lundi 26 septembre 2011

Introduction métaphorique au care à propos d'un cas. Histoire de consultation 97.


Madame A, 61 ans, consulte avec son mari, 68 ans, il est rare qu'ils viennent ensemble, et je sens dans son regard qu'elle attend quelque chose de moi.
Elle a peur que son mari "fasse" un Alzheimer.
Depuis quelques temps, je l'avais remarqué, Monsieur A se plaint de troubles de la mémoire, de troubles mineurs mais qui commencent à s'accumuler et qui, surtout, on le verra au cours de l'entretien, le gênent et gênent son entourage dans la vie quotidienne.
Nous étions convenus qu'il serait temps de faire des tests.
Je crois que c'était une ânerie. Mais la demande était trop forte. Et je n'aime pas administrer les tests comme le MMS (Mini Mental test) quand je sais qu'ils sont conçus pour faire prescrire des médicaments anti Alzheimer à des patients qui n'ont pas forcément un Alzheimer. Vous pouvez arguer : pourquoi le faire passer par des autres dans un Centre de mémoire ? Parce que cela me permet de gagner du temps. Parce que cela rend ma démarche suivante, celle de ne pas prescrire de médicaments, plus légitime. Nous y reviendrons peut-être.
Madame A insiste beaucoup, avec cette insistance qui peut passer pour de la domination ou de l'emmerdement maximum à l'égard d'un conjoint, mais une insistance qui peut tout simplement signifier l'anxiété, elle insiste donc pour qu'on prenne le taureau par les cornes (c'est son expression, je n'y peux rien...)
J'en conviens, je l'interroge à nouveau, il y a effectivement des troubles de l'attention, de la mémoire, et, un peu de vieillissement.
Je me fends d'une lettre pour le centre de gérontologie.
Je rappelle en passant que les médicaments anti Alzheimer sont assez peu efficaces (il faut bien que je me couvre).
Je m'intéresse aussi à Madame A qui souffre de névralgies faciales invalidantes mal calmées par les antalgiques classiques que l'on donne dans ces cas là, comme on dit.
L'histoire de Madame A est la suivante : elle est retraitée de l'Education Nationale (elle était institutrice de maternelle) ; elle garde trois de ses petits-enfants à domicile depuis environ trois ans ; elle est tonique ; elle a sa maman, très âgée, invalide mais ayant gardé sa tête, (c'est à dire qui n'est pas classée Alzheimer) qui vit dans un EHPAD situé à 35 kilomètres de Mantes ; elle fait bonne figure ; mais elle se sent coupable d'avoir "placé" sa mère ; elle nie que ses trois petits-enfants la fatiguent alors que son mari ne le nie pas ; il m'en a parlé un jour quand elle n'était pas là... Il est possible aussi, n'hésitez pas à critiquer par avance mon analyse "sauvage" et tellement facile, on va voir que la Mimesis ne s'applique pas seulement aux patients mais aussi aux médecins, que les troubles de mémoire de Monsieur A soient des troubles de l'attention qu'il s'impose pour refuser de façon alzheimerienne ce que sa famille, sa femme, lui imposent.
Je résume : Monsieur et Madame A ont élevé trois enfants ; ils ont attendu leur retraite avec impatience ; la mère de Madame A était déjà très malade avant même qu'ils n'aient pris leur retraite ; quand les petits-enfants sont nés, ils ont dû s'en occuper ; et maintenant son mari...
Cette femme est métaphorique des propos de Carol Gilligan sur la généalogie du care telle qu'elle l'analyse dans son livre fameux Une voie différente. Pour une éthique du care. Champs Essais numéro 844.
Le travail invisible des femmes.
La voix inentendue des femmes.
Madame A, enseignante, s'est occupée de sa famille, a élevé ses enfants, s'est occupée de sa mère qu'elle a dû placer dans une maison de retraite où le personnel est essentiellement féminin (non blanc, d'origine émigrée ou étrangère), elle a dû ensuite s'occuper de ses petits-enfants qui, sinon, avant d'aller à l'école, seraient allés en crèche (personnel féminin)ayant des enfants, un foyer, un mari, pendant que les mères de ces enfants étaient femmes mariées ou pacsées ou à la colle et travaillaient (en payant donc d'autres femmes pour s'occuper de leurs enfants, des femmes qui ont aussi des enfants, des maris et des parents), puis elle craint de devoir s'occuper de son mari futur Alzheimer...
Je n'ai rien dit de tout cela. J'ai simplement souligné que Madame A aurait pu avoir une retraite plus simple.
J'ai oublié de dire que Monsieur A, ancien fonctionnaire territorial, est un grand bricoleur qui a fait et qui continue de faire des travaux qui, désormais, le fatiguent, dans les différents maisons et appartements de ses enfants.
Ainsi, dans ce cas précis, on pourrait dire, contre toute attente, que Monsieur A est une victime du care de sa femme.

(La Sainte Famille - Raphaël - 1507)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"non blanc, d'origine émigrée ou étrangère"

Je ne comprends ce que ça vient faire dans l'histoire ?
(on ne dit pas plutôt "immigrés" ?)

JC GRANGE a dit…

Yes !
Immigrés et non émigrés. Mais, pour le coup, les immigrés sont obligatoirement des émigrés...