lundi 12 décembre 2011

Une femme qui n'est pas contente que son mari ait acheté une caméra numérique. Histoire de consultation 109.

Madame A, 27 ans, est enceinte de six mois. La grossesse se passe bien. Les indicateurs sont au beau fixe. Son mari, autant que je peux en juger en consultation, est un homme charmant qui est content que sa femme soit enceinte. 
Aujourd'hui, il y a quelque chose qui ne va pas. A son air, je m'attends au pire dans le style, mon mari est parti. Rien que cela !
Elle s'assoit en face moi, ses yeux sont rouges, elle a dû pleurer.
"Qu'est-ce qui se passe ? - C'est trop difficile à dire. - Allez, dites-moi plutôt pourquoi vous êtes venue me voir..." Elle baisse les yeux. Derrière sa tristesse je vois passer un maigre sourire. Qu'est-ce que j'imagine ?
"Mon mari a acheté une caméra numérique. - Comment ?" Cette fois, elle sourit vraiment. "Si vous m'expliquiez..."
Elle me regarde de façon déterminée, les deux bras reposant sur les accoudoirs du fauteuil.
"Il veut filmer l'accouchement." Je résiste à l'envie de lui dire : "Et alors ?" mais je comprends à temps que la phrase serait inappropriée. "En quoi cela vous dérange ?" Elle réfléchit à ce qu'elle va me dire. "Je ne veux pas. - Et Pourquoi ? - Vous savez, dans tous les films, dans touts les feuilletons, dans tous les reportages, on voit des hommes qui prennent des photos ou qui font des films pendant l'accouchement, on voit des femmes qui souffrent, qui crient, qui pleurent et tout le monde trouve ça bien. Eh bien moi, jusqu'à ce que mon mari achète la caméra, je trouvais ça bien. Et plus maintenant. - Pour quelle raison ? - Parce que je ne veux pas qu'il me voie dans une telle situation, nue, moche, grosse, poussant des cris, comme un animal, comme une malade, non, je préfèrerais être bien coiffée, maquillée, belle et pas dans cet état. - Pourquoi ne lui en parlez-vous pas ? - Parce qu'il a eu l'air tellement heureux avec sa caméra, comme un enfant avec un lego, parce qu'il voulait me faire plaisir. - C'est vrai que cela part d'une bonne intention. - Et vous, qu'est-ce que vous en pensez, docteur ?"
Voilà une banale situation de médecine générale, une banale situation de médecine, de rapports entre un médecin et un patient, mais, en d'autres circonstances, le problème est identique, sauf que dans le cas particulier, il ne s'agit pas de la discussion entre deux amis ou entre un mari avec sa femme ou entre une mère avec son enfant (encore que...), il s'agit d'une consultation, une consultation avec ses codes, une consultation où le médecin a un rôle à jouer qui n'est pas forcément de dire ce qu'il pense...
"Je n'en sais rien. Je crois que nombre de femmes sont contentes que leur mari assiste à l'accouchement pour qu'il se rende compte de ce qu'est le travail. Cela doit donc être une bonne idée si elles en éprouvent le besoin. Mais d'autres préfèrent garder cela pour elles. Par pudeur. Elles ont aussi raison. Mais la mode, actuellement, c'est la participation de l'homme pour qu'il se sente impliqué. Je crois que cela constitue un progrès par rapport aux hommes fumant des cigarettes dans le couloir. Ou buvant des coups avec leurs copains. Mais pour ce qui est de la caméra, je n'en sais rien. Tout le monde filme tout, pourquoi ne pas filmer un accouchement ? - C'est vrai que tout le monde filme tout. Il aurait pu le faire avec son téléphone portable. Ne rien me dire avant. Mais est-ce qu'il voudrait que nous soyons filmés quand nous faisons l'amour ? - Il faudrait le lui demander. Mais, à mon avis, ce n'est pas pareil. - Pas pareil, c'est vite dit. Cela fait partie de l'intimité. - Vous ne faites pas l'amour entourée de médecins et d'infirmières. - Non. Mais l'accouchement, c'est aussi à moi. C'est mon corps, en quelque sorte. - C'est votre enfant. - Oui, c'est vrai, c'est notre enfant. Je crois que je dois en parler avec lui. - Très bonne idée."

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

J'apprécie votre blog que je suis de temps à autres. Néanmoins, je me suis toujours demandée si les patients étaient informé de cette exposition de leur intimité sur le web. Car n'est-ce pas ici d'un entretien qui touche particulièrement à l'intime, à l'intime de l'accouchement, à l'intime de la chambre à coucher.
L'anonymat enveloppe tout cela d'un voile, c'est vrai.

Une idée en passant : le mari avait peut-être surtout envie de se payer la caméra de ses rêves, et l'heureux évènement l'occasion !

Le fait que des hommes médecin ou mari s'étonnent de la question de cette femme à pouvoir disposer elle-seule de l'image de son corps s'inscrirait me semble-t-il dans la droite ligne de ce que nous dit Marc Girard ici
La brutalisation du corps féminin dans la médecine moderne

http://www.rolandsimion.org/spip.php?article23

Anonyme a dit…

Aurais je aimé etre filmée hurlante et ruisselante de sueur sans compter le reste, je n'en suis pas sure ..Surtout que c'est trèèèès long un accouchement !
Garder ces moments en mémoire (uniquement ds la tete) est bien suffisant ;)

JC GRANGE a dit…

@ Anonyme 1. Votre question est cruciale. Je vais vous répondre en deux temps : 1) pour ce post, la video est une video que j'ai prise sur Google après avoir tapé "accouchement", c'était la première video, vous pouvez en faire l'expérience, je l'ai visionnée avec horreur, horreur qu'une famille puisse mettre son accouchement en accès libre, horreur de la façon dont c'était filmé ; toujours pour ce post, la patiente qui m'a parlé au cabinet ne l'a pas fait hier mais il y a un an et j'ai tout modifié et je lui en ai parlé, son mari n'a pas filmé, finalement, et ils ont beaucoup ri (mais ils n'auraient pas publié sur le web en accès libre) ; 2) les cas cliniques que je présente sont le plus souvent modifiés, sans en perdre leur sel, un homme devenant une femme (quand c'est possible) et vice versa, un cancer du poumon devenant un cancer de la plèvre ou d'autre chose, à te point que, en relisant ce que j'ai écrit, un ou deux ans après,il m'arrive de ne plus me rappeler de quel patient je parlais... Mais cela, à mon avis, n'enlève rien à la réalité de ces consultations. Il arrive également que je censure dans la mesure où je pourrais m'imaginer soit que le patient puisse trop facilement se retrouver, soit parce que mes commentaires pourraient le blesser, l'ennuyer ou lui faire du tort. ce n'est donc pas, à proprement parler, de l'autofiction.
Bien à vous.

Marietoune a dit…

Il y a aussi encore la possibilité légale d'accoucher entre soi sans être entourés de médecins et infirmières, avec seulement l'assistance d'une sage femme prête à intervenir en cas de besoin.

Anonyme a dit…

Bonjour

merci pour vos précisions, car effectivement c'est si bien écrit, si réaliste, qu'on oublie facilement que forcément par souci de confidentialité les cas exposés sont forcément modifiés ...

vos articles sont d'utilité publique !

de la part d' "anonyme1"

Babeth a dit…

Euh... j'ai déjà accouché, et je m'apprête à recommencer dans pas longtemps. Je sais qu'on n'est pas à notre avantage dans cette situation... alors purée, le couple qui a mis ça en ligne... mais c'est juste pas possible!!! C'est intime et personnel ce genre de moment, ça devrait rester entre eux, en famille (et encore, je dis rien sur le simple fait de filmer, mais j'en pense pas moins). Bref, j'suis peut-être prude et vieux-jeu mais là... pfff...

Anonyme a dit…

Moi ce qui me choque dans les vidéos d'accouchements modernes, ce n'est pas tant que madame soit moche et pas maquillée, mais plutôt qu'elle soit en position gynécologique, perfusée (glucose?ocytocine?), pas libre de ses mouvements, infantilisée (allez "maman" c'est bien, continuez),stréssé (non pas cmme ça, mais enfin si vous poussez pas plus fort ON va pas y arriver,) déshydratée parceque "on ne sait jamais" alors qu'elle est déjà considérée comme un "ventre plein", mutilée : primipares priez qu'on vous épargne surtout si vous savez combien les maternités ne respectent pas les recommandations de l'OMS en matière d'épisiotomie.

Cessons de déposséder les femmes du peu qu'elles ont, de la liberté de choisir leur accouchement, de leur imposer des gestes sans leur expliquer, et encore moins sans recueillir leur consentement dans les moments ou il n'y a pas d'urgence mais juste le travail d'une parturiente qui mérite le respect.