable en fonction de facteurs tels que l’âge du nourrisson, le statut vaccinal de la mère, ou des pathologies intercurrentes.
 Elle peut être appréciée au niveau de la population par les résultats épidémiologiques sur la diminution du nombre de cas de rougeole, diminution imputable à la vaccination, à condition de disposer de systèmes de surveillance fiables.  Et, au niveau individuel, par la séroconversion, apparition d’anticorps spécifiques de la rougeole  lors du deuxième prélèvement de sang, effectué 10 à 21 jours après le premier. Est considérée comme l’équivalent d’une séroconversion lors des études cliniques, une augmentation d’un facteur quatre de la concentration dans le sang de ces anticorps spécifiques pour atteindre  un taux généralement admis comme protecteur de 120 UI/ml  ou au-delà avec le test ELISA, utilisé par la plupart des laboratoires.
Néanmoins l’efficacité du vaccin varie pour des raisons qui ne sont pas toujours clairement expliquées, ou, en tous cas, qui ne font pas consensus.
Ce qui est généralement admis c’est que l’efficacité du vaccin en termes de séroconversion est d’autant plus faible pour un groupe de nourrissons que ceux-ci sont vaccinés tôt. A savoir que si l’on considère un groupe de nourrissons vaccinés au même âge, plus cet âge est précoce, plus la proportion de nourrissons qui seront considérés comme protégés après vaccination, selon les critères individuels évoqués plus haut, sera faible.
Il peut y avoir deux types d’explications à ce phénomène.

La neutralisation du vaccin par les anticorps d’origine maternelle

L’explication citée le plus souvent est le phénomène de neutralisation du vaccin par les anticorps d’origine maternelle. Ces anticorps, transmis passivement par la mère, persistent plus longtemps chez le nourrisson lorsque les mères ont contracté la rougeole naturellement que lorsqu’elles ont été vaccinées. Ceci s’explique parce que les mères ayant contracté la rougeole naturellement ont des concentrations plus élevées d’anticorps spécifiques que les mères qui ont été vaccinées. Cette diminution du taux d’anticorps chez les mères vaccinées a été montrée par une étude publiée aux Etas Unis en 1996. Les auteurs ont montré que la moyenne géométrique des titres des anticorps des mères qui étaient nées après le début de la campagne de vaccination était 4,85 fois inférieure à celle des mères qui étaient nées avant 1957 et n’avaient donc pas été vaccinées (ICI.
Si les mères sont vaccinées le taux de séroconversion, c'est-à-dire la proportion de nourrissons vaccinés qui présentent une séroconversion et qui, donc, seront protégés contre la rougeole par le vaccin, sera plus important chez des nourrissons de 9 mois. Ceci s’explique parce que les anticorps des mères vaccinées, qui sont à des concentrations plus faibles dans le plasma que ceux des mères ayant contracté la rougeole-maladie, sont plus rapidement éliminés de l’organisme des nourrissons. Ainsi, le taux de séroconversion, c'est-à-dire la proportion de nourrissons que l’on peut considérer comme protégés, pour des nourrissons vaccinés à 9 mois est inférieur à 80% dans une population dont les mères n’ont pas été vaccinées et qui ont contracté la rougeole naturellement et de 90% quand les mères ont été vaccinées. Et, respectivement, de 90 et de 98% à 15 mois (LA)
La signification de ce constat est, à contrario, que les nourrissons qui sont nés de mères ayant contracté la rougeole naturellement sont protégés par les anticorps transmis par la mère plus durablement en moyenne que les nourrissons de mères vaccinées.

L’immaturité du système immunitaire

Mais cette approche, qui est la version évoquée généralement,  ne tient pas compte d’un autre aspect : il existe une limite inférieur à l’âge de vaccination indépendamment de la concentration en anticorps d’origine maternelle chez le nourrisson. Une étude montre que la majorité des nourrissons de 6 mois ne séroconvertissent pas,  probablement en raison de l’immaturité de leur système immunitaire. Dans cette étude seulement 10/23 (36%) des nourrissons vaccinés à 6 mois et n’ayant pas d’anticorps d’origine maternelle ont atteint un titre d’anticorps protecteur (ICI).
Sur recommandation de l’OMS en 1989, des essais pour surmonter cette limite naturelle à la vaccination dans les pays pauvres en augmentant la quantité de virus dans le vaccin (vaccins à haut titre)  se sont soldés par une augmentation anormale de la mortalité des enfants vaccinés (LA). 
Une méta-analyse des études menées en Afrique avec des vaccins à haut titre a confirmé une surmortalité féminine chez les nourrissons des pays en développement lorsqu’ils étaient vaccinés avant 6 mois par ces vaccins par rapport à ceux vaccinés par la dose standard et ont motivé le retrait de ces vaccins par l’OMS (ICI). 
D’autre part, une étude canadienne, à propos d’une épidémie de rougeole en milieu scolaire en 1989, a démontré, qu’en cas d’épidémie, les enfants sont d’autant mieux protégés qu’ils ont été vaccinés plus tard entre 12 et 18 mois, avec une différence de l’ordre de 10% pour le risque de contracter la rougeole selon l’âge de vaccination. Et cela dans un pays où la quasi-totalité des femmes étaient vaccinées. Cela serait en faveur d’une meilleure qualité de la réponse du système immunitaire au vaccin à un âge plus tardif chez les nourrissons. On estime que le système immunitaire du nourrisson  atteint une certaine maturité vers deux ans.
D’autres facteurs comme la malnutrition, en particulier la carence en vitamine A, peuvent affecter fortement l’efficacité du vaccin. Il en est de même en cas d’immunodéficience, qui, comme on l’a vu, constitue une contre-indication au vaccin.

Recommandations générales en France

En France, les recommandations officielles telles qu’elles sont présentées dans le calendrier vaccinal 2012 (N° 14-15 du BEH d’avril 2012, p 170), sont de faire une première dose à 12 mois et une deuxième entre 13 et 24 mois. Il est recommandé d’administrer le vaccin trivalent  à 9 mois pour les nourrissons gardés en collectivité avec une deuxième dose entre 12 et 15 mois.
A partir du calendrier vaccinal 2011 on a préconisé deux doses de vaccin trivalent, à au moins un mois d’intervalle,  pour les personnes nées depuis 1980.

Effets indésirables

Le vaccin provoque une rougeole, souvent inapparente, selon la définition du Center for Disease Control and Prevention américain, comme on l’a vu plus haut.
Les effets indésirables du vaccin seront surtout en relation avec cet aspect et avec des phénomènes allergiques induits par les composants du vaccin.
Outre les effets indésirables locaux, très fréquents (15 à 25% des cas selon la voie d’administration avec le vaccin MMR-vax pro) mais généralement bénins, on va observer de fréquentes réactions fébriles (fièvre supérieure à 38°C dans plus de 10% des cas, fièvre supérieure à 39,5°C dans 1 à 10% des cas ) des rhinites, des conjonctivites, des éruptions transitoires, survenant dans les 5 à 12 jours après la vaccination. Les éruptions peuvent survenir pour un nourrisson sur 20 à un sur 30 environ.
Les réactions allergiques, ou réactions d’hypersensibilité immédiate qui peuvent se traduire par une éruption de type urticaire, un œdème de Quincke, des sifflements respiratoires dont la fréquence est évaluée à moins de 3% des cas. Les éruptions pouvant aussi bien évoquer une rougeole post-vaccinale qu’une réaction allergique seraient présentes dans 1 à 10% des cas.
Les fréquences respectives de l’ensemble des réactions allergiques, dont certaines peuvent être très graves, ne sont pas explicitées dans les résumés des caractéristiques du produit. Une étude anglaise estimait que la fréquence des réactions allergiques sévères, pouvant avoir une issue fatale,  pour les vaccins ne comportant que la valence rougeoleuse, était probablement supérieure à 18,9 pour 100 000 (LA). 
Les autres effets secondaires, graves mais rares, rapportés étaient la diminution des plaquettes sanguines (thrombopénie), l’encéphalopathie, les convulsions fébriles. Les deux derniers sont évalués à un pour plusieurs millions d’enfants vaccinés.
Mais ces estimations, fondées sur les effets indésirables déclarés, sont probablement minorées en raison de la sous notification des effets secondaires.
La sévérité des effets indésirables est souvent liée à un terrain, notamment en cas d’immunodépression congénitale ou acquise. La prévention des réactions de type allergique nécessite la recherche d’antécédents dans ce domaine, de même que la prévention des convulsions.
Il existe aussi des effets indésirables spécifiquement  liés aux autres valences ou virus présents dans le vaccin trivalent, notamment l’arthrite, généralement transitoire, habituellement présente lors des infections par le virus de la rubéole, se voit aussi avec le vaccin, avec une fréquence qui augmente très nettement en fonction de l’âge de vaccination. De 0 à 3% chez les enfants elle est de 12 à 20% chez les femmes. C’est donc une réaction au vaccin qui a tendance à augmenter en fréquence et en durée avec l’âge. Ces douleurs articulaires peuvent rarement devenir chroniques. [source Vidal]

Donc la vaccination contre la rougeole n’est pas un sujet simple. Nous évoquerons d’autres aspects polémiques plus loin.
Mais qu’en était-il avant ?

Avant la vaccination

Forme classique de la rougeole

Pour pouvoir apprécier le chemin parcouru, il est préférable de savoir d’où l’on vient
Nous avons un peu oublié ce qu’est la rougeole, très fréquente chez l’enfant jusque dans les années quatre-vingt.
La rougeole est donc une maladie virale survenant habituellement pendant l’enfance due à un virus de la famille des paramyxoviridae, et du genre morbilllivirus. C’est le seul morbillivirus pathogène pour l’homme et il est antigéniquement stable dans le temps. C’est un virus dit à ARN (son matériel génétique est contenu dans des molécules d’ARN et non d’ADN comme d’autres virus) enveloppé. Cette dernière caractéristique, son enveloppe, le rend fragile, et ce virus ne résiste ni à la chaleur ni aux détergents. Il ne survit pas plus de 36 h dans l’environnement à température ambiante.
La contagiosité de la rougeole, mesurée par le taux de reproduction (nombre de transmissions/ nombre de sources) est très élevée, plus que celle de la grippe.

Le réservoir exclusif du virus de la rougeole est l'homme infecté.  Le virus ne  subsiste pas dans l'organisme à l'état dormant après l'infection comme le fait le virus de la varicelle par exemple et il n'existe pas non plus de porteur sain comme pour le méningocoque qui provoque des cas de méningite.
L'éruption survient 7 à 18 jours après la contamination par les gouttelettes de salive émises par un sujet infecté. Dans la forme classique ou cliniquement apparente la maladie débute par d ela fièvre supérieure ou égale à 38,5 °C et un rhume accompagné ou non de conjonctivite ou coryza, plus ou moins de la toux. A ce moment l'individu est déjà contagieux. Ces symptômes durent 2 à 4 jours avant que ne survienne l'éruption, sous forme de taches rougeâtres légèrement surélevées qui apparaissent d'abord derrière les oreilles et s'étendent ensuite au visage et au reste du corps de manière descendante. Juste avant l'éruption on peut trouver des petits points blancs sur la face interne des joues très spécifiques de la maladie : c'est le signe de Köplick.



La prise en compte des cas de rougeole par l’INVS peut se faire d’après les symptômes observés à l’examen, c’est le diagnostic clinique. Ou alors quand les symptômes les plus typiques, comme l’éruption,  sont couplés à un contact avec un sujet malade dans les 7 à 18 jours avant leur début, c’est le diagnostic épidémiologique. Mais seuls les cas confirmés par des examens de laboratoire c'est-à-dire par un diagnostic biologique sont certains (ICI).
Il faut aussi savoir que, lorsque la rougeole devient rare dans un pays, la capacité des médecins à  la diagnostiquer correctement d’après les seuls symptômes observés, appelée aussi Valeur Prédictive Positive (VPP) du diagnostic clinique, diminue beaucoup, car la rougeole peut être confondue avec de nombreuses maladies éruptives. Les diagnostics cliniques portés dans ces conditions ont plus de neuf chances sur dix d’être faux  (LA).
En période de résurgence de la rougeole dans un pays où elle est devenue rare, seuls les diagnostics confirmés par la biologie sont totalement fiables.

Epidémiologie

Mais quelle était donc la situation avant la vaccination, au début des années soixante ?
Nous allons nous intéresser au cas de la Grande Bretagne.

En Grande-Bretagne
Pour donner une idée claire de la gravité d’une épidémie de rougeole au début des années soixante en Grande Bretagne, je vais me référer à une enquête menée par les services publics anglais pour évaluer les complications de l’épidémie de rougeole survenue il y a un demi siècle pendant l’hiver 1963 en Angleterre et au Pays de Galles. Celle-ci est rapportée dans un article intitulé : « Fréquence des complications de la rougeole, 1963 » et publiée dans le British Medical Journal en 1964 (LA). 
Nous apprenons, dans cet article, que la population, déjà à l’époque, manifestait des doutes quant à l’utilité d’une vaccination généralisée, en raison de la « croyance parmi de nombreux parents et médecins, que la rougeole est une maladie bénigne pour laquelle les complications graves sont rares et presque jamais fatales, pour les enfants normaux ». 
Les cas de rougeole devaient être déclarés par les médecins. On estimait que 80% des cas étaient alors déclarés. Le taux de létalité (nombre de décès par rapport aux malades dans une population donnée)  était estimé à deux pour 10 000 cas de rougeole, c'est-à-dire moindre que le taux de létalité admis pour la grippe actuellement, de un pour 1000 (c'est-à-dire 1000 décès pour un million de malades, probablement surestimée), et on estimait que la moitié de ces décès survenaient chez des patients ayant des pathologies chroniques graves ou des handicaps les rendant plus fragiles.
L’enquête publiée par le British Medical Journal portait sur quelques 53 000 cas, c'est-à-dire un sixième des 340 000 cas déclarés en 1963 pour une population de 45 millions d’habitants
97% des cas avaient moins de 10 ans et 3,8% des cas avaient moins de un an. Au total 93% des cas avaient entre 1 et 9 ans.
Les complications étaient présentes pour 6,8% des cas, dont 2,5% d’otites, 3,8% de complications respiratoires dont les deux tiers étaient des bronchites et 0,4% de complication neurologiques dont 0,1% c'est-à-dire le quart (un pour 1000 des malades) étaient des encéphalites. Un total de 610 sujets ont été hospitalisés mais seulement 496 pour des complications soit 81 % des personnes hospitalisées. Donc un peu moins de 1 % des cas (496 / 52 992) ont été hospitalisés pour des complications.
Au total parmi les patients présentant des encéphalites 39% ont été hospitalisés et 18% des patients présentant des complications respiratoires.
Les encéphalites étaient peu fréquentes (de l’ordre de 1 pour 1000) entre 0 et 9 ans mais de cinq à six fois plus fréquentes au delà de 20 ans. Tandis que les complications pulmonaires étaient environ 1,5 fois plus fréquentes avant un an par rapport à l’âge où le risque était le plus faible, entre 3 et 4 ans (risque de complications pulmonaires augmenté de 50% avant un an).
12 enfants sont décédés, 6 pour des complications pulmonaires, 4 pour des complications neurologiques. 5  des enfants avaient des pathologies chroniques ou des handicaps graves  tels que tétraplégie, trisomie 21 avec malformation cardiaque, encéphalite chronique. Dans ce cas les auteurs considéraient que la rougeole était une cause fortuite de décès.
Ainsi, cela correspond aux estimations d’environ 2 décès pour 10 000 cas dont la moitié préalablement fragilisés par le handicap ou la maladie. N’oublions pas que cette enquête a été menée il y a un demi siècle et que la mortalité infantile c'est-à-dire avant un an a, depuis lors, a été divisée par sept en France, tandis que la mortalité globale pour une population équivalente, a été divisée par deux.

 En France
Nous ne disposons pas de chiffres fiables car il semble bien que l’ordre intuitif des choses ait été inversé. En effet, on est en droit de supposer qu’on vaccine contre une maladie lorsqu’on a la notion claire, confirmée par un suivi épidémiologique spécifique, que celle-ci représente un réel problème de santé publique. Or, dans le cas de la rougeole il semble que ce soit  le fait d’avoir introduit la vaccination qui ait motivé le suivi épidémiologique des cas, car il n’y avait pas de suivi épidémiologique spécifique avant l’introduction de la vaccination à part une veille assurée par un réseau de laboratoires d’analyses, le réseau Rénaroug, travaillant avec des services de pédiatrie. La rougeole était néanmoins sujette à déclaration obligatoire depuis 1946. Mais les médecins se pliaient de moins en moins à cette obligation qui a été abrogée en 1986 pour être à nouveau mise à l’ordre du jour en 2005 lors de la campagne mondiale d’éradication (LA).  .
Le vaccin a été introduit dans le calendrier vaccinal français en 1983, et le réseau Sentinelles de l’INSERM, formé de médecins libéraux volontaires, n’a exercé une surveillance des cas de rougeole vus en ville que depuis 1985.
Les chiffres avancés par l’INVS pour la période avant la vaccination sont de 300 000 à 500 000 cas de rougeole annuels en France,  dont 4000 à 6000 hospitalisations. Soit environ 1% d’hospitalisations. Comme pour la Grande Bretagne, ces cas touchaient une très grande majorité d’enfants entre 1 et 9 ans.
Pour les décès une surveillance était exercée par le CépiDc, laboratoire de l’INSERM, depuis 1979. Elle montre un nombre de décès variant de 15 à 35 chaque année. Donc de un décès pour 10 000 à un pour 20 000 cas de rougeole cliniquement apparente et un décès pour 2 à 4 millions d’habitants chaque année. La cause des décès n’était pas déterminée pour la plus grande partie d’entre eux. Dans les autres cas la cause était l’encéphalite ou des complications pulmonaires.



Extrait de : Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS 2009. Source Cepidc

Sévérité de la rougeole : variable selon l’état nutritionnel, la localisation géographique, les pathologies et le handicap, et l’âge

La sévérité de la rougeole et sa létalité sont globalement faibles, de l’ordre de 1 pour 10 000 dans des pays semblables à la France, et  dépendent donc avant tout du « terrain » du sujet infecté, c'est-à-dire de son état de santé et de la capacité à réagir de son système immunitaire.
La rougeole est potentiellement plus grave :
  1. Chez les enfants de moins de un an à cause de l’immaturité du système immunitaire entraînant un risque relativement accru de pneumopathie en particulier
  2. Chez les adultes, surtout après 20 ans. Ceux-ci ont en moyenne quelques cinq fois plus de risques de présenter une encéphalopathie
  3. Surtout en cas de fragilité préalable due à une pathologie chronique ou à un handicap graves
  4. Ou en cas de malnutrition et notamment de carence en vitamine A, qui sont les principaux facteurs expliquant une mortalité élevée dans les pays pauvres. Dans certains groupes de populations pauvres n’ayant pas accès à la nourriture et aux soins, l’OMS affirme que la létalité due à une épidémie de rougeole peut atteindre 10%  , soit une létalité 1000 fois supérieure à celle retrouvée chez des enfants en bonne santé des pays occidentaux (ICI)     
 
Dans les pays occidentaux la létalité varie donc avec l’âge. Elle est plus faible aux âges habituels de survenue de la rougeole hors vaccination, d’environ 10 pour 100 000 cas entre 5 et 9 ans, mais quatre fois plus fréquente avant un an (43 pour 100 000) et plus de huit fois plus fréquente après 20 ans (85 pour 100 000) (LA). 
Cette augmentation de la sévérité de l’infection avec l’âge pourrait s’expliquer aussi par la fréquence plus importante du handicap et de pathologies chroniques parmi les adultes. En effet, la proportion de personnes souffrant de pathologies chroniques et de handicaps graves préalables parmi les décès dus à la  rougeole augmente avec l’âge comme l’a déterminé Barkin dans une étude portant sur les 454 décès consécutifs à la rougeole survenus aux Etats Unis entre 1964 et 1971 (ICI).
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Extrait de Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS, 2009
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Source : Ramsay M. et al. The epidemiology of measles in England and Wales : rationale for the 1994 national vaccination campaign. Communicable Disease Report 1994;4:R141-6.
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Cela revient à dire que la raison pour laquelle on relève une plus grande létalité chez les adultes, serait que la proportion de personnes fragiles parmi les adultes (maladies chronique ou traitements immmunosupresseurs) est plus grande que parmi les enfants. La létalité de la rougeole chez les adultes en général devrait donc être pondérée par rapport à la proportion des adultes  présentant une pathologie préalable.

DEUXIEME PARTIE : LE ROLE DE L’OMS ET DES FONDATIONS PRIVEES

Vers l’éradication de la rougeole ? Des bons sentiments… et du business

Le contexte des programmes mondiaux de vaccination soutenus par l’OMS

La Conférence Internationale sur les Soins Primaires de Alma Alta en 1978, a constitué un tournant dans l’approche des politiques de santé de l’OMS.
Les politiques de soins primaires orientées vers la prise en charge globale des problématiques de santé, et donc prenant en compte les aspects sociaux et environnementaux, ont été critiquées par des experts, des donateurs de l’OMS et des sociétés privées ayant des intérêts dans le secteur car « trop coûteuses » et peu efficaces. (Collado Rodriguez L. La marchandisation du Droit a la santé : brevets pharmaceutiques ; Annuaire des actions humanitaires et des Droits de l’Homme, 2009)
Derrière un vocable lénifiant la Déclaration de Alma Alta (ICI)   réaffirme la définition de la santé comme étant un « état de complet bien-être… » et réoriente les politiques de santé dans un sens plus conforme aux intérêts du secteur marchand .
L’OMS accepte donc, en cette occasion, sous la pression du secteur privé, d’introduire dans ses principes la notion de coût/efficacité et d’adopter une approche sélective de la santé, par pathologie, et non plus globale. On va donc moins se soucier d’élever le niveau sanitaire des populations mais on va en revanche essayer de combattre des maladies.
C’est de cette vision fragmentaire et parcellaire de la santé que sont nés les programmes mondiaux de vaccination entrant dans le cadre des programmes spéciaux de l’OMS largement voulus et financés par des sociétés privées, souvent des laboratoires pharmaceutiques, et des fondations.
L’évolution de cette forme élaborée de partenariat public-privé qu’est l’OMS ne cesse de se faire vers une part croissante des financements d’origine privée.
Les Etats financent en fait la part fixe du budget de l’OMS, celle qui concerne les frais de fonctionnement et les infrastructures ainsi que ceux des programmes de base (par opposition aux programmes spéciaux), dont la part dans l’activité de l’OMS ne cesse de diminuer, qui abordent la santé de manière globale.
Les sociétés et fondations privés fournissent désormais 80% du budget global de l’OMS. Les apports de ces acteurs privés ont lieu sous forme de contributions volontaires à objet désigné, à savoir que ces acteurs  ne financent que ce qui les intéresse pour leurs objectifs propres, comme, par exemple, les programmes de vaccination (LA).

Un exemple paradigmatique de l’influence des fondations privées dans les orientations sanitaires en matière de vaccination et de santé publique : la fondation Bill Gates

La seule Fondation Bill Gates,  bien que privée et gérée par trois administrateurs Bill et Melinda Gates ainsi que Warren Buffet, dispose, pour l’ensemble de ses multiples activités, d’un budget de 37 milliards d’euros, quelques huit fois supérieur à celui de l’OMS . Cette fondation, très liée aux laboratoires pharmaceutiques, est le deuxième contributeur volontaire (contributions à objet désigné) de l’OMS après les Etats Unis. Pour l’exercice 2010-2011, la Fondation Bill Gates a contribué pour 220 millions de dollars, soit environ 5% du budget total de l’OMS. Bill Gates se montre un allié fidèle des firmes pharmaceutiques en prônant la protection de leurs brevets contre l’intérêt des populations des pays pauvres. Une part importante des financements de cette fondation, est destinée à soutenir des programmes de vaccination, que Bill Gates considère comme une priorité (ICI).  
Mais certaines personnalités issues des pays en voie de développement sont très citriques envers les programmes de vaccination de l’OMS  qui ne tiennent pas compte des problématiques de santé particulières à chaque pays. Ces personnalités déplorent que de tels programmes s’imposent aux pays pauvres. Elles les jugent très coûteux, absorbant l’essentiel des maigres ressources, en particulier personnel médical et para-médical, dont ces pays disposent pour la santé, et désorganisant en outre le système de soins au profit de programmes qui s’avèrent parfois être des échecs,  justement en raison de l’approche par pathologie et de l’absence de vision globale des problématiques de santé, comme dans le cas de la poliomyélite (ICI, LA et encore ICI).
Ces analyses sont corroborées par une enquête très approfondie, menée par une équipe de journalistes du Los Angeles Times dirigée par l’un d’entre eux, Charles Piller, en 2007. Cette enquête journalisitique, sans doute l’une des plus sérieuses et approfondie jamais menées, intitulée « Des nuages sombres planent au-dessus des bonnes œuvres de la fondation Bill Gates » mettait en avant un certain nombre de points  noirs dans le financement de la fondation et dans son influence dans les pays en développement (LA). 

Pas d’éthique sur l’étiquette de la fondation Bill Gates

Les fondations sont des personnes morales ayant des objectifs d’intérêt général. Aux Etats Unis, contrairement à la France, les fondations peuvent investir dans des sociétés privées et sont taxées. Aux Etats Unis on peut donc très bien conjuguer bienfaisance, affaires et enrichissement personnel  en s’impliquant dans des œuvres réputées servir l’intérêt général.
Un premier point noté par les journalistes du LA Times est que la fondation Gates ne fait de donations que à hauteur de 5% de ses actifs, c'est-à-dire, au niveau précis qui lui permet de réduire ses impôts au minimum. Les autres 95% étant investis dans des secteurs à forte rentabilité. De fait, on ne peut que constater que si investir dans des œuvres caritatives a valu à Bill Gates d’étendre son pouvoir personnel en détenant la fondation la plus riche et la plus influente au monde, cela n’a pas nui à sa fortune propre qui est passée de 45 milliards en 1998, lorsqu’il a commencé à s’adonner aux œuvres de bienfaisance, à 61 milliards en 2012 .
Mais ce n’est pas là le point central soulevé par l’enquête. Le problème est ailleurs. Il est d’essayer de savoir si, par son action, la fondation Bill et Melinda Gates favorise d’avantage l’intérêt des populations des pays pauvres pour lesquels elle offre des dons, notamment pour des programmes de vaccination, ou nuit à ces populations tout en favorisant les intérêts de certaines  multinationales, pharmaceutiques entre autres.
Les journalistes du LA Times ayant enquêté en Afrique, ont découvert que, la fondation investit dans des compagnies pétrolières, telles Total, Eni, Exxon, Royal Dutch Shell, etc qui polluent l’air, avec des torchères dont les émanations sont chargées en composés toxiques comme le mercure, le benzène ou le chrome, bien au-delà des normes autorisées en occident, par simple souci de maximisation des gains. C’est le cas, par exemple, dans une métropole nigérienne de plus de 200 000 habitants, Ebocha. Les pathologies respiratoires, deuxième cause de mortalité infantile dans les pays à faible revenu, rendant compte d’environ un décès sur 7 parmi les enfants, y sont légion. Mais grâce à la fondation Bill Gates, la plupart d’entre eux seront bien vaccinés.
D’autre part ces mêmes compagnies creusent des fosses qui constitueront des réservoirs d’eau stagnante et feront le lit de toutes sortes de maladies infectieuses, comme la polio, le paludisme la dysenterie, le choléra…
D’après l’enquête du LA Times 41% des investissements de la fondation, équivalents à 8,7 milliards de dollars, sont faits dans des entreprises qui n’ont pas réussi les test d’évaluation par les organismes de notation évaluant les sociétés selon qu’elles adoptent ou non des comportements socialement responsables. Les sociétés mal notées, comme celles où la fondation Bill Gates investit 41% de ses actifs, sont celles qui violent les droits de l’Homme en général dans un objectif de maximisation des bénéfices (atteintes à l’environnement, discrimination, non respect du droit du travail comme, par exemple, travail des enfants, comportement non éthique comme la pratique de la corruption, etc.).
Ainsi, l’enquête du LA Times a établi que dans le même temps où la fondation Bill Gates versait 218 millions de dollars pour lutter contre la rougeole et la polio dans les pays pauvres, elle en investissait 423 dans des firmes pétrolières épinglées pour leur absence d’éthique
Il est permis de penser que c’est même probablement cette absence totale de souci de l’éthique dans les investissements qui a permis à la fondation Bill Gates de devenir la plus puissante des fondations américaines, très loin devant les autres, puisque pour 10 dollars dépensés par les fondations privées américaines, 1 dollar proviendrait de celle de Bill Gates (LA).   Les autres fondations, dans un souci de cohérence et d’éthique, font en sorte d’investir dans des sociétés dont le comportement ne va pas à l’encontre de leurs objectifs affichés et s’efforcent à travers leur participation, d’infléchir le comportement des firmes dans un sens plus conforme aux droits de l’Homme.
Interrogés sur ces aspects problématiques, les époux Gates se contentaient de répondre qu’ils ne connaissent pas en détail les investissements de leur fondation et qu’ils faisaient bien attention à ne pas investir dans l’industrie du tabac (ICI). 
Malgré l’opinion d’administrateurs d’autres fondations, qui pensaient que si la fondation Bill Gates, avec son immense pouvoir, montrait l’exemple en refusant d’investir dans des sociétés non éthiques, cela aurait un impact très important sur ces sociétés, une porte-parole de la fondation Bill Gates expliquait, peu de temps après ces faits, qu’aucun changement ne surviendrait dans la politique d’investissement de la fondation.
Bill Gates avait néanmoins promis, en 2007, suite aux révélations des journalistes, de s’amender et d’être plus circonspect à l’avenir, concernant ses investissements. En dépit de quoi il a encore été épinglé en 2010 pour sa prise de participation dans la multinationale Monsanto (LA)  .

Un bilan « globalement positif » ?
Un autre aspect non moins important, est l’évaluation des conséquences de l’influence de la fondation Bill Gates sur les politiques de santé dans les pays pauvres.
Ainsi, les efforts pour diminuer la mortalité par des programmes de vaccination sont contrebalancés, outre les effets néfastes des investissements privés de la fondation Bill Gates, par la capacité de ces programmes à attirer le personnel médical et paramédical formé par des salaires alléchants (trois à quatre fois les salaires payés par les administrations). Dans ces pays où la densité médicale est très faible et les besoins sanitaires très importants, le fait de laisser ainsi dépourvues les institutions prenant en charge les soins primaires de manière globale, induit immédiatement une augmentation de la mortalité pour les maladies non couvertes par la vaccination, qui peut contrebalancer, voire surpasser, les bénéfices de celle-ci. C’est ce qui explique l’incapacité de plusieurs de ces programmes à réduire la mortalité globale des enfants, malgré des investissements importants.
Un aperçu des conséquences de ces politiques sélectives à courte vue est donné par l’exemple de cette femme, incitée à faire plusieurs heures de route, pour se rendre au centre mobile assurant la campagne de vaccination contre la rougeole avec son nourrisson chétif. Beaucoup de personnes des régions isolées d’Afrique subsaharienne peuvent ne pas voir de médecin pendant plusieurs années.
Elle aurait aimé poser des questions sur l’état de son enfant et le faire tester pour le SIDA. Mais, arrivée sur place, il lui est demandé de ne poser aucune question autre que concernant la vaccination, comme à tous les autres. Il n’est pas possible non plus d’effectuer des tests. Cela ralentirait le rythme de la campagne de vaccination et empêcherait d’atteindre les objectifs en matière de couverture vaccinale.
L’influence de cette politique sanitaire sélective est donc loin d’être univoque malgré les chiffres triomphalement affichés sur la réduction de la mortalité par la vaccination contre la rougeole qui ne sont que des estimations, calculant le nombre de vie sauvées en fonction du nombre de vaccins distribués. Une telle démarche prêterait à sourire en Occident. Mais on verra plus loin qu’il est très difficile, même pour un pays développé, de se faire une idée précise du nombre de cas de rougeole sur son territoire.
La majeure partie des dons de la fondation concernant les programmes de vaccination vont au GAVI. Le GAVI étant l’organisme, issu d’un partenariat public-privé et soutenu par la fondation Bill Gates, qui achète et distribue les vaccins pour les programmes de vaccination dans les pays en développement. En 2007, sur 1,8 milliards de dollars de dons destinés aux programmes de vaccination par la fondation Bill Gates, 1,5 avaient été octroyés au GAVI (LA). 
Pourtant, selon l’enquête du LA Times, la mortalité globale des enfants s’est plus souvent améliorée dans les pays qui ont reçu moins d’aides que la moyenne du GAVI .
Un professeur d’études urbaines de l’université de la ville de New York, disait qu’on ne peut pas affirmer que des vies ont été sauvées avant que les enfants grandissent. En effet, les causes de mortalité sont multiples en Afrique. Avec, en tête, particulièrement pour les enfants, la diarrhée et les infections respiratoires basses.
Les résultats globaux en matière de mortalité sont loin d’être à la hauteur des espérances et des investissements, en particulier en Afrique subsaharienne, où sur un territoire avec une population de 425 millions d’habitants, représentant un habitant sur sept de la planète, sont rassemblés le quart des naissances mais aussi la moitié des décès mondiaux des enfants de moins de cinq ans. Dans sept des pays qui ont reçu plus de fonds que la moyenne de la part du GAVI la mortalité des enfants a progressé.
Certains auteurs, comme ceux de cet institut nigérien, ont voulu évaluer l’impact des facteurs environnementaux, non infectieux comme ceux affectés par les sociétés financées par la fondation de Bill Gates, dans cette mortalité. Ils sont arrivés à la conclusion que l’on pouvait obtenir 70% de réduction de la mortalité en corrigeant ces facteurs. [Environmental Determinants of Child Mortality in Nigeria Mesike, Chukwunwike Godson, 2011 ICI]
Bien sûr cela ne peut pas se faire de manière magique, et d’autres ont, depuis longtemps, mesuré la part de la pauvreté et, notamment, de la malnutrition, dans la mortalité des enfants et l’évaluaient à plus de 50% sur l’ensemble des pays à faible revenu. Avec un rôle prépondérant de la malnutrition, y compris quand celle-ci était légère a modérée (LA). 
On comprend mieux dès lors pourquoi une maladie bénigne comme la rougeole peut provoquer un décès sur 10 000 dans des pays où les enfants sont bien nourris et où il existe des systèmes sanitaires accessibles et bien dotés et 100 voire jusqu’à 1000 fois plus de décès parmi les enfants des pays pauvres.
La carence en vitamine A jouant un rôle majeur dans la sévérité de l’infection due à  la rougeole et dans le développement d’une immunité suite au vaccin, lors des campagnes de vaccination, on distribue de la vitamine A aux enfants.

Bill Gates, une personne influente
L’influence de Bill Gates au sein de l’OMS est aussi patente.
Il y a quelques années, un mémorandum du directeur de projet de l’OMS sur le paludisme avait été rendu public et avait fait sensation dans la presse anglo-saxonne. Ce directeur avait fait une note interne à Margaret Chan, directrice de l’OMS, qui ne lui avait pas répondu pour lui faire part de sa préoccupation concernant l’influence croissante et néfaste de la fondation Bill Gates dans les plans de lutte contre les maladies les plus meurtrières dans les pays pauvres. Selon cet expert l’influence de la fondation faussait les priorités en matière de lutte contre ces maladies et empêchait le débat au sein de l’OMS et la compétition intellectuelle entre chercheurs attirés par l’argent proposé pour financer leurs recherches dans une sorte de cartel sous le contrôle de la fondation où celle-ci les maintenait enfermés (LA). 
Car tandis que les Etats se montrent de moins en moins exigeants sur l’allocation de leurs contributions, les contributeurs privés, avec, en tête, Bill Gates et sa fondation, dont le rôle croît de facto dans la détermination des priorités à travers les contributions volontaires à objet désigné, prétendent de plus en plus réduire le rôle organisateur et de coordination de l’OMS, et le ramener à un simple rôle normatif des politiques de santé mondiales dans une vision parcellaire de la santé. De fait, ces contributions privées, de par leur rigidité, tendent à empêcher toute révision des orientations des politiques sanitaires afin de les mettre en adéquation avec les besoins réels des pays en développement, comme cela a été noté lors d’une consultation préalable au vote du budget de l’OMS en 2010.
Cela aboutit à la diminution des crédits pour ce qui concerne les maladies non transmissibles, qui dominent pourtant de plus en plus les problématiques de santé mondiales, et pour les programmes ayant pour objet la santé maternelle et infantile (ICI .
Selon Paul Eisenberg, attaché de recherche à l’institut des politiques publiques de l’université de Georgestown, il risque d’y avoir d’autres milliardaires qui vont vouloir créer leur fondation. « Le danger pour notre démocratie-dit-il- c’est que nous allons avoir de plus en plus de ces méga-fondations dirigées par deux ou trois familles et qui vont dicter la manière dont les fonds doivent être dépensés… ».
Lorsqu’on observe le développement fulgurant de la fondation de Bill Gates, la manière dont le milliardaire essaye d’inciter les plus riches à donner pour ses « bonnes œuvres », on peut se demander si le risque ne serait pas plutôt de voir émerger sous peu une fondation en situation de monopole dans le domaine de la bienfaisance. Domaine  qui, comme nous l’avons vu, tend à empiéter sur les politiques mondiales en matière de santé (LA). 
Mais il n’y a pas de loi anti-trust dans le domaine de la bienfaisance.  Est-ce un hasard si Bill Gates a décidé de quitter la direction de Microsoft et de s’investir dans les œuvres caritatives lorsque plusieurs de ses partenaires en affaires l’ont assigné en justice  pour abus de position dominante ? (ICI
Le problème, en ce qui concerne Bill Gates, c’est que s’il croit, peut-être, en la possibilité de réduire les effets de la pauvreté par des moyens techniques sophistiqués et grâce à l’innovation, Il croit sans doute encore plus à l’ultra-libéralisme économique,  au rôle des multinationales et à la nécessité de leur laisser le champ libre pour engranger un maximum de bénéfices, même au détriment de l’éthique et des populations les plus pauvres.
Le problème c’est aussi que d’avoir le talent de s’enrichir à grande vitesse en investissant dans des secteurs à forte rentabilité au mépris du respect des droits de l’Homme ne le rend en rien légitime pour jouer un rôle majeur dans l’orientation des politiques sanitaires mondiales en s’asseyant sur la démocratie et en réduisant au silence ceux qui ne partagent pas son avis.
Interrogé sur ces sujets Bill Gates estimait que le rôle des philanthropes, même s’ils peuvent faire des erreurs, c’est de prendre des risques en matière de bienfaisance que les pouvoirs publics n’osent pas prendre.
Nous aurions envie de lui dire : «Très bien. Mais il y a un hic. C’est que les risques de vos idées « philanthropiques » et » innovantes » ce n’est pas vous qui les prenez. C’est aux populations que vous les faites prendre. Et surtout aux populations des pays pauvres ».
Poussé par les idées philanthropiques de Bill Gates, le GAVI   (LAest en train d’essayer de diffuser à grande échelle dans les pays pauvres les vaccins contre le pneumocoque et le HPV, des vaccins qui, contrairement aux vaccins pédiatriques de base distribués jusqu’à maintenant à ces pays, sont encore sous brevet exclusif des grandes multinationales pharmaceutiques. Ils sont donc beaucoup plus chers que les vaccins utilisés jusqu’à maintenant, car, par exemple, le vaccin contre la rougeole fabriqué par des petits laboratoires de pays en développement et des laboratoires publics ne coûtait en 2011 que quelques 0,24 euros par dose au GAVI.
Pour le vaccin contre le papillomavirus humain, le coût de la mise en oeuvre pour les pays pauvres et de sa généralisation resterait totalement prohibitif en relation avec les budgets  de santé de ces pays  même si on  divisait le prix du vaccin par plus de 20, comme le démontre une modélisation faite au Brésil avec un vaccin contre le papillomavirus à 5 dollars (au lieu d’environ 130 dollars). Cette modélisation était construite avec des hypothèses d’efficacité prenant pour argent comptant les allégations des firmes fabriquant le vaccin, donc excessivement favorables (LA). L’intérêt du vaccin contre le HPV dans les pays les plus pauvres, en Afrique subsaharienne, serait de toutes manières très limité, car bien que dans ces pays la prévalence du papillomavirus parmi les femmes soit importante, l’espérance de vie est faible, souvent inférieure à 50 ans. Les femmes ont de grandes chances de mourir des conséquences de la pauvreté avant d’avoir le temps de développer un cancer du col.
Pour le vaccin contre le pneumocoque, il s’agit du Synflorix, un vaccin fabriqué par GSK que celui-ci compte vendre à raison de 300 millions de doses au GAVI. GSK se vante d’avoir accepté de réduire le prix de 90% pour les pays en développement. Mais le prix étant d’environ 45 dollars dans les pays développés, cela veut dire qu’il serait de 4,5 dollars pour le GAVI soit 18 fois plus cher que le vaccin contre la rougeole.
Et ce n’est pas là le plus important. Ce vaccin contre le pneumocoque ne contient que 10 sérotypes. Il a été testé cliniquement à partir du milieu des années 2000. Il ne comporte donc pas le sérotype 19 A, qui a été la cause d’une augmentation des cas d’infection grave à pneumocoque en France, par exemple. Les effets délétères étant démultipliés dans les pays pauvres, le Synflorix pourrait y provoquer une catastrophe sanitaire sans précédent.
Les pays pauvres sont ils la poubelle des laboratoires pharmaceutiques ?
Dans quelle mesure tout ceci nous concerne-t-il, pourriez vous dire ?
Dans la mesure où les politiques vaccinales de notre pays sont aussi très largement déterminées par l’OMS. Et que c’est derrière son autorité que nos institutions sanitaires se sont abritées pour appeler à la vaccination généralisée contre le virus grippal H1N1 pandémique. Comme c’est derrière son autorité qu’elles s’abritent pour appeler à la vaccination généralisée contre la rougeole dans une perspective d’élimination.


TROISIEME PARTIE : PROBLEMATIQUE ET PERSPECTIVES

De l’éradication à l’élimination, un choix discutable

Après que le PAHO (Agence Panaméricaine pour la Santé,  agence régionale de l’OMS pour le continent américain) eut officiellement annoncé avoir atteint sur le continent américain l’objectif d’élimination de la rougeole, en 2002,  le Groupe spécial International pour l’éradication des maladies s’est réuni au Centre Carter (une fondation privée du nom de l’ancien président américain) et a déclaré la faisabilité de l’éradication mondiale de la rougeole (ICI .
Dès lors, sous l’égide de l’OMS,  divers plans nationaux d’élimination ont été lancés, l’OMS fixant dans le même temps des échéances pour l’éradication mondiale de la rougeole, sans cesse reportées. Ces échéances ont été fixées successivement à 2007, à 2010, puis 2015 (LA
Mais en 2009, l’OMS a semblé prendre acte du caractère illusoire du projet d’éradication de la rougeole, alors que  la moitié des pays d’Afrique subsaharienne ont des taux de couverture vaccinale oscillant entre 40 et 80% malgré des programmes de vaccination récurrents depuis une trentaine d’années. En même temps l’institution prend acte des effets néfastes des programmes de vaccination sur les systèmes de santé locaux (ICI). 
Il semblerait qu’entre 2009 et 2010 il  y ait eu une période de flottement à l’OMS, où l’on a envisagé d’abandonner les tentatives d’éradication pour se borner à un contrôle de la maladie, moins contraignant et laissant plus de latitude pour aborder les problématiques de santé publique des pays pauvres de manière globale. Finalement, il a été décidé de poursuivre les politiques d’élimination dans les grandes régions de l’OMS.
L’élimination de la rougeole constitue un objectif à la fois ambitieux et contraignant, mobilisant de gros moyens, car elle nécessite, d’après l’OMS, à la fois d’atteindre puis de maintenir la couverture vaccinale à des niveaux très élevés, 95% pour la première dose à 24 mois, et 80% pour la deuxième, et de mettre en place un système élaboré de surveillance des cas (LA)

Pour que l’objectif d’élimination de la rougeole soit atteint dans une aire géographique il faut :

1)  Atteindre un taux d’incidence de la rougeole inférieur à un cas confirmé par million d'habitants par an en excluant les cas confirmés importés
2 ) Atteindre un pourcentage de personnes réceptives au virus de la rougeole inférieur à
15% chez les 1-4 ans, inférieur à 10% chez les 5-9 ans, inférieur à 5% entre 10 et 14 ans
et inférieur à 5% dans chaque cohorte annuelle d’âge au-delà de 15 ans

Pour évaluer si de tels objectifs sont atteints, il faut organiser et entretenir des systèmes de surveillance performants et consommateurs de moyens.

Et nous voyons déjà que pour que ces objectifs soient atteints et maintenus de manière pérenne, il ne faut pas seulement une couverture vaccinale très élevée, mais qu’il faut aussi que le vaccin, dont les deux doses sont majoritairement administrées en France entre 9 et 24 mois, assure une protection contre la maladie à vie.

Vaccination  et résurgence de la rougeole en France, mais pas seulement en France

En France la vaccination contre la rougeole a été introduite dans le calendrier vaccinal en 1983, vingt ans après l’apparition des premiers vaccins aux Etats Unis.
En 1987, le vaccin monovalent contre la rougeole a été remplacé par le vaccin trivalent contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Puis en 1996 a été introduite une deuxième dose du vaccin trivalent à 11-13 ans, qui a été rapidement rapprochée de la première dose entre 3 et 6 ans. En 2005, à la faveur de la campagne mondiale d’éradication de la rougeole promue par l’OMS,  traduite en Europe par le Plan stratégique d’élimination de la rougeole et de la rubéole 2005-2010 (ICI)   (tableau en annexe 3 p 26) , cette deuxième dose était désormais recommandée entre 13 et 24 mois, donc très proche de la première dose, ce qui constitue une quasi exclusivité française, les seuls autres pays européens, sur 52 états membres,  qui recommandent la deuxième dose avant deux ans sont Monaco, la Suisse  l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque.
Les campagnes de vaccination ont permis une réduction rapide du nombre de cas estimés de rougeole en France, comme cela avait été le cas dans d’autres pays auparavant.


Extrait de : Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS, 2009 (source réseau Sentinelle)

Une augmentation progressive  mais continue de la couverture vaccinale a eu lieu.
Ainsi, la couverture pour une dose à deux ans était de 87,5% en 2004 et de 90,1%  en 2007.
La couverture pour deux doses des élèves de  CM2 est passée de 56,8% en 2001-2002 à 74,2% en 2004-2005
Malgré l’augmentation de la couverture vaccinale, n’atteignant pas, toutefois le fameux seuil de 95% de couverture pour la première dose fixé par l’OMS, une flambée de rougeole a été observée en France.

Des flambées épidémiques qui n’ont rien d’exceptionnel, même dans des pays à forte couverture vaccinale
Ce type de flambée avait été déjà observé dans de nombreux pays ayant débuté la vaccination plus tôt que la France comme le Canada en 1985, ou les Etats Unis en 1989-1990, années pendant lesquelles plus de 50 000 cas avaient été notifiés. Mais il était aussi courant que surviennent des petites épidémies et, aux Etats Unis, entre 1985 et 1986,  plus de 20 ans après l’introduction du vaccin, l’épidémiologiste L. Markowitz avait recensé 152 épidémies ou cas groupés concernant de 5 à 954 individus chacune [Patterns of Transmission in Measles Outbreaks in the United States, 1985–1986 NEJ 1989]
En Europe, la récente résurgence n’est pas particulière à la France. Elle est retrouvée dans 40 pays européens sur 52 y compris des pays comme l’Espagne, la Roumanie,  la Finlande qui ont une couverture vaccinale élevée de l’ordre de 95% ou au-delà pour la première dose (ICI) .
Cette flambée épidémique succédait à une autre en Europe, entre 2006 et 2007, concernant 32 pays et pour laquelle plus de 12 000 cas biologiquement confirmés de rougeole avaient été comptabilisés dans le cadre d’une étude danoise, principalement en Allemagne, Grande Bretagne, Roumanie, Suisse et Italie (LA). 
En France, cette flambée  a commencé en 2008 et à cette période il y avait des cas plus nombreux en Allemagne , en Italie, au Royaume Uni et en Suisse, qu’en France qui en déclarait 604 cette année là sur un total de 7822.  La Suisse, avec un nombre 8 fois inférieur  d’habitants par rapport à la France, représentait alors 27% des cas (2062 cas répertoriés) (ICI (tableau p 437)
En septembre 2011, toutefois, la France déclarait quelques 17 900 cas à savoir plus de la moitié des 26 000 cas européens (LA) .

Surestimation de la sévérité de l’épidémie de rougeole en France
Il est nécessaire de préciser, que, parmi les cas déclarés pris en compte et étudiés en tant que cas de rougeole, c'est-à-dire 17 960 cas,  seulement 3835 ont été confirmés biologiquement.  Ceux-ci correspondaient à 53% des cas pour lesquels on disposait d’informations complètes, .
Il était en même temps admis qu’il y avait une sous-déclaration de l’ordre de 50%, mais cette estimation était assez imprécise.
Tandis que le pourcentage des personnes hospitalisées (3956 soit 22% du total des cas déclarés)  était présenté comme particulièrement représentatif de la supposée sévérité de la rougeole, en réalité seulement 30,8% de ces personnes avaient été hospitalisées pour des complications dues à la rougeole. Les autres avaient été hospitalisées pour leur jeune âge ou en raison de leur mauvais état de santé. Dans le cas de l’épidémie observée en Grande Bretagne en 1963, avant l’introduction du vaccin, 81% des personnes hospitalisées l’avaient été en raison de complications. Cette hospitalisation de précaution peut expliquer en partie le taux important d’hospitalisation par rapport aux cas déclarés.
Contrairement à ce qui survient dans une épidémie classique, l’âge était plutôt élevé, 50% des cas ayant plus de 15 ans. On se souvient que lors de l’épidémie décrite plus haut en Grande Bretagne, pendant l’ère pré-vaccinale, seulement 3% des cas avaient plus de 10 ans.  
Parmi les 10 décès répertoriés, tous avaient plus de 10 ans. Sept des personnes décédées présentaient un déficit immunitaire soit congénital, pour une personne, soit acquis pour six autres.
L’évaluation du statut vaccinal a été faite sur une petite fraction des cas, c'est-à-dire sur 2655 alors que les nourrissons de moins de un an, ne devant à priori pas être vaccinés à cet âge, représentaient 1251 cas.
L’INVS note aussi que, dans les groupes plus âgés, la proportion des cas vaccinés atteint 30%, alors qu’ elle est estimée pour l’ensemble des cas à 15%. Mais elle n’en tire pas la conclusion que la vaccination devient inefficace avec le temps.
Aucune tentative d’évaluation du nombre de cas de rougeole inapparente n’a été faite.
On peut tirer la conclusion que, malgré les efforts fournis par l’INVS pour préciser les chiffres, l’estimation du nombre de cas reste extraordinairement imprécise, même s’il est probable qu’il s’agit de plusieurs dizaines de milliers de cas, en particulier si l’on tient compte des cas de rougeole inapparente. La proportion des personnes hospitalisées, mise sans cesse en avant, ne peut certainement pas être considérée comme un indicateur de sévérité, dès lors qu’on ne connaît pas le nombre total des cas, et que la plupart des personnes ont été hospitalisées à titre de précaution, en raison de leur fragilité propre, et non en raison de la gravité de la rougeole (ICI).
Un total de 146 cas étaient des cas importés. Ce qui montre qu’avoir un taux de couverture vaccinale élevée et interrompre la circulation virale ne serait pas suffisant, dans le pays le plus touristique au monde, pour garantir l’absence d’épidémies.
Il faudrait aussi que la proportion de la population ayant des concentrations protectrices en anticorps, reste à un niveau très élevé.
Hors vaccination, la proportion des adultes protégés par des anticorps dans des pays où le virus circule est de l’ordre de 99%.


IDEES FAUSSES SUR LA VACCINATION CONTRE LA ROUGEOLE

Un certain nombre d’idées sont ressassées par les institutions nationales et internationales de santé, retrouvées à l’identique dans tous les documents officiels. Certaines de ces idées ne reposent néanmoins sur aucune étude solide, voire sont démenties par de nombreuses études.

Idée reçue : le phénomène de la lune de miel comme unique explication aux épidémies de rougeole dans les populations vaccinées

Le phénomène de résurgence s’expliquerait uniquement par une insuffisance de couverture vaccinale. On nous explique que lorsqu’une population n’atteint pas les valeurs seuils de couverture vaccinale définies par l’OMS d’après une modélisation  mathématique en tenant compte de la contagiosité de la rougeole (un individu présentant la maladie en contamine 15 à 20 en moyenne), 95% pour la première dose et 80% pour la deuxième, il se produit un phénomène appelé lune de miel. Celui-ci consiste en ce qu’une couverture vaccinale élevée mais insuffisante occulte, pendant quelques années, le fait qu’il existe des individus susceptibles, c'est-à-dire non protégés par des anticorps, qui peuvent contracter la rougeole. Le nombre global de ces personnes n’est initialement pas assez important pour provoquer des épidémies importantes.  Pendant la période de lune de miel on assiste à une diminution progressive du nombre de cas de rougeole, et on a donc l’impression que la rougeole est en passe d’être éliminée du territoire.
 Mais lorsque, avec le temps, et l’arrivée de nouvelles cohortes de nourrissons qui ne sont pas suffisamment vaccinés, le nombre d’individus non protégés par des anticorps ou susceptibles (non vaccinés et qui n’ont pas eu la rougeole) s’accroît et atteint un seuil critique, on assiste alors à la résurgence de la rougeole sous forme d’épidémies plus ou moins importantes.
Il nous est expliqué qu’une première dose de vaccin confère une protection immunitaire à la plupart des sujets vaccinés. Une moyenne de 90 à 95% de nourrissons protégés par une première dose dans les pays développés est évoquée, mais nous avons vu que ce pourcentage présente une grande variabilité selon l’âge du nourrisson et le statut vaccinal de la mère.
Bien que cette protection soit présentée dans tous les sites officiels  comme se prolongeant indéfiniment (ICI), la proportion d’individus protégés par une première dose serait insuffisante car 5 à 10% des nourrissons n’ayant pas « pris » le vaccin, s’ajoutant aux 5% (en cas de couverture à 95%) de nourrissons non vaccinés, constitueraient, leur nombre  augmentant au cours des années, une proportion suffisante de sujets susceptibles pour provoquer de nouvelles flambées épidémiques.
Ce serait la raison pour laquelle une deuxième dose de vaccin a été introduite. Celle-ci n’est pas présentée comme un rappel (il n’y a pas d’effet rappel possible en présence d’anticorps contre la rougeole) mais comme une deuxième chance d’immunisations pour les 5 à 10% de sujets qui n’ont pas été immunisés par une première dose.
Cette deuxième dose a été introduite en 1990 aux Etats Unis et en 1996 en France.

…mais que nous disent les études ?

Peut-être la plus probante de ces études à nos yeux, la plus complète en tous cas, est une étude chinoise menée par Daï et coll  dans la province de Zhejiang, une province isolée de la Chine pendant 15 ans entre 1973 et 1988 (ICI)
Un aparté pour remarquer que des études de la qualité de celle que nous allons présenter n’existent simplement plus dans le paysage éditorial de l’édition scientifique. Les études publiées sont de plus en plus courtes, d’une durée qui ne dépasse souvent pas quelques semaines, comportent un nombre limité de sujets, quelques dizaines voire moins,  rendant toute interprétation statistique aventureuse, sont souvent grevées par des défauts méthodologiques et par une interprétation tendancieuse des résultats obtenus  qu’on peut fréquemment  attribuer à l’existence de conflits d’intérêts chez les auteurs, de plus en plus souvent financés par des fonds privés. Ces études n’apportent simplement rien à nos connaissances sur les sujets qu’elles abordent, mais noient les quelques études de bonne qualité et génèrent la confusion sur des sujets d’intérêt pour la mise en œuvre des politiques sanitaires.
L’étude de Daï et coll a suivi quelques 3233 enfants, dont 2882 ont pu être suivis pendant la totalité de la durée de l’étude, c'est-à-dire pendant 15 ans. Seuls les résultats obtenus pour ces 2882 enfants ont été pris en considération dans les conclusions
Le vaccin contre la rougeole a été introduit en Chine dès 1965. La motivation de l’étude était de comprendre les raisons de la recrudescence des cas de rougeole en Chine  survenue après une baisse rapide des cas dans un premier temps par suite des grandes campagnes de vaccination. Des cas de rougeole étaient de plus en plus souvent observés, même chez des enfants vaccinés.
Pour s’assurer que la rougeole était contrôlée dans la province, 300 000 enfants de moins de 15 ans ont d’abord été vaccinés en 1 mois en 1973 contre la rougeole, sans tenir compte de leur statut vaccinal. Le taux de couverture et de séroconversion parmi ces enfants était alors supérieur à 95%. Cela a permis de maintenir une incidence très faible de la rougeole dans la province, de l’ordre de 1 pour 100 000, pendant les douze premières années de l’étude.
Quatre souches vaccinales étaient utilisées, dont deux chinoises et deux étrangères. Elles étaient administrées sous forme d’aérosol ou par voie sous-cutanée. Parmi les deux souches étrangères se trouvait la souche Schwartz, originaire des Etats Unis, et utilisée dans le vaccin Priorix de GSK et dans le vaccin Rouvax de Sanofi-Pasteur MSD.
Un examen sérologique des enfants participant à l’étude a été effectué  à un rythme annuel, utilisant la méthode d’inhibition de l’hémagglutination. Bien que peu précise pour les faibles concentrations en anticorps, cette mesure permettait de savoir comment évoluaient les anticorps dans les situations suivantes :
·       une seule dose de vaccin et absence de contact avec le virus de la rougeole,
·        évolution des anticorps après une deuxième dose de vaccin et en fonction de l’âge où on administrait cette deuxième dose,
·       infection par le virus sauvage de la rougeole chez des enfants vaccinés
·       relation entre le taux d’anticorps et le risque d’infection apparente par le virus de la rougeole
Les résultats de cette étude sont très intéressants, et ont été corroborés par de nombreuses études, moins importantes, effectuées ultérieurement.

Premièrement, il a été montré que quel que soit le mode du premier contact avec le virus de la rougeole, vaccin ou infection,  la concentration des anticorps (GMT ou moyenne géométrique) dans le sérum, après s’être élevée très rapidement le premier mois, va décroître, très rapidement aussi, pendant la première année, puis un peu plus lentement pendant quatre ans, et puis va décroître très progressivement. La proportion d’enfants devenant séronégatifs, c'est-à-dire n’ayant plus d’anticorps détectables croissant au cours du temps. Par exemple la proportion d’enfants séronégatifs au bout de 15 ans était de 15,4% chez 39 enfants vaccinés entre 8 et 12 mois par 0,5 ml de vaccin contenant la souche Schwartz (contre 9,7% des 62 enfants vaccinés  entre 13 et 16 mois). Pour 27 enfants ayant contracté la rougeole naturellement à différents âges, 14,8% d’entre eux seront devenus séronégatifs au bout de 15 ans.
Cette constatation est confirmée par plusieurs autres études, notamment celle de Davidkin et coll en Finlande, publiée en 2008 dans le « Journal of infectious diseases ». La Finlande est le premier pays à avoir documenté l’élimination de la rougeole sur son territoire en 1997 et cela a permis d’effectuer des études sur l’évolution du taux d’anticorps en l’absence de circulation virale. Davidkin, dosant les anticorps d’enfants vaccinés 8 ans et 15 ans après la vaccination, arrive donc à la conclusion que la concentration des anticorps décroît rapidement pendant les 8 premières années, puis plus lentement pendant les années suivantes. Au bout de 20 ans la concentration est en moyenne le tiers du titre initial. Et 13% des individus ont un titre d’anticorps contre la rougeole « équivoque », donc pas forcément protecteur (LA). 
Mossong, en 1999, a estimé qu’en l’absence de circulation du virus la durée de l’immunité induite par le vaccin était en moyenne de 25 ans (ICI)

Deuxièmement :  il n’y a pas d’effet de rappel d’une deuxième dose de vaccin, quel que soit le temps écoulé après une première dose (2-3 ans, 5-7 ans, 10-11 ans). Le taux d’anticorps atteint après une deuxième dose est environ 10 fois inférieur, en moyenne,  à celui obtenu après une première dose. La proportion d’individus qui deviennent séronégatifs quelques années après la deuxième dose est d’autant plus importante que les taux initiaux d’anticorps étaient faibles. Par exemple, 76% des 25 enfants revaccinés 2 à 3 ans après une première dose et qui avaient des titres d’anticorps inférieurs à 2 sont devenus séronégatifs 8 ans plus tard.
En revanche, pour des taux d’anticorps équivalents, le risque de devenir séronégatif est d’autant plus grand que la deuxième dose est proche de la première. Par exemple, 46,7% (28) des 60 enfants revaccinés 2-3 ans après la première dose ayant une moyenne géométrique d’anticorps à 2, sont devenus séronégatifs huit ans plus tard,  mais seulement 14,7% (4) des 27 enfants ayant la même moyenne géométrique mais vaccinés 5-7 ans après la première dose. D’où l’on peut conclure que plus on rapproche les doses, plus la concentration en anticorps diminue rapidement.
Au total, l’auteur conclut que la deuxième dose ne prolonge pas la durée de l’immunisation.

Troisièmement :  l’infection naturelle par le virus sauvage, qu’elle soit cliniquement apparente (symptômes visibles) ou cliniquement inapparente (sans symptômes visibles) provoque une élévation plus importante et plus durable des anticorps qu’une deuxième dose de vaccin, et la réduction du taux d’anticorps se fait alors plus progressivement dans le temps. Autrement dit la personne vaccinée puis infectée par le virus sauvage  est immunisée plus durablement que celle qui reçoit une deuxième dose de vaccin. Un article publié par Erdman dans le Journal of Medical Virology en 1993 va même plus loin et affirme que chez des enfants vaccinés, une deuxième dose n’a aucune efficacité pour augmenter la concentration des anticorps de type IgM, alors qu’une infection rougeoleuse a une forte efficacité (96%), signant la relance de l’immunité spécifique (LA). 

Quatrièmement : le risque de contracter une infection et la sévérité de l’infection sont inversement proportionnels au titre d’anticorps. Ainsi sur 333 enfants ayant été exposés au virus sauvage pendant la durée de l’étude, en particulier en 1985, 78 d’entre eux, qui n’avaient pas d’anticorps détectables, ont présenté une infection attestée par une séroconversion. Parmi ces 78, 74 on présenté une infection cliniquement inapparente et 4 ont présenté une rougeole.
D’autres études établissent une corrélation entre le taux d’anticorps et le risque d’une infection cliniquement apparente. Une étude effectuée par Chen et coll aux Etats Unis et publiée en 1990 dans une collectivité où un don de sang avait eu lieu avant une flambée épidémique, avait montré que 8 sur 9 individus ayant un taux d’anticorps inférieur à 120 ont contracté une rougeole cliniquement apparente, cliniquement ou  biologiquement (7/8) confirmée.  Mais aucun des 71 sujets qui avaient un titre d’anticorps supérieur. Pour des titres d’anticorps intermédiaires 7 sur 11 donneurs de sang ont présenté une séroconversion sans symptômes cliniques. Pour les titres d’anticorps les plus élevés il n’y pas eu de séroconvesion. Cette étude montre que les personnes présentant un titre d’anticorps inférieur à 120 ont bien un risque de rougeole cliniquement apparente, et éventuellement de complications (ICI). 

Importance de la non élimination du virus et des rougeoles inapparentes pour le maintien d’un taux élevé de protection dans la population.

On remarque, dans l’étude de DaÎ en Chine, qu’un grand nombre d’enfants, parmi les enfants ayant été en contact avec des cas de rougeole et ayant des titres d’anticorps très bas, ont pu contracter une infection qui serait passée inaperçue si l’on n’avait pas réalisé une sérologie. De fait, plusieurs études sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle les infections inapparentes permettent de maintenir une protection chez une très grande proportion de la population tant que  le virus de la rougeole circule (LA et encore LA)
L’hypothèse a même été évoquée que les formes inapparentes de la rougeole, en maintenant un taux élevé d’immunisation dans une population vaccinée, pouvaient entraîner une surestimation de l’efficacité du vaccin (on attribue  au vaccin une séroprotection qui est en réalité due aux infection inapparentes dues à une persistance de al circulation du virus) (ICI).   Une étude effectuée au début des années 90 dans un hôpital parisien montrait que sur 117 enfants parisiens non vaccinés 102 avaient des anticorps alors que seulement 42 avaient présenté une histoire clinique de rougeole diagnostiquée (contre deux dans le groupe des 133 enfants vaccinés) (LA). 

Le paradoxe de la vaccination contre la rougeole

La diminution progressive des anticorps peut donc expliquer le paradoxe de la vaccination de masse contre la rougeole. C’est à dire le fait que plus on vaccine massivement et plus il existe d’individus susceptibles dans une population comme l’ont montré les enquêtes séroépidémiologiques réalisées par le réseau Sentinelle de l’INSERM en 1998 et en 2009-10 chez plus de 2000 sujets âgés de 6 à 49 ans. Cette enquête a montré que la proportion des individus susceptibles, c'est-à-dire non protégés par des anticorps, augmentait à 10 années d’intervalle de 1 à 2% dans toutes les tranches d’âge, sauf chez les enfants de 6 à 9 ans (ICIdiapositive 6)  
D’autres études de séroprévalence faites dans différents pays européens grâce à des banques de sérum, montrent que une très haute  couverture vaccinale ne signifie pas nécessairement que la population est protégée. Un pays comme la Lettonie  qui a débuté la vaccination contre la rougeole très tôt, fin des années 60 et qui a un taux de couverture vaccinale élevée, de 97%,  a aussi la plus importante proportion de sa population (jusqu’à 40% selon les tranches d’âge)  qui n’est pas protégée par des anticorps (LA). 

L’idée qui se dessine, compte tenu de ces différentes études, est que la circulation naturelle du virus n’a pas que des inconvénients. Car contrairement à ce qui est soutenu dans les documents et discours officiels ni la rougeole, et encore moins le vaccin, ne procurent une protection définitive contre de futures infections.
De ce point de vue, les épidémies chez les enfants auraient l’intérêt de relancer l’immunité dans les autres groupes d’âge, en provoquant  des infections légères ou inapparentes chez des adolescents ou adultes ayant déjà contracté la rougeole, et d’éviter ainsi que des cas sévères apparaissent chez des individus plus âgés. D’autre part, cette circulation permet d’assurer la transmission de concentrations élevées d’anticorps maternels aux nourrissons. Ces concentrations élevées d’anticorps leur permettent d’atteindre sans danger, des âges où la rougeole devient bénigne pour l’écrasante majorité des enfants en bonne santé.

C’est pourquoi certains auteurs, notamment nordiques, s’inquiètent du risque  que l’interruption durable de la circulation du virus puisse laisser sans protection une proportion croissante de la population adulte et de très jeunes nourrissons qui ne peuvent pas être vaccinés (LA et ICI). 

Ce problème est particulièrement flagrant en Afrique, où, pour des multiples raisons, les anticorps transmis par les mères vaccinées sont à des concentrations plus  faibles que dans les pays occidentaux. Les nourrissons se retrouvent donc très tôt sans aucune protection.
D’autre part, dans une étude datant de 2008, l’auteur, Davidkin,  constate : «  Actuellement, 40% des Finlandais ne peuvent compter que sur la protection induite par le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole » (LA). 
Le problème est également que la partie de la population que le vaccin laisse sans protection est la partie la plus à risque, à savoir, les jeunes nourrissons, les personnes immunodéprimées, mais aussi les adultes, chez qui les anticorps tendent à décliner et pour qui il n’y a pas de rappel possible. Et que, parmi ces adultes, il y a plus de personnes à risque de complication de la rougeole.

Le problème du coût des programmes de vaccination visant à l’élimination

Ce coût est très loin de se limiter à celui des doses de vaccin. Car pour évaluer l’efficacité du programme de vaccination, il faut mettre en place un système de surveillance complexe. Avant la vaccination la maladie était très peu suivie.
Il faut également financer les campagnes en faveur de la vaccination.
Pour les pays pauvres, il existe un coût sanitaire indirect important, dü à la désorganisation des services sanitaires.
Mais concernant le coût du vaccin en lui-même, le précédent de ce qui s’est passé et se passe encore pour les pays pauvres est plein d’enseignements. Entre le début des années 2000 et 2010 le prix du vaccin rougeoleux a doublé pour les organismes chargés de les acheter pour les programmes de vaccination dans les pays pauvres. Le prix de la dose de vaccin est passé  de 0,12 dollars à 0,24. Ce phénomène était dû à la diminution du nombre de fabricants et au défaut de concurrence.
En France, nous avons déjà le privilège en tant que pays producteur de vaccins, d’être parmi ceux qui les payent le plus cher au monde, l’Etat limitant volontairement la concurrence en autorisant peu de vaccins de chaque type à accéder au marché.
L’évaluation des coûts devrait donc prendre en compte les risques afférents à une totale dépendance vis-à-vis du vaccin et donc des laboratoires fabricants.

Autres idées fausses concernant les effets indésirables : lien entre vaccin trivalent et autisme

Nous devons évoquer ici les allégations d’association entre autisme et vaccin contre la rougeole soutenues par le  Dr Wakefield en Grande Bretagne. Il s’agit d’un chirurgien anglais, spécialisé en chirurgie gastro-intestinale.
En 1998, avec un certain nombre de ses collègues, ce chirurgien a publié une étude dans « The Lancet » une fameuse revue médicale anglaise, portant sur 12 enfants. Cette étude a été présentée comme ayant établi un lien entre autisme et vaccin trivalent (LA). 
Mais l’objet lui-même de cette étude, est déjà un sujet de controverse.
Initialement, un ensemble de médecins anglais appartenant au groupe de recherche sur les maladies intestinales inflammatoires au Royal Free Hospital à Londres, avaient soumis un protocole de recherche au Comité d’Ethique anglais portant sur la recherche d’un lien entre les vaccins monovalents contre la rougeole et contre la rubéole et le trouble désintégratif de l’enfance, un syndrome très rare, évalué à deux cas pour 100 000 naissances par Orphanet,   pouvant être associé à une maladie inflammatoire intestinale spécifique.
Le Comité d’éthique n’avait pas donné son accord pour cette étude. La collecte des cas s’était néanmoins poursuivie sans que l’on sache bien si cela entrait tout de même dans le cadre d’une recherche ou bien dans le cadre du suivi hospitalier courant de certains patients. Il n’a pas été demandé aux parents de signer un consentement éclairé. Les enfants présentés dans le cadre de l’article du Lancet ont été soumis à des explorations très nombreuses et lourdes incluant coloscopie et ponction lombaire.
Ces 12 enfants avaient généralement été vaccinés plusieurs années auparavant. La relation temporelle avec les troubles du comportement pouvant être évocateurs d’autisme, point central des conclusions et des interprétations faites ultérieurement par A Wakefield, était établie sur la seule foi des déclarations des parents.
La totalité des enfants n’étaient pas diagnostiqués autistes d’après l’article du Lancet. Neuf auraient été autistes, un aurait présenté une « psychose désintégrative », et deux une encéphalite qualifiée de post virale ou post vaccinale.
Les critiques factuelles de l’approche ont été résumées par Brian Deer, journaliste, dans un article publié dans le British Medical Journal intitulé « how the case aigainst the MMR was fixed », publié en janvier 2011 (ICI). 


Brian Deer arrive à la conclusion, après enquête détaillée et analyse de nombreux documents que :
·       Neuf seulement sur 12 des enfants étaient autistes
·       Cinq des enfants présentaient des anomalies développementales, signalées par les parents ou les médecins, avant la vaccination
·       Certains enfants, pour lesquels l’étude rapporte une apparition des symptômes quelques jours après la vaccination, avaient en réalité présenté les premier symptômes plusieurs mois après la vaccination
·       Dans neuf cas, des anomalies histologiques minimes constatées sur les prélèvements effectués au niveau du tube digestif, ont été requalifiées pour la publication finale en colite non spécifique
·       11 parents accusaient ouvertement le vaccin rougeole oreillons rubéole d’être responsable des troubles de leur enfant.
De plus, les parents de l’étude avaient souvent été orientés vers les membres du groupe de recherche par des adhérents d’associations anti-vaccinalistes.
En outre, fait jetant une suspicion majeure sur l’ensemble de la recherche, A Wakefield avait été,   contacté , embauché en 1996 et grassement rémunéré, (plusieurs centaines de milliers de livres) par un avocat spécialisé dans les affaires concernant les victimes de préjudices d’ actes médicaux, Richard Barr, également président d’une société d’homéopathie. Celui-ci avait enclenché une action en justice pour le compte de certains parents, mettant en cause le vaccin trivalent dans la survenue des troubles autistiques de leur enfant.
Les troubles autistiques sont à la fois beaucoup plus fréquents et vagues que les troubles désintégratifs puisque ce qu’on appelle les troubles du spectre autistique ont une fréquence estimée à 1 cas sur 150 naissances, et ont des étiologies (causes) et des présentations extrêmement variables, leur principale caractéristique commune étant les troubles de la communication. Ils sont également très difficiles à diagnostiquer et on utilise en général des évaluations fondées sur des scores à des échelles d’évaluation spécifiques. Le diagnostic est donc probabiliste et il est souvent très difficile d’établir le moment où les symptômes ont débuté.
Donc d’un côté un projet de recherche présenté au comité d’éthique comme ayant pour but de comprendre la relation entre certains vaccins monovalents (rougeole, rubéole) et un trouble rare, le syndrome désintégratif, sans lien d’intérêt déclaré. De l’autre des conclusions d’une étude sur une petite série d’enfants dans laquelle pratiquement tous les points menant aux conclusions (diagnostic d’autisme, moment des premiers troubles du développement)  sont entachés  de fraude ou pour le moins sujets à interprétation et où l’investigateur principal a des conflits d’intérêts majeurs car il est impliqué dans un litige en cours devant la justice.
Tous les éléments de la recherche eussent-ils été limpides qu’une aussi petite série d’enfants, sélectionnés, qui plus est, sur des critères  discutables, n’eut en aucun cas permis d’établir un lien statistique entre vaccin et une quelconque maladie. Cela aurait pu être une première étape, mais cela aurait nécessité des études suffisamment importantes et rigoureuses pour établir une relation entre vaccin et une augmentation des cas d’autisme (clairement définis).
Toutes les études épidémiologiques effectuées, y compris dans les pays nordiques, ont démenti ce lien. En particulier une étude danoise publiée en 2002 dans le New England Medical Journal portant sur plus de 500 000 enfants nés entre 1991 et 1998 dont 82% avaient été vaccinés. Compte tenu des 738 enfants  ayant un diagnostic d’autisme ou de troubles du spectre autistique le risque d’être diagnostiqué autistes, pour ceux vaccinés, semblait-être statistiquement légèrement moindre que pour ceux non vaccinés (LA). 
Car c’est là question, en somme, et ce qui était sous-jacent à tout le débat : savoir si le vaccin augmente le risque de devenir autistes pour les enfants.
Rappelons, à ce sujet, que les systèmes nordiques, finlandais et suédois, ont permis de faire émerger un lien statistique entre une maladie et un vaccin, pour une affection autrement plus rare que les troubles du spectre autistique. Je parle du lien entre Pandemrix et narcolepsie.
Cette affaire a pourtant donné lieu à la plus longue procédure disciplinaire jamais vue en Grande Bretagne et au plus important débat concernant la vaccination dans le monde anglo-saxon.
Cela a surtout provoqué une polarisation des opinions et des débats et empêché toute autre position, plus constructive et plus étayée, d’émerger.

Les points importants :

Nous avons ainsi appris que :
  1. La rougeole est une maladie bénigne pour l’écrasante majorité des personnes bien nourries et en bonne santé
  2. L’efficacité du vaccin varie, selon l’âge, le terrain (pathologies ou traitements, état nutritionnel), la situation géographique
  3. L’immunité vaccinale, mesurée par les anticorps de type IgG spécifiques est limitée dans le temps, même si elle est prolongée. Certaines estimations (Mossong) basées sur une modélisation mathématique l’évaluent à 25 ans en moyenne.
  4. L’interruption de la circulation du virus de la rougeole, en cas de poursuite du plan d’élimination, laisserait une part de plus en plus importante de la population sans protection
  5. La vaccination a fortement diminué les cas de rougeole en France, mais a déplacé l’âge de survenue de la rougeole en cas d’épidémie vers des âges où celle-ci peut être plus sévère et où le vaccin est ou devient inefficace
  6.  Il n’y a pas de possibilité de faire de rappel, l’efficacité du vaccin étant alors très limitée et transitoire
  7. L’infection par la rougeole peut, en revanche, procurer une protection prolongée chez un individu vacciné et dans le cas d’un individu vacciné cette infection se manifeste généralement par une rougeole inapparente, donc asymptomatique, tant que les anticorps dépassent le seuil de 120 ui/ml
  8.  Atteindre et maintenir un niveau très élevé de couverture vaccinale pour obtenir l’interruption de la circulation du virus est difficile et coûteux, mais ne met pas la population à l’abri d’épidémies tant que l’ensemble des autres pays, en particulier les pays pauvres, n’auront pas atteint le même niveau de protection
  9.  L’efficacité de cette politique est très difficile à évaluer car les données épidémiologiques sont peu fiables
  10. L’élimination de la rougeole dans les pays développés n’est pas un facteur de protection pour les pays pauvres
  11. Le vaccin  a des effets indésirables, ainsi que des contre-indications et précautions d’emploi qu’il est important de respecter pour éviter ces effets indésirables

·        
Pour conclure,
La conférence de Alma Alta a donc initié une réorientation des politiques sanitaires mondiales impulsées par l’OMS. D’une vision globale de la santé, ayant pour  point de départ les besoins sanitaires évalués dans chaque pays, nous sommes passés à une vision fragmentaire où l’on segmente la santé par pathologies, celles-ci étant présentées comme des entités abstraites et indépendantes de l’environnement.
Les réponses aux problèmes de santé vus ainsi sont donc forcément médicamenteuses ou vaccinales et sont censées avoir une valeur universelle. D’où la promotion des programmes mondiaux de vaccination.
Le programme d’éradication de la rougeole entre dans ce cadre. En France cette politique a permis de réduire le nombre de décès par rougeole qui était de 15 à 35 par an, sans effet significatif sur la mortalité globale.
En 2009, des débats sont apparus au sein de l’OMS, devant l’évidence de la difficulté de l’éradication de la rougeole, surtout dans les pays les plus pauvres où la couverture vaccinale reste faible malgré les programmes de vaccination, et devant la question des effets délétères des programmes de vaccination pour le systèmes de santé de ces pays.
Ces débats ont été bien vite étouffés et, sous la pression croissante d’intérêts privés, ont abouti à préconiser la poursuite à tout prix des politiques d’élimination régionale.
Pour autant, doit-on poursuivre en France cette logique du tout ou rien qui aurait pour principal effet, en cas d’élimination de la rougeole et donc d’interruption de la circulation du virus, de rendre la population de plus en plus dépendante du vaccin sans pouvoir garantir sa protection ?
Est-ce qu’une politique de contrôle, centrée sur la protection des personnes fragiles, ne serait pas plus raisonnable ?
La question est posée.

Claudina Michal-Teitelbaum